Les Poètes du terroir T I/Jean Le Masle

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 52-54).

JEAN LE MASLE

(1533- ?)


Selon les généalogistes, la famille de Jean Le Masle appartenait à l’Anjou et se flattait d’être noble. Lui-même était né à Baugé en 1533. Orphelin dès le bas âge, il fut élevé par un de ses oncles, Mathurin Chalumeau, sieur de Bernay, et prit la carrière d’avocat. Sa vie fut semée d’aventures diverses, auxquelles il a fait maintes fois allusion dans ses propres ouvrages. La Réforme, ayant déchaîné la guerre civile, le rendit ligueur irascible. Après diverses pérégrinations, il revint en Anjou et dut se contenter du modeste emploi d’enquêteur à Baugé. Quoiqu’il ait exercé cette profession avec beaucoup d’honneur et de distinction, il ne paraît pas s’être réjoui du séjour dans son pays d’origine. Bien au contraire, il a maintes fois exercé les effets d’une humeur satirique contre ses concitoyens, qui, en revanche, ne se firent point faute de répondre par de basses vengeances et des calomnies à ses méchants propos. Dénoncé et vendu à ses ennemis, lors de l’irruption de la troupe des Malcontents en Anjou, il ne dut son salut qu’a l’intervention énergique de son beau-frère, un sieur Le Bigot, lieutenant général au siège royal de Baugé. Il connut en outre « les tribulations d’infortunes domestiques ». On ignore la date de sa mort. Il a laissé plusieurs ouvrages, quelque peu différents de forme et d’esprit : Chant d’allégresse sur la mort de Gaspard de Coligny, etc., Paris, Nic. Chesneau, 1572, in-8o ; Le Temple de Vertus, auquel entre autres choses est montré et prouvé que les huguenots et politiques, qui dégénèrent de la vertu de leurs ancêtres, etc., doivent être dégradez du titre et qualité de noblesse, manuscrit du temps, ancienne collection Viollet-le-Duc ; une Vie de Platon, escrite eu vers françois, Paris, J. Poupy, 1582, in-4o ; et un recueil de poèmes divers : Les Nouvelles Recreations poétiques, contenant aucuns discours non moins récréatifs et plaisons que sentencieux et graves, Paris, J. Poupy, 1580, et Guill. Bichon, 1586, in-12. On trouve tout à la fois dans ce dernier ouvrage un « discours contenant en brief l’origine des Angevins : ensemble des Manceaux et autres nations gaulloises », et des sonnets satiriques contre Baugé, son lieu natal.

« Jean Le Masle, au dire de Viollet-le-Duc, est un poète original. Contemporain et condisciple de Ronsard, son vers, moins poétique sans doute, est plus libre, plus dégagé, plus franc, toujours clair et bref : qualité plus rare alors que jamais. »

Bibliographie. — Abbé Gonjet, Bibliothèque française, t. XII, p. 380. — Viollet-le-Duc, Bibliothèque poétique, Paris, Hachette, 1843, p. 325. — G. Ballu, Curiosités poétiques du seizième siècle : J. Le Masle ; Revue de la Renaissance, 1905, t. VI, p. 230.



SONNETS SUR BAUGÉ
I


Bien que ce lieu soit beau et délectable.
Autant que nul du climat Angevin,
Bien qu’il produise, avecques le bon vin,
Tout ce qu’il faut pour couvrir une table,

Il ne m’est point plaisant et agréable,
Veu que le peuple, envieux et mutin,
S’y estudie à mesdire sans fin,
Et s’abandonne à tout vice exécrable.

Voilà pourquoy j’abhorre telles gents,
Si que reclus la plus grand’part du temps
Me tiens icy, en morne solitude.

Mais si un coup demeurant je t’y voy
(O cher cousin), souvent j’iray chez toy
Charmer l’ennuy que nous cause l’estude.


II


Le vieil proverbe dit que la gent de Lydie
Est la pire qui soit en tout cest univers,
Et que de près la suit l’Egyptien pervers :
Puis au troisième rang l’on met ceux de Carie.

Mais ceux de Baugé sont de si meschante vie,
Et leur police va tellement de travers,
Sans tenir ordre aucun, que tousjours, par mes vers,
Je les diray plus pleins de trahison, d’envie

Que ne sont les premiers : excepté seulement
Quelque nombre petit qui, vertueusement,
Chemine (comme Loth) entre le peuple inique.

Portheis, voilà pourquoy ce lieu m’est odieux,
Car plusieurs citoyens y sont plus dangereux
Que ne sont les dragons et fiers serpents d’Afrique.


III


Je sçay bien qu’on ne voit que tout desordre icy,
Tout semble estre confus et plein de mocquerie,
Le peuple est exposé au sac et pillerie
Des grands, qui font semblant d’avoir de luy soucy.

D’autre part, le vulgaire au vice est endurcy,
Plus qu’il ne fut jamais : ce n’est que menterie
De tout ce qu’il asseure : abbus et tromperie
En tout ce qu’il achette et ce qu’il vend aussi.

Brief, c’est pitié de voir tous estats de la France,
Comme ils vont aujourd’huy suivant la décadence :
Mais plus qu’en autre lieu tout ordre est perverty

Dans Baugé tellement qu’un brocard on luy baille.
Disant que de Baugé c’est meschante canaille,
Ce qu’est en trivial un proverbe converty.

(Nouvelles Recréations poétiques, 1580.)