Les Poètes du terroir T I/J.-Ant. de Baïf

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 48-51).

JEAN-ANTOINE DE BAÏF

(1532-1589)


Angevin par son père et Italien par sa mère, Jean-Antoine, fils naturel de Lazare de Baïf, naquit à Venise, au mois de février 1532. « Les sieurs de Baïf, famille ancienne de l’Anjou, dit Hauréau dans son Histoire littéraire du Maine (Paris, 1843-1852, in-8o, t. III), habitaient le château des Pins, près la Flèche, et possédaient au Maine les terres seigneuriales de Verneuil-le-Chétif et de Mangé. » Lazare de Baif, qui exerça toute sa vie des charges diplomatiques, resta près de deux années à Venise. De retour en France, il pourvut à l’éducation de son fils, qu’il confia successivement à un professeur du nom de Tusan et au célèbre Daurat. Jean-Antoiue contracta dans sa jeunesse de précieuses amitiés, et ce fut sous l’influence de Ronsard, dont il avait été longtemps le condisciple au collège Coqueret, que se développa son génie poétique. Les premiers vers qu’il publia furent les quatrains traduits de distiques latins, qui, avec une ode et une épitaphe, parurent en 1551, dans le Tombeau de Marguerite de Valois. Mais, a-t-on dit, ce n’était là qu’un jeu de sa muse naissante. Il s’enhardit bientôt à célébrer ses amours, et fit paraître, en l’espace de quatre années, la matière de six livres d’odes, de sonnets et de chansonnettes.

Peu d’événements remplissent la vie de Baïf. On sait seulement qu’il se rendit au concile de Trente et descendit en Italie. En faveur à la cour, il fonda par la suite, et grâce à la munificence royale, notre première Académie nationale, celle dite des Valois, et eut le premier l’honneur de tenter une alliance étroite de la poésie et de la musique, en soumettant l’une et l’autre à des lois mélodiques.

Ses dernières années furent traversées par une longue et douloureuse maladie qui ne lui donna guère de répit, et à laquelle il succomba, à Paris, le 19 septembre 1589, âgé de cinquante-huit ans et sept mois. Il laissait une œuvre copieuse, parmi laquelle les ouvrages suivants s’imposent encore à la curiosité des lettrés : Le Ravissement d’Europe, Paris, veuve M. de la Porte, 1552, in-8o ; Chant de joie du jour des espousailles de François, roi dauphin, et de Marguerite, royne d’Ecosse, Paris, A. Wechel, 1558, in-4o ; Le Premier des météores, comédie, Paris, R. Estienne, 1567, in-8o ; Paris, R. Estienne, 1567, in-4o ; Œuvres en rime (Poèmes, Les Amours, Les Jeux et Les Passe-Temps), Paris, Lucas Breyer, 1572-1573, 4 vol. in-8o : Complainte sur le trespas du feu roi Charles IX, Paris, F. Morel, 1574, in-8o ; Etrenes de poézie fransoéze, Paris, Denys du Val, 1574, in-4o ; Première Salutation au roy sur son avènement à la couronne ; Seconde Salutation au roy entrant en son royaume, Paris, F. Morel, 1575, in-4o ; Epistre au roy sous le nom de la royne sa mère, Paris, F. Morel, 1575, in-4o ; les Mimes, enseignements et proverbes, Paris, Lucas Breyer, 1576, in-16 ; R. Estienne, 1581, in-12 ; Mamert Pâtisson, 1597, in-12 ; Toulouse, J. Jagourt, 1608, 1612 et 1619, in-12.

