Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 53-64).

SAINT-BENOÎT ET M. GIROUARD


Lorsqu’il ne resta presque plus rien à brûler à Saint-Eustache, les soldats et les volontaires prirent la route de Saint-Benoît, magnifique village situé à quelques milles plus au nord. On croyait que c’était là que se trouvait le principal camp retranché des patriotes et que la résistance y serait plus sérieuse. Mais après la défaite de Saint-Eustache, la lutte n’était plus possible. Laissons M. Girouard raconter les tristes choses qui se passèrent à Saint-Benoît. Personne n’osera jamais mettre en doute la vérité de ses assertions et la sincérité de ses opinions. Il était en prison, lorsqu’il écrivit à son digne ami, M. Morin, la lettre qui suit :


« nouvelle prison

« Montréal, 28 avril 1838.

« Il avait été décrété par les autorités que les forces considérables qui composaient l’expédition préparée contre les Canadiens du comté des Deux-Montagnes, n’étaient pas destinées seulement à s’emparer des chefs de la prétendue révolte ou rébellion, mais bien à détruire de fond en comble, s’il était possible, le patriotisme dans le comté, en portant le fer, le feu et le pillage chez tous nos braves bonnets-bleus. Aussi, se garda-t-on bien de faire aucune sommation préalable ; c’eût été donner aux chefs patriotes l’occasion de prévenir d’aussi grandes calamités.

« Que faisaient alors les bons patriotes de Saint-Benoît, qui, comme je vous l’ai dit, n’avaient pas quitté leurs postes, menacés qu’ils étaient à tout moment d’une attaque du côté de Saint-Andrew ? À l’exception d’un seul, personne de Saint-Benoît que je sache n’était allé à Saint-Eustache et ne se trouva au feu. Il en fut de même à Saint-Hermas et dans plusieurs des concessions de Sainte-Scholastique. Ils se tenaient donc tous sur leurs gardes et se préparaient à combattre vaillamment ceux qui viendraient les attaquer, lorsque leur parvint la nouvelle des désastres de Saint-Eustache, et en même temps de la marche des troupes et de tous les habitants de Saint-Andrew, Chatham, Grenville et surtout du Gore, au nombre de plus de deux mille hommes, se dirigeant simultanément sur Saint-Benoît par Saint-Andrew, tandis que les victorieux de Saint-Eustache allaient nous tomber sur les bras de l’autre côté.

« Il n’y avait pas de temps à perdre. J’étais à visiter nos postes, quand on vint nous dire que tout était perdu à Saint-Eustache, et que Girod était rendu chez moi. Je pris le parti qui me parut le plus sage en engageant les habitants à se retirer chez eux, et à demeurer tranquilles après avoir fait disparaître leurs armes et leurs munitions. Et en effet, à quoi aurait servi une défense aussi inutile qu’elle eût été sanguinaire et désastreuse dans ses suites ? Protégés par nos ouvrages de défense, et quelque bien préparés et résolus que nous fassions, nous aurions sans doute fait périr un très grand nombre d’ennemis, mais à la fin, il eût fallu succomber et céder au grand nombre et à des forces supérieures, pressés que nous eussions été entre deux feux par l’armée de Saint-Eustache et celle venant de Saint-Andrew. Remarquez ensuite que, par suite de la prise de Saint-Eustache, Saint-Benoît se trouvait nécessairement réduit à ses seules forces pour soutenir une double attaque, sans pouvoir espérer aucun secours des étrangers. Je vis, en ce moment, de nos braves, les larmes aux yeux et la rage dans le cœur, protester qu’ils voulaient combattre en désespérés, parce que, disaient-ils, l’ennemi n’en ferait pas moins parmi nous les ravages commis à Saint-Eustache. J’eus beaucoup de peine à leur persuader que ce serait un parti plus téméraire que sage d’entreprendre de défendre nos postes ; que la raison et l’humanité devaient nous engager à essayer d’éviter une ruine totale et l’effusion de sang ; qu’enfin, je ne voyais pas comment Sir John Colborne pourrait ordonner ou permettre de mettre le feu et de piller, ni même souffrir que l’on fît le moindre mal à une population qui ne lui offrirait aucune résistance. Combien je me trompais !

« La première personne que je vis en arrivant au village de Saint-Benoît fut Girod. Je lui adressai quelques reproches sanglants, et je lui conseillai d’éviter, non l’ennemi qu’il avait lâchement fui en sacrifiant nos braves, mais l’effet d’un juste ressentiment de la part de ceux qu’il avait ainsi exposés. Il fondit devant moi, et je ne le revis