Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 171-183).

DEUXIÈME PARTIE


LES ÉVÉNEMENTS DE 1838


Après les désastres de Saint-Charles et de Saint-Denis, pendant que Colborne et ses gens — soldats, volontaires et bureaucrates — parcouraient le pays, incendiant les villages révoltés et arrêtant toutes les personnes suspectes, les patriotes trop compromis se hâtaient de franchir la frontière. À Plattsburg, Rouse’s Point et Swanton, ils se trouvèrent bientôt en bon nombre. Ils arrivaient là, la plupart après avoir couru toute espèce de dangers et avoir vu leurs propriétés détruites, leurs familles dispersées. Ruinés, inquiets et exaspérés, ils avaient l’esprit et le cœur ouverts à tous les projets de vengeance et d’émancipation.

Aussi, quand Papineau, Nelson, Davignon, Côte et Rodier leur parlèrent d’organisation et de soulèvement dans le but de rentrer dans la patrie, les armes à la main, et de conquérir l’indépendance, ils trouvèrent des hommes prêts à tout faire.

M. Papineau avait, le premier, jeté dans les esprits l’idée d’une pareille organisation, et formulé le projet d’une république canadienne dont il serait naturellement le président.

On comptait pour réussir sur les sympathies et l’aide des Américains.

Après quelques difficultés entre les chefs, Robert Nelson se mit à la tête du mouvement, et commença les préparatifs avec ardeur. Les patriotes accoururent de tous côtés se mettre sous ses ordres, chacun voulant contribuer à la grande œuvre de l’indépendance et rentrer dans ses foyers le plus tôt possible. On fondait des balles, on sacrifiait le peu d’argent qu’on avait à acheter des armes, et le soir, dans des endroits cachés, on faisait l’exercice.

On avait tant hâte d’exécuter ce grand projet, que, vers la fin de février, Nelson franchissait la frontière, à la tête de quelques centaines de patriotes canadiens, et lançait, comme président du gouvernement provisoire de la future république canadienne, une proclamation déclarant que tout lien politique entre le Bas-Canada et l’Angleterre était brisé.

Mais des mesures avaient été prises par les autorités américaines et canadiennes pour faire avorter l’entreprise. Ils avaient à peine mis le pied sur le sol canadien, qu’ils étaient attaqués par les loyaux et guettés par les troupes américaines qui les désarmaient. Ainsi pris entre deux feux, ils comprirent qu’ils ne pouvaient réussir et retraitèrent aux États-Unis, bien décidés à revenir mieux organisés.

Sachant que leur expédition avait avorté faute de discrétion et de préparatifs nécessaires, ils eurent l’idée d’unir tous ceux qui voudraient contribuer à l’indépendance du pays par les liens d’une vaste société secrète. Ils fondèrent l’association des Chasseurs qui, aux États-Unis et au Canada, fit de nombreux adhérents.

En 1838 comme en 1837, ce furent les comtés de Verchères, de Chambly, de Laprairie, de L’Acadie, de Terrebonne et des Deux-Montagnes qui montrèrent le plus de zèle et d’enthousiasme pour l’insurrection.

Le 3 novembre fut fixé pour le soulèvement général ; les plans furent préparés, les rôles assignés. Pendant que Nelson, Côte et Julien Gagnon se dirigeraient sur Napierville, à la tête des Canadiens réfugiés et des volontaires américains, des attaques simultanées devaient avoir lieu contre Sorel, Chambly, Laprairie et Beauharnois. Les patriotes de Saint-Martin, de Sainte-Rose et de Terrebonne devaient s’emparer du pont Lachapelle, à l’Abord-à-Plouffe ; ceux des Deux-Montagnes et de Vaudreuil étaient chargés d’interrompre les communications par l’Ottawa et d’arrêter les bateaux qui descendaient la rivière.

Nelson et Côte se rendirent à Napierville, mais le reste du plan manqua faute d’armes, d’expérience et de direction.

