Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 229-237).

charles hindelang


Hindelang appartenait à une excellente famille d’origine suisse et protestante établie à Paris depuis longtemps et devenue française.

Il avait quitté la France pour venir faire fortune en Amérique. Il était ambitieux, intelligent, vif, avide d’émotions. Des Canadiens réfugiés à New-York, entr’autres M. Duvernay, lui racontèrent ce qui se passait au Canada, lui parlèrent de la lutte des patriotes pour conquérir leur indépendance. Haïssant l’Angleterre, aimant la liberté, enthousiaste, brûlant de sortir de l’oisiveté où il se trouvait, il sourit à l’idée de prendre part à ce mouvement d’émancipation et de se battre avec ces Français d’Amérique contre l’Angleterre.

Il partit, alla rejoindre Nelson à Rouse’s-Point, et, le 8, il était à Odelltown, commandant l’une des colonnes d’attaque et remplissant les fonctions de général. Il se battit en brave, toujours en avant, encourageant par son exemple les patriotes et criant à ceux qui hésitaient : « Courage, mes amis, les balles ne vous feront pas plus de mal qu’à moi. »

C’est lui qui, après la bataille, conduisit à Napierville la poignée d’hommes qui lui restait. Là on tint conseil et on décida que chacun devait chercher son salut dans la fuite.

Hindelang partit pour les États-Unis à travers les bois avec une quinzaine d’autres patriotes. Après avoir marché toute la nuit, la petite bande se trouva le matin presqu’au même endroit. Hindelang, accablé de fatigue, pouvant à peine marcher, se décida tout à coup à se livrer aux autorités, et se fit en effet arrêter par deux sentinelles. Conduit à la prison de Montréal, il subit son procès, seul, le 22 janvier, et fut condamné, le même jour, à être pendu. Mais il ne fut exécuté que trois semaines plus tard, le 15 février, en même temps que de Lorimier, Narbonne, Daunais et Nicolas.

Moins sérieux et moins chrétien que de Lorimier, cherchant à s’étourdir, il montra jusqu’au dernier moment la plus grande insouciance, et cacha sous une gaieté bruyante les émotions qu’il éprouvait, surtout lorsqu’il pensait à sa vieille mère.

La veille de l’exécution, les prisonniers obtinrent la permission de donner un banquet à leurs infortunés compatriotes. C’était le souper des Girondins. On mangea peu à ce souper, les cœurs étaient trop serrés, mais la scène fut émouvante. Au dessert, l’héroïque de Lorimier proposa le toast suivant :

« Ma patrie — puisse-t-elle ne jamais oublier que nous sommes morts pour elle sur l’échafaud ! Nous avons vécu en patriotes et nous mourrons en patriotes ! À bas les tyrans ! Leur règne achève. »

Hindelang ayant été appelé à répondre à ce toast, fit un discours pathétique.

« Mes frères, par l’infortune, dit-il, je suis presque un étranger pour vous, nos relations ne datent que de quelques semaines ; c’est au camp de Napierville et sur le champ de bataille d’Odelltown que je vous ai connus la plupart. Mais notre attachement n’en est pas moins profond, car nous sommes liés par le même amour de la liberté, et nous sommes les enfants de la même mère, la France ! Ô France chérie, tu as reçu mon premier soupir, ton fils qui va mourir demain sur une terre étrangère, t’aime toujours ! Oui, je ne puis penser à toi, ma noble patrie, sans verser une larme, mais une larme d’affection. Adieu ! terre des braves et des héros ! Je ne t’ai pas déshonorée. J’ai été fidèle à la devise d’un Français : « La mort plutôt que le déshonneur ! » J’ai pris les armes en faveur de l’opprimé contre l’oppresseur. J’ai été vaincu et je suis tombé entre les mains de cruels ennemis ; ils pourront m’enlever la vie, mais jamais ce qu’il y a dans mon âme. Je meurs dévoué comme toujours à la cause sacrée de la liberté, la conscience tranquille, convaincu d’avoir fait mon devoir en combattant pour la liberté canadienne. »

Puis, après une tirade enflammée contre l’Angleterre et un appel à la vengeance, il redevint plus calme, parla de sa mère avec tendresse et termina dans les termes suivants :

« Mon Dieu ! donnez à ma mère infortunée le courage dont elle aura besoin pour apprendre la nouvelle de la triste mort de son fils. Mes amis, vous lui écrirez, n’est-ce pas ? Vous lui dirai combien j’ai été résigné à mon sort ; vous lui dirai que je suis mort en Français. Mais il est temps de finir ; j’ai déjà trop parlé, vu les circonstances dans lesquelles nous sommes placés. Avant de terminer, laissez-moi vous dire que la liberté de votre pays ne peut être payée trop cher et que je lui sacrifie ma vie sans regret. »

Se tournant vers ceux qui devaient périr avec lui sur l’échafaud, il ajouta ;

