Hachette (p. 52-72).



VIII

LES HÉRISSONS


Un jour, Camille et Madeleine lisaient hors de la maison, assises sur leurs petits pliants, lorsqu’elles virent accourir Marguerite.

« Camille, Madeleine, leur cria-t-elle, venez vite voir les hérissons qu’on a attrapés ; il y en a quatre, la mère et les trois petits. »

Camille et Madeleine se levèrent promptement et coururent voir les hérissons qu’on avait mis dans un panier.

Camille.

Mais on ne voit rien que des boules piquantes ; ils n’ont ni tête ni pattes.

Madeleine.

Je crois qu’ils se sont roulés en boule, et que leurs têtes et leurs pattes sont cachées.

Camille.

Nous allons bien voir ; je vais les faire sortir du panier.

Madeleine.

Mais ils te piqueront ; comment les prendras-tu ?

Camille.

Tu vas voir.

Camille prend le panier, le renverse : les hérissons se trouvent par terre. Au bout de quelques secondes, un des petits hérissons se déroule, sort sa tête, puis ses pattes ; les autres petits font de même et commencent à marcher, à la grande joie des petites filles, qui restaient immobiles pour ne pas les effrayer. Enfin la mère commença aussi à se dérouler lentement et avança un peu la tête. Quand elle aperçut les trois enfants, elle resta quelques instants indécise ; puis, voyant que personne ne bougeait, elle s’allongea tout à fait, poussa un cri en appelant ses petits et se mit à trottiner pour se sauver.

« Les hérissons se sauvent, s’écria Marguerite ; les voilà qui courent tous du côté du bois. »

Au même moment le garde accourut.

« Eh ! eh ! dit-il, mes pelotes qui se sont déroulées ! Il ne fallait pas les lâcher, mesdemoiselles ; je vais avoir du mal à les rattraper. »

Et le garde courut après les hérissons, qui allaient presque aussi vite que lui ; déjà ils avaient gagné la lisière du bois ; la mère pressait et poussait ses petits. Ils n’étaient plus qu’à un pas d’un vieux chêne creux dans lequel ils devaient trouver un refuge assuré ; le garde était encore à sept ou huit pas en arrière ; ils avaient le temps de se soustraire au danger qui les menaçait, lorsqu’une détonation se fit entendre. La mère roula morte à l’entrée du chêne creux ; les petits, voyant leur mère arrêtée, s’arrêtèrent également.

Le garde, qui avait tiré son coup de fusil sur la mère, se précipita sur les petits et les jeta dans son carnier.

Camille, Madeleine et Marguerite accoururent.

« Pourquoi avez-vous tué cette pauvre bête, méchant Nicaise ? » dit Camille avec indignation.

Madeleine.

Les pauvres petits vont mourir de faim à présent.

Nicaise.

Pour cela non, mademoiselle ; ce n’est pas de faim qu’ils vont mourir : je vais les tuer.

Marguerite, joignant les mains.

Oh ! pauvres petits ; ne les tuez pas, je vous en prie, Nicaise.

Nicaise.

Ah ! il faut bien les faire mourir, mademoiselle ; c’est mauvais, le hérisson : ça détruit les petits lapins, les petits perdreaux. D’ailleurs, ils sont trop jeunes ; ils ne vivraient pas sans leur mère.

Camille.

Viens, Madeleine ; viens, Marguerite ; allons demander à maman de sauver ces malheureuses petites bêtes. »

Toutes trois coururent au salon, où travaillaient Mme de Fleurville et Mme de Rosbourg.

Les trois petites ensemble.

Maman, maman, madame, les pauvres hérissons ! ce méchant Nicaise va les tuer ! La pauvre mère est morte ! Il faut les sauver, vite, vite !

Madame de Fleurville.

Qui ? Qu’est-ce ? Qui tuer ? Qui sauver ? Pourquoi « méchant Nicaise » ?

Les trois petites ensemble.

Il faut aller vite. C’est Nicaise. Il ne nous écoute pas. Ces pauvres petits !

Madame de Rosbourg.

Vous parlez toutes trois à la fois, mes chères enfants ; nous ne comprenons pas ce que vous demandez. Madeleine, parle seule, toi qui es moins agitée et moins essoufflée.

Madeleine.