Il existe trois réimpressions de ses poèmes, la première complète, la seconde et la troisième partielles : Poésies complètes etc., édit. Marty-Lavaux, Paris, A. Lemerre, 1870, 2 vol. in-8o ; Poésies choisies, suivies de poésies inédites, publiées par L. Becq de Touquières, Paris, Charpentier, 1874, in-8o ; Les Mimes, enseignements et proverbes, publics par P. Blanchemain, Paris, L. Willem, 1880, in-12. Antoine de Baïf, qui, au dire de Guillaume Colletet, vécut presque toujours à Paris, dans sa maison du faubourg Saint-Marcel, « en la compagnie des Muses et parmi les doux concerts des enfants de la musique qu’il aimait et qu’il entendait à merveille », eut peu le loisir de célébrer la terre ancestrale. Néanmoins, parmi des pièces où se trouve décrit complaisamment le décor poitevin de ses premières amours, il fait parfois appel à des souvenirs pour peindre d’une manière originale les lieux qui l’initièrent à la beauté champêtre.

Bibliographie. — Abbé Goujet, Bibliothèque française, t. XIII, p. 340 et suiv. — Marty-Lavaux, Notice, édit. citée. — L. Becq de Fouquières, édit. citée. — Lucien Pinvert, Lazare de Baïf (1496?-1547), Paris, Fontemoing, 1900, in-8o. — Ed. Fremy, L’Académie des derniers Valois, Paris, Leroux, 1887, gr. in-8o.


Espacé


Couchés dessus l’herbage vert.
D’ombrage épais encourtinés.
Ecoutons le ramage du rossignolet.
Planions le mai, plantons le mai
En ce joli mois de mai.

Là, rien qu’amour ne nous dirons ;
Là, rien ne nous ferons qu’amour,

Chatouillés et piqués de désir mutuel.
Plantons le mai, plantons le mai
En ce joli mois de mai.

Dedans ce peinturé preau,
Les fleurs, levant le chef en haut,
Se présentent à faire chapeaux et bouquets.
Plantons le mai, plantons le mai
En ce joli mois de mai.

Le ruisselet y bruit et fuit,
Nous conviant au doux repos ;
Les abeilles y vont, voletant, fleuretant.
Plantons le mai, plantons le mai
En ce joli mois de mai.

La tourterelle bec à bec.
Femelle et male, nous présents,
Fretillante de l’aile se baise en amour.
Plantons le mai, plantons le mai
En ce joli mois de mai.

Les oisillons joints deux à deux,
Font leur couvée au nid commun :
Et du jeu de l’amour ne prenons les ébats.
Plantons le mai, plantons le mai
En ce joli mois de mai.

La terre gave épand le sein
Au germe doux qui vient d’en haut,
Du ciel amoureux qui sur elle se fond.
Plantons le mai, plantons le mai
En ce joli mois de mai.


SONNETS
I

Bellay, d’Anjou l’honneur, ains de toute la France,
A qui tout l’Helicon s’étale tout ouvert ;
Si en vers amoureux tu nous as découvert
Quelque flamme d’amour d’une claire aparance ;

Si d’Olive le nom mettant en evidance,
Des branches d’olivier ton front tu as couvert,

Osant le faire égal au l[au]rier tousjours verd.
Ne deda[i]gne écouler ces souspirs que j’eslance.

Ne deda[i]gne œillader ces vers, que sur le Clain
Amour me fait écrire en l’honneur de Francine ;
Et, si quelque pitié touche ton cœur humain,

Sur les bords ou du Tibre ou de l’eau dont l’humeur
Première m’abreuva, fay que la voix divine
Les nymphes d’Italie émeuve en ma faveur.


II

Loir, qui léchant les pieds des couteaux Vandomois,
Menes ton eau tardive en la terre angevine,
Si quelquefois Ronsard à sa chanson divine
T’avoit fait arrêter tes flots ravis tout cois ;

Entone, je le prie, dans tes rives ma voix,
Que tristement je pousse, absent de ma Francine,
Et conduy-la si bien sur ton onde azurine
Que sa Cassandre l’oye où bien souvent tu l’ois,
 
Quand du long de tes bords l’herbe verte elle presse,
Seule, te rechantant les vers de son amant.
Qui comme moy se plaint, absent de su maistresse.

Fleuve, dis-luy pour moy : « Tu n’es seule, Cassandre,
Qui consumes un autre et te vas consumant :
Francine, qui me prend, à moi se l[ai]sse prendre. »

(Amours de Francine, l. I et II.)