Les Pionniers/Chapitre 22

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 6p. 217-225).


CHAPITRE XXII.


Hommes, jeunes garçons et jeunes filles désertent le village, et des troupes joyeuses se répandent dans la plaine, poussées par ce doux transport.
Somerville.



Depuis cette époque jusqu’à la fin d’avril, le temps ne fut qu’une suite non interrompue de changements rapides. Un jour, la douceur du printemps semblait se glisser dans la vallée, et, de concert avec les rayons bienfaisants du soleil, éveiller la nature engourdie ; le lendemain un ouragan arrivant du nord, et traversant le lac, arrêtait ou détruisait les progrès de la végétation. La neige avait pourtant enfin disparu, et la belle verdure des champs qui avaient été ensemencés en grains faisait concevoir l’espérance d’une riche moisson. Le lac avait perdu la beauté caractéristique d’un champ de glace, et cependant il ne laissait pas encore apercevoir ses eaux, car le défaut de courant faisait qu’elles restaient cachées sous une croûte poreuse, qui, saturée de fluide, n’avait que la force nécessaire pour maintenir la continuité des parties qui la composaient. On voyait passer des troupes nombreuses d’oies sauvages qui s’arrêtaient un instant autour du lac, comme si elles eussent voulu s’y plonger, mais qui, en trouvant les eaux encore cachées sous une couverture glacée, reprenaient leur vol en poussant des cris discordants, comme se plaignant des retards de la nature.

Pendant quelques jours, le lac de l’Otsego resta la possession paisible de deux aigles, qui, placés ordinairement au centre de la croûte de glace qui le couvrait encore, semblaient mesurer de l’œil l’étendue de leur domaine. Les troupes d’oiseaux de passage qui arrivaient successivement, respectant ces fiers monarques de l’air, évitaient de passer au-dessus du lac, et faisaient un détour pour gagner les forêts et les montagnes qui pouvaient mieux les protéger, tandis que les maîtres superbes du lac levaient vers le ciel leur tête blanche et chauve, comme s’ils eussent voulu percer le firmament de leurs regards. Mais le moment arrivait où ces rois des oiseaux allaient être à leur tour dépossédés de leur empire.

À l’extrémité inférieure du lac, à l’endroit où le courant du ruisseau avait empêché la formation de la glace, même dans le plus fort du froid, l’eau avait graduellement empiété sur elle, et, un vent du sud assez fort commençant à souffler, il s’y forma de petites vagues, imitant celles de l’océan. La glace n’était plus assez forte pour leur résister ; elle se fendit avec une rapidité presque magique et se divisa en glaçons de différentes tailles qui, flottant sur la surface du lac, allaient s’accumuler sur la rive septentrionale. Les deux aigles prirent alors leur essor au plus haut des cieux, tandis que les vagues agitées semblaient célébrer, par une danse joyeuse, la fin de la captivité sous laquelle elles avaient été retenues pendant cinq mois.

Peu de jours après, Élisabeth fut éveillée par le chant des hirondelles, qui commençaient déjà à se construire des nids au-dessus de ses fenêtres, et par les cris de Richard, qui l’appelait à haute voix.

— Allons, levez-vous, levez-vous, ma jolie cousine. Le ciel est couvert de pigeons ; vous auriez les yeux tournés vers le ciel pendant une heure avant de trouver une percée pour apercevoir le soleil. Levez-vous, paresseuse levez-vous ; Benjamin prépare les munitions, et nous attendons notre déjeuner pour aller les chasser sur la montagne.

Il était impossible de résister à cet appel pressant, et, au bout de quelques minutes, miss Temple et son amie descendirent pour préparer le déjeuner, qui était attendu avec impatience. Toutes les fenêtres étaient ouvertes, et l’air doux et embaumé du printemps ventilait un appartement dans lequel le vigilant majordome avait entretenu avec tant de soin une chaleur artificielle pendant tout l’hiver.

