LES PERCE-OREILLES

La plupart des personnes qui daignent quelquefois s’occuper des petites bêtes, connaissent seulement parmi les insectes quelques types remarquables par l’élégance de leurs formes et l’éclat des couleurs, comme les splendides papillons des régions tropicales ou ces Buprestes métalliques que le caprice de la mode mêle à la coiffure des dames. Tout le reste du monde entomologique n’inspire que du dédain ou du dégoût. Vite ! écrasons ces vilains animaux qui sont si sales !

C’est précisément parmi les nombreux insectes à parure sombre que nous allons choisir une famille très-naturelle, et chercher à faire comprendre combien l’étude des mœurs immuables de ces êtres chétifs offre d’attraits, sans qu’il soit nécessaire d’y joindre les qualités accessoires de la magnificence du costume. D’abord nous affirmons que tous les insectes sont très-propres. Souvent leur corps paraît terni ; mais, qu’on regarde de près, on verra une couverture de poils, admirablement et sans cesse brossés et lissés, servant à protéger par supplément une peau déjà cuirassée ou constituant de délicats organes du toucher. Le règne animal, à part certaines espèces abruties par la domesticité, n’a de réellement malpropre que son orgueilleux souverain. Nous voyons même des insectes, tels que les Nécrophores, les Bousiers, etc., s’échapper des matières putrides ou des débris les plus immondes avec une peau brillante et vernissée, parée souvent de taches aux vives couleurs, comme au sortir d’un bain immaculé.

Ce qui frappe les yeux au premier aspect chez les perce-oreilles, dont le nom scientifique général est Forficules, c’est une pince à branches plus ou moins courbées en dedans, située à l’extrémité postérieure du corps. Suivant une opinion probable, leur nom est dû à cet organe qui ressemble à la pince de métal dont se servaient autrefois les orfèvres pour percer les lobules de l’oreille des enfants. D’autres auteurs croient que ce nom est dû à l’habitude qu’auraient ces insectes de s’introduire dans les oreilles. Il est possible que ce fait se soit quelquefois produit chez des personnes couchées à terre ; mais c’est un pur accident causé par l’instinct qui porte ces animaux à se réfugier dans toutes les cavités obscures. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter à ce sujet. La pince des Forficules est une arme défensive de faible puissance ; c’est à peine si, dans les plus fortes espèces, elle peut entamer légèrement notre peau. Elle sert aussi à maintenir en rapport les deux sexes lors de l’accouplement, et enfin, dans les espèces ailées, est employée à la longue et difficile opération du déploiement des ailes inférieures.

La couleur est analogue dans toutes les espèces de Forficules, variant du brun de poix à un jaune terne et enfumé. Ces teintes sont celles de beaucoup d’insectes qui vivent dans l’obscurité, notamment des curieux Coléoptères et des Araignées qui passent toute leur existence sous terre et constituent les représentants entomologiques de ces êtres étranges dont le Créateur a peuplé l’horreur de la profonde nuit des cavernes.