« Ô mes amis ! braves compagnons d’infortune, demain sera un jour de chagrin non pas pour nous, mais pour nos amis. Prenons courage en songeant que nos noms seront gravés en lettres d’or sur l’autel de la liberté. Ô Canada ! puisse au moins notre mort te délivrer de l’esclavage ! C’est le vœu de celui qui demain va mourir pour toi. Un jour viendra où tes fils se souviendront, dans leurs jours de fête, que Charles Hindelang, un étranger, mourut martyr pour eux et victime de la vengeance anglaise. »

Lorsqu’Hindelang cessa de parler, tous ceux qui étaient présents pleuraient, sanglotaient. Des officiers anglais et des journalistes qui avaient voulu assister par curiosité à ce banquet mortuaire, ne purent contenir leur émotion.

Il fallut se séparer, la nuit approchait, et le lendemain, le terrible lendemain n’était pas loin.


Lettres écrites par Hindelang, la veille et le jour de son exécution.

« Prison de Montréal,
« 14 février 1839.
« Mon cher baron.


« Dans quelques heures, tout sera dit pour moi dans ce monde, nous venons de nous séparer. J’ai reçu ton dernier baiser de frère et d’ami et l’envie de bavarder me tient encore. Causons donc.

« C’est une chose vraiment plaisante que la manière d’agir de ceux qui se croient les maîtres du pays. L’on vient de me dire que les officiers de service à la prison, en nous trouvant à table ont fait grand cas de mon courage. Cela ne m’étonne pas, car c’est un champ de bataille sur lequel ces messieurs les Anglais aiment mieux tomber, que retraiter. Mais cependant il faut leur rendre justice ; les volontaires loyaux ont encore sur eux un grand avantage ; à la même valeur ils joignent un talent de première force en narration. Je te renverrai pour les preuves à la magnifique histoire de la bataille d’Odelltown par le lieutenant-colonel Taylor. Il faut un vrai toupet de volontaire pour oser mentir si agréablement ; ils ont la réputation de forfanteurs dans ce régiment-là, Mr. Taylor y mérite mieux que le grade de colonel. Il est plaisant de l’entendre raconter de quelle manière ses frères soldats se sont acquittés de leur devoir ; ce cher colonel a fait un beau rêve et les charges brillantes de ses hommes n’ont pas usé leurs souliers. Nous sommes partis de Napierville cinq à six cents, et comme il est probable qu’il est doué de la double vue, il en compte neuf à onze cents. Quelques hommes seulement sont bravement sortis de leur maison de pierre, et je certifie que le seul McAllister s’est exposé parmi toute cette armée d’officiers ; lui et cinq de ses gens ont appris à leurs dépens qu’il y avait aussi des hommes parmi les Canadiens. C’est vraiment honteux pour un homme d’oser se vanter à si peu de frais.

« En définitive, la masse des volontaires n’est qu’un composé de meurt-de-faim, qui crient « vive la reine, » parce qu’il faut qu’ils mangent.

« Montrez-vous, Canadiens, et ces êtres-là rentreront sous terre.

« Je serais curieux de voir aux trousses de tous ces gueux-là quelques centaines de ces hommes de cœur, comme nous en connaissons et comme il y en a tant en ce pays ; oh ! qu’ils veuillent donc une fois et tout ira bien.

« Je ne puis écrire, mes pensées se multiplient et ne peuvent s’accorder. Ce que je puis dire seulement, c’est que demain matin nous devons servir de spectacle à ces gredins-là et que j’ai bonne envie de leur rire au nez.

« Je meurs content et j’emporte la douce satisfaction d’avoir fait ce que j’ai pu. L’on me prend pour servir d’exemple, dit-on, je le souhaite ; que chaque étranger y apporte autant de bonne volonté que moi, et les pendeurs seront les pendus, chacun son tour ; c’est juste !

« Baron, si jamais il te tombe sous la main un de ces habits rouges, fais lui prendre le même chemin, afin qu’il m’apporte de tes nouvelles ; mais souviens-toi que je suis général et qu’il me faut quelque chose de bien, au moins un colonel, sans cela, je te le renvoie.

« À force de dire des bêtises, on se lasse ; il est minuit, et à neuf heures il faut partir, adieu ! Je sais qu’il te fallait une lettre sérieuse ; mais à l’impossible nul n’est tenu ; je ne puis ; la soirée a été trop orageuse

« Déchire tout cela et n’en parle plus. Je me réveille et recommence avec l’espoir de mieux faire.

« Chs Hindelang. »

« Prison de Montréal, 15 février 1839,
5 heures du matin.
« Cher baron,


« Avant que la vengeance et la cruauté aient tout à fait détruit les pensées d’un homme qui méprise ces deux sentiments et les laisse à ses bourreaux, je veux te communiquer encore ma manière de voir quoique tu la connaisses. Il est certaines gens qui savent se comprendre, il suffit pour cela d’un coup d’œil et d’un mot.