Pendant que le thé s’apprêtait, Richard avait pris son poste près d’une croisée donnant du côté du sud. — Voyez, Bess, voyez, cousin ’Duke, s’écria-t-il, les portes des pigeonniers du midi se sont ouvertes. En voici une troupe dont l’œil ne saurait voir la fin. Il y aurait de quoi nourrir l’armée de Xercès pendant un mois, et de quoi faire des lits de plume pour tout le comté ! Xercès, monsieur Olivier, était un roi grec… non, non, un roi turc, ou persan, qui voulait ravager la Grèce, comme ces coquins de pigeons reviendront à l’automne dévaster nos champs de blé. Allons, Bess, dépêchez-vous ! je voudrais déjà être sur la montagne pour leur envoyer quelques grains de poudre.

Marmaduke et Edwards semblaient partager le même désir, et à la vérité le spectacle qu’ils avaient sous les yeux était attrayant pour un chasseur. Ils déjeunèrent donc à la hâte, et, faisant leurs adieux aux jeunes amies, ils partirent sans perdre un instant.

Si l’air était rempli de pigeons, toute la population de Templeton remplissait les rues du village. Hommes, femmes et enfants, tous se préparaient à partager le divertissement de la chasse. On voyait entre leurs mains toutes les espèces d’armes à feu, depuis la canardière française avec son canon de six pieds de longueur, jusqu’au pistolet d’arçon, et la plupart des enfants étaient armés d’arcs et de flèches faits avec des rejetons de noyers.

Les troupes de pigeons qui se succédaient presque sans interruption, effrayées par le bruit du village, se dirigeaient vers les montagnes voisines du lac ; leur nombre immense égalait presque celui des sauterelles qui arrivent par nuées dans d’autres pays, et la rapidité de leur vol n’était pas moins étonnante.

Nous avons déjà dit que la grande route conduisant à Templeton traversait le plan incliné qui s’étendait depuis le plateau d’une montagne jusqu’aux bords de la Susquehanna. Une assez grande quantité de terrain avait été défrichée des deux côtés, et ce fut le local qu’on choisit pour l’attaque générale, qui commença sur-le-champ.

Mêlé parmi les chasseurs, Natty Bumppo, son fusil appuyé sur son épaule, semblait se promener, uniquement pour jouer le rôle de spectateur. Ses chiens, qui le suivaient, allaient de temps en temps flairer un pigeon qui tombait, mort ou blessé, et revenaient se coucher aux pieds de leur maître, sans y toucher, comme s’ils eussent partagé ses sentiments, et qu’ils eussent jugé une telle chasse indigne d’eux comme de lui.

Les troupes de pigeons étaient si nombreuses qu’elles produisaient de temps en temps le même effet qu’un nuage qui intercepte les rayons du soleil. Une flèche lancée au hasard ne pouvait manquer de frapper une victime ; les décharges réitérées de mousqueterie en abattaient plusieurs à chaque coup ; enfin quelques individus, qui avaient gravi le sommet de la montagne, en tuèrent même avec de longs bâtons dont ils s’étaient munis à défaut d’autres armes.

Pendant ce temps, M. Jones, qui dédaignait les humbles moyens de destruction employés par les autres chasseurs, s’occupait avec Benjamin à préparer une attaque d’un genre plus formidable. Parmi les vestiges d’excursions militaires qu’on rencontre dans différents districts de la partie occidentale de l’État de New-York, on avait trouvé à peu de distance de Templeton, lors du premier établissement, un fauconneau du calibre d’une livre de balle, qui sans doute y avait été laissé par quelque détachement européen dans une incursion contre les Indiens, soit par oubli, soit parce que la nécessité d’une marche rapide ne permettait pas de le traîner. Ce canon en miniature avait été nettoyé de la rouille qui le rongeait, monté sur un nouvel affût, mis en état de service, et l’on s’en servait pour les cas de réjouissances extraordinaires. Le matin du 4 juillet[1], il faisait retentir treize fois les échos des montagnes de l’Otsego avec autant de dignité qu’une pièce de trente-deux, et le sergent ou capitaine Hollister, la première autorité du pays à cet égard, assurait que c’était un canon qui n’était nullement à mépriser pour un salut. Le service qu’il avait fait l’avait un peu endommagé, car la lumière en était à peu près de même dimension que la bouche. Cependant les grandes conceptions de Richard lui avaient fait penser que cet instrument pourrait faire une grande exécution parmi les rangs de ses ennemis ailés. Le fauconneau fut donc traîné par un cheval sur le champ de bataille, et placé dans l’endroit que le shérif jugea le plus convenable pour y établir sa batterie ; après quoi, Ben-la-Pompe se mit à le charger de plusieurs poignées de petit plomb, et il annonça bientôt que sa pièce était en état de service.