Racontons les principaux incidents de cette triste journée du 3 novembre.

Les patriotes du comté de Beauharnois furent les premiers sur pied pour remplir le rôle qui leur avait été assigné. Ils étaient commandés par des hommes convaincus et intelligents, tels que le Dr  Brien et Chevalier de Lorimier, de Montréal ; Toussaint Rochon, de Saint-Clément ; Louis Dumouchel, de Sainte-Martine, et M. François-Xavier Prieur.

Ils étaient une couple de cents, et divisés en deux bandes.

Ils allèrent d’abord au manoir seigneurial de M. Ellice pour s’emparer des armes et des munitions qu’ils croyaient y trouver. Mais M. Ellice et M. Brown, l’agent de la seigneurie, ayant été prévenus, l’alarme avait été donnée parmi les bureaucrates et les volontaires, qui accoururent au manoir pour le défendre. Il fallut faire le siège de la place ; des coups de fusils furent échangés ; il y eut y des bras et des jambes écorchés par les balles ; mais personne heureusement ne fut tué ni même sérieusement blessé. M. Ellice et ses amis, voyant que la résistance était inutile, mirent bas les armes et consentirent à se constituer prisonniers à la condition qu’aucun mal ne serait fait aux dames. Le Dr  Brien dit que non seulement les dames n’avaient pas à craindre d’être maltraitées, mais que les personnes et les propriétés en général seraient respectées. Brown ayant alors demandé quel était le but de ce soulèvement, plusieurs voix lui répondirent : « Il y a assez longtemps que nous souffrons. Nous voulons avoir nos droits. » Les patriotes entrèrent dans le manoir, prirent possession des armes qu’ils purent trouver, allèrent chez plusieurs autres bureaucrates de Beauharnois, les firent prisonniers et les dirigèrent sur Châteauguay.

Pendant ce temps-là, une autre bande de patriotes, commandée par M. Prieur, allait prendre possession du vapeur Henry Brougham, amarré au quai de Beauharnois, et à la veille de sauter les rapides. Ils brisèrent la machine à vapeur de manière à l’empêcher de fonctionner, firent prisonniers le capitaine, le mécanicien et les passagers, qu’ils traitèrent bien, les dames surtout, et les placèrent au nombre de trente dans le presbytère de Beauharnois, obligeant le curé, M. Quintal, de les garder.

Tous ces prisonniers furent relâchés, quelques jours plus tard, après les malheureuses batailles de Lacolle et d’Odelltown.

Pendant que les patriotes s’agitaient à Beauharnois, ceux de Châteauguay en faisaient autant chez eux.

Châteauguay fut, en 1838, l’un des foyers les plus ardents de la rébellion. Il y avait là, comme à Beauharnois, des hommes à l’âme ardente, à l’esprit hardi, qui communiquaient à la population leurs sentiments et leurs idées en faveur de l’indépendance du pays. Ils s’étaient jetés avec enthousiasme dans le mouvement, sans arrière-pensée d’ambition ou d’intérêt personnel, sans autre but que de conquérir leur liberté politique. C’étaient de nobles cœurs, de véritables patriotes, aimant leur pays et leur nationalité. Ils ont payé cher, pour la plupart, leur imprudente mais glorieuse tentative. Nommons en particulier : Cardinal et Duquette, ces deux touchantes victimes du patriotisme, dont les noms éveillent les souvenirs les plus attendrissants. Ils avaient pour les seconder Jean-Louis Thibert, Joseph L’Écuyer, Léon ou Léandre Ducharme, François-Maurice Lepailleur, encore vivant, et plusieurs autres, tous de Châteauguay, excepté Ducharme, qui était de Montréal. Les patriotes de Châteauguay avaient pour tâche, après avoir fait prisonniers les bureaucrates de cette paroisse et les avoir désarmés, d’aller s’emparer des armes des sauvages à Caughnawaga. Il n’eurent pas de peine à exécuter la première partie de ce programme. Ils allèrent d’abord chez M. MacDonald, le principal marchand de l’endroit, qu’ils forcèrent de leur livrer toutes les armes et la poudre qu’il avait, et l’emmenèrent prisonnier avec plusieurs autres qu’ils arrêtèrent, chemin faisant, à leur camp, près du pont de la rivière Châteauguay. Plus tard, ils les renfermèrent avec M. Ellice, M. Brown et quelques-uns des bureaucrates arrêtés à Beauharnois, dans la maison de M. Mallette, au même endroit. Ils les traitèrent bien et les relâchèrent, le lendemain de la bataille d’Odelltown.

