Les Poètes du terroir T I/Coquillart

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 529-531).

GUILLAUME COQUILLART

(1421-1510)


Nous avons peu de renseignements sur ce poète. On sait, de lui-même, qu’il était né à Reims en 1421. Il appartenait à une vieille famille champenoise. Dès 1438, un des siens, son père sans doute, était conseiller de ville à Reims. Guillaume Coquillart étudia le droit et vint vraisemblablement à Paris. De retour dans sa ville natale, il occupa plusieurs charges importantes et acquit par son mérite une grande réputation. « En 1461, selon Anatole de Montaiglon, il fut chargé, avec trois autres jurisconsultes, de mettre par écrit la coutume de Reims : en 1483, il devint chanoine de la cathédrale, et en 1490 passa official, ce qui lui donna la seconde fonction ecclésiastique du diocèse. Nommé en 1493 grand chantre et chargé par le clergé provincial d’aller à Laon ratifier la paix faite avec l’Angleterre, il mourut en 1510, après une carrière bien remplie. Guillaume Coquillart a laissé divers ouvrages où sa verve caustique s’est exercée au détriment des abus et des vices de son siècle. Les plus connus sont Le Playdoyé et l’Enquéte d’entre la Simple et la Rusée, qui ont fait, avec le poème des Droits nouveaux, l’objet d’une publication spéciale (Paris, s. d., in-4°). On lui doit aussi un Blason des Armes et des Dames, le Monologue Coquillart, etc., et on lui attribue plusieurs pièces rappelant la manière de François Villon. Les Œuvres de Coquillart ont paru pour la première fois à Paris, chez Jean Trepperel, en 1493, in-4° gothique. Une seconde édition donnée en 1532, par Galliot Dupré, est fort recherchée. Elles reparurent, en 1723, par les soins de Coustelier, avec des remarques de La Monnoye. Charles d’Héricault les a réimprimées ces dernières années en les complétant et en les faisant précéder d’une judicieuse étude dont nous extrayons les lignes suivantes[1] : « On peut dire de l’écrivain remois qu’il a vraiment le génie de la forme légère, l’instinct d’une harmonie particulière comparable à la musique dansante. Jamais homme n’a mieux dépeint d’un mot, mieux fait un tableau d’une phrase. Tout ce qu’il dit saute aux yeux, ou se laisse toucher du doigt, et chaque personnage est peint d’une manière grotesque sans doute et joyeuse à voir, mais saisissante, impossible à oublier : aucune des nuances d’un sentiment naturel et ordinaire ne lui échappe… Il est pardessus tout un homme d’un esprit infini, et pourtant, chose peu commune, cette exubérance d’esprit lui permet toujours la simplicité dans l’analyse. Enfin, il joint deux qualités bien opposées, la naïveté de l’esprit et la raillerie, la gentillesse et l’âpreté. Pourtant ce ne fut point à tout cela qu’il dut son bonheur et sa gloire, et ce n’est pas dans ses qualités que nous trouvons sa véritable originalité. Ce qui le recommande à ses contemporains, c’est qu’il fut un bourgeois écrivant pour des bourgeois, sur des sujets exclusivement bourgeois, composant ainsi une littérature avec les instincts, les inspirations, les idées, les préjugés, la vie journalière de la bourgeoisie… La poésie de Coquillart est donc comme le journal de la ville de Reims au XVe siècle

Bibliographie. — Goujet, Biblioth. franç., t. X, p. 156. — Anatole de Montaiglon, Guillaume Coquillart, notice publiée dans les Poètes français de Crepet, etc. — Ch. d’Héricault, Coquillart et la Vie bourgeoise au quinzième siècle, édit. des Œuvres de Coquillart, 1857.


BALLADE QUAND ON CRIA
LA PAIX À REIMS
[2]
[1482]

Vous, esperitz et vertueux courages,
Plaisans, honnestes, loyaux et pacificques,
Saillez acop[3] de vos noblez bernages[4]
Engins subtilz, caultz et scientificques,

Et regardés les euvres deïficques
Dont Dieu nous a si grandement douez
Que tous nos deulz[5] sont aujourd’huy muez
En joyes, en chantz, en plaisirs et en jeux,
Par ces trois Dames lesquelles cy voyez :
C’est France et Flandre, et la Paix entre deux.

Vouloir divin a conduit ces ouvrages,
Par luy sont faitz ces euvres mirificques,
Du ciel sont cheues ces plaisantes ymages,
Doulx maintiens humains et angeliques.
Ne sont-ce pas precieuses relicques ?
Pensez que ouy : ainsi fault que croyez.
Et pour ce, enfans, soyez tous envoyez
De rendre loz au Dieu celestieulx
Pour ces trois corps qui vous sont envoyez :
C’est France et Flandre, et la Paix entre deux.

Tremblez acop, envenimez langaiges,
Cueurs desloyaulx et gens dyabolicques.
Pervers, maulditz, pleins de crueulx oultraiges ;
Ne descordez à ces joyeux cantiques.
Muer vous fault vos lances et vos piques,
Et que d’armeures vous soyez desarmez,
Affin que mieulx ceste paix advouez,
Et que de cueurs loyaulx et vertueux
Vous maintenez tousjours ces pointz liez :
C’est France et Flandre, et la Paix entre deux.

Prince Françoys, tes faitz glorifiez
Nous gratulons d’ung desir convoiteux,
Puis que ces trois ensemble aliez,
C’est France et Flandre, et la Paix entre deux.

(Œuvres de Coquillart, édit. de 1857, I.)
  1. Œuvres de Coquillart, nouv. édit. revue et corrigée, etc. ; Paris, Jannet, 1857, 2 vol. in-12.
  2. « En ce temps, dit Jean de Troyes, ès mois d’octobre et de novembre, se firent grandes allées et venues par les Flamands de la ville de Gand, qui vindrent en ambassade devers le Roy… Et tellement fut communiqué par les dites parties, tant d’un costé que d’autre, qu’ils firent et traitèrent la paix, en laquelle faisant se debvoit faire le mariage de Mgr le Dauphin et de la fille du duc d’Autriche… » La ballade de Coquillart fut composée pour les fêtes qui suivirent cette paix.
  3. Sortez d’un coup.
  4. Bagage, suite militaire, camp.
  5. Deuils.