La vue d’un tel instrument de destruction rassembla tout à l’entour ceux qui n’étaient que spectateurs de cette scène, c’est-à-dire les enfants, qui firent retentir l’air de leurs cris joyeux. Le fauconneau fut pointé en l’air, et Richard, tenant avec des pincettes un charbon embrasé, s’assit patiemment sur une souche, attendant l’arrivée d’une troupe de pigeons qui fût digne de son attention.

Le nombre de ces oiseaux était si prodigieux, que les coups de feu qu’on leur tirait ne produisaient d’autre effet que de détacher quelques faibles groupes de la masse immense qui continuait à se précipiter vers la vallée. Personne ne songeait à ramasser ceux qui tombaient, et la terre en était presque couverte.

Bas-de-Cuir était spectateur silencieux, quoique mécontent, de cette boucherie ; mais, quand il vit arriver ce nouvel engin de carnage, il ne put se contenir plus longtemps.

— Voilà ce que c’est que vos établissements, dit-il ; j’ai vu ces oiseaux passer par ici pendant quarante ans, et, jusqu’à ce que vous fussiez venus faire vos défrichements, il n’y avait personne pour les effrayer ou leur faire mal. J’aimais à les voir dans les bois, ils me tenaient compagnie et ne nuisaient à personne, étant innocents comme le faon qui suit sa mère. Mais à présent, il me prend un tremblement quand j’entends ces pauvres créatures voler dans l’air ; car il n’en faut pas davantage pour mettre à leurs trousses toute la marmaille du village. Patience, patience, le Seigneur ne permettra pas toujours qu’on détruise à plaisir ce qu’il a créé ; il finira par rendre justice aux pigeons, aussi bien qu’aux autres. Et voilà M. Olivier, qui ne vaut pas mieux que le reste, car il fait feu au milieu de la troupe, comme s’il ne tirait que sur des Mingos !

Du nombre des chasseurs était Billy Kirby, qui chargeait et tirait sans discontinuer, sans même se donner la peine de lever la tête en tirant, et qui poussait de grands éclats de rire en voyant ses victimes tomber jusque sur sa tête. Il entendit ce que Natty venait de dire, et se chargea de lui répondre.

— Qu’as-tu donc, vieux Bas-de-Cuir ? cria-t-il ; faut-il gronder ainsi parce que nous tuons quelques pigeons ? Si tu avais été obligé, comme moi, d’ensemencer un champ deux ou trois fois, parce qu’ils en avaient dévoré la graine, tu n’aurais pas tant de pitié pour ces mange-tout ! Courage ! enfants, courage ! abattez ces pillards ! cela vaut mieux que de tirer sur un dindon.

— Cela peut valoir mieux pour vous, Billy Kirby, répondit le vieux chasseur avec indignation, et pour tous ceux qui ne sont pas en état d’envoyer une balle à son but ; mais c’est une indignité que de tirer ainsi dans une volée d’oiseaux pour en faire une dévastation ! Cela n’est permis qu’à celui qui n’est pas en état d’en abattre un séparé des autres. Si quelqu’un a envie de manger un pigeon, sans contredit le pigeon est fait pour l’usage de l’homme comme les autres créatures ; mais il ne faut pas en tuer vingt pour en manger un ! Quand cette fantaisie me prend, j’entre dans les bois, je choisis celui qui me convient, et je l’abats sans toucher à une plume des autres, quand il y en aurait cent sur le même arbre. Mais ce n’est pas vous qui feriez cela, Billy Kirby ; vous n’oseriez seulement l’essayer.