Après avoir accompli la première partie de leur tâche, une quarantaine de patriotes, armés, la plupart, de bâtons et de piques, partirent pour Caughnawaga, autrement dit Saut Saint-Louis. Arrivés près du village, au lever du soleil, ils s’arrêtèrent dans un bois, et cinq d’entre eux, les chefs, Cardinal, Duquette, Lepailleur et deux autres, allèrent en avant pour sonder le terrain et les dispositions des sauvages.

Pendant qu’ils essayaient de décider quelques uns des sauvages à leur prêter leurs armes, une femme étant allée près du bois, aperçut les patriotes et revint tout effarée, raconter aux chefs sauvages ce qu’elle avait vu. L’alarme fut donnée, les sauvages prirent leurs fusils, et les chefs décidèrent qu’après avoir employé la ruse pour attirer les patriotes dans le village, on les arrêterait.

Les Canadiens-français furent traités en cette circonstance par les sauvages, comme ils le sont souvent par ceux qui se disent leurs alliés et leurs obligés.

Cinq ou six sauvages envoyés en avant, sans armes, firent croire aux patriotes qu’ils pourraient, peut-être, s’entendre avec les chefs et les décidèrent à s’avancer. Lorsque les chefs, qui les attendaient à la tête d’une quarantaine d’hommes bien armés, les virent dans l’impossibilité de se défendre et de s’enfuir, ils donnèrent l’ordre de se jeter sur eux et de s’en emparer. Les patriotes n’ayant point d’armes, la chose fut facile ; ils se laissèrent arrêter et conduire à Lachine, et de là à la prison de Montréal, d’où ils ne sortirent, la plupart, que pour monter sur l’échafaud.

Les patriotes du comté de Laprairie ne furent pas plus heureux que ceux de Châteauguay et de Beauharnois. Ils avaient reçu ordre de se rendre des différentes paroisses du comté à Saint-Constant, pour de là aller prendre possession de Laprairie, de ses casernes et du bateau à vapeur qui faisait la traversée entre cet endroit et Montréal. On leur avait dit qu’un corps de troupes considérable venu des États-Unis, les attendait à La Tortue, pour leur prêter main forte. Ils étaient commandés par Joseph Robert, de Saint-Édouard ; Ambroise Sanguinet et Charles Sanguinet, de Saint-Philippe ; Pascal Pinsonneau, de Saint-Édouard ; Joseph Longtin, de Saint-Constant, et quelques autres. Leur expédition fut marquée par un événement regrettable. Après avoir fait prisonniers, chemin faisant, tous les bureaucrates qu’il rencontrèrent, ils arrivèrent à La Tortue, chez M. David Vitty, où la plupart des bureaucrates de Saint-Philippe et de Saint-Constant étaient venus se réfugier avec l’intention imprudente de se battre au besoin. Aussi, lorsque les patriotes sommèrent M. Vitty de leur ouvrir la porte, au lieu de se rendre à cette injonction, il refusa obstinément et poussa même l’imprudence jusqu’à faire feu, espérant sans doute les effrayer. Mais ce coup de fusil eut un résultat bien différent ; les patriotes irrités entourèrent la maison, et tous ceux qui avaient des fusils tirèrent. M. Walker fut tué, M. Vitty blessé, la maison fut envahie et tous ceux qu’elle contenait fait prisonniers. Des témoins ont prétendu que les patriotes avaient tiré les premiers ; mais il paraît que le premier coup de fusil partit de la maison de M. Vitty. North et Hood, qui étaient dans la maison, admirent ce fait devant la cour martiale.