Le corps est allongé et plus ou moins aplati ; une tête dégagée et un peu mobile, cordiforme, porte en avant des antennes filiformes, ayant de douze à quarante articles, et sur les côtés des yeux médiocres. Elle manque toujours de ces yeux simples ou stemmates, sorte de microscopes placés chez beaucoup d’insectes sur le dessus de la tête, et qui sont les seuls organes de la vision chez les Araignées et les Scorpions. Vient ensuite un corselet de forme rectangulaire et aplati, et, dans les espèces à organes du vol bien développés, les deux segments suivants du thorax portent deux paires d’ailes hétéronomes, c’est-à-dire d’une constitution différente. D’abord se voient des étuis ou élytres, beaucoup plus courtes que l’abdomen, coupées carrément en arrière, et réunies à structure droite au milieu, et non croisées l’une sur l’autre comme chez les Blattes, les Grillons, les Sauterelles. Elles ressemblent aux élytres des Coléoptères et particulièrement à celles de ces Staphylins qui semblent porter une veste, leur abdomen restant à découvert, comme celui des Perce-oreilles. Tout le monde connaît un des plus grands types de Staphylins, le Diable (Ocypus olens, Linn.), d’un noir terne, qui parcourt les sentiers des champs et relève d’un air menaçant son abdomen d’où sortent deux vésicules blanches ovales, répandant une odeur d’éther nitreux ou de pomme de reinette. Les ailes, dont l’existence est à peine soupçonnée par le vulgaire, sont d’une remarquable complication. Elles offrent au bord antérieur une lame cornée, plus ou moins ample, qui, après le repli complet de l’aile, devient un organe de protection et dépasse plus ou moins l’élytre sous forme d’une petite écaille colorée (ce qu’on voit bien au no 2 du dessin des Forficules). Le reste de l’aile, bien plus large que l’élytre, en forme de quart de cercle, est constitué par une membrane délicate et diaphane, irisée des couleurs de l’arc-en-ciel par le fait de la décomposition de la lumière par les lames minces. Une nervure en courbure douce, part de la base de l’aile et envoie dans son parcours des rameaux rayonnants vers le contour. Ils sont soutenus par une nervure circulaire qui sert à maintenir bien étendue cette aile si élégante. On peut facilement voir cette petite merveille en prenant le Perce-oreille commun de nos jardins, le maintenant empalé sur une épingle et soulevant une élytre avec la pointe d’une aiguille. En opérant doucement, on force l’aile à sortir sans déchirure de ses plis, et, si on laisse mourir et sécher l’animal en maintenant l’aile étendue par une bande de papier, on conservera indéfiniment l’aile étalée, comme elle se présente dans le Forficule au vol de notre gravure.

Le plissement de cette grande aile est très-curieux. Il s’opère d’abord vers le milieu du limbe corné antérieur en plis longitudinaux pareils à ceux d’un éventail. C’est le mode de plissement de l’aile de la grande Sauterelle verte des champs, et des ailes de ces petits Criquets qui sautillent en automne dans toutes les prairies ; puis un tout autre genre de plis intervient, pareil à celui de l’aile des Hannetons. L’éventail se brise deux fois et en dessous par des cassures transversales, de sorte que la jolie membrane irisée se cache entièrement sous l’élytre protectrice.

L’abdomen, bien visible quand les ailes sont au repos, est formé de segments successivement articulés comme dans la queue de l’écrevisse, et leur nombre peut tout de suite nous apprendre si le perce-oreille est un mâle ou une femelle, du moins dans les espèces européennes ; chez le premier on en compte, bien apparents, neuf en dessus, huit en dessous ; chez la femelle sept en dessus, six à la région ventrale. Le dernier segment du dos chez les mâles, est plus grand que les autres, plus fort et muni de tubercules, d’épines, bien moins marqués chez la femelle. C’est en effet lui qui renferme les muscles destinés à mouvoir la pince, qui, toujours plus grande et plus robuste chez le mâle que chez la femelle, en diffère par sa courbure et ses dents, de sorte que l’inspection de la pince fournit aussi des caractères sexuels, mais moins faciles à constater que ceux tirés du nombre des anneaux de l’abdomen.

Les pattes, attachées au-dessous du thorax et au nombre de six, comme chez tous les insectes adultes, sont courtes, à articles cylindroïdes, propres à la course seulement. Elles finissent par des tarses de trois articles ; on sait que le nombre des articles de l’extrémité terminale des pattes est un caractère important pour la classification des insectes broyeurs auxquels appartiennent les Forficules.

Ces Forficules font partie des insectes à métamorphoses imparfaites, c’est-à-dire qui, dès la sortie de l’œuf, ont la forme générale des adultes et le même genre de vie. Dans l’espèce la plus commune, le Perce-oreille de nos jardins (Forficula auricularia, Linn.), la larve, au sortir de l’œuf et après la première mue, n’a d’autres vestiges alaires qu’un léger bourrelet aux bords postérieurs des second et troisième segments du thorax ; après la seconde mue, la nymphe présente les élytres et les ailes, mais en raccourci, plus ou moins réunies au milieu et enveloppées d’une mince pellicule, comme d’un fourreau. Après le troisième changement de peau, les organes du vol sont bien développés et l’insecte est apte à reproduire son espèce. On reconnaît encore le jeune âge des Forficules à une taille plus petite, à la mollesse des téguments, à une pince plus grêle et plus faible, encore dépourvue des tubercules qu’elle offrira souvent à sa base vers son milieu chez les mâles adultes. Le nombre des anneaux de l’abdomen permet de distinguer les sexes futurs dès le plus jeune âge, ainsi que la forme de la pince.

