Les Poètes du terroir T I/Anjou, notice

Anjou, noticeLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 29-33).

ANJOU

HAUT ET BAS ANJOU, SAUMUROIS, CRAONAIS, CHOLETAIS, MAUGES, BAUGEOIS


Toute province a sa signification propre. « Celle de l’Anjou, a-t-on dit, n’est ni dans l’influence d’un climat spécial, ni dans l’action d’une race exclusive : elle résulte du contact du plusieurs climats et de plusieurs races. L’Ouest, le Nord et le Midi s’y rencontrent avec la diversité de leurs populations, s’y heurtent, s’y observent, s’y rapprochent et s’y fusionnent ; c’est comme un carrefour jeté entre leurs extrémités géographiques. L’Anjou est devenu province en prenant à la fois sur le Nord, sur l’Ouest et sur le Midi, et en composant agrégativement son territoire à leurs dépens[1]. » Son histoire n’est autre qu’une partie du drame national se déroulant tantôt sur une petite scène, tantôt sur un vaste théâtre, et empruutant tour à tour les décors de la Neustrie, de l’Île-de-France, de l’Aquitaine, du Poitou, de la Bretagne et de cette contrée si particulière qu’on nomme les Mauges ou Vendée. Sa littérature, si elle n’est l’aboutissant de son action héroïque, est faite au moins du contraste des éléments ethnographiques qui se sont succédé sur son sol. Nous ne rappellerons pas ses origines. Ou sait que l’Anjou, autrefois pays des Andes, ou Andécaviens, dont parle Tacite au IIIe livre de ses Annales, fut un des centres d’opérations les plus importants, une sorte de quartier d’hiver de César. Après la conquête des Romains et l’invasion des Normands, ce territoire fut érigé en comté par Louis le Bègue. Uue puissante dynastie s’y établit, à commencer par Ingelger, lils d’un simple forestier de la forêt de Nid-de-Merle, pour linir aux Plantagenets, rois d’Angleterre. Sous Foulque-Nerra, l’un de ses plus puissants seigneurs, il se constitua et connut une fortune sans borne. Mais avec la domination des Plantagenets s’arrète son esprit de conquête. Il s’est élevé si haut que l’orgueil lui a donné le vertige. Il faut qu’il redescende au rang d’une simple province. Philippe-Auguste le confisquera sur Jean sans Terre, avec les possessions franco-anglaises, et Louis XI, par l’héritage de Charles IV, comte du Maine, le réunira à la couronne. Il connaîtra alors la quiétude du repos, au sein même de cette unité française à laquelle il a si puissamment collaboré. Avec le dernier de ses ducs, René d’Anjou, surnommé le bon roi René, il commencera une ère nouvelle, propre au commerce des lettres et à la culture des arts. Aussi bien n’aura-t-il plus de dynastie turbulente à entretenir. Fier d’un prestige glorieux, il sera l’apanage de quelques princes appartenant aux maisons régnantes. Sa vie propre se confondra avec celle de la nation ; ses luttes, les convulsions qu’il éprouvera : guerres religieuses au xvie siècle, insurrection royaliste au xviiie, seront moins l’effet des revendications provinciales que les luttes et les convulsions du peuple français. Le cours des siècles l’aura assagi, au point de lui retirer tout esprit d’initiative. Plus qu’aucune autre agglomération sociale, l’Anjou concourra à l’équilibre du pays entier. On pourra dire justement qu’il recevra des idées toutes faites, les adoptera, attendra les événements et les suivra avec docilité.

Alors « la douceur angevine », pour parler le langage du poète, ne sera point un vain mot, mais l’expression même de son génie littéraire.

Pays fertile, sol riant à demi couvert jadis de trente-trois forêts, et baigné par quarante-neuf rivières, sur une étendue de trente lieues à peine de long, l’Anjou séduit le voyageur par la pureté de son atmosphère et par la diversité de ses aspects. Ici la plaine fluviale confine aux landes bretonnes : là ce sont des bocages, des haies vives, des coteaux, des vallons agréablement parsemés de villages proprets et clairs. Il n’est point jusqu’au sous-sol d’ardoise fine qui ne lui prête un charme particulier, en harmonie avec sa couleur locale. Rien de heurté ni de trop cru, mais une belle humeur communicative, semble-t-il, des hommes et des choses. Ajoutez à cela un naturel sans apprêt, de la grâce, de la simplicité, une pointe de malice, et vous aurez défini le caractère de cette belle province et de ses habitants.

Là, le paysage n’a point créé le type, mais il a contribué à le façonner. S’il faut situer le berceau de la Renaissance française, c’est sur les bords de la Loire, à proximité d’Angers, que nous le placerons de préférence à tout autre lieu. Mais la Renaissance, en s’y fixant, n’innova rien. Montant d’Italie, elle savait par ouï-dire que la patrie du roi René offrait un décor approprié à sa grâce nonchalante et voluptueuse. Peintre et poète, le bon roi ne devait jamais oublier, au milieu de ses pérégrinations sans nombre, cette terre angevine qui l’avait vu naître et où s’étaient fixées ses premières impressions. Qu’on lise quelques-unes de ses strophes légères, et l’on y trouvera l’empreinte de ses origines. Le poète, éloigné de la patrie, répond à Charles d’Orléans tenant sa cour à Bois et oubliant au soin des plaisirs les rigueurs d’une longue captivité :

Se vous estiez comme moy,
Las ! vous ne devriez bien vous plaindre ;

L’ANJOU


Car de tous mes maulx le moindre
Est bien plus grand que vostre esmoy.