Naturellement, cet incident déplorable fit sensation et souleva des flots de colère parmi la population anglaise, qui demanda vengeance à grands cris. Nous dirons ici, une fois pour toutes, que la mort du pauvre jeune Weir, à Saint-Denis ; celle de Chartrand, à Saint-Jean, et de Walker, à La Tortue, sont des actes regrettables ; mais ce sont des faits isolés. En général, les patriotes ont montré une modération et une douceur qu’on trouve rarement chez des insurgés. Quand une population persécutée se lève pour revendiquer ses droits, elle montre rarement autant d’égards pour ceux qu’elle considère comme ses oppresseurs.

Même mouvement dans les comtés de Verchères, de Chambly, de Lacadie et de Rouville, et mêmes résultats. Se rendre à Saint-Ours et à la Pointe-Olivier pour y prendre des armes et aller s’emparer de Saint-Jean et de Chambly, était le programme des patriotes dans ces trois comtés,

Ils partirent, la nuit, par bandes de dix, vingt ou trente, portant la plupart au bout d’un bâton un petit paquet contenant une chemise et un morceau de pain et de lard, racolant des compagnons d’armes sur leur passage, et forçant les gens de se lever, de décrocher le vieux fusil de chasse suspendu au soliveau, et de les suivre. On dormit peu cette nuit-là ; bien des larmes coulèrent, et les femmes de l’époque qui survivent se rappellent encore vivement les angoisses qu’elles éprouvèrent en voyant leurs maris partir pour se battre.

Mais, ne trouvant pas, dans les limites désignées, les armes promises, et ne recevant aucunes nouvelles, la plupart revinrent chez eux ; les plus déterminés seulement se rendirent jusqu’à Napierville.

Les paroisses situées au nord du Saint-Laurent furent généralement paisibles en 1838. Terrebonne fut le seul endroit où il y eut un peu d’agitation ; on y administra le serment secret, on fabriqua des balles, et on se prépara à prendre possession du village et du pont.

Les chefs du mouvements en cet endroit étaient Charles-Guillaume Bouc, Léon Leclaire, Paul Gravelle, Antoine Roussin, François Saint-Louis, Édouard-Pascal Rochon, Joseph-Léandre Prévost, notaire, et Éloi Marié. Ils avaient dans les personnes de MM. Joseph Masson, John McKenzie, Alfred Turgeon et Jean-Baptiste Prévost, des adversaires influents et habiles qui déjouèrent leurs efforts et paralysèrent leurs mouvements dès le commencement, en les faisant arrêter.

Le 4 novembre, vers onze heures du soir, le fameux chef de police Comeau, accompagné de Loiselle, arrivait à Terrebonne. Les patriotes ayant été prévenus à temps, Comeau ne put mettre la main que sur Marié, qu’il emmena prisonnier à Montréal. Le 6, il retourna à Terrebonne pour arrêter les autres, et, comme il avait appris qu’il éprouverait de la résistance, il se fit accompagner de deux magistrats et d’une douzaine d’hommes de police.

Bouc et ses amis avaient, en effet, résolu de ne pas se laisser arrêter sans mandat.

Lorsque Comeau et sa bande arrivèrent à la maison de Bouc, ils y trouvèrent une dizaine d’hommes qui les reçurent à coups de fusil. Loiselle, qui était en avant, reçut deux blessures, et le reste de la troupe se hâta de s’éloigner et de se réfugier chez M. Masson.

