Les Poètes du terroir T I/Perdriel-Vaissière

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 515-516).
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MADAME PERDRIEL-VAISSIÈRE



Il faut le dire tout d’abord, Mme  Perdriel-Vaissière n’est Brotonne que d’élection. Née à Ajaccio, où son père, officier d’infanterie, tenait garnison, elle prend ses origines au pays languedocien. Amenée dès son plus jeune âge sur le continent, elle vécut tout d’abord en Poitou, pays de sa mère, puis grandit en Bretagne, où la fortune des siens vint la fixer. Entre temps, elle résida à Versailles et à Melun. Des nombreux voyages qu’elle fit dès son enfance, elle garda un émerveillement tel qu’à ses débuts littéraires elle associa des réminiscences de lectures aux souvenirs de ses divers séjours dans nos provinces. Elle ne cessa depuis d’élargir sa vision et d’étendre à tous les sites qu’elle connut son ardent amour du terroir.

Sa poésie a gagné en force à ne se point restreindre, et l’on peut dire qu’elle a vu la Bretagne dans un mirage presque meridional. Les recueils de poèmes où elle a noté ses impressions d’artiste nous font participer à une allégresse quasi universelle des hommes et des choses qu’on s’étonnerait de trouver chez un écrivain véritablement local. Rien dans son vers ne rappelle la fausse résignation mystique du romantisme et du Parnasse celtiques. S’il nous fallait choisir une Muse pour cette terre bretonne, que tant de rimeurs ont dénaturée, nous désignerions, après la douloureuse Elisa Mercœur, Mme Perdriel- Vaissière, dont l’œuvre respire la grâce et la santé…

Mariée depuis plusieurs années à un officier de marine, Mm. Perdriel-Vaissière s’est fixée à Brest, qu’elle n’a guère quitté, sinon pour faire de courts séjours dans les ports de la Manche. Sa vie s’écoule, paisible, au foyer familial, face à l’océan qu’elle a tant célébré, dans ce beau Finistère où de petites montagnes, de grandes forêts, coupées de luxuriantes vallées et de menaçantes falaises, rompent indéfiniment l’aride monotonie de la lande.

Mme Perdriel-Vaissière a déjà fait paraître trois recueils : Les Rêves qui passent (Paris, Lemerre, 1899, in-18) ; Le Sourire de Joconde (Paris, Biblioth. de La Plume, 1902, in-18) ; Celles qui attendent (Paris, Sansot, 1907, in-18), ainsi qu’un poème détaché, La Couronne de racine (Brest, Kaigre, 1902, in-16) ; elle a de plus collaboré au Mercure de France, à la Revue, au Monde moderne, à L’Hermine, à la Grande Revue, à la Revue des Poètes, au Correspondant, à la Revue bleue, aux Annales politiques et littéraires, à Femina, à la Vie Heureuse, etc.

Bibliographie. — A. Le Braz, Les Rêves qui passent : Dépèche de Brest, 9 février 1900. — L. Tiercelin, Celles qui attendent ; Le Nouvelliste de Bretagne, 6 juin 1907.


QUÉLERN


Quand pourrai-je sentir encore la douceur
De l’horizon noué ainsi qu’une ceinture,
Va tout l’aérien modelé des vapeurs
Ouatant de bleu profond ses creuses découpures ?

Quand pourrai-je allonger, comme un rai de soleil,
Mon cœur rasséréné sur la moelleuse baie,
Ou, d’un geste enfantin, secouer dans la haie
Les fuchsias tout en fleurs, à des grelots pareils ?

La mer, en sertissant le caprice des îles,
Mire entre leurs contours un ciel multiplié,
Et l’Arrhez, par delà les collines fertiles,
Sculpte ses degrés bleus, l’un sur l’autre appuyés.

Malgré qu’entre le monde et mes yeux, une image
Interpose le trouble obstiné dans mon cœur.
Ta grâce m’enveloppe, ô souple paysage
Dont la forme se rythme au chant de la couleur !

Mais j’ai fermé les mains dans l’oubli des caresses.
Les dalles du silence ont pesé sur mon cœur.
Je ne retrouve plus les feuillages que tresse
L’adieu reconnaissant de l’heureux voyageur.

Puisse quelque passant au visage de gloire.
Assez beau pour qu’on l’aime, assez jeune pour croire,
T’apportant son bonheur, te confondre avec lui,
Tandis qu’à l’horizon ma petite ombre noire
Ira, diminuant, du côté de la nuit.

(Celles qui attendent.)