Les Poètes du terroir T I/Auvergne, notice

Auvergne, noticeLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 77-83).

AUVERGNE

PAYS DE COMBRAILLE, PAYS DE FRANC-ALLEU,
LIMAGNE, LIVRADOIS, DAUPHINÉ D’AUVERGNE, VELAY,
PAYS DE CARLADEZ, ETC.


Un fait domine l’histoire de cette province : c’est la lutte soutenue par Vercingétorix contre Jules César. On sait les efforts tentés par le généralissime de la confédération pour arrêter la conquête de Rome et garder l’intégralité du territoire. La glorieuse défaite d’Alésia, en ruinant la puissance celtique, prépara la destinée de l’Auvergne. Le caractère de ses habitants s’est modifié au cours des siècles à tel point qu’on a peine à retrouver chez ceux-ci les descendants des anciens « Arvernes ». Nous n’avons pas à nous préoccuper d’évolution politique, mais à rechercher succinctement les rapports qui existent entre le génie d’une race et ses éléments constitutifs. Quelques mots suffiront à cette tâche. Devenue province romaine, l’Auvergne eut à se défendre maintes fois contre l’envahisseur. Au ve siècle, elle se trouva placée sur le chemin des invasions du Midi au Nord. Les Barbares se disputèrent son sol, et elle éprouva la loi du vainqueur. Tour à tour les Huns, les Goths, puis Clovis, s’en emparèrent. À la mort de ce dernier, Theuderic, roi d’Austrasie, y établit ses soldats. « Je vous conduirai, avait-il dit à ses hordes guerrières, dans un pays où vous trouverez de l’argent autant que vous en pouvez désirer, où vous prendrez en abondance des troupeaux, des esclaves et des vêtements… »

Gouvernée par des princes héréditaires soumis à l’autorité royale, elle appartint ensuite, grâce à la libéralité de Henri III, à Charles, duc d’Angoulème. Celui-ci la céda à la reine Marguerite de Valois, qui en fit don à Louis XIII (1615). Ce fut tout à la fois la fin de son indépendance et le début de son action morale. Le séjour de Marguerite de Valois au château d’Husson fut mieux qu’un épisode galant dans un passé tragique. Il marqua une ère de prospérité : la province prit alors conscience de ses ressources et apporta sa contribution au domaine des lettres, des arts et des sciences. Rien n’est plus difficile, plus complexe à définir que l’Auvergne. Se place-t-on au point de vue géologique ? Ici ce sont les granits : là, les volcaniques et les basaltes ; ailleurs, les alluvions dominent. « Au point de vue anthropologique ? Les éléments les plus disparates sont venus se heurter, au cours des siècles, contre cette forteresse qu’est le Plateau central : d’abord les anciens Celtes, autochtones à tête courte ou brachycéphales, qui ont été repoussés dans le massif du Centre par les envahisseurs d’Orient (Phéniciens, Grecs, Touraniens), du Nord (Francs, Normands), du Sud (Maures)… Les uns, au nord et à l’est, ont formé des colonies de dolichocéphales blonds, légers, remuants, braves. Les autres, à l’ouest, les dolichocéphales bruns, plus violents, mais moins jouisseurs. Au sud, ce sont les brachycéphales à tête ronde, aux cheveux bruns, aux mâchoires carrées, aux yeux enfoncés sous d’épaisses crêtes sourcilières, tous tenaces, acharnés, sobres, doués de vertus foncières plutôt que de qualités brillantes. Au point de vue ethnologique, c’est encore le chaos. Au nord, une influence bourbonnaise, au caractère franchement parisien : émigration vers Paris. Dans le Cantal, au contraire, orientation complète vers le sud : émigration en Espagne. Du côté de la Haute-Loire, une contrée tributaire du bassin lyonnais : émigration vers la vallée du Rhône. George Sand comparait cette contrée à la campagne romaine : pour d’autres auteurs, elle prend l’allure d’une colonie corse, montagnards jaloux, susceptibles et vindicatifs à l’excès. Au point de vue linguistique ? Au nord, langue d’oïl. Au sud, patois d’oc, gascon mêlé d’une incroyable quantité de tournures espagnoles. Au sud-est, on devine dans ce rude gasconnage un léger zézaiement provençal[1] »