Comeau et ses gens, furieux de leur échec, ne voulurent pas partir comme cela pour Montréal ; ils retournèrent chez Bouc, trouvèrent la maison vide, la criblèrent de balles et y mirent le feu. Heureusement que Pangman les força d’éteindre les flammes avant qu’elles eussent causé beaucoup de dommage. Ces événements eurent naturellement pour effet d’exaspérer les patriotes de Terrebonne ; l’agitation fit de grands progrès, surtout parmi les habitants du haut de la Côte.

Le 7, pendant qu’un certain nombre de bureaucrates essayaient vainement de désarmer les habitants de la Côte, une cinquantaine de patriotes se rendaient au village, s’emparaient du pont, et plaçaient partout des sentinelles. M. Masson et ses amis, MM. Turgeon, McKenzie, Pangman et Fraser, effrayés de la tournure que prenaient les choses, résolurent d’avoir recours à la douceur. M. Masson, qui était bien vu parmi les insurgés, fut chargé de leur tendre la branche d’olivier. Une convention intervint par laquelle les patriotes consentirent à mettre bas les armes, si M. Masson et ses amis s’engageaient, de leur côté, à ne pas témoigner contre eux. Cette convention fut écrite dans les termes suivants :

« 7 novembre 1838, 5½ heures p.m.

« Il est convenu entre MM. Joseph Masson, John McKenzie et Jean-Baptiste Prévost d’une part, et MM. le capitaine Bastien, Joseph Roussin, Charles Bouc et Jean-Baptiste Dagenais, d’autre part, que les premiers s’abstiendront de toute attestation contre ces derniers et leur parti, pour tout ce qui a été fait ou commis par eux contre le gouvernement jusqu’à cette heure ; et que les derniers mettront bas les armes et se retireront dans leurs maisons, en par les dites parties se rendant réciproquement les prisonniers par elles faits et ont signé à l’instant à Terrebonne.


« J.-L. Prévost,
« Ch.-G. Bouc,
« Michel Balent,
« Toussaint Bastien,
Joseph xxxsa
« Joseph    x    Roussin,
Joseph xmarque
Léon xxxsa
« Léon    x    Leclaire,
Léon xmarque
Pierre xxxxsa
« Pierre    x    Urbain,
Pierre xxmarque
Pierre xxxxsa
« Pierre    x    Labelle,
Pierre xxmarque


Ant. Dumas, fils
G.-M. Prévost.
témoins. »


Cette convention eut pour effet de rétablir la paix et l’ordre dans le comté de Terrebonne, mais n’empêcha pas que deux mois après, Bouc, Rochon, Leclaire, Gravelle, Roussin et Saint-Louis étaient arrêtés, subissaient leur procès et étaient condamnés à être pendus.

Après Terrebonne, Sainte-Anne fut la paroisse du Nord où il y eut le plus d’agitation en 1838. Parmi les patriotes de cet endroit, signalons entr’autres M. Guillaume Prévost, père d’une famille bien connue et remarquable comme lui par la vigueur de l’esprit et du caractère. En 1838 comme en 1837, sa maison fut un centre de réunion pour les patriotes, un magasin d’approvisionnement et même une véritable manufacture de balles. Deux de ses fils n’étaient encore que des enfants — l’aîné n’ayant que dix-sept ans — mais c’étaient déjà des hommes par l’énergie et la détermination. Ceux qui connaissent M. Ménésippe Prévost, de Terrebonne, et son frère Melchior, de Saint-Jérôme, savent qu’ils n’ont pas dû être enfants bien longtemps ; et on peut en dire autant de leurs frères. Rien ne pouvait modérer leur ardeur, tempérer leur enthousiasme ; porter des messages à Terrebonne et à Saint-Vincent-de-Paul, fondre des balles du matin au soir, marcher le jour et la nuit, rien ne leur coûtait.

Lorsque Comeau et ses satellites passèrent à Sainte-Anne pour arrêter Granger, Latour et plusieurs autres, M. Prévost et ses deux garçons échappèrent, grâce à la discrétion des gens de l’endroit, qui refusèrent de parler.

