Les Poètes du terroir T I/Alexis Piron

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 287-290).

ALEXIS PIRON

(1689-1733)


Fils d’Aimé Piron et d’Anne Dubois, Alexis Piron naquit à Dijon le 9 juillet 1689. Son existence a été parfaitement décrite dans la Notice que Rigoley de Juvigny plaça en tête de l’édition des Œuvres complètes de cet autour (1776, 7 vol. in-8o), et dans celle où M. Édouard Fournier, « érudit plus spirituel que savant », présente les Œuvres du même Piron, publiées chez Delahays en 1857. Nous en dirons peu de chose. Aleoxis Piron reçut de son père une éducation sévère, fit de bonnes études, prit ses degrés en droit à Besançon et se fit recevoir avocat au Parlement de Dijon. Au moment de son début dans cette carrière, un revers de fortune essuyé par sa famille le força d’abandonner le barreau. Son séjour à Dijon, qu’il quitta à l’âge de trente ans, n’est marqué que par des habitudes de plaisir et par des épigrammes auxquelles donna lieu une dispute qu’il eut avec les Beaunois. Contraint de quitter sa ville natale, après le scandale que fit une Ode à Priape qu’il écrivit par gageure à son début, il vint à Paris, fort léger de bourse, mais riche de jeunesse et de talent. Piron, pour subsister, s’employa d’abord à des travaux de copie, chez MM. de Belle-Isle, jusqu’au moment où il rencontra Mlle de Bar, fille de trente-cinq ans, fort laide, spirituelle toutefois et lettrée, ainsi qu’en témoignent ses lettres. Celle-ci, dont l’emploi tenait en quelque sorte de femme de chambre et de dame de compagnie chez la marquise de Mimeure, parvint à l’introduire chez sa maîtresse et à lui créer d’utiles relations. Par la suite, notre autour travailla pour des entrepreneurs de spectacles et se fit connaître tant à la « Foire » qu’aux « Français », par des comédies et des tragédies dont l’une, La Métromanie, est un des rares chefs-d’œuvre du théâtre du xviiie siècle. Désigné par le suffrage du public à faire partie de l’Académie française, il tira du refus que lui marqua cette illustre compagnie une réputation d’homme d’esprit que rien n’est venu atténuer jusqu’à ce jour. On connaît trop ses mots sur les « quarante », lesquels « ont de l’esprit comme quatre », pour que nous songions à les imprimer. « Piron, a écrit l’abbé Raynal, a été défini : un feu d’artifice continuel et bien servi. Les saillies, les bons mots, les choses plaisantes et sentencieuses, sortent de sa bouche avec uue rapidité qu’on n’a peut-être jamais vue. Il vit retiré, il commence à avoir de l’humeur, il ne se soucie guère de personne, il est ni bon ni méchant ; il a des malices, mais des malices d’enfant ; il s’irrite et s’apaise avec une égale facilité, et, parce qu’il est singulier, il se dit et se croit philosophe. » Et Voisenon ajoute : « Tant qu’il a été jeune, il a été dans l’indigence, et s’en est peu soucié, parce qu’il se portait bien. Il a épousé ensuite une femme qui lui a donné du bien assez pour vivre dans l’aisance. Il est devenu veuf, et à présent il est dévot. Il a fait imprimer la traduction du De Profundis ; si dans l’autre monde on se connaît en vers, cet ouvrage pourrait l’empècher d’entrer au ciel, comme son ode l’a empêché d’entrer à l’Académie. Il est vrai qu’il s’en est vengé par une épigramme, dont on se souviendra plus longtemps qu’on ne se serait souvenu de son discours de réception. »

Le portrait est achevé. Aussi n’y ajouterons-nous rien, de crainte de l’altérer. Alexis Piron mourut en 1733, laissant peu de vers sur sa province, hormis le récit de sa querelle avec les Beaunois, dont nous sommes au regret de ne pouvoir rien citer, tant ses reparties y sont gauloises[1]. Ses œuvres, imprimées, ainsi que nous l’avons dit, par Rigoley de Juviguy en 1776, sont loin d’être au complet dans cette édition. Il faut ajouter à cette dernière un supplément fort libre (Poésies diverses, etc., Londres, imprim. de William Jakson, 1787, in-8o) ; un petit recueil publié par Cazin (Œuvres choisies, etc., Londres, 1782, 3 vol. petit in-12) et les trois excellents ouvrages qu’Honoré Bonhomme a consacrés à Piron sous le titre d’Œuvres inédites… prose et vers, accomp. de Lettres inéd. adressées à Piron par mesdemoiselles Quinault et de Bar (Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1859, in-8o) ; de Complement de ses œuvres inédites, etc. (ibid., F. Sartorius, 1865, in-12) et d’Œuvres posthumes, etc. (ibid., Dentu, 1888, in-12).