Veut-on connaître maintenant son caractère pittoresque ? Terre du tourisme par excellence, l’Auvergne est sans nul doute la plus variée et aussi la plus méconnue de toutes nos provinces. « L’Auvergne, observe Michelet (Notre France), est la vallée de l’Allier, dominée à l’ouest par la masse du mont Dore qui s’élève entre le pic ou puy de Dôme et la masse du Cantal. Vaste incendie éteint, aujourd’hui paré presque partout d’une forte et rude végétation. Le noyer, le châtaignier, pivotent sur le basalte, et le blé germe sur la pierre pouce. Les feux intérieurs ne sont pas tellement assoupis que certaine vallée ne fume encore et que les etouffis ne rappellent la solfatare et la grotte du Chien. Villes noires, bâties de lave (Clermont, Saint-Flour, etc.). Mais la campagne est belle, soit que vous parcouriez les vastes et solitaires prairies du Cantal et du mont Dore, au bruit monotone des cascades ; soit que de l’île basaltique où repose la

cnter dominante Clermont, assise parmi la cour voluptueuse dos montagnes qui se tiennent autour, vous promeniez vos regards sur la fertile Limagnc et sur le puy de Dôme, ce joli dé à coudre de sept cents toises, voilé, dévoilé tour à tour par les nuages qui l’aiment et qui ne peuvent ni le fuir ni lui rester… »

Tout l’aspect du pays est dépeint là, synthétiquement. Mais que de sites à observer encore dans ces régions si diverses de la Combraille, du Franc-Alleu, du Livradois, du Carladez et de ce petit dauphiné d’ « Arverne », si justement dénommé, à cause de sa ressemblance et de sa proximité avec la grande province traversée par le Rhône. Aussi bien est-ce une série de tableaux qu’on ne saurait décrire sans les avoir vus en détail. Linfluence climatérique intervient, joue son rôle dans ce décor, transforme cette nature âpre et féconde à la fois. Se représente-t-on les montagnes d’Auvergne glacées par les mois d’hiver, crépitantes de givre sous le vent du nord roulant des rafales, et ces plateaux dénudés qui s’étendent à perte de vue sous la neige, lorsqu’on vient du Limousin et qu’on est parvenu dans les environs du mont Dore ? Les sommets émergent à peine au-dessus du sol rocailleux. Les villages sont rares : la solitude se fait de plus en plus angoissante ; un accablement vous prend devant tant de désolation. « Mais quel contraste dès que, les pentes tournées, on descend sur Clermout-Ferrand !

« On a passé la Sioule, cette rivière vierge, dont la limpidité ondule entre d’épaisses forêts vertes, sans qu’un toit apparaisse à l’horizon, ni qu’une fumée décèle la présence de l’homme ; on a foulé ces pierres de Volvic, qui servent à bâtir tous les monuments de l’Auvergne ; on a salué Pontgibaud, son nom historique et ses souvenirs ; c’est alors qu’on aperçoit la Limagne.

« La plaine s’étend au loin, là-bas, vers Riom, vers le Bourbonnais, vers Nevers, on ne sait où ; et, plus près, au pied de la montagne, après les dernières pentes raides, Clermont-Ferrand groupe son pâté de maisons, son dédale de ruelles, sa ceinture de boulevards, autour de la cathédrale, toute noire dressée. Si c’est le soir, l’effet se double : le fouillis des lumières ruisselle dans l’ombre ; on va vers cet entassement de clartés, et l’ondulation de la descente donne des essors au rêve[2]… »

