Les Petits poèmes grecs/Pindare/Pythiques/VIII

VIII.

À ARISTOMÈNE, D’ÉGINE,

Vainqueur à la lutte.

Fille de la justice, ô douce paix ! toi qui rends les cités puissantes et tiens en tes mains les clés de la guerre et des sages conseils, reçois l’hommage de la couronne pythique dont Aristomène vient d’orner son front. Aimable déesse, tu donnes aux mortels les loisirs favorables à nos triomphes pacifiques et tu leur apprends à en jouir. Quand deux ennemis, le cœur gonflé d’une haine implacable, sont près de se frapper, c’est encore toi qui, t’élançant au-devant de leurs coups, fais tomber à tes pieds l’insulte et la colère.

Oh ! combien il fut sourd à tes inspirations ce Phorphyrion, dont la fureur aveugle tenta d’envahir l’Olympe. Insensé ! ne savait-il pas que les seuls biens légitimes sont ceux que nous offre avec plaisir une main libérale, et que tôt ou tard la violence et l’orgueil subissent le châtiment de leur cupidité ! Tel fut encore ce terrible roi des Géans, ce Typhon à cent têtes, que la Cilicie engendra. Tous deux succombèrent, l’un sous les coups de la foudre et l’autre sous les traits d’Apollon. C’est à la protection de ce dieu que le fils de Xénarque doit la victoire où il a cueilli dans Cirrha le laurier du Parnasse, digne sujet de mes chants doriens.

L’heureuse patrie du vainqueur, Égine, amie de la justice et favorisée par les Grâces, brille encore de l’éclat des antiques vertus des Éacides. Non, depuis son origine, sa renommée ne s’est point affaiblie, et les favoris des Muses ont célébré dans leurs chants cette foule de héros qu’elle a vus naître, et que souvent couronna la victoire dans nos jeux et dans nos combats meurtriers. Adresse et valeur, telles sont en effet les sources de la gloire pour les mortels.

Mais pourquoi fatiguer ma lyre et ma voix du long récit de tous les titres de gloire d’Égine ? la satiété est mère du dégoût. Bornons donc nos chants au sujet offert à ma Muse ; qu’elle touche à ton dernier triomphe, ô Aristomène ! d’une aile prompte et légère !

Jadis Théognète et Clytomaque, tes oncles maternels, vainquirent à la lutte, l’un à Pise, l’autre à Corinthe ; tu suis leurs traces et tu ne dégénères pas de leur courage. Noble soutien de la tribu des Midyles, tes ancêtres, j’oserais t’appliquer ces paroles mystérieuses que prononça le fils d’Oïclée en voyant devant Thèbes aux sept portes les fiers Épigones, la lance à la main lorsque, pour la seconde fois, ils venaient livrer à cette ville de nouveaux assauts. Ils combattaient, et le devin s’écria : « La nature a transmis aux enfans la magnanimité de leurs pères ; je vois clairement aux portes de la cité de Cadmus Alcméon agitant le dragon dont les couleurs varient l’éclat de son bouclier. Après une première défaite, l’héroïque Adraste reparaît sous de meilleurs auspices ; mais un malheur domestique lui fera payer cher ses succès. Seul de tous les enfans de Danaüs, Égialée périt, et Adraste, que la faveur des Dieux reconduit dans la vaste cité d’Abas avec son armée entière, emporte avec lui les cendres de ce fils adoré. » Ainsi parla Amphiaraüs.

Et moi je couronne aujourd’hui de fleurs la statue d’Alcméon, son fils, en lui consacrant les chants de ma reconnaissance. Voisin de mes foyers, son monument protège mes possessions, et le devin lui-même s’est offert à ma rencontre au moment où j’allais visiter le temple auguste placé au centre de la terre : héritier de l’art de son père, il sembla alors m’annoncer la victoire d’Aristomène.

Ô toi, qui lances au loin tes flèches redoutables et qui, au sein des vallées pythiques, règnes dans ce sanctuaire fameux ouvert à toutes les nations, tu as élevé Aristomène au comble de la félicité. Déjà, dans ces fêtes que sa patrie célèbre en ton honneur, dieu puissant, ta faveur lui a fait cueillir la palme du pentathle, le plus glorieux des combats. Daigne encore aujourd’hui agréer cet hymne harmonieux destiné à célébrer ses victoires. Eh ! qui mieux qu’Aristomène a mérité le tribut de mes louanges et de mes chants ? Et toi, Xénarque, puissent mes prières attirer sur ton fils et sur toi la protection immortelle des dieux.

L’homme qui, sans de longs travaux, a amassé de grands biens, paraît sage aux yeux du vulgaire ignorant : il a su, dit-il, par sa prudence et son adresse assurer sa prospérité. Insensé ! le bonheur ne dépend point de la volonté des mortels : Dieu seul est le dispensateur ; c’est lui dont la justice, distribuant également les biens et les maux, sait quand il lui plaît élever l’un, abaisser l’autre sous sa main puissante.

Mégare et les champs de Marathon ont été témoins de tes triomphes, ô Aristomène, et dans les jeux que ta patrie célèbre en l’honneur de Junon trois fois ta vigueur a dompté tes rivaux. Naguère aux solennités pythiques quatre athlètes terrassés ont éprouvé la force de tes coups. Combien leur retour a différé du tien ! le doux sourire d’une mère n’a point réjoui leur cœur ; honteux de leur défaite, ils tremblent à l’aspect de leurs ennemis, ils se cachent et fuient les regards des hommes.

Mais celui auquel la victoire vient de sourire s’élève aux plus hautes destinées sur les ailes de l’Espérance et préfère aux soucis de l’opulence la palme que sa valeur lui a conquise. Cependant si un court instant accroît ainsi le bonheur de l’homme, la plus légère faute en un instant aussi l’ébranle et le renverse.

Ô homme d’un jour ! qu’est-ce que l’être ? qu’est-ce que le néant ? Tu n’es que le rêve d’une ombre et la vie n’a de jouissance et de gloire qu’autant que Jupiter répand sur elle un rayon de sa bienfaisante lumière.

Ô nymphe Égine ! tendre mère d’un peuple libre, joins-toi à Éaque, à Pélée, à l’immortel Télamon, à l’invincible Achille, pour protéger, sous le bon plaisir du puissant Jupiter, Aristomène et la cité qui l’a vu naître.