Les Petits poèmes grecs/Pindare/Olympiques/XIII

XIII (1).

À XÉNOPHON DE CORINTHE (2),

Vainqueur à la course et au pentathle.

En célébrant une illustre famille trois fois victorieuse aux jeux olympiques, bienveillante pour ses concitoyens et officieuse envers ses hôtes, je redirai la gloire de l’heureuse Corinthe (3), vestibule de Neptune-Isthmien et féconde en jeunes héros. C’est dans ses murs qu’habite Eunomie avec ses sœurs, la Justice, ferme appui des cités, et la Paix, sa fidèle compagne. Ces trois célestes filles de Thémis aux conseils salutaires dispensent aux mortels la richesse et le bonheur, et écartent loin d’eux l’Insolence (4), mère audacieuse de la Satiété.

Une noble hardiesse délie ma langue, mon génie me fait sentir sa puissance irrésistible et m’inspire des chants sublimes en l’honneur de Corinthe. Mille fois, ô valeureux enfans d’Alétès (5) ! a rejailli sur vous l’éclat des triomphes que vos aïeux, athlètes indomptables, remportèrent à nos jeux solennels ! et les Heures (6), qui sèment les fleurs sur leurs traces, vous ont donné cette adresse admirable qui brille dans les chefs-d’œuvre sortis de vos mains. Tout inventeur a le droit de revendiquer son ouvrage. Ainsi, qu’on nous dise où naquit, sous l’inspiration des Grâces (7), le bruyant dithyrambe consacré à Bacchus ? qui donna de justes proportions aux rênes des coursiers ? qui plaça sur les temples des dieux (8) la double figure de l’oiseau de Jupiter ?

C’est dans Corinthe que fleurissent les Muses aux délicieux accords ; c’est là que Mars embrase une jeunesse intrépide de l’ardeur des combats.

Grand Jupiter, qui règnes en souverain dans Olympie, sois propice à mes chants ! mets à l’abri de tout danger le peuple de Corinthe et dirige toi-même la destinée de Xénophon au souffle de la prospérité. Daigne aussi agréer l’éloge solennel par lequel j’immortalise la couronne que, dans les champs de Pise, il mérita pour prix de sa victoire au pentathle et à la course, couronne que jamais aucun mortel ne ceignit avant lui.

Deux fois Xénophon parut aux jeux isthmiques, et deux fois le sélinum (9) au vert feuillage orna son front ; Némée lui accorda aussi le même honneur. Les bords de l’Alphée ont été témoins de la gloire que Thessalus, son père, s’est acquise par la légèreté de ses pieds. Un même soleil éclaira son triomphe aux jeux pythiques, où il remporta le prix de la course et celui du double stade.

Trois fois dans le même mois, Athènes, au sol pierreux, le ceignit de couronnes magnifiques ; sept fois les jeux hellotiques (10) le virent triompher ; et, dans ces lieux célèbres que Neptune (11) environne presque de ses flots, des chants de victoire répétèrent avec les noms de Terpsias et d’Éritime (12), celui de Ptœodore, qui lui donna le jour. Que de palmes, ô Corinthiens ! ont illustré votre bravoure, à Delphes et dans la forêt qui servit de retraite au lion furieux. Je défie cent voix de les énumérer ; non, il serait plus facile de compter les sables de la mer. Mais chaque chose a ses bornes (13) ; le mérite, c’est de les fixer avec discernement. Ainsi, en chantant la victoire d’un seul (14) de vos concitoyens, je célébrerai votre gloire nationale et la sagesse et les vertus héroïques de vos ancêtres, sans rien dire de Corinthe qui puisse blesser la vérité.

Sisyphe fut semblable à un dieu par sa prudence et son adresse. Médée s’engagea malgré son père dans les nœuds de l’hyménée et sauva le navire Argo et les héros qu’il portait. On vit sous les murs de Dardanus les Corinthiens, partagés entre les deux partis, dont l’un, commandé par les fils d’Atrée, redemandait Hélène, et l’autre, avec les Troyens, s’obstinait à la retenir, signaler également leur valeur dans les deux armées.