C’est Nicaise qui a tué une mère hérisson ; il y a trois petits, il veut les tuer aussi ; il dit que les hérissons sont mauvais, qu’ils tuent les petits lapins.

Camille.

Et je crois qu’il ment ; ils ne mangent que de mauvaises bêtes.

Madame de Fleurville.

Et pourquoi mentirait-il, Camille ?

Camille.

Parce qu’il veut tuer ces pauvres petits, maman.

Madame de Fleurville.

Tu le crois donc bien méchant ? Pour avoir le plaisir de tuer de pauvres petites bêtes inoffensives, il inventerait contre elles des calomnies !

Camille.

C’est vrai, maman, j’ai tort ; mais si vous pouviez sauver ces petits hérissons ? Ils sont si gentils !

Madame de Rosbourg, souriant.

Des hérissons gentils ? c’est une rareté. Mais, chère amie, nous pourrions aller voir ce qu’il en est et s’il y a moyen de laisser vivre ces pauvres orphelins.

Ces dames et les trois petites filles sortirent et se dirigèrent vers le bois où on avait laissé le garde et les hérissons.

Plus de garde, plus de hérissons, ni morts ni vivants. Tout avait disparu.

Camille.

Ô mon Dieu ! ces pauvres hérissons ! je suis sûre que Nicaise les a tués.

Madame de Fleurville.

Nous allons voir cela ; allons jusque chez lui.

Les trois petites coururent en avant. Elles se précipitèrent avec impétuosité dans la maison du garde.

Les trois petites ensemble.

Où sont les hérissons ? Où les avez-vous mis, Nicaise ?

Le garde dînait avec sa femme. Il se leva lentement et répondit avec la même lenteur :

« Je les ai jetés à l’eau, mesdemoiselles ; ils sont dans la mare du potager. »

Les trois petites ensemble.

Comme c’est méchant ! comme c’est vilain ! Maman, maman, voilà Nicaise qui a jeté les petits hérissons dans la mare.

Mmes de Fleurville et de Rosbourg arrivaient à la porte.

Madame de Fleurville.

Vous avez eu tort de ne pas attendre, Nicaise ; mes petites désiraient garder ces hérissons.

Nicaise.

Pas possible, madame ; ils auraient péri avant deux jours : ils étaient trop petits. D’ailleurs c’est une méchante race que le hérisson. Il faut la détruire.

Mme de Fleurville se retourna vers les petites, muettes et consternées.

« Que faire, mes chères petites, sinon oublier ces hérissons ? Nicaise a cru bien faire en les tuant ; et, en vérité, qu’en auriez-vous fait ? Comment les nourrir, les soigner ? »

Les petites trouvaient que Mme de Fleurville avait raison, mais ces hérissons leur faisaient pitié ; elles ne répondirent rien et revinrent à la maison un peu abattues.

Elles allaient reprendre leurs leçons, lorsque Sophie arriva sur un âne avec sa bonne.

Mme Fichini faisait dire qu’elle viendrait dîner et qu’elle se débarrassait de Sophie en l’envoyant d’avance.

Sophie.

Bonjour, mes bonnes amies ; bonjour, Marguerite ! Eh bien, Marguerite, tu t’éloignes ?

Marguerite.

Vous avez fait punir l’autre jour ma chère Camille : je ne vous aime pas, mademoiselle.

Camille.

Écoute, Marguerite, je méritais d’être punie pour m’être mise en colère : c’est très vilain de s’emporter.

Marguerite, l’embrassant tendrement.

C’est pour moi, ma chère Camille, que tu t’es mise en colère. Tu es toujours si bonne ! Jamais tu ne te fâches.

Sophie avait commencé par rougir de colère ; mais le mouvement de tendresse de Marguerite arrêta ce mauvais sentiment ; elle sentit ses torts, s’approcha de Camille et lui dit, les larmes aux yeux :

« Camille, ma bonne Camille, Marguerite a raison : c’est moi qui suis la coupable, c’est moi qui ai eu le premier tort en répondant durement à la pauvre petite Marguerite, qui défendait tes fraises. C’est moi qui ai provoqué ta juste colère en repoussant Marguerite et la jetant à terre ; j’ai abusé de ma force, j’ai froissé tous tes bons et affectueux sentiments. Tu as bien fait de me donner un soufflet ; je l’ai mérité, bien mérité. Et toi aussi, ma bonne petite Marguerite, pardonne-moi ; sois généreuse comme Camille. Je sais que je suis méchante ; mais, ajouta-t-elle en fondant en larmes, je suis si malheureuse ! »

À ces mots, Camille, Madeleine, Marguerite se précipitèrent vers Sophie, l’embrassèrent, la serrèrent dans leurs bras.