Les mœurs nous intéressent plus que ces détails d’organisation, toujours un peu arides, mais nécessaires toutefois à connaître. Les Forficules sont des insectes lucifuges, amis des retraites obscures et ne sortant guère qu’au crépuscule. Ils se cachent sous les écorces, sous les pierres, dans les fentes des arbres et des murs, dans les fleurs profondes et les crevasses des fruits tombés. Ils aiment à vivre en société, surtout quand ils sont jeunes. Si on les met brusquement à découvert en faisant pénétrer la lumière éclatante du jour dans leur sombre refuge, on les voit fuir de toute part en courant avec vitesse. Ce sont surtout les matières végétales qui assouvissent leur voracité considérable. Les Forficules vont sucer le nectar des fleurs, mais, malheureusement pour nous, ne se contentent pas de ce miel liquide. Les pièces tranchantes et broyeuses qui constituent leur bouche rongent les pétales, les étamines et la pulpe savoureuse des fruits. Il n’est personne qui n’ait vu tomber dans son assiette quelque maudit Perce-oreille au moment de porter à sa bouche un succulent abricot ou une poire des plus appétissantes. À défaut de végétaux les gourmands insectes se contentent de substances décomposées, de fumier, de bouses desséchées de ruminants, même de cadavres. Si on les renferme sans nourriture dans une boîte, ils se dévorent les uns les autres. Les auteurs anglais rapportent, pour faire pardonner un peu les méfaits des Forficules, qu’elles nous rendent certains services en mangeant des insectes fort nuisibles. On les a trouvées dans les épis de froment attaquant les Thrips et les Cécidomyes ; ces dernières sont des petites mouches dont la larve creuse les grains et peut causer de grands dégâts à la précieuse graminée.

Forficules ou Perce-oreilles.
1. Forficule auriculaire. — 2. Labidoure géante. — 3. Chélidoure dilatée ou aptère.

Nous achèverons peut-être de réconcilier à demi le lecteur avec les Forficules si nous lui racontons leur touchant amour maternel. Il est rare chez les insectes que les mères s’occupent elles-mêmes de leurs enfants après la sortie de l’œuf. Chez les Abeilles, les Fourmis, les Bourdons, les Guêpes, les femelles fécondes sont occupées à une ponte incessante et laissent à d’infatigables nourrices les premiers soins qu’exige leur débile progéniture. Les femelles des Forficules, dépourvues d’organe saillant pour la ponte, déposent leurs œufs dans les petites cavités du sol, sous les pierres, dans les lieux humides. Elles surveillent ces œufs blancs et lisses et les transportent çà et là, afin qu’ils jouissent toujours de l’humidité nécessaire à leur évolution. On les voit les rassembler en tas et les couvrir de leur corps, paraissant les couver. Elles les ramassent si quelque accident les disperse et se placent de nouveau auprès. Les jeunes larves en naissant sont bien plus grandes qu’on ne le croirait en voyant l’œuf dont elles sont sorties ; elles y étaient fortement comprimées et se gonflent. D’abord blanches et molles elles se colorent et durcissent en quelques heures. La mère les retient encore quelque temps auprès d’elle, leur continuant sa protection. De Géer rapporte qu’il les a vues se placer sous le ventre et entre les pattes de la mère et y rester des heures entières. Je voudrais pouvoir ajouter que les enfants récompensent ces soins dévoués par l’affection qu’ils méritent, mais je ne sais pas faire de roman à propos d’histoire naturelle. Les jeunes Forficules s’empressent de manger leur mère si elle vient à mourir, et donnent de même leur estomac pour tombeau à ceux de leurs frères et sœurs qui succombent sous l’implacable loi de la sélection naturelle.

Nous citerons quelques-unes des espèces les plus intéressantes de Perce-oreilles qu’on peut observer en France. Plusieurs groupes naturels ont été établis dans ces insectes d’ailleurs très-similaires.

