Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 207-218).

JOSEPH DUQUET.


Duquet avait vingt ans en 1837, et il paraissait aussi jeune que son âge. C’était un aimable garçon, assez grand, mais d’apparence maladive.

Il avait l’esprit droit, l’imagination ardente et s’exprimait avec élégance et facilité. Il était doux, délicat, aimant et dévoué. Il chérissait ardemment sa famille, sa mère, ses sœurs, ses compatriotes, sa religion, sa patrie. Calme, paisible, sérieux, d’un tempérament nerveux-lympathique, l’air un peu triste et insouciant, on ne l’aurait pas cru capable, à le voir, de résolutions énergiques, d’actions audacieuses.

L’expérience apprend que sous les dehors de l’insouciance se cachent souvent les natures les plus ardentes, les caractères les plus héroïques. Ce ne sont pas toujours les plus gros et les plus beaux soldats, qui sont les plus braves, et ceux qui font le plus de bruit au camp sont souvent les plus froids sur le champ de bataille. On dirait même que les grands cœurs, les âmes héroïques aiment à habiter des corps frêles.

Joseph Duquet naquit à Châteauguay en 1817. Son père était commerçant et jouissait de l’estime publique. Il commença ses études au collège de Montréal et les termina au collège de Chambly. Il réussissait bien. M. Charland, de Saint-Jean, conserve précieusement quelques uns des prix qu’il remporta.

Il était à peine sorti du collège, que son père mourait, laissant sa famille dans l’indigence. Ce triste événement le mûrit avant le temps et lui fit accepter les charges et les devoirs de la vie, à un âge où l’on n’en voit généralement que les plaisirs et les illusions.

Mme  Duquet, connaissant le cœur de son fils, n’hésita pas à sacrifier le peu qui lui restait pour lui permettre d’étudier la profession de notaire qu’il avait adoptée.

Il eut d’abord pour patrons Cardinal et de Lorimier.

Tout le secret de sa destinée est là. On comprend l’effet que produisit sur cette nature généreuse et dévouée le patriotisme ardent de ces deux hommes.

Le sort voulut qu’il allât compléter sa cléricature chez son oncle Demaray, notaire de Saint-Jean et député, au moment même où les autorités faisaient arrêter ce dernier avec le Dr  Davignon. Cette arrestation acheva d’exaspérer Duquet. Il aurait voulu l’empêcher par la force ; il disait hautement qu’on aurait dû se préparer à recevoir la troupe à coups de fusil. Mais les patriotes, pris à l’improviste, n’avaient pas eu le temps de se préparer.

Duquet voyant la résistance inutile, part à course de cheval pour Montréal, afin de prévenir les amis de ce qui venait de se passer et de prendre les moyens d’arracher les prisonniers aux mains de la police. Arrivé à Laprairie, il ne peut traverser ; les communications sont rompues. Il se rend alors à Longueuil et a le plaisir d’apprendre en arrivant dans ce village que Bonaventure Viger et une vingtaine de braves avaient délivré les prisonniers sur le chemin de Chambly. Il se fit conduire à l’endroit où étaient les patriotes et arriva au moment où ils célébraient la victoire qu’ils venaient de remporter. Quand on connut le but de son voyage, on le félicita chaleureusement et on lui fit une véritable ovation.

Mais lorsqu’après les fumées de l’enthousiasme on se demanda ce qu’on devait faire, on arriva à la conclusion que pour échapper aux poursuites du gouvernement, il fallait fuir. Quelques uns se rendirent à Saint-Denis, mais Davignon et Demaray prirent le chemin des États-Unis et Duquet les suivit.

Le 6 décembre, Duquet était au premier rang dans le bataillon qui, sous la conduite de Malhiot et de Gagnon, traversa la frontière, le drapeau de l’indépendance à la main. Il se battit bravement à Moore’s Corner et retourna aux États-Unis après la défaite. Il demeura à Swanton jusqu’à la proclamation d’amnistie de lord Durham, et revint alors dans le pays.

Il revit avec bonheur sa mère et ses sœurs qui le reçurent avec des larmes de joie, et lui reprochèrent tendrement de les avoir rendues si inquiètes. Il promit d’être plus sage à l’avenir et la paix fut scellée par des baisers innombrables.