Glaucus (15), venu de Lycie, jeta l’épouvante dans le camp des Grecs : fier de l’opulence de ses palais et des richesses que lui avaient léguées ses aïeux, il se glorifiait encore d’être fils de Bellérophon, qui régna jadis dans la cité qu’arrose Pyrène (16). Bellérophon brûlait du désir de dompter Pégase qui devait le jour à l’une des Gorgones aux cheveux hérissés de serpens ; mais ses efforts furent inutiles jusqu’au moment où la chaste Pallas lui apporta un frein enrichi de rênes d’or.

Réveillé en sursaut d’un sommeil profond, il la voit apparaître à ses yeux et l’entend prononcer ces paroles : « Tu dors, roi, descendant d’Éole (17) ! Prends ce philtre, seul capable de rendre les coursiers dociles ; après l’avoir offert à Neptune ton père, immole un superbe taureau à ce dieu si habile à dompter les coursiers. »

La déesse à la noire égide ne lui en dit pas davantage au milieu du silence de la nuit. Bellérophon se lève aussitôt, et, saisissant le frein merveilleux, le porte au fils de Cœramus, le devin de ces contrées. Il lui raconte la vision qu’il a eue ; comment, docile à ses oracles, il s’est endormi pendant la nuit sur l’autel de la déesse, et comment cette fille du dieu à qui la foudre sert de lance lui a donné elle-même ce frein d’or sous lequel doit plier Pégase. Le devin lui ordonne d’obéir sans retard à ce songe et d’élever un autel à Minerve Équestre (18), après avoir immolé un taureau au dieu qui de ses ondes environne la terre.

C’est ainsi que la puissance des dieux rend facile ce que les mortels jureraient être impossible et désespéreraient même d’exécuter jamais. Tressaillant d’allégresse, l’intrépide Bellérophon saisit le cheval ailé : tel qu’un breuvage calmant, le frein dont il presse sa bouche modère sa fougue impétueuse ; alors, s’élançant sur son dos, Bellérophon, revêtu de ses armes, le dresse au combat en se jouant. Bientôt, transporté avec lui dans le vide des airs sous un ciel glacé, il accable de ses traits les Amazones (19) habiles à tirer de l’arc, tue la Chimère qui vomissait des flammes et défait les Solymes (20). Je ne parlerai point de la mort de Bellérophon (21) : je dirai seulement que Pégase fut reçu dans les étables de l’immortel roi de l’Olympe.

Mais pourquoi tant de traits que ma main lance toujours au but iraient-ils frapper au-delà ? Je vais donc, inspiré par les Muses aux trônes resplendissans, chanter la victoire des Oligéthides (22) à l’Isthme et à Némée ; je vais tracer rapidement leurs nombreux triomphes et affirmer avec serment que soixante fois l’agréable voix du héraut les a proclamés vainqueurs dans ces deux lices.

Ma lyre a déjà célébré les palmes qu’ils ont cueillies dans les champs d’Olympie : celles qu’ils cueilleront à l’avenir je les chanterai aussi, et ce bonheur leur est sans doute réservé, j’en ai l’espérance, quoiqu’il dépende encore de la divinité. Si toutefois le génie qui veille sur Xénophon l’abandonnait, c’est à Jupiter, c’est à Mars que je confierais le soin de sa gloire.

Combien de victoires n’a-t-il pas déjà remportées sur les sommets du Parnasse (23), à Argos et à Thèbes ! Combien de couronnes ne lui a pas décernées l’Arcadie (24) ! L’autel vénérable de Jupiter Lycéen est témoin de sa gloire, Pellène (25), Sicyone (26), Mégare (27), le bois sacré des Æacides (28), Éleusis, l’opulente Marathon, les cités florissantes (29) qui s’élèvent auprès de l’Etna, l’Eubée (30), tous les peuples de la Grèce enfin l’ont vu remporter plus de couronnes que l’esprit ne peut en concevoir.

Ô puissant Jupiter ! fais que mon héros achève (31) heureusement sa carrière ; et avec la modestie accorde-lui la douce prospérité, mère de la joie.