« Ma pauvre Sophie, disaient-elles toutes trois, ne pleure pas, nous t’aimons bien ; viens nous voir souvent, nous tâcherons de te distraire. »

Sophie sécha ses larmes et essuya ses yeux.

« Merci, mille fois merci, mes chères amies, je tâcherai de vous imiter, de devenir bonne comme vous. Ah ! si j’avais comme vous une maman douce et bonne, je serais meilleure ! Mais j’ai si peur de ma belle-mère ; elle ne me dit pas ce que je dois faire, mais elle me bat toujours.

— Pauvre Sophie ! dit Marguerite. Je suis bien fâchée de t’avoir détestée.

— Non, tu avais raison, Marguerite, parce que j’ai été vraiment détestable le jour où je suis venue. »

Camille et Madeleine demandèrent à Sophie de leur permettre d’achever un devoir de calcul et de géographie.

« Dans une demi-heure nous aurons fini et nous irons vous rejoindre au jardin. »

Marguerite.

Veux-tu venir avec moi, Sophie ? je n’ai pas de devoir à faire.

Sophie.

Très volontiers ; nous allons courir dehors.

Marguerite.

Je vais te raconter ce qui est arrivé ce matin à trois pauvres petits hérissons et à leur maman.

Et, tout en marchant, Marguerite raconta toute la scène du matin.

Sophie.

Et où les a-t-on jetés, ces hérissons ?

Marguerite.

Dans la mare du potager.

Sophie.

Allons les voir ; ce sera très amusant.

Marguerite.

Mais il ne faut pas trop approcher de l’eau ; maman l’a défendu.

Sophie.

Non, non ; nous regarderons de loin.

Elles coururent vers la mare et, comme elles ne voyaient rien, elles approchèrent un peu.

Sophie.

En voilà un, en voilà un ! je le vois ; il n’est pas mort, il se débat. Approche, approche ; vois-tu ?

Marguerite.

Oui, je le vois ! Pauvre petit, comme il se débat ! les autres sont morts.

Sophie.

Si nous l’enfoncions dans l’eau avec un bâton pour qu’il meure plus vite ? Il souffre, ce pauvre malheureux.

Marguerite.

Tu as raison. Pauvre bête ! le voici tout près de nous.

Sophie.

Voilà un grand bâton : donne-lui un coup sur la tête, il enfoncera.

Marguerite.

Non, je ne veux pas achever de tuer ce pauvre petit hérisson ; et puis, maman ne veut pas que j’approche de la mare.

Sophie.

Pourquoi ?

Marguerite.

Parce que je pourrais glisser et tomber dedans.

Sophie.

Quelle idée ! Il n’y a pas le moindre danger.

Marguerite.

C’est égal ! il ne faut pas désobéir à maman.

Sophie.

Eh bien, à moi on n’a rien défendu ; ainsi je vais tâcher d’enfoncer ce petit hérisson.

Et Sophie, s’avançant avec précaution vers le bord de la mare, allongea le bras et donna un grand coup au hérisson, avec la longue baguette qu’elle tenait à la main. Le pauvre animal disparut un instant, puis revint sur l’eau, où il continua à se débattre. Sophie courut vers l’endroit où il avait reparu, et le frappa d’un second coup de sa baguette. Mais, pour l’atteindre il lui avait fallu allonger beaucoup le bras ; au moment où la baguette retombait, le poids de son corps l’entraînant, Sophie tomba dans l’eau ; elle poussa un cri désespéré et disparut.

Marguerite s’élança pour secourir Sophie, aperçut sa main qui s’était accrochée à une touffe de genêt, la saisit, la tira à elle, parvint à faire sortir de l’eau le haut du corps de la malheureuse Sophie, et lui présenta l’autre main pour achever de la retirer.