— Que dis-tu là, vieil épi desséché, vieil érable sans sève ? s’écria le bûcheron. Tu es devenu bien fier pour avoir tué un dindon. Mais si tu veux un pigeon séparé des autres, regarde celui-là, il est mort.

Le feu qu’on faisait à quelque distance sur une troupe de pigeons qui passaient en avait tellement effrayé un, que, s’écartant de ses compagnons, il venait en droite ligne vers l’endroit où nos deux interlocuteurs étaient placés. Malheureusement pour le bûcheron, il n’eut pas la patience d’attendre le temps nécessaire, et, lâchant son coup quand le pigeon était au-dessus de sa tête, il le manqua, et l’oiseau continua son vol avec rapidité.

Natty, pendant ce temps, avait armé son fusil. Suivant des yeux le vol de l’oiseau, qui se dirigeait obliquement vers le lac, il le laissa filer un instant, fit feu, et, soit hasard, soit adresse, soit l’un et l’autre, l’oiseau percé tomba dans l’eau. Les deux chiens de Bas-de-Cuir se mirent en course aussitôt, et Hector ne tarda pas à rapporter à son maître le pigeon expirant.

Le bruit de cet exploit merveilleux attira autour de lui tous les chasseurs.

— Quoi ! s’écria Edwards, avez-vous réellement tué un pigeon au vol d’un coup de fusil chargé d’une seule balle ?

— Est-ce que vous croyez que c’est le premier ? répondit Natty, il vaut bien mieux tuer ainsi ce dont on peut avoir besoin, que de perdre, comme vous le faites, sa poudre et son plomb pour détruire les créatures de Dieu. Mais je suis venu ici pour tirer un pigeon, et vous savez, monsieur Olivier, pour quelle raison je désire avoir du menu gibier ; maintenant que j’en ai un, je m’en vais, car je n’aime pas à voir une pareille dévastation, comme si Dieu avait fait la moindre de ses créatures pour en abuser, et non pour en user.

— Tu as raison, Bas-de-Cuir, dit Marmaduke, et je pense aussi qu’il est temps de mettre fin à cette œuvre de destruction.

— Mettez donc fin à vos défrichements, juge, répliqua Natty ; les arbres ne sont-ils pas l’ouvrage de Dieu aussi bien que les oiseaux ? Usez-en, mais sans gaspillage. Les bois ont été faits pour la demeure des bêtes et des oiseaux, et quand l’homme a besoin de leur chair, de leur peau ou de leurs plumes, il sait que c’est là qu’il doit aller les chercher. Mais je vais regagner ma hutte avec mon gibier, car je ne voudrais pas toucher à une des pauvres créatures qui sont là étendues, et qui me regardent comme s’il ne leur manquait qu’une langue pour dire ce qu’elles pensent.

À ces mots, Bas-de-Cuir mit son fusil sur son bras, ramassa le pigeon que son chien avait mis à ses pieds, se retira en ayant grand soin de ne pas marcher sur un seul des oiseaux blessés qui se trouvaient par centaines sur son chemin, et disparut bientôt parmi les broussailles qui croissaient sur les bords du lac.

Quelque impression qu’eussent pu faire sur Marmaduke les réflexions morales de Natty, elles furent entièrement perdues pour Richard. Au contraire, il profita du rassemblement de chasseurs qui venait d’avoir lieu, pour exécuter un plan encore plus étendu de destruction. Les ayant fait ranger en ligne de bataille, des deux côtés de sa pièce d’artillerie, il leur recommanda d’être attentifs au signal qu’il donnerait de faire feu.

— Attention, mes braves, cria Benjamin, qui, en cette occasion importante, remplissait les fonctions d’aide-de-camp ; attention, et dès que M. Richard donnera le signal, lâchez votre bordée ; mais ayez soin de tirer bas, et vous coulerez à fond toute la volée.

— Tirer bas ! s’écria Kirby ; écoutez le vieux fou ! ce serait le moyen de frapper les souches, mais nous ne ferions pas voler une plume de pigeon.

— Qu’en savez-vous, grand mal appris ? répliqua Benjamin avec une chaleur peu convenable à un officier général à l’instant du combat. N’ai-je pas servi cinq ans à bord de la Boadicée ? et n’ai-je pas entendu vingt fois le capitaine ordonner de tirer bas, afin que la bordée portât dans les œuvres vives ? Faites ce que je vous dis, et attention au commandement !