Et que d’autres beautés émouvantes à découvrir ! Montée vers le puy de Dôme, après qu’on a reconnu Royat et son église fortifiée ; excursion aux lacs des montagnes, aux cascades, aux sources de la Dordogne ; voyage entre Clermont et Thiers, par-dessus le grand fleuve d’Allier, à travers de riches et humides campagnes… Eh bien, malgré tant de ressources, ce sol est stérile à la poésie. On a cherché en vain à expliquer les causes de cette indigence intellectuelle. Absence d’imagination et de goûts artistiques, disent les uns, insensibilité et manque d’enthousiasme, affirment les autres. Pour nous, il est d’autres motifs du silence de la race. Une disposition particulière au petit négoce, l’isolement, l’ignorance de la beauté terrienne, le mépris de la tradition, et, par-dessus tout, ce besoin d’émigration qui jette l’Auvergnat sur divers points du continent, voilà qui occasionne son abstention dans le concert des Muses. « Riche ou pauvre, écrit M. Dumoulin dans son curieux ouvrage Les Français d’aujourd’hui, l’Auvergnat du village est « élevé avec cette idée qu’émigrer est un besoin, un devoir, le seul moyen d’acquérir ou d’augmenter l’aisance. Il en est de même de l’habitant des villes, plus cultivé, mais enclin à des spéculations plus hautes. Terre de héros et de savants qui s’enorgueillit d’avoir produit Grégoire de Tours, Jean Domat, Savaron, Montlosier, d’Aguesseau, Michel de l’Hospital, le pape Gerbert, Pascal, La Fayette, etc., des historiens, des jurisconsultes, des hommes d’État, des penseurs, des soldats ; de poètes, point. Elle n’a que faire de rêveurs. Seul, le xixe siècle échappe à la règle. Encore est-on à peu près sûr de trouver chez Jacques Delille, médiocre traducteur de Virgile, chez d’autres plus récents, l’érudit au lieu du lyrique. Mais, nous objectera-t-on, le xvie siècle n’a-t-il point apporté son tribut à l’œuvre commune, et la Renaissance ne doit-elle pas à l’Auvergne des écrivains notoires ? Qui cela ? Jean de Boissière, un méchant rimeur ; Durand de la Bergerie, traducteur et pasticheur de l’erotique latin Jean Bonnofon. Le premier est si peu poète, et le second si peu Auvergnat[3] ! Reste la poésie populaire, domaine des patois tant ignorés. Là encore, l’Auvergne ne brille guère au premier rang. C’est en vain que J.-B. Bouillet et M. Marc de Vissac, l’un dans son Album auvergnat et l’autre en une excellente étude consacrée au poète limagnien Amable Faucon, ont tenté de nous éclairer sur ce point ; ils n’ont réussi trop souvent qu’à dérouter notre curiosité. Parmi les auteurs qu’ils signalent (Bouillet illustre son commentaire d’une sorte de florilège), combien en est-il dont les noms sont dignes d’être retenus ? Qu’on en juge. Voici Pezaut de la Bantusse, lieutenant général de la prévôté de Clermont, au xvie siècle ; puis Nicolas du Bourg, châtelain de Villars. Leurs œuvres, hélas ! sont douteuses ou introuvables. Voici Joseph et Gabriel Pasturel ; Claude Laborieux, chanoine de Montferrand ; François Perdrix, à qui l’on donne une épître sur La Terrasse et le Rempart de la porte Champet ; Pellissier, communaliste de l’église Saint-Jean d’Ambert ; Amable Faucon, etc. Joseph Pasturel, l’auteur des Noëls que l’on connaît, est un amateur ; son frère Gabriel, un courtisan lettré dont l’œuvre, reflet de culture, est gâtée par je ne sais quelles expressions dues à un long séjour en Italie. Claude Laborieux nous semble un personnage créé pour les besoins de la cause[4] ; François Perdrix et Pellissier sont des versificateurs médiocres, et Amable Faucon un modeste producteur dont on ne se souviendrait guère sans la pieuse sollicitude de son récent biographe[5]. Plus tard, il y a Veyre, mais c’est un satirique grossier ; puis quelques inconnus[6], et enfin Vermenouze. Celui-là seul est digne d’occuper la meilleure place parmi les contemporains. Les montagnes de son pays lui tiennent lieu de Parnasse. Il a réveillé l’âme endormie de la race. Son chant s’est répercuté, d’écho en écho, à travers les vallées. Vermenouze est l’interprète d’un peuple ; il a mis à profit les formes du langage usuel et réalisé un vaste tableau des mœurs, des coutumes et des légendes cantaliennes. Son art ne s’est point écarté du goût admis, du génie traditionnel, du sens propre au terroir. La poésie de l’Auvergne, elle est là tout entière ! Elle est aussi, ajouterons-nous, dans les mélopées que l’Auvergnat exhale en la solitude morne de ses campagnes et de ses hauts plateaux, dans ces chants patois empreints de mélancolie qu’on appelle des « regrets » ; et surtout dans ses « bourrées », danses chantées, tour à tour burlesques, amoureuses et tragiques, que rythme le son chevrotant de la cabrette