Pendant quelques secondes elle lutta contre le poids trop lourd qui l’entraînait elle-même dans la mare ; enfin ses forces trahirent son courage, et la pauvre petite Marguerite se sentit tomber avec Sophie.

La courageuse enfant ne perdit pas la tête, malgré l’imminence du danger ; elle se souvint d’avoir entendu dire à Mme de Fleurville que, lorsqu’on arrivait au fond de l’eau, il fallait, pour remonter à la surface, frapper le sol du pied ; aussitôt qu’elle sentit le fond, elle donna un fort coup de pied, remonta immédiatement au-dessus de l’eau, saisit un poteau qui se trouva à portée de ses mains, et réussit, avec cet appui, à sortir de la mare.

N’apercevant plus Sophie, elle courut toute ruisselante d’eau vers la maison en criant : « Au secours, au secours ! » Des faucheurs et des faucheuses qui travaillaient près de là accoururent à ses cris.

« Sauvez Sophie, sauvez Sophie ! elle est dans la mare ! criait Marguerite.

— Mlle Marguerite est tombée dans l’eau, criaient les bonnes femmes ; au secours !

— Sophie se noie, Sophie se noie, sanglotait Marguerite désolée ; allez vite à son secours. »

Une des faneuses, plus intelligente que les autres, courut à la mare, aperçut la robe blanche de Sophie qui apparaissait un peu à la surface de l’eau, y plongea un long crochet qui servait à charger le foin, accrocha la robe, la tira vers le bord, allongea le bras, saisit la petite fille par la taille, et l’enleva non sans peine.

Pendant que la bonne femme sauvait l’enfant, Marguerite, oubliant le danger qu’elle avait couru elle-même, et ne pensant qu’à celui de Sophie, pleurait à chaudes larmes et suppliait qu’on ne s’occupât pas d’elle et qu’on retournât à la mare.

Camille, Madeleine, qui accoururent au bruit, augmentèrent le tumulte en criant et pleurant avec Marguerite.

Mme de Rosbourg et Mme de Fleurville, entendant une rumeur extraordinaire, arrivèrent précipitamment et poussèrent toutes deux un cri de terreur à la vue de Marguerite, dont les cheveux et les vêtements ruisselaient.

« Mon enfant, mon enfant ! s’écria Mme de Rosbourg. Que t’est-il donc arrivé ? Pourquoi ces cris ?

— Maman, ma chère maman, Sophie se noie, Sophie est tombée dans la mare ! »

À ces mots, Mme de Fleurville se précipita vers la mare, suivie du garde et des domestiques. Elle ne tarda pas à rencontrer la faneuse avec Sophie dans ses bras, qui, elle aussi, pleurait à chaudes larmes.

Mme de Rosbourg, voyant l’agitation, le désespoir de Marguerite, ne comprenant pas bien ce qui la désolait ainsi, et sentant la nécessité de la calmer, lui dit avec assurance :

« Sophie est sauvée, chère enfant ; elle va très bien, calme-toi, je t’en conjure.

— Mais qui l’a sauvée ? je n’ai vu personne.

— Tout le monde y a couru pendant que tu revenais. »

Cette assurance calma Marguerite ; elle se laissa emporter sans résistance.

Quand elle fut bien essuyée, séchée et rhabillée, sa maman lui demanda ce qui était arrivé. Marguerite lui raconta tout, mais en atténuant ce
« Elle accrocha la robe et la tira vers le bord. »


qu’elle sentait être mauvais dans l’insistance de Sophie à faire périr le pauvre hérisson et à approcher de la mare, malgré l’avertissement qu’elle avait reçu.

« Tu vois, chère enfant, dit Mme de Rosbourg en l’embrassant mille fois, si j’avais raison de te défendre d’approcher de la mare. Tu as agi comme une petite fille sage, courageuse et généreuse… Allons voir ce que devient Sophie. »

Sophie avait été emportée par Mme de Fleurville et Élisa chez Camille et Madeleine, qui l’accompagnaient. On l’avait également déshabillée, essuyée, frictionnée, et on lui passait une chemise de Camille, quand la porte s’ouvrit violemment et Mme Fichini entra.

Sophie devint rouge comme une cerise ; l’apparition furieuse et inattendue de Mme Fichini avait stupéfié tout le monde.

