Les Pleurs/Le Jumeau pleuré

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le jumeau pleuré.

Les PleursMadame Goullet, libraire (p. 29-33).
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LE
JUMEAU PLEURÉ.

À sa Mère,
MADAME HENRIETTE DUTHILLŒIL,
À Douay

VI.

Petit ange, dernier venu,
Dans ce triste monde inconnu,
Tu n’avais pas mué tes ailes !
Semblable aux jeunes hirondelles,
Qui disent : « Ne nous touchez pas ;
» Nos plumes grandiront là-bas :
» Mal éclos sous vos toits d’argile,
» Suspendus à des nids fragiles,

» Au bruit de la terre endormis,
» Nous couvons nos songes amis :
» Gardez les songes, doux présages !
» Et nous, prophètes de passage,
» Vers notre Dieu laissez-nous fuir :
» Oh ! nous ne souffrons point de cages ;
» Notre aile veut s’épanouir,
» Pour nager au sein des nuages !
» De notre fluide destin,
» Flottant dans l’air pur du matin,
» Vous aurez souvent des nouvelles ;
» Toujours de jeunes hirondelles
» Au printemps descendront des cieux,
» Faisant passer devant vos yeux
» Des souvenirs vivans, des charmes
» Trempés d’espérance et de larmes,
» Qui portent bonheur à l’exil ;
» Toujours quelque invisible fil
» Nous ramènera l’un vers l’autre ;
» Et quand vous n’aurez plus de pleurs
» Pour nos nids cachés dans vos fleurs,
» Notre monde sera le vôtre ! »

Et toi, dont un même rameau
Balança l’œuf frêle et jumeau,
Ange né d’un double mystère,
Sans poser tes pieds à la terre,

En effleurant d’un souffle pur
Le sein qui te servit de voile,
Tu t’en retournes dans l’azur
Te poser au front d’une étoile ;
Et puis, tu laisseras tomber
Des rayons, des mots, des sourires,
Des baisers, de chastes délires,
Au nid que ton poids fit courber,
Tiède de ta première aurore,
Et que ton adieu trouble encore,
Petit ange, dernier venu
Dans ce triste monde inconnu !