Bibliographie. — Le Grand d’Aussy, Voyage en Auvergne, etc. — Expilly, Dictionnaire géographique de la France, etc. — P.-G. Aigueperse, Biographie ou Dictionnaire des personnages d’Auvergne illustres, etc. ; Clermont-Ferrand, Thibaut-Landriot, 1834, 2 vol. in-8o. — Henry Doniol, Voyage pittoresque dans la Basse Auvergne ; Moulins, P.-A. Desrosiers, 1847, in-folio (réimprimé dans l’ouvrage d’Ad. Michel, L’Ancienne Auvergne et le Velay, 1843-1847), et chez Hachette, s. d., in-18. — Henri Durif, Voyage pittoresque dans la Haute Auvergne, publié au t. III de l’ouvrage d’Ad. Michel, cité ci-dessus. — Aristide Guilbert, Histoire des villes de France ; Paris, Furne, 1848, in-8o, t. VI. — J.-B. Bouillet, Album auvergnat (Bourrées, Chansons, Noëls et Poèmes en patois) ; Moulins, P.-A. Desrosiers. 1848, in-8o. (Voir aussi : Tablettes hist. de l’Auvergne, 1840.) — B. Gonod, Catalogue des ouvrages imprimés et manuscrits concernant l’Auvergne ; Clermont-Ferrand, Thibaud-Landriot, 1849, in-8o. — Anonyme (Pero Perez), Biographie ou Dictionnaire historique, abrégé des personnages d’Auvergne ; Paris-Clermont, 1830, in-8o. — Abbe Grivel, Chroniques du Livradois ; Ambert, Grangier, 1852, in-8o. — J.-B. Noulet, Essai sur l’Histoire littér. des patois du Midi ; Paris, Techener, 1859, in-8o. — Abbé Chaumeil, Biographie des personnes remarquables de la Haute Auvergne (Cantal) ; Saint-Flour, imprimerie de P. Ribaius, 1867, in-8o. — A. Tardieu, Grand Dictionnaire biographique des personnages historiques nés dans le département du Puy-de-Dôme ; Moulins, C. Desrosiers, 1878, gr. in-4o. — H. Doniol, Les Patois de la Basse Auvergne ; Paris, Maisonneuve, 1877, in-8o. — F. Malval : Études des dialectes romans ou patois de la Basse Auvergne, 1878, in-8o. — H. Gaidoz et P. Sébillot, Bibliographie des traditions et de la littérature populaire d’Auvergne et du Vélay ; Revue d’Auvergne, II, 1885, p. 31-65. — Francis Mège, Les Troubadours poètes et écrivains de langue d’Auvergne ; Revue d’Auvergne, 1887-1888, t. IV, p. 416-436, V, p. 26-45. — Du même, Les Chansons politiques et satiriques en Auvergne pendant la période révolutionnaire ; Clermont-Ferrand, G. Mout-Louis, 1888, in-8o. — Jean Ajalbert, En Auvergne ; Paris, Dentu, 1893, in-18 ; Veillées d’Auvergne ; Paris, Librairie universelle, s. d. (1906), in-18. — Albert Grimaud, La Race et le Terroir ; Cahors, Petite Bibliothèque provinciale, 1903, in-8o. — G. des Cordeliers, Le Sens artistique et les Auvergnats, La Grande Revue, 16 sept. 1906. — G. Desdevise du Dezert, Les Auvergnats ; ibid., 16 sept. 1906. — Léon Pineau, Le Folklore de l’Auvergne ; ibid. — J. Michelet, Notre France ; 9e édit., Paris, Colin, 1907, in-18.

On nous signale, en outre, La Grammaire et les Poètes de langue patoise d’Auvergne, par Auguste Rancharel (Aurillac, chez l’auteur), mais nous n’avons pu nous procurer cet ouvrage.

À consulter encore : Revue d’Auvergne ; Revue de la Haute Auvergne.


  1. C. des Cordeliers, Le Sens artistique et les Auvergnats.
  2. Charles Fuster, Les Poètes du Clocher.
  3. Gilles Durand prit l’Île-de-France pour décor de ses œuvres amoureuses. Après lui, il convient de signaler Vital d’Audiguier, et Anselme Gontard, l’ami de Guillaume Collelet, deux rimeurs clermontois, assez oublieux du pays natal. Le xviiie siècle nous fournit Danchet et Thomas, l’un appartenant au genre noble, l’autre au genre officiel, tous deux parfaitement ennuyeux et médiocres. Il y a encore Louis de Boissy, mais il n’écrivit que pour le théâtre.
  4. Bouillet, qui le confond parfois avec un autre patoisant, du nom de Laborieux l’aîné, lui attribue un chant sur les grands jours d’Auvergne, plusieurs fois réimprimé, et un long poème didactique, touchant la culture de la vigne, qui est bien près d’être un chef-d’œuvre de grâce rustique. (Voyez cette pièce dans l’Album auvergnat.)
  5. Cf. Marc de Vissac, Amable Faucon, Paris, Champion, 1800, in-8o. Faucon naquit à Riom le 21 sept. 1724 et mourut dans cette ville le 12 avril 1808, laissant une Henriade, un conte, Les Perdrix, imité de Grécourt, et divers poèmes, le tout formant un recueil in-16, publié en 1798.
  6. Citons le médecin J.-B. Brayat (1779-1838), auteur de charmantes pièces locales, à la mémoire duquel on vient d’élever un monument à Boisset. M. Autonin Meyniel a réimprimé ses menus ouvrages (Aurillac, imprimerie Terrisse, 1907, in-18), touchant hommage. Puis, c’est l’abbé Courchinoux, auteur de Lo Pousco d’or… En langue française, signalons le docteur Jules Rengade, Maurice Faucon, M. Louis Farges, etc.