Quand il apprit que les patriotes réfugiés aux États-Unis, se préparaient à rentrer dans le pays, sous la conduite de Robert Nelson, ses rêves d’indépendance revinrent, et il se jeta, tête baissée, dans le mouvement. Intelligent, actif et dévoué, toujours prêt à marcher et à travailler, à s’exposer pour la cause commune, il était très populaire parmi les patriotes. Il fut un des plus actifs organisateurs de l’association secrète des Chasseurs, et fut nommé Aigle ou chef de division. Il fut sur le chemin nuit et jour, dans les mois de septembre et d’octobre, allant d’une paroisse à l’autre, donnant des instructions et des nouvelles, excitant les gens à se préparer au grand soulèvement du trois novembre. Cardinal qui lui avait inspiré ses sentiments et avait beaucoup contribué à le lancer dans l’insurrection l’aimait comme son enfant.

Le trois novembre, Cardinal et Duquet furent à leur poste ; ils s’emparèrent des principaux torys du village de Laprairie et, le 4, de bon matin, ils partirent, à la tête d’une centaine d’hommes, pour prendre possession des armes des sauvages à Caughnawaga. Mais, trahis par ceux qui devaient les aider, ils échouèrent dans leur entreprise, furent arrêtés et conduits à la prison de Montréal.

La vengeance des bureaucrates et des volontaires fut, comme nous l’avons dit, cruelle. Pendant qu’on jetait dans les cachots ces braves gens, victimes de leur patriotisme, on incendiait leurs demeures, on lançait sur les chemins publics leurs femmes, leurs mères et leurs enfants.

Mme  Duquet, au désespoir, confiait ses trois petites filles à des parents et amis, et se rendait à Montréal pour voir son fils, être près de lui, le consoler, le sauver si c’était possible. Les barbares qui avaient brûlé sa maison et tout ce qu’elle possédait, lui avaient dit que son fils serait pendu dans quelques jours. On peut se faire une idée de la tristesse de la première entrevue qui eut lieu entre cette mère et ce fils qui s’aimaient tant.

Mme  Duquet espéra jusqu’au dernier moment ; elle ne pouvait croire qu’on lui enlèverait son fils, son seul soutien, son espérance, son orgueil ; elle était convaincue qu’on aurait pitié d’elle, qu’on pardonnerait à un enfant de vingt ans de s’être laissé entraîner par des sentiments si nobles, si louables. Même quand il fut condamné, lorsqu’il n’avait plus que trois jours à vivre, elle refusa de croire à la terrible réalité ; faisant un effort sublime d’énergie, elle descendit à Québec, alla se jeter aux pieds de Colborne et lui demanda la grâce de son fils dans la lettre touchante qui suit ;


« À Son Excellence Sir John Colborne,

« Gouverneur-Général, etc.

« Qu’il plaise à Votre Excellence. La vieille mère d’un fils malheureux, que son âge tendre a entraîné au bord de l’abîme, se jette aux pieds de Votre Excellence, la douleur dans le cœur, les sanglots dans la voix, pour demander à Votre Excellence le pardon de son fils. Demain, l’ordre fatal en vertu duquel le fil de ses jours sera tranché, doit être exécuté. Faut-il qu’il meure au matin de la vie, lui, le seul soutien de sa vieille mère dans les derniers jours de son existence, lui, le seul protecteur de ses trois jeunes sœurs, lui, ce modèle parfait de piété filiale et d’amour fraternel, lui, si chéri de tous ses amis ! Faut-il que sa jeune tête tombe en sacrifice sur l’échafaud ensanglanté ? Faut-il que votre Requérante et les enfants qui lui restent (peut-être, hélas ! pour son malheur) soient réduits à mendier leur pain de chaque jour ? Si abondant que serait ce pain, il sera toujours mangé dans l’amertume de notre âme, car il ne viendrait plus d’un fils bien-aimé, d’un frère idolâtré ! Et tout cela, parceque l’infortuné jeune homme s’est un moment laissé égarer et s’est jeté dans la tempête qui a enveloppé tant d’hommes d’âge et d’expérience. Non, non ! Votre cœur qui connaît le sentiment de l’amour paternel, doit compatir à ma situation. Vous ne pouvez dédaigner la prière d’une mère malheureuse ; et si vous ne me rendez pas mon fils, vous commuerez au moins sa sentence et lui donnerez au moins le temps de se repentir. Vous vous souviendrez qu’il n’a pas répandu une seule goutte du sang de ses semblables. Vous n’oublierez pas ce qu’il a déjà souffert. Vous n’oublierez pas non plus ce que votre Requérante a souffert pour lui, lorsqu’elle fut chassée de sa demeure par le feu qu’y avait allumé la main de l’incendiaire. La clémence, qui est la vertu des rois, devrait être une de vos plus nobles jouissances. Pardonnez donc à mon fils, et tous ses compatriotes se joindront à moi pour bénir votre mémoire. Pardonnez à mon fils, et l’expérience apprendra au monde que la miséricorde et non la rigueur produit la loyauté.