« La potence réclame sa proie ; — c’est une main anglaise qui l’a dressée.

« — Nation cruelle et sauvage, êtres arrogants et sans générosité, en rappelant dans ce malheureux pays, en surpassant même en atrocité les siècles de la Barbarie, que n’en avez vous aussi conservé les usages ? Il manque encore quelques chose à votre joie — la torture ! Ah si vous l’aviez ! N’êtes vous pas les maîtres ? Que craignez-vous donc ? Un forfait de plus ne doit rien coûter à des âmes comme les vôtres ? Je ris de votre potence, je rirai de vos efforts à tourmenter vos victimes ! Liberté, liberté, qu’il serait beau de souffrir encore pour toi, qu’il serait beau de faire comprendre aux Canadiens, tout ce que tes amants reçoivent de force et de courage en te servant !

« Réveille-toi donc, Canadien, n’entends-tu pas la voix de tes frères qui t’appellent ? Cette voix sort du tombeau, elle ne te demande pas vengeance, mais elle te crie d’être libre, il te suffit de vouloir. Arrière, Anglais, amère, cette terre que vous foulez, vous l’avez baignée d’un sang généreux, elle ne veut plus te porter, race maudite, ton règne est passé ! Puis quand ils se réveilleront mes bons Canadiens, tu seras avec eux, baron, tu les aideras, et moi je te bénirai, toi et tous ceux qui feront comme toi.

« Et toi, France, tes généreux enfants n’ont-ils pas encore compris qu’ils ont ici des frères ? Rappelle toute ta haine si bien méritée contre les anglais, s’ils le pouvaient eux, ils ne t’épargneraient pas !

« Adieu ! cher baron, adieu ! mon digne ami, pour toi je ne meurs pas tout entier, je vivrai dans ton cœur, comme dans celui de tant de généreux amis. Non, non, la mort n’a rien d’affreux, quand elle laisse derrière elle de longs et glorieux souvenirs. Mon corps aux bourreaux, mais mes pensées et mon cœur appartiennent à ma famille et à mes amis…

« Sois homme et n’oublie jamais un de tes bons et vrais camarades.

« Chs Hindelang. »


Hindelang était occupé à écrire une copie du discours qu’il voulait prononcer sur l’échafaud, quand on entra dans sa cellule, vers huit heures du matin, pour lui demander s’il était prêt.

— Oui, répondit-il, je suis prêt, accomplissez votre œuvre infâme.

Il était agité, nerveux. Il le fut encore davantage, quand le bourreau lui lia les mains. Lorsqu’il sortit de sa cellule, il aperçut le noble, le généreux de Lorimier qui lui cria :

— Courage, mon ami, ce sera bientôt fini.

Hindelang, reprenant son sang-froid, répondit.

— La mort n’est rien pour un Français.

Les prisonniers étaient accourus dire adieu à leurs malheureux amis. Quel spectacle déchirant ! On arracha les condamnés aux embrassements, aux étreintes désespérées de leurs compagnons, et on leur donna ordre de se diriger vers l’échafaud. De Lorimier marchait en tête, suivi d’Hindelang, Nicolas, Narbonne et Daunais.

Une foule considérable se pressait autour des murs de la prison pour assister au lugubre spectacle. Il y avait dans cette foule des hommes qui pleuraient ; d’autres — les scélérats ! riaient ; leur vengeance était assouvie.

Rendu sur l’échafaud, Hindelang adressa à la multitude les paroles suivantes ;

« Sur cet échafaud élevé par des mains anglaises je déclare que je meurs avec la conviction d’avoir rempli mon devoir. La sentence qui m’a condamné est injuste, mais je pardonne volontiers à ceux qui l’ont rendue. La cause pour laquelle je meurs est noble et grande ; j’en suis fier et ne crains pas de mourir. Le sang versé pour elle sera racheté par le sang. Puissent les coupables en porter la responsabilité ! Canadiens, en vous disant adieu, je vous lègue la devise de la France : « Vive la liberté. »

Ces dernières paroles, prononcées d’une voix forte, agitèrent profondément la foule.

Un instant après, tout était fini.

L’infortuné jeune homme avait, par son testament, donné son corps à son ami le Dr Vallée, à la condition que son cœur serait envoyé à sa mère, mais les autorités s’opposèrent à la réalisation de ce vœu, et les restes mortels d’Hindelang furent livrés à LeBlanc de Marconnay, qui les fit inhumer dans le cimetière protestant du faubourg Québec, de Montréal.

Le vœu qu’Hindelang formait avant de mourir a été exaucé. Son nom est inscrit sur nos monuments, dans les pages les plus glorieuses de notre histoire, il est gravé dans la mémoire du peuple. Toujours on se souviendra de ce généreux enfant de la vieille France, mort si jeune pour la liberté de notre pays, toujours le cri sublime qu’il nous a jeté du haut de l’échafaud retentira à nos oreilles et se répercutera de génération en génération.