Les Labidoures ont presque toujours un grand nombre d’articles aux antennes, et le second article de leurs tarses est simple et étroit. La Labidoure géante (no 2 de la figure, un mâle) est le plus grand des Perce-oreilles européens. Elle offre une tête rousse, large, et arrondie, et les appendices, antennes et pattes, d’un jaune pâle, ainsi que les côtés du ventre. Les longues et fines antennes ont de 27 à 30 articles. Les élytres, d’un roux pâle, sont en rectangles allongés et fortement débordées par le rebord corné des ailes à contour elliptique. La pince du mâle est presque droite, avec une dent à l’intérieur vers le milieu ; elle est rousse et noire à l’extrémité. Le mâle atteint de 14 à 22 millimètres, sans compter sa pince qui en a 8 à 10 ; la femelle est plus petite, de 10 à 14 millimètres et la pince n’en a que 6 en longueur. La femelle est pleine d’œufs au mois de mai, et on trouve les petites larves en août. L’espèce se rencontre sur tout le contour méditerranéen de l’Europe méridionale, ainsi que dans tout le midi de la France, sur les rives de l’Adour, en Corse et en Sardaigne, sur les bords de l’Adriatique, sur les rivages du Pô, du Tessin et de l’Arno. C’est sous les pierres qu’il faut la chercher dans le jour, et le soir elle court sur le sable, pour chasser les petits insectes, ne paraissant faire que très-rarement usage de ses grandes ailes. L’insecte inquiété relève son abdomen d’un air de menace, à la façon des Staphylins, en ouvrant sa grande pince. En Italie, l’espèce est commune dans les maisons, surtout dans les cuisines, les citernes, les recoins humides, d’où elle ne sort que la nuit. Nous n’avons pas cet insecte près de Paris, quoiqu’il puisse remonter bien plus au nord. Ainsi il existe dans la Russie méridionale ; on le trouve, mais rare, près de Vienne, sous les feuilles tombées et les troncs d’arbre renversés et pourris, en été près de Berlin et dans la Silésie supérieure, sous de grandes pierres au bord des rivières, sur les bords de la Baltique, sur le rivage occidental de l’Angleterre, près de Christchurch, peut-être après importation par les navires. Cette grande Forlicule est abondante à l’île de Madère, existe aussi dans l’Afrique septentrionale, la Cafrérie, le Mozambique, et à Buénos-Ayres, dans l’Amérique méridionale, peut-être par importation, et l’Asie occidentale.

Une autre espèce, la Labidoure maritime du genre Brachylabis, Dohrn, est presque aussi grande, mais se distingue tout de suite de la précédente en ce qu’elle n’a pas d’élytres ni d’ailes. Elle ne se trouve que dans le voisinage de la mer et est commune au printemps, sur les bords de la Méditerranée, sous les pierres et dans les bouses de vache. On la rencontre aussi à Madère, en Syrie, au mont Liban, sur les côtes du Japon, de la Chine, des Indes orientales, de Madagascar, de l’Afrique occidentale et australe.

Dans un sous-genre très-voisin des Labidoures existe la plus petite espèce du type que nous étudions, celle que Geoffroy, le vieil historien des insectes des environs de Paris, appelle le Petit Perce-oreille, et Linnus la Forficule naine, (minor).

C’est la plus petite espèce d’Europe, n’atteignant que 4 à 6 millimètres de longueur, avec une pince de 2 à 3, selon les sexes, presque droite. Elle est d’un jaune terne, plus ou moins bruni et recouverte d’un duvet court et serré ; ses antennes n’ont que 10 à 12 articles ; elle est commune en France dans les détritus et les fumiers, où elle vit en société avec beaucoup de petits Staphylins avec lesquels on la confond au premier abord. Elle vole bien, on la prend au vol avec le filet à papillons autour des fumiers dans les soirées chaudes de l’été, et elle entre la nuit dans les appartements, attirée par les lumières.

Les Perce-oreilles qui viennent ensuite se distinguent, pour les entomologistes, d’avec les types précédents par quelques caractères. Le plus remarquable consiste dans la présence, de chaque côté des second et troisième segments dorsaux de l’abdomen, d’un tubercule en forme de pli longitudinal, caractère qu’offre aussi la Labidoure maritime. La gravure sur bois n’a pu reproduire ce détail sur nos figures, qui sont de grandeur naturelle ; rien de plus aisé que de le voir sur le Perce-oreille commun de nos jardins, avec une loupe si la vue simple est insuffisante. Le botaniste et l’amateur d’insectes ne se séparent jamais de ce précieux auxiliaire.