« Qu’est-ce que j’apprends, mademoiselle ? vous avez sali, perdu votre jolie robe en vous laissant sottement tomber dans la mare ! Attendez, j’apporte de quoi vous rendre plus soigneuse à l’avenir. »

Et, avant que personne ait eu le temps de s’y opposer, elle tira de dessous son châle une forte verge, s’élança sur Sophie et la fouetta à coups redoublés, malgré les cris de la pauvre petite, les pleurs et les supplications de Camille et de Madeleine, et les remontrances de Mme de Fleurville et d’Élisa, indignées de tant de sévérité. Elle ne cessa de frapper que lorsque la verge se brisa entre ses mains ; alors elle en jeta les morceaux et sortit de la chambre. Mme de Fleurville la suivit pour lui exprimer son mécontentement d’une punition aussi injuste que barbare.

« Croyez, chère dame, répondit Mme Fichini, que c’est le seul moyen d’élever des enfants ; le fouet est le meilleur des maîtres. Pour moi, je n’en connais pas d’autres. »

Si Mme de Fleurville n’eût écouté que son indignation, elle eût chassé de chez elle une si méchante femme ; mais Sophie lui inspirait une pitié profonde : elle pensa que se brouiller avec la belle-mère, c’était priver la pauvre enfant de consolations et d’appui. Elle se fit donc violence et se borna à discuter avec Mme Fichini les inconvénients d’une répression trop sévère. Tous ces raisonnements échouèrent devant la sécheresse de cœur et l’intelligence bornée de la mauvaise mère, et Mme de Fleurville se vit obligée de patienter et de subir son odieuse compagnie.

Quand Mme de Rosbourg et Marguerite entrèrent chez Camille et Madeleine, elles furent surprises de les trouver toutes deux pleurant, et Sophie en chemise, criant, courant et sautant par excès de souffrance, le corps rayé et rougi par la verge dont les débris gisaient à terre.

Mme de Rosbourg et Marguerite restèrent immobiles d’étonnement.


« Elle s’élança sur Sophie et la fouetta à coups redoublés. »


« Camille, Madeleine, pourquoi pleurez-vous ? dit enfin Marguerite, prête elle-même à pleurer. Qu’a donc la pauvre Sophie et pourquoi est-elle couverte de raies rouges ?

— C’est sa méchante belle-mère qui l’a fouettée, chère Marguerite. Pauvre Sophie ! pauvre Sophie ! »

Les trois petites entourèrent Sophie et parvinrent à la consoler à force de caresses et de paroles amicales. Pendant ce temps Élisa avait raconté à Mme de Rosbourg la froide cruauté de Mme Fichini, qui n’avait vu dans l’accident de sa fille qu’une robe salie, et qui avait puni ce manque de soin par une si cruelle flagellation. L’indignation de Mme de Rosbourg égala celle de Mme de Fleurville et d’Élisa ; les mêmes motifs lui firent supporter la présence de Mme Fichini.

Camille, Madeleine et Marguerite eurent besoin de faire de grands efforts pour être polies à table avec Mme Fichini. La pauvre Sophie n’osait ni parler ni lever les yeux ; immédiatement après le dîner, les enfants allèrent jouer dehors. Quand Mme Fichini partit, elle promit d’envoyer souvent Sophie à Fleurville, comme le lui demandaient ces dames.

« Puisque vous voulez bien recevoir cette mauvaise créature, dit-elle en jetant sur Sophie un regard de mépris, je serai enchantée de m’en débarrasser le plus souvent possible ; elle est si méchante, qu’elle gâte toutes mes parties de plaisir chez mes voisins. Au revoir, chères dames… Montez en voiture, petite sotte ! » ajouta-t-elle en donnant à Sophie une grande tape sur la tête.

Quand la voiture fut partie, Camille et Madeleine, qui n’étaient pas revenues de leur consternation, ne voulurent pas aller jouer ; elles rentrèrent au salon, où, avec leur maman et avec Mme de Rosbourg, elles causèrent de Sophie et des moyens de la tirer le plus souvent possible de la maison maternelle. Marguerite était couchée depuis longtemps ; Camille et Madeleine finirent par se coucher aussi, en réfléchissant au malheur de Sophie et en remerciant le bon Dieu de leur avoir donné une si excellente mère.