M. G. Prévost était l’oncle de Joseph-Léandre Prévost, notaire, de Terrebonne, et l’un des chefs patriotes les plus ardents de toutes les paroisses du Nord.

À Sainte-Bose, il y eut aussi des réunions secrètes chez un aubergiste du nom d’Augustin Tassé. On se prépara à marcher le 3 novembre, et quelques uns se rendirent au camp de Terrebonne. L’agitation dans cette paroisse était encouragée par le curé, M. Turcotte, qui, se croyant en danger, s’était enfui, l’année précédente, aux États-Unis où il avait vu Nelson, Côte et les autres chefs patriotes, et était revenu à Sainte-Rose, très excité, prédisant à qui voulait l’entendre qu’un massacre effrayant aurait lieu le 3 novembre.

En 1838 comme en 1837, ce curé joua un rôle double ; pendant qu’il parlait de manière à exciter les patriotes, il racontait aux bureaucrates tout ce qui se passait. La veille du 3 novembre, il partit de nouveau pour les États-Unis.

Voilà, à peu près, tout ce qui eut lieu en 1838 dans les paroisses situées au nord du fleuve.

Que faisait-on à Montréal, pendant ce temps-là ?

C’est là que se trouvait le comité central de l’organisation secrète des Chasseurs. Le comité avait ses réunions dans le bureau de John McDonell, avocat, rue Saint-Vincent, et avait pour but de fournir de l’argent aux chefs de l’insurrection. Malhiot, le principal organisateur des paroisses du sud du Saint-Laurent, et qui occupait le grade de Grand-Aigle, dans la société des Chasseurs, venait souvent visiter le comité et s’en retournait avec l’argent souscrit. Les principaux membres de ce comité étaient : McDonell, François Mercure, Lemaître, Célestin Beausoleil, Féréol Thérien, Guillaume Levesque et David Rochon, deux jeunes gens employés au bureau du shérif.

MM. Georges de Boucherville, Richard Hubert, Féréol Peltier, et plusieurs autres citoyens importants de Montréal, favorisaient le mouvement, et aidaient le comité sans avoir prêté le serment nécessaire pour faire partie de l’association.

Le secret des délibérations du comité fut si bien gardé, et toutes les précautions si bien prises, que les autorités, malgré tous leurs efforts et leur vigilance, ne purent mettre la main, à Montréal, sur ceux qui s’étaient le plus compromis. Elles se vengèrent en arrêtant au hasard et sur simple soupçon un grand nombre de personnes distinguées, dont la plupart ne connaissaient rien de l’affaire.

Dès le 4 novembre, le dimanche, aussitôt qu’on eût appris ce qui s’était passé à Beauharnois et à Laprairie, on arrêta M. Lafontaine à son bureau où il était tranquillement occupé à travailler avec son associé, M. Berthelot, et on le conduisait au corps de garde. M. Girouard, de Saint-Benoît, et Pierre Badeaux, de Montréal, étant allés, dans l’après-midi, à la maison de M. Lafontaine, pour s’enquérir des circonstances de son arrestation, furent eux-mêmes arrêtés et conduits au poste. Vers cinq heures, ils se trouvèrent une trentaine au corps de garde, entr’autres MM. D.-B. Viger, Fabre, J. Donegani, H. Desrivières, le Dr  Lusignan, D. Chopin et Pierre de Boucherville. De là on les conduisit à la prison actuelle, au Pied-du-Courant. Le 6 et les jours suivants, on procéda à d’autres arrestations, et M. Berthelot (aujourd’hui juge), qui se croyait sauvé et n’avait rien à se reprocher, fut obligé d’aller rejoindre son associé, M. Lafontaine. Comme on ne pouvait rien prouver contre ces citoyens, on les relâcha au bout de quelques jours, à l’exception de M. Viger, qui ne voulut pas sortir avant d’avoir été confronté avec ses accusateurs. On ne lui accorda pas, bien entendu, ce qu’il demandait, et il lui fallut bien quitter la prison.