« Et votre Requérante ne cessera d’implorer le ciel pour la conservation et la gloire de Votre Excellence et le bonheur de votre famille.

« L. Dandurand,
« Veuve Duquet.


« Montréal, 20 décembre 1838. »


Colborne fut insensible aux prières de la mère de Duquet comme il l’avait été à celles de l’épouse de Cardinal.

La pauvre mère revint, le cœur brisé, l’esprit presque troublé. Quand, à moitié étouffée par les sanglots, elle raconta à son fils ce qui s’était passé, il lui dit :

« Je savais bien, ma mère, que c’était peine perdue ; je ne me suis jamais fait illusion depuis que je suis ici ; après demain je serai dans un monde meilleur. Mon sacrifice est fait ; soumettons-nous, ma mère, à la volonté de la providence. »

Ce fut la dernière fois que Mme  Duquet vit son fils ; ses parents et ses amis l’empêchèrent de retourner le voir, afin d’épargner à l’infortuné jeune homme les angoisses d’une dernière entrevue, les tortures des derniers adieux.

Duquet se révolta d’abord contre la pensée de la mort ; il repoussa le spectre hideux de l’échafaud. Il n’avait que vingt ans ! Il avait à peine commencé à vivre ! À vingt ans, à l’âge où la vie semble un jardin de fleurs, où l’âme est imprégnée des parfums de l’amour, de la gloire, des sentiments les plus purs, on ne meurt pas sans regret. Lui si bon, si généreux, il ne pouvait croire qu’on le ferait mourir sur l’échafaud pour avoir trop aimé son pays !

Il comprit bientôt que ni son âge, ni ses convictions, ni l’amour de sa mère ne le sauveraient.

Sa pauvre mère ! ses chères petites sœurs ! Il ne pensait qu’à elles, ne s’occupait que d’elles. Leur douleur était ce qui le faisait le plus souffrir, la pensée de leur avenir, ce qui le tourmentait le plus. Elles qui avaient tant compté sur lui pour vivre, qui l’avaient tant aimé, il mourait au moment où il aurait pu leur être utile, rendre à sa mère bien-aimée ce qu’elle avait fait pour lui ! Il se reprochait quelquefois de leur causer tant de chagrin, d’avoir compromis le bonheur de toute leur vie, peut-être. La dernière fois qu’il vit sa mère, il lui dit :

« Je m’étais promis de faire une position heureuse à mes chères petites sœurs ainsi qu’à vous-même ; ma folle précipitation a déjoué mes projets, détruit vos espérances et les miennes. C’est mon seul regret, mon seul remords. Mais croyez, ma mère, et dites-le à mes sœurs, que ce n’est pas par mauvais cœur que j’ai agi. »

Prenant alors une image de Notre-Dame des Sept-Douleurs qu’il portait constamment sur lui depuis qu’il était en prison, il pria sa mère de la remettre à ses sœurs, et ajouta cette recommandation :

« Dites-leur, ma mère, de baiser la partie de cette image qui porte la marque de mes pleurs. »

Duquet était généralement sérieux et pensif ; son sourire était triste, et on put voir plus d’une fois qu’il avait dû pleurer pendant la nuit. Qui dira ce qu’il a souffert, lorsque, dans sa cellule, il restait seul avec ses pensées ? Le cœur bat si fort dans la poitrine de celui qui, en pleine santé, voit approcher la mort ! On aime tant ce qu’on est à la veille de quitter pour toujours !

Lorsqu’il ne pouvait pas dormir, il se levait et passait une partie des nuits à prier. Comme de Lorimier et Cardinal, il priait plus pour ceux qu’il quittait que pour lui-même. Il se confessa plusieurs fois et fit tout ce qu’il put pour mourir en brave et en chrétien.