En outre, le second article des tarses est élargi de chaque côté en cœur et le nombre d’articles des antennes ne dépasse pas une quinzaine.

C’est ici que se place, l’espèce si commune partout, la Forficule auriculaire, de Linnæus, le Grand Perce-oreille de Geoffroy, d’un fauve ferrugineux avec les pattes plus pâles (voir la fig. 1 de la gravure). Si on la saisit entre les doigts, elle dégage une odeur qui rappelle le soufre brûlé (acide sulfureux). La longueur du corps varie chez les mâles de 9 à 15 millimètres, avec une pince de 4 à 8 millimètres, à branches dilatées à la base et crénelées en dedans. Elles forment d’ordinaire un cercle presque parfait, mais il y a une variété où elles sont plus allongées et en ellipse.

La pince est plus courte chez la femelle, de 3 à 4 millimètres, à branches bien moins courbes, crochues en dedans, au bout.

L’espèce est abondamment répandue dans toute l’Europe, se trouve aussi à l’île de Madère, dans tout le nord de l’Afrique et aux Indes orientales, où les navires l’ont sans doute importée. Cette Forficule passe l’hiver, surtout les femelles fécondées, qui pondent en avril des œufs dont les petites larves sortiront au mois de mai. Si au mois de novembre on bat, dans les forêts, les branches dépouillées de feuilles, au-dessus d’un parapluie renversé, on y fera souvent tomber cette Forficule engourdie. C’est là le moyen qu’emploient les entomologistes pour se procurer en hiver une foule d’insectes dont personne ne soupçonne l’existence au milieu des frimas. Au printemps et en été, outre ses refuges sous les écorces et les pierres, on la trouve dans beaucoup de fleurs, comme les oreilles d’ours, les roses trémières, les grands soleils, etc.

Elle aime aussi à se réfugier dans le chardon à foulon, dans les feuilles roulées en cornet par divers insectes, et où elle échappe à l’importune lumière du jour. Beaucoup de jardiniers mettent le long des plantes des cornets de papier où se gîtent les Forficules, qu’il ne reste plus qu’à brûler.

Elles sont friandes de graines de melon au delà de tout ce qu’on peut imaginer, et souvent les maraîchers sont obligés d’étaler ces graines en pleine lumière pour les soustraire aux ravages. L’insecte devient vraiment funeste en automne par l’avidité avec laquelle il recherche les fruits et surtout les pommes les plus parfumées et les plus douces (voir la figure). Nous conseillons, pour préserver le fruitier, de mettre sous un pot renversé certains fruits qui serviront d’appât piège, puisque le Perce-oreille les choisira de prédilection en trouvant réunis et le festin et l’obscurité propice. Cette espèce peut être parfois fort nuisible ; ainsi M. Westwood dit que ces Forficules arrivent par intervalles en grande multitude, et il cite un cas où en Angleterre elles dévastèrent non-seulement les fleurs et les fruits de la région, mais des champs couverts de choux.

On ne doit pas s’étonner si depuis longtemps les horticulteurs ont cherché à préserver les jardins et les vergers contre cet ennemi.

Ce sont les mœurs des insectes qui nous procurent invariablement les procédés de destruction.

Voici à cet égard des conseils et des recettes déjà un peu anciens. « Le moyen de détruire le Perce-oreille tient de la connaissance de ses habitudes. Il évite toujours le soleil et la grande lumière, se retire sous les feuilles, dans les fissures des écorces d’arbre, sous les plantes rampantes, sous les pierres. Il suffit donc, pour en rassembler une grande quantité, de placer çà et là, dans les endroits exposés à ses dégâts tout ce qui peut lui procurer un abri ; des poignées de feuilles, des petites bottes d’herbages, de paille un peu humectée, telle que celle que l’on prépare pour attacher la vigne, des bâtons de sureau creux, des tiges de soleil également creuses, des paquets de brindilles de toutes espèces d’arbres, de vieux balais, des cornes et ongles de divers animaux, des chiffons d’étoffes, des torchons ou serviettes, etc.