Bien vous pourriez, sur ma foy,
D’amour alors tant vous complaindre.
Se vous estiez couime moy…
Car si très dolent je me voy

Que plus la mort ne vueil craindre,
Ja toutesfois il me fault plaindre ;

Aussi feriez-vous, je croy,
Se vous estiez comme moy[2].

Ce ne sont d’ailleurs point les seuls accents sur lesquels il accorda sa lyre nostalgique : il en est d’autres dans Regnault et Jehanneton ou les Amours du bergier et de la bergeronne, qu’il nota pour se remémorer son union avec Jeanne de Laval, sa première épouse. René d’Anjou n’est peut-être pas un écrivain local, au sens actuel du mot, mais il eut le rare mérite d’exprimer le génie de sa race bien longtemps avant qu’on ne se préoccupât de situer les monuments de l’art septentrional. Quand Joachim du Bellay vit le jour en son village de Lire, l’unité française était établie. Aussi, en exhalant le regret du pays natal, dans un sonnet qui est devenu en quelque sorte le thème initial de toute poésie « régionaliste », ce dernier ne fit qu’exploiter un sentiment fort répandu dans nos provinces. Colin Bûcher, citoyen d’Angers, élève de Clément Marot, avait à son tour célébré le terroir, et Bourdigné avait mis en honneur les plaisantes farces du légendaire « escolier » Pierre Faifeu. On peut dire que toute la poésie angevine découle de ses sources et les reflète aussi fidèlement que le beau et capricieux fleuve de Loire réfléchit en ses ondes fuyantes les châteaux édifiés sur ses bords. Le xixe siècle n’a point failli à cette règle, mais il a cherché des motifs d’inspiration ailleurs que sur son sol. Il n’a célébré le pays qu’avec la voix du souvenir.

Peu de poètes méritent d’être cités en dehors de ceux que nous avons choisis. Nous signalerons néanmoins, au xvie siècle, Bretonnayau et Jacques de la Fons. Le romantisme nous fournit le nom suranné de Julien Dallières (1812-1896), lauguissant dramaturge et versificateur médiocre ; enfln, après M. René Bazin, évocateur de la terre et conteur lyrique, nous ne saurions passer sous silence F.-E. Adam (1883-1900), Henry Cormeau[3], Eugène Roussel, Maurice Couallier et ces gentils rimeurs pleins de promesses, Guillaume Carantec et Charles Berjolle, auxquels nous devons déjà quelques pages d’une vivante originalité.

Le pays d’Anjou n’a pas d’idiome particulier ; le peuple y parle, ainsi qu’en diverses contrées de l’Île-de-France et des provinces voisines, un pur français plus ou moins nuancé, archaïque et plein de mots savoureux dont la prononciation, de méme que l’usage, tend à disparaître.

Bibliographie. — Jean Bourdigné, Histoire aggrégative des annales et cronicques d’Anjou ; Paris, A. Cousteau, 1529, in-fo. — Bible des Noëls nouveaux faicts en l’honneur de N.-S. J.-C. ; Angers, Hénault, 1582, petit in-8o. — La Grande Bible des Noëls angevins, etc., Angers, 1801, in-12. — Bruzen de la Martiniére, Grand Dictionnaire géographique, etc., Paris, P.-G. Le Mercier, 1739, t. Ier, in-fo. — Expilly, Dictionnaire géogr., histor. et politique de la France, Amsterdam et Paris, Desaint et Saillant, 1762, I, in-fo. — Aristide Guilbert, Histoire des villes de France ; Paris, Furne, 1843, t. III, gr. in-8o. — Célestin Port, Dictionnaire histor. et biogr. de Maine-et-Loire ; Paris, J.-B. Dumoulin, 1874-1878, 3 vol. in-8o. — Ch. Ménière, Glossaire angevin ; Angers, Lachèse et Dolbeau, 1880, in-8o. — Alb. Grimaud, La Race et le Terroir ; Cahors, Petite Biblioth. provinciale, 1903, in-18. — C. Fraysse, Le Folklore du Beaugeois ; Baugé, R Dangin, 1906, in-18. — J. Michelet, Notre France ; 9e édit., Paris, Colin, 1907, in-18. — Marc Leclerc, Le Referendum de la chanson populaire ; l’Angevin de Paris, 17 févr. 1907 et nps suiv. — A.-J. Verrier et R. Onillon, Glossaire historique et étymologique des patois et des parlers de l’Anjou (en cours de publication). Voir en outre : La Revue d’Anjou, Le Anjou historique, Mémoires de la Société d’agriculture, sciences et arts d’Angers, Revue des provinces de l’Ouest, Revue de la Renaissance (publ.  par M. L. Séché), le journal L’Angevin de Paris, etc.



  1. Aristide Guilbert, Histoire des villes de France, t. III, notice consacrée par {{M.|Peauger à l’Histoire générale de l’Anjou.
  2. Œuvres complètes du roi René, avec une biogr.  et des notices par M. le comte de Quatrebarbes, et un grand nombre de dessins et ornements, d’après les tableaux et mss orig.par Al. A. Hawke ; Angers, imprim. Cosnier et Lachèsc, 1845, 4 4 vol. in-4o.
  3. Ce poète que, seules, les exigences de notre format nous ont obligé à sacrifier, appartient à l’Anjou tout a la fois par ses origines, par sa naissance et par la qualité de son talent. Il vit le jour à Beaupréau, où son père exerçait la profession de coutelier, le 21 janvier 1866. Successivement journaliste, imprimeur et juge de paix, il a fait paraître à petit nombre divers ouvrages. On lui doit un recueil, Le Temps d’aimer, d’un lyrisme délicat et nuancé.