Les Pleurs/La Fiancée polonaise

Pour les autres éditions de ce texte, voir La fiancée polonaise.

Les PleursMadame Goullet, libraire (p. 297-302).

LA
FIANCÉE POLONAISE.

Et de tous leurs bienfaits écartant la mémoire,
Vont demander à Dieu le pardon de leur gloire.

— DELPHINE GAY (DE GIRARDIN). —

LIII.

« Ouvrez ! » — Qui frappe à l’heure
Où l’homme dort souvent ?
Est-ce un blessé qui pleure
De revenir vivant ?
— « Ouvrez ! je vous en prie ;
De mon lointain hameau,

J’apporte à la patrie
Ce que j’ai de plus beau.

» Des anges sentinelles,
Envolés sans remords,
J’ai vu les blanches ailes
Envelopper vos morts !
Regardez ! nulles toiles
Ne doublent leurs cercueils ;
Pitié, jette tes voiles !
Ils n’ont pas de linceuls ! »

Et la femme au front d’ange,
Aux yeux tristes sans pleurs,
De la terre où tout change
Essayant les douleurs,
Au nom du Dieu qui donne,
Sur de chastes autels
Apporte une humble aumône
À ses frères mortels !

« Je suis… je fus promise
À qui défend vos dieux ;
Mais la noce est remise ;
On se retrouve aux cieux !

Cet anneau qui me lie
Entraînera mon cœur :
C’est le don de ma vie !…
Qu’il vous porte bonheur. »

Et, comme la colombe
Vient d’un autre séjour,
Jeter sur une tombe
Quelque secret d’amour,
Fidèle à son épreuve,
Sur un drapeau sanglant
La jeune vierge veuve
Posa l’anneau tremblant.

Ces dons que le cœur sème
Aux blessés du chemin,
Dieu les voit, Dieu les aime,
Dieu les pèse en sa main :
Et de vieux prêtres d’armes,
En baisant l’anneau d’or,
L’enrichirent de larmes :
Rois, craignez ce trésor !