Bibliographie. — Rigoley de Juvigny, Préface à l’édit. de 1776. — Honoré Bonhomme, Ed. citées. — Perret, Éloge d’Alexis Piron ; Dijon, 1774, in-8o. — Abbé de Voisenon, Anecdotes littéraires. — Grimm, Correspond. littéraire, etc. — Aug. de ** [Mastaing], Les Pirons, Batignolles, Hennuyer et Turpin, 1845, in-12. — J. Durandeau, Aimé Piron, etc. ; Dijon, Libr. nouv., 1888, in-8o ; etc., etc.



MON ÉPITAPHE
virée en bourguignon[2]


Ici gît si peu que rien : — Un drôle qui s’appelait Brehaigne : — Natif de Dijon vers Talant, — Qui n’est maintenant ni gai, ni triste, — Il ne fut ni maître, ni clerc, — Ni colonel, ni porte-enseigne, — Ni capitaine, ni soldat, — Non pas même à la sainte Hostie : — Il ne mania pioche ni fléau, — Cric, équerre, serpette, ni cognée ; — 11 ne fut ni prêtre, ni corbeau, — Juge, procureur, ni bourreau, — Peu ni prou durant sa vie, — Fit-il pas bien de n’être rien ? — Formé d’un peu de boue devenue cendre, — N’est-on pas bien gras sous terre — D’avoir, sur cette terre, été quelque chose ?


MON ÉPITAPHE
virée en bourguignon et à laquelle je donne ma prédilection


Ici gî si pecho que ran ;
Ein drôle qui s’épeloo Breigne ;
Natif de Dijon vé Tailan ;
Qui n’a mazeu ni gai ni greigne.
Ai ne fu ni moaître ni clar,
Ni coronel, ni pot-ansaigne,
Ni caipitène, ni soudar.
Non pas moime ai lai saint Ostie[3] ;
Ai ne màgni fessou, ni fliàa,
Cri, aiquàre, gouizo, ni cognie ;
Ai ne fu prête, ni coréa,
Juge, procureu, ni boréa,
Pécho ni prou duran sai vie.
Fit-i pas bé de n’ête nun ?
Fai d’eiu chicelô devenu çarre,
N’a-t-on pas bé gras desô tarre
D’ai voi su tarre était quécun ?
Finis, cinis.

À MA BONNE AMIE
en lui envoyant une caisse de moyeux de dijon


Voici des fruits qu’un amant vous envoie.
Ce joli nom doit les faire accepter :
Recevez-les avec autant de joie
Que j’en ressens à vous les présenter.
Ils ne sont plus tels que Pomone
Se plut à les former autrefois de ses mains,
Dans le terroir heureux[4] où l’amant d’Origone[5]
Se fait adorer des humains.
Ils ne sont plus tels que, dans la contrée
Qu’arrosent les eaux du Lignon,
À son incomparable Astrée
Les offroit le beau Céladon.
Sur ces bords innocens et si dignes d’envie,
Tout étoit naturel, et les fruits et les fleurs,
Et les visages et les cœurs :
Aujourd’hui tout se falsifie.
Plus de simplicité : le vain rafinement
Par tout règne avec l’imposture :
Le travail humain défigure
Tout ce que, dans le sien, Pomone a d’agrément.
Les ouvrages de Flore et de son jeune amant
Sont le jouet de la peinture ;
Et l’art s’arroge impunément
Le triomphe de la Nature.
Ceci n’est presque plus un fruit.
Son vrai goût, sa couleur, hélas ! tout est détruit !
Ce que vous en voyez n’est dû qu’à l’artifice :
Son mérite n’est plus qu’un mérite factice ;
L’art n’a plus rien laissé de naturel en lui :
A combien de Beautés et d’amours aujourd’hui
Ne rend-il pas ce malheureux office ?

{Œuvres choisies, Londres, 1782.)



  1. Le Voyage de Piron à Beaune a été publié pour la première fois en entier par les soins de M. Honoré Bonhomme (Paris, (Jay, 1864, in-18). L’éditeur a fait suivre ce texte d’un Second Voyage à Beaune qui était alors complètement inconnu.
  2. Cette traduction est due à Abel Jeandet, de Verdun-sur-Saône.
  3. C’était la procession d’une hostie miraculeuse qui attirait beaucoup d’étrangers à Dijon ; cette relique fut brûlée pendant la Révolution.
  4. La Bourgogne.
  5. bacchus.