Nous avons entendu un protestant intelligent et impartial dire :

« Pour vivre, je préfère être protestant, mais pour mourir j’aimerais mieux, il me semble, être catholique. »

Si c’est vrai dans les cas ordinaires, c’est encore beaucoup plus vrai dans des circonstances terribles comme celles où se trouvaient Cardinal et Duquet. La religion catholique seule peut alors, avec ses augustes sacrements, offrir à l’âme les consolations et la force dont elle a besoin.

Le 21 décembre arriva. Jour sinistre qui vit pour la première fois au Canada la tyrannie immoler sur l’échafaud les martyrs de la liberté !

Duquet avait peu dormi ; il était très-pâle, très-abattu et paraissait faible. Il parlait peu et faisait machinalement tout ce qu’on lui ordonnait.

Il avait l’air de l’agneau qu’on traîne à la boucherie.

Ses forces ne l’abandonnèrent pas, pourtant ; il marcha d’un pas ferme à l’échafaud, ayant à ses côtés son confesseur, M. l’abbé Labelle, curé de Châteauguay.

Sa jeunesse, son air maladif, sa figure empreinte de douleur, de résignation et de dignité, touchèrent profondément toutes les personnes présentes, même ses bourreaux.

Pauvre enfant ! l’échafaud lui fit peur ; il ne put s’empêcher de frémir quand il en gravit la première marche. Il l’aurait beaucoup plus redouté s’il avait prévu le supplice qui l’attendait. C’est vite fait généralement, comme disait l’héroïque de Lorimier ; mais pour l’infortuné Duquet ce fut long.

Lorsque la trappe tomba, la foule assista à un spectacle horrible. La corde, mal ajustée, s’étant dérangée, on vit le corps de l’infortuné jeune homme aller de droite à gauche et frapper violemment la charpente ferrée de l’échafaud.

Le pauvre enfant avait le visage meurtri et ensanglanté, mais il vivait encore.

Le bourreau, troublé, ne savait trop que faire. Quelques voix crièrent, dit-on : « Grâce ! grâce ! »

Inutile pitié ! Il fallait que l’œuvre odieuse fût achevée.

Le bourreau saisit la corde, ramena le supplicié sur l’échafaud et recommença l’exécution. Cette fois il réussit.

Qu’on imagine ce que dut souffrir l’infortunée victime !

Il est une femme qui n’a jamais pardonné à Colborne et aux bureaucrates la mort de Duquet, qui a pleuré tous les jours de sa vie, pendant trente ans, celui qu’elle aimait tant.

Cette femme, on le devine, c’est sa mère.

Elle ne pouvait voir ou entendre sans verser d’abondantes larmes, tout ce qui lui rappelait son fils.

Un jour, elle rencontra celui qui avait été la principale cause de sa mort ; il lui demanda pardon et voulut lui serrer la main.

« Oh ! lui dit-elle avec horreur, n’approchez pas de moi ; je vous pardonne, parce que je suis catholique, et que mon fils me l’a ordonné ; mais je ne puis oublier que vos mains sont encore teintes du sang de mon fils. »

Mme  Duquet est morte, il y a quelques années. Elle vécut avec ses filles chez Mme  Charland, mère de MM. Arthur et Alfred Charland, qu’elle a, en grande partie, élevés. Une autre de ses filles épousa M. Nolin, shérif du district d’Iberville, et père du R. P. Nolin, oblat, du collège d’Ottawa. La troisième, Sophie, est restée fille.

Si le souvenir de Duquet excite tant de sympathie dans le cœur de tous les Canadiens-français, on peut se faire une idée des sentiments vivaces et profonds que ce souvenir nourrit dans l’âme de ceux qui ont l’honneur d’être liés par le sang à ce jeune martyr de la liberté.

Pétition des sauvages de Caughnawaga.

Lorsque les sauvages du Saut Saint-Louis apprirent que Cardinal et Duquet avaient été condamnés à mort, ils regrettèrent leur excès de zèle, et adressèrent à sir John Colborne la pétition suivante :


« À Son Excellence Sir John Colborne, Gouverneur-Général, etc.


