Les Poètes du terroir T I/Berry, notice

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 170-175).

BERRY

HAUT BERRY, BAS BERRY

« Les coteaux verdoyants du Boischaut, les rives ombragéos de l’Indre, les plaines mélancoliques du Cher, hérissées de genêts, plantées de lupins ; des accenses, des locatures où vivent des familles patriarcales, des ménageres proprettes, de rêveuses pastoures ; des domaines jetant çà et là avec leurs toits de tuiles rouges une note de vie dans le paysage monotone ; de grandes étendues sablonneuses, tapissées de bruyeres roses ; des cultures morcelées, séparées par des haies vives au milieu desquelles surgissent les têtes rondes des ormeaux ; de riches herbages vers Germigay, où l’on élève la belle race charolaise et des moutons renommés ; de légères ondulations en suivant 16 cours des rivières ; des vallées humides du côté de Saint-Amand, La Châtre, Le Blanc, profondes, accidentées en se rapprochant de la Creuse ; un horizon sur lequel se découpe la carcasse étrange d’un vieux donjon en ruine, la ligne sombre d’un bois de chènes ou d’une châtaigneraie…, tel est, selon M. Hugues Lapaire[1], l’aspect général du pays berrichon.

« Et dans le vent qui se parfume au genêt de ces brandes, aux églantiers de ces traînes, aux menthes sauvages de ces rives, on respire la fraîcheur des idylles de George Sand…

« Sur ce sol, les invasions n’ont fait que passer ; la civilisation vient seulement de s’y arrèter… Les paysans de cette contrée ont conservé longtemps la physionomie des habitants de la premiere Aquitaine. Acharnés à la glebe, ils s’imprégnaient de la Nature, et la poésie qui est en elle les pénétrait inconsciemment, pour se dévoiler aux heures tristes du crépuscule et dans les liesses des assemblées.

« C’est à cet ancien esprit que nous devons le briolage, ce chant rustique qui contient la musique des brises, des oiseaux et des sources ; notes éparses dans la plaine, que le terrien recueille et jette au vent en piquant l’échine de ses bœufs. Sa voix chevrotante s’élève d’abord timidement, comme un son de cornemuse que l’on accorde ; puis, peu à peu plus assurée, elle monte, s’élance, plane, pour se fondre dans un murmure très doux qui la fait paraître très lointaine. C’est la vie du laboureur qu’évoque ainsi le briolage ; la vie besogneuse et belle de la plèbe, les durs travaux sous les averses de pluie et de rayons ; c’est l’âme des champs tout entière qui passe sur l’aile du briolage, du chant solennel de la Terre ! »

Toute la poésie berrichonne est là : nous entendons la poésie locale, intime, celle qui s’apparente aux patois.

Ici, observe Jaubert, dans son Glossaire du centre de la France, le parler est lent, mais non sans grâce. « L’habitant des campagnes est paisible, circonspect et narquois, et l’on prendrait une idée inexacte de son caractère si l’on en jugeait d’après l’abondance des termes qui servent à exprimer tous les degrés de la ruse. » La situation du Berry sur les confins des langues d’oc et d’oïl, a-t-on dit, explique l’ancienne richesse de son patois. Il méritait d’autant plus de fixer l’attention des philologues qu’il fut en quelque sorte le dernier abri du français qui se parlait au temps de la Renaissance. C’était tout à la fois la langue de Jehan de Meung, de Marot, de Rabelais et de Joachim du Bellay, d’illustre mémoire. Langue d’oc et langue d’oil se sont fondues dans le bas Berry pour former un vocable berrichon-marchois où se retrouvent maintes expressions méridionales. Aujourd’hui que les idiomes tendent à disparaitre, chassés par l’uniformité de la langue classique et des mœurs nouvelles, on en est à regretter toute une littérature, où se complaisait l’âme des humbles. Le Berry, plus qu’aucune autre province, a subi la dure loi du sort. Veut-on se faire une idée de cet aucien français savoureux du Centre, si particulier, et dont, en son temps, George Sand déplorait déjà la décadence ? Nous possédons un curieux document publié jadis dans le Courrier de Bourges et réimprimé diverses fois pour les besoins de la cause des dialectes, si chère à tout bon Berrichon. C’est un simple pastiche d’une poésie de Victor Hugo, dû à la verve d’un poète du cru, Théophile Duchapt[2], connu depuis pour avoir fait paraître un recueil de fables et de pièces diverses. Il a pour titre La Marivole. Le voici dans toute sa verdeur gauloise :

A m’dit : « J’ai sientu qu’ça m’bouge
Et qu’ça m’gravoill’ sus l’cacouet. »

J’arr’garde et j’voyis qu’ça l’tait
Un p’tit bestiau noir et rouge.

