Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 265-268).

LES EXILÉS DE 1838


Cent douze patriotes subirent leur procès, devant la cour martiale, du mois de novembre au mois d’avril ; quatre-vingt-dix-huit furent condamnés à mort, douze furent exécutés, douze mis hors de cause ou acquittés, trente libérés sous caution, et cinquante-huit exilés.

Comme nous l’avons dit, les prisonniers condamnés à mort languirent des semaines et des mois, sous le coup de la terrible sentence, dans les angoisses de l’incertitude. Chaque fois qu’on ouvrait la porte de leurs cellules, ils se demandaient si c’était pour les avertir de se préparer à monter sur l’échafaud. On peut se faire une idée des inquiétudes mortelles de leurs familles, de la tristesse de leurs entrevues avec leurs femmes, leurs enfants et leurs amis.

Que de larmes ! Que d’adieux désespérés ! Que de pauvres mères, de malheureuses femmes, brisées par la douleur, tombaient évanouies aux pieds d’un fils bien-aimé, d’un époux chéri ! Pauvres femmes ! devaient-elles souffrir quand pour se rendre à la prison ou en sortir, il leur fallait passer sous l’échafaud où la veille, le matin même, Cardinal, de Lorimier ou Nicolas avaient subi le terrible supplice ! Les cordes souvent étaient encore pendantes !

Lorsque les prisonniers se voyaient, le lendemain de ces lugubres holocaustes, ils se saluaient en disant : « À quand notre tour ? » Un grand nombre préférant la mort à cette effrayante incertitude, on étaient venus à envier le sort de ceux dont la sentence avait été exécutée.

Cependant l’opinion publique s’agitait en Angleterre, des protestations éloquentes s’étaient fait entendre dans le parlement anglais contre ces exécutions dont la légalité était fortement contestée. Le gouvernement anglais jugea à propos d’arrêter le bras de Colborne, d’interrompre son œuvre de répression et de vengeance. Dans le mois de juin, les condamnés apprirent que leurs sentences seraient probablement commuées et que la mort ferait place à l’exil. Des mois passèrent cependant encore avant que ces nouvelles fussent confirmées ; un été, un long été, s’écoula.

Enfin, le 25 septembre 1839, à trois heures de l’après-midi, cinquante-huit de ces infortunés prisonniers reçurent avis qu’ils étaient condamnés à l’exil pour la vie et qu’ils eussent à se préparer à partir, le lendemain matin. On n’avait pas voulu leur laisser le temps de voir leurs familles, leurs amis.

Ce n’était pas la mort, mais plusieurs l’auraient préférée.

L’idée de partir pour toujours sans avoir le temps de voir au moins tout ce qui les attachait à la vie, à la patrie, les écrasait. On avait voulu prévenir par cette précipitation indécente et cruelle, toute cause d’agitation. Il n’y avait pourtant pas de danger, la population était paralysée par la terreur.

La plupart des exilés passèrent leur dernière soirée à écrire des lettres d’adieu à leurs familles. Bien des larmes tombèrent sur ces lettres ; et celui qui aurait collé l’oreille aux portes des cellules, pendant la nuit du 25 au 26 septembre, eût entendu bien des soupirs.

Voici les noms des cinquante-huit exilés : F.-M. Lepailleur, Jean-Louis Thibert, Jean-Marie Thibert, Joseph Guimond, Louis Guérin-Dussault, Léandre Ducharme, Charles Huot, Joseph Paré, D.-D. Leblanc, H.-D. Leblanc, Joseph Hébert, P.-H. Morin, A.-G. Morin, Pas. Pinsonneault, Théophile Robert, Jos, Dumouchel, G.-Ignace Chèvrefils, L. Dumouchelle, F.-X Touchette, Jean Laberge, Jacques Goyette, Toussaint Rochon, F.-X. Prieur, Frs-B. Bigonesse, P.-Maurice Lavoie, Joseph Marceau, A. Coupal-Larène, Théodore Béchard, Louis Turcot, Charles Roy, D. Bourbonnais, André-M. Papineau, David Gagnon, Frs-X. Prévost, J.-Bte Bousquet, F.-X. Guertin, Louis Bourdon, Chs-Guillaume Bouc, Ed.-Paschal Rochon, Hypolite Lanctôt, Ls Pinsonnault, Étienne Langlois, Frs Languedoc, Jos.-David Hébert, Louis Défaillette, René Pinsonnault, Moïse Longtin, Samuel Newcomb, J.-Bte Trudel, Chas-B. Langevin, Constant Bisson. Jérémie Rochon, Joseph Goyette, Bazile Roy, Jos. Longtin, Louis Julien, Michel Alarie, Benjamin Mott.

M. Prieur vient de publier, sous le titre de Notes d’un condamné politique, l’histoire des souffrances endurées par ces pauvres gens, pendant la traversée et les longues années de leur triste exil. Quel lugubre enchaînement d’humiliations, de privations, d’angoisses et de tortures physiques et morales ! On ne peut se faire une idée de ce que ces hommes bien nés, honnêtes et appartenant à des familles honorables, eurent à souffrir de l’insolence et des mépris de leurs geôliers, du contact des brigands et meurtriers auxquels ils étaient assimilés. Un homme de cœur ne peut lire sans attendrissement les pages qui contiennent le récit de leur long martyr, mais un Canadien-français constate avec orgueil qu’ils surent faire honneur à leur nationalité et finirent par forcer leurs maîtres à les respecter.

On pensait à eux dans la patrie ; leurs parents et leurs amis imploraient sans cesse leur pardon, et quand les hommes qui avaient combattu avec eux pour la liberté et les avaient même poussés à la révolte, furent au pouvoir, ils se souvinrent de ceux à qui le pays devait en grande partie les bienfaits du gouvernement responsable.

En 1844, sous le ministère Viger-Draper, l’œuvre du pardon commença, et, deux ans après, cinquante-cinq exilés étaient rentrés dans la patrie ; deux étaient morts en exil et un nommé Marceau, s’étant marié, avait jugé à propos de rester en Australie.