Tous les chasseurs poussèrent de grands éclats de rire, mais ils se turent dès que la voix imposante de Richard leur eut ordonné silence et attention.

On calculait que plusieurs millions de pigeons avaient déjà passé dans la matinée au-dessus de la vallée de Templeton, mais de toutes les troupes qu’on avait vues jusque alors, aucune ne pouvait se comparer à celle qui arriva en ce moment. Elle ne formait qu’une masse bleue qui s’étendait d’une montagne à l’autre, et dont l’œil cherchait inutilement à apercevoir la fin du côté du sud. Le front de cette colonne vivante était distinctement marqué par une ligne droite qui n’offrait que bien peu de dentelures : tant le vol de ces oiseaux était régulier. Marmaduke lui-même oublia les reproches de Natty en la voyant avancer, et de même que tous les autres il appuya son mousquet sur son épaule.

— Feu ! s’écria le shérif en touchant de son charbon l’amorce du fauconneau.

Comme une partie de la charge de Benjamin s’échappa par la lumière, le bruit de la décharge de mousqueterie précéda celui de la pièce d’artillerie ; mais l’effet n’en fut pas moins terrible, et il tomba littéralement une pluie de pigeons. Cette décharge simultanée du fauconneau et d’une trentaine de fusils mit le désordre dans les rangs des oiseaux. Ceux qui étaient à l’avant-garde continuèrent à voler en avant en redoublant de rapidité, tandis que le corps d’armée, s’arrêtant tout à coup, s’éleva bien au-dessus des plus hauts pins, volant circulairement de gauche, de droite et en arrière, mais sans oser passer au-dessus de l’endroit marqué par le désastre de ceux qui les avaient précédés. Enfin quelques chefs de la nation emplumée ayant pris leur vol sur la gauche derrière le village, toute l’armée les suivit, et s’éloigna ainsi, en décrivant une diagonale de l’endroit occupé par les ennemis.

— Victoire ! s’écria Richard ; victoire ! Nous avons chassé l’ennemi du champ de bataille.

— Pas tout à fait, Dick, répondit Marmaduke, car il est couvert de morts et de blessés. De même que Bas-de-Cuir, je ne vois que des yeux qui se tournent vers moi, comme si ces innocentes créatures voulaient me reprocher leurs souffrances. Plus de la moitié de ces oiseaux vivent encore, et il est temps de mettre fin à cet amusement, si cette espèce de chasse en mérite le nom.

— C’en est une digne d’un prince, s’écria le shérif ; nous avons abattu des milliers d’oiseaux, et chaque femme du village aura de quoi en faire une demi-douzaine de pâtés, pour la peine de les ramasser.

— Heureusement pour les autres, dit Marmaduke, la frayeur leur a fait prendre un autre chemin, ce qui met nécessairement fin au carnage, quant à présent du moins. Enfants, tordez le cou à tous ces pigeons, et je vous donnerai à chacun une pièce de six pence.

Cet ordre fut exécuté avec de grands cris d’allégresse ; on rentra en triomphe dans le village avec plusieurs chevaux chargés de morts, et pendant le reste de la saison du passage, on ne fit plus aux pigeons qu’une guerre partielle, et proportionnée au besoin que chacun pouvait avoir de s’en procurer. Richard se vanta bien longtemps de sa chasse au canon, et Benjamin assura gravement que le fauconneau qu’il avait chargé avait abattu d’un seul coup autant de pigeons qu’il y avait eu de Français tués le jour de la mémorable bataille que leur avait livrée l’amiral Rodney [2]



  1. Pour le grand anniversaire national.
  2. L’auteur veut parler de la bataille navale livrée le 12 avril 1782. Le comte de Grasse fut fait prisonnier sur la Ville de Paris, après s’être défendu vaillamment. Rodney avait pour lui la supériorité du nombre. Le vaisseau amiral (la Ville de Paris) fut si maltraité que les Anglais renoncèrent à le conduire en Angleterre.