« La pétition des soussignés sauvages du Saut Saint-Louis, expose humblement :

« Que nous avons ressenti une profonde douleur en apprenant que notre Père avait résolu de mettre à mort deux des prisonniers que nous avons faits, Joseph-N. Cardinal et Joseph Duquet. Nous venons donc à notre Père pour le supplier d’épargner la vie de ces hommes infortunés. Ils ne nous ont fait aucun mal. Ils n’ont pas trempé leurs mains dans le sang de leurs frères. Pourquoi répandre le leur ? S’il doit y avoir des victimes, il y en a d’autres que ces malheureux, qui sont mille fois plus coupables qu’eux.

« La femme et les enfants de l’un, la vieille mère de l’autre, joignent leurs larmes à notre voix pour implorer votre miséricorde.

« Les services que nous avons rendus à Sa Majesté ; ceux qu’elle attend encore de nous et que nous n’hésiterons pas à lui rendre dans l’occasion, nous portent à croire que notre humble prière trouvera le chemin du cœur de Votre Excellence.

« Et nous ne cesserons de prier le Grand-Esprit, et de lui demander la gloire pour notre Père, sa conservation et le bonheur pour ses enfants.

« Saut Saint-Louis, 20 décembre 1838. »

Lettre de Lewis-Thomas Drummond, avocat, adressée à Son Excellence sir John Colborne, la veille de l’exécution de Cardinal et Duquet.


« À Son Excellence, le lieutenant-général, sir John Colborne. administrateur du gouvernement du Bas-Canada, etc., etc.

« Qu’il plaise à Votre Excellence,

« Ayant accompli ma lourde tâche, comme avocat des infortunés dont l’arrêt de mort a été prononcé, j’ai encore un devoir à remplir comme sujet anglais dont le seul désir est de voir la paix rétablie dans son malheureux mais bien-aimé pays d’adoption. Il ne sera pas dit qu’aucun autre que l’avocat payé n’a osé élever la voix pour réprouver les procédés pris avant l’exécution des malheureuses victimes. Non, car si, en ce moment, je m’adresse à Votre Excellence, en mon caractère particulier, comme homme et comme chrétien, c’est pour vous demander, c’est pour vous implorer, dans l’intérêt de la justice, pour l’honneur de la nation anglaise, de vous arrêter avant la consommation de l’acte qui doit mettre fin à l’existence de deux de vos semblables, dont la culpabilité, (comme il sera démontré avant longtemps), n’a pas été établie d’une manière légale. S’il n’existe qu’un doute sur la légalité du pouvoir du tribunal qui les a jugés, le doute seul devrait, je le suggère humblement, porter Votre Excellence à suspendre leur exécution jusqu’à ce que l’on ait eu l’occasion de faire de ce doute une certitude ou de l’anéantir. Mais les principes de l’équité mis par la nature dans le cœur de l’homme, et consignés au code de toutes les nations civilisées du monde, nous crient hautement qu’aucun homme ne peut être mis en jugement par une loi promulguée après la perpétration de l’offense dont il est accusé ; et quelle est la conclusion à tirer ici ? C’est que Cardinal et Duquet, qui étaient commis à la garde des autorités civiles, avant la proclamation de la loi en vertu de laquelle ils ont été condamnés à mort, seront, si la sentence est exécutée, élevés de la position de coupables présumés, à celle de martyrs d’une persécution odieuse. Je ne parle pas de la nature de la preuve faite contre eux. Je ne parle pas du fait qu’ils n’ont pas trempé leur main dans le sang ; que leur plus féroce ennemi n’a pu leur imputer un seul acte de violence. Je ne veux pas peindre la douleur de la femme mourante et des enfants abandonnés de l’un ni de la vieille mère de l’autre ; leurs larmes ont coulé en ma présence depuis trois jours ; je ne parle pas de leurs malheurs présents, ni de ceux qui les attendent. Je ne fais pas appel aux sentiments d’humanité qui jusqu’à présent ont distingué Votre Excellence. Je n’élève la voix que pour demander justice et pour que l’exécution de la sentence qui a été prononcée contre eux, soit suspendue jusqu’à ce qu’on puisse faire voir qu’ils ont été condamnés sans avoir subi de procès légal. Je parle librement, mais consciencieusement, et Votre Excellence recevra sans doute, avec indulgence, l’appel que m’inspirent des motifs qu’on ne peut désavouer.

« Très obéissant et humble serviteur,


« (Signé) Lewis T. Drummond.


« Montréal, 20 décembre 1838.  »