Quand on a réuni un grand nombre de Perce-oreilles, on les écrase ou on les brûle. Il ne faut pas se contenter de les jeter dans l’eau, car ils nagent très-bien et s’échappent ; les poules les avalent avec avidité, (Annales de l’agriculture française an IX, t. VIII, p. 106 107.) »

Il est continuel de voir se produire dans les Forficules tous les modes de variations de l’appareil alaire. Chez les Aptérygides, les élytres subsistent bien développées, mais sans ailes en dessous ou seulement avec des rudiments. Mentionnons seulement dans ce type une espèce qui a été nommée albipenne parce que son corselet et ses élytres sont d’un jaunâtre pale, et aussi pédestre, puisque privée d’ailes elle ne peut que marcher. Sa longueur varie de 6 à 9 millimètres ; elle est donc environ moitié plus petite que la Forficule auriculaire et surtout beaucoup plus étroite. Elle se rencontre dans plusieurs régions de l’Europe, la Grèce, l’Italie, la Suisse, l’Allemagne, en été et en automne, dans les buissons, sur les ormes, les aulnes, les chardons, etc. Les amateurs peuvent la chercher en octobre, tout près de Paris, sur les collines arides qui entourent Sèvres. On l’a prise en Angleterre au mois de juin, près d’Ashford, dans le comté de Kent. Elle ne paraît pas avoir été trouvée en Russie ni en Suède.

Les touristes qui aiment l’histoire naturelle feront bien, dans leurs explorations de nos montagnes, de porter leur attention sur un dernier type très-intéressant de Perce-oreilles, les Chélidoures. Ici l’absence du vol est presque complète. Les élytres ne sont plus représentées que par deux écailles ovales rejetées sur le côté et laissant entre elles à découvert ce qu’on nomme un écusson, c’est-à-dire une portion visible du second segment dorsal du thorax qui porte la première paire d’ailes chez les insectes. Les ailes sont toujours recouvertes d’un fourreau qui forme un demi—anneau complet laissant voir en arrière un peu du dernier segment thoracique. Le caractère le plus saillant de ces insectes, c’est que leur abdomen s’élargit graduellement d’avant en arrière de manière à simuler un trapèze.

Les espèces les plus remarquables de Chélidoures ont été découvertes par de Lafresnaye, amateur célèbre d’oiseaux, d’insectes, de coquilles. L’une d’elles est la Chelidoure dilatée (no 3 de notre gravure, sujet femelle), nommée encore aptère et des Pyrénées. La tête un peu triangulaire est forte, d’un fauve rougeâtre, portant des yeux noirs très-petits. Le corps et la pince sont d’un brun marron, avec les antennes de 13 articles et les pattes fauves. L’insecte atteint en longueur 12 à 14 millimètres, sans compter la pince à branches nécessairement très-écartées à la base d’après l’élargissement de l’abdomen et qui a 4 millimètres et plus. Cet insecte paraît exclusif aux Pyrénées. L’espèce ou race très-voisine et un peu plus petite par laquelle nous terminerons cette étude est la Chelidoure simple, aussi des Pyrénées, mais qu’on trouve en outre dans les Alpes, au mont Saint-Bernard en août et au mont Rose[1]. Toutes les Chélidoures sont des montagnes et n’ont encore été trouvées qu’en Europe.

Maurice Girard.


  1. Nous en avons dit bien assez pour ceux qui verront seulement dans les Perce-oreilles l’objet d’une curiosité scientifique ou qui, d’un esprit plus positif, cherchent les moyens de les détruire au grand profit de leurs fleurs et de leurs fruits. Si quelques personnes désirent avoir une connaissance approfondie de ces insectes, nous leur indiquerons, pour les espèces d’Europe, le remarquable ouvrage de M. Fischer, de Fribourg, Orthoptera europœa. Leipzig, 1853, et une étude monographique sur les espèces du monde entier, par M. H. Dohrn (Versuch einer Monographie der Dermopteren ; Entomolog. Zeitung. — Stettin, 1863, p. 35, 309 ; 1864, p. 285, 417 ; 1865, p. 68, et 1867, p. 811).