J’aurais dû, mais, jarnigoi,
Quand on n’sait pas qu’oun est bête !
Pas si ben voir la p’tit bête
Et mieux voir son p’tit bigeoi.

Ça I’tait coume eun’gent’coquille
Gariolée, et les pinsons,
En reuillant ça c’que j’fasions,
S’fougaliont dans la charmille.

Ses lévr’s si fraich’étiont là,
Mais, que l’grand diach’m’estringole !
J’pernis, moi la marivole,
Qui m’dissit, sus ç’coup d’temps là :

« Accout’, tu ne l’sais pas p’tète,
Mon nom ? C’est bête à bon Dieu :
Mais toi, vois-tu, nom de guieu !
Je n’sais pas d’qui qu’t'es la bête. »

Il ne faudrait pas croire qu’un tel texte est exceptionnel. Le Berry abonde en chansons populaires ; il a ses rondes, ses légendes, ses proverbes. A côté du refrain berriaud, d’humeur frondeuse, d’une grivoiserie prime-sautière et naïve, à côté des licencieuses chansons à boire, dignes du génie rabelaisien, on trouve aussi l’accent mélancolique de certains airs gaëliques et des anciens chants d’Irlande. Le pur français a, sur ce sol, une originalité et mille grâces qu’on chercherait en vain ailleurs, et, même lorsqu’il n’est pas émaillé de ces locutions heureuses dont il n’existe peut-être nulle part l’équivalent, il a encore son caractère propre. Il y a une telle parenté, nous l’avons dit, entre le patois du Centre et le vieux langage d’Ile-de-France et des bords de la Loire, qu’on demeure surpris que la langue nationale n’ait pas emprunté davantage au glossaire berrichon. Ici les mots ont une verdeur, un parfum de terroir, qui fait leur charme et séduit les plus indillérents. L’œuvre rustique d’un George Sand fourmille d’images pittoresques, de locutions saisissantes, de vieilles maximes du Boischau. Le Petit Dictionnaire de Jean Tissier, les chansons des envirous d’Issoudun et de Chantome, recueillies par Pierre de Lajoe[3], vingt autres textes, auxquels s’ajoute naturellement l’excellente étude de Hugues Lapaire sur le patois berrichon, sont autant de spécimens intéressant la linguistique de ce pays, où l’on entend, dit-on, rouler les r avec le mème plaisir que Dante lorsqu’il entendait résonner le si des belles contrées de la Toscane.

Mais qu’est-ce qu’un choix de commentaires à côté du bagage des poètes ? Ici, bien que peu nombreux, ces derniers n’ont cessé d’être gens d’importance[4]. Jusqu’à ce jour une tradition s’est perpétuée. Le lyrisme n’a point subi d’interruption. Au contraire, semble-t-il, il a connu des heures brillantes. Ce n’est point assez de citer, depuis le xvie siècle jusqu’à nos jours, les gloires consacrées, il faudrait, pour se faire une idée de l’activité poétique en pays berrichou, mentionner tous les héros obscurs de la glèbe, laboureurs et joueurs de cornemuse, qui apportent sans cesse leur modeste contribution à l’œuvre du terroir. Le vieux langage, propre à l’interprétation de l’âme populaire, a donné naissance à toute une littérature qui ne fera que s’accroître et qui aura, de même que l’art officiellement reconnu, ses concepteurs de génie. Le mouvement date d’hier, mais déjà il est intense, productif. À la suite de ses promoteurs, on compte de puissants interprètes du sol : Maurice Rollinat, Hugues Lapaire, d’autres encore, des nouveaux venus. On ne saurait s’y tromper ; nous assistons là comme ailleurs à une renaissance de la poésie provinciale.

Bibliographie. — Gasp. Thaumas de la Thaumassière, Histoire de Berry, contenant tout ce qui regarde cette province, etc., la vie et les éloges des hommes illustres ; Paris, 1691, in-folio. — Bruzen de la Martinière, Grand Dictionnaire géographique, historique, etc. ; I, Paris, P.-G. Le Mercier, 1739, in-folio. Abbé Goujet, Bibliothèque françoise (notices relatives à Bounyn, à Motin, à F. Habert), t. XIII et XIV ; Paris, H.-L. Guérin, 1752, in-12. — Expilly, Dictionnaire géographique, histor.{{lié}et politique de la France. Amsterdam-Paris, Desaint et Saillant, 1762, in-fol. — Comte Jaubert, Glossaire du centre de la France ; Paris, N. Chaix, 1856, 2 vol. in-8o. — Noirval, Lettres sur les poésies populaires ; Bourges, 1856, in-8o. — Bonnafoux, Légendes et croyances superstitieuses conservées dans le départ. de la Creuse ; Guéret, 1860, in-8o. — Laisnel de la Salle, Souvenirs du vieux temps, le Berry ; Paris, J. Maisonneuve, 1883, 2 vol. in-12. (Voir, du mème, Croyances et Légendes du centre de la France, etc.) — Jules Brosset, Noëls berrichons, etc. ; Blois, 1896, in-folio — Alph. Ponroy, Les Poètes du Berry, notices et extraits ; Paris, bibliothèque de l’Association, 1899, in-12 (ouvrage très médiocre). Voir, du mème, Glossaire du bas Berry ; fascicules, etc. — Auguste Théret, Littérature du Berry, Poésie. Les seizième, dix-septième et dix-huitième siècles ; Paris, F. Laur, 1900, in-8o ; Littérature du Berry, etc. Le Dix-Neuvième siècle ; Paris, Soc. anonyme de publications périodiques, 1902, in-8o (ouvrages médiocres). — J. Ageorge, Le Parler rustique dans l’œuvre champêtre de George Sand ; Revue du Berry, sept. 1901. — Hugues Lapaire, Vielles et Cornemuses ; Moulius, Crépin-Leblond, 1901, in-8o ; Le Patois berrichon ; Moulins, Crépin-Leblond, 1903, in-12 ; Le Pays berrichon ; Paris, Bloud, 1908, in-16. — A. Grimaud, La Race et le Terroir, Cahors, Petite Bibliothèque provinciale, 1903, in-8o ; — J. Michelet, Notre France ; 9e édit., Paris, Colin, 1907, in-18 — Coudereau, Sur le Dialecte berrichon, Mémoires de la Soc. d’anthropologie de Paris, 2e série, t. Ier, etc.

Voir en outre : Ribault de Laugardière, La Bible des Noëls, Les Noces de campagne en Berry, etc. ; — Just Veillat, Les Pieuses Légendes du Berry ; — Ulrie-Richard Desaix, Comptes rendus des travaux de la Société du Berri, 1862-1863 ; Aristide Guilbert, Histoire des Villes de France ; le Petit Dictionnaire du Berri, de Jean Tissier ; enfiu la Grande Revue, numéro spécial consacré au bas Berry (1er  avril 1906), et les collections de la Revue du Centre, de la Revue du Berri, du Réveil de la Gaule


  1. Le Pays berrichon ; Grande Revue, 1er  avril 1906.
  2. Né à Bourges, le 4 juillet 1802, Théophile Duchapt exerça successivement les fonctions d’avocat, de conseiller général de préfecture, de juge au tribunal, et enfin de conseiller à la cour de sa ville natale. Il mourut à Bourges, en 1858. Ses poésies françaises, et en particulier ses Fables, publiées a Paris, chez Hachette, en 1850, sont faibles.
  3. Réveil de la Gaule, 1893.
  4. Assez récemment on a dressé une liste de ces gloires locales. Les anciens poèles berrichons sont si nombreux qu’il nous faut renoncer à les citer ici. Encore quelques-uns, et non des moindres, ont-ils été oubliés par nos modernes bibliographes. Bien qu’ils ne se recommandent, pour la plupart, ni par leur génie ni par leur amour du sol, nous ne saurions les passer tous sous silence. Signalons pour mémoire, du xvie à la fin du xviiie siècle : François Habert, Gabriel Bounyn, Pierre Motin, Pierre Enoch, Michel Baron, Guimond de la Touche ; enfin, dans la première moitié du xixe siècle : Antony Gaulmier, Hyacinthe Thabaud de Latouche, Emile Deschamps, Lucien Jeny, etc. On ne trouvera dans notre choix que les plus dignes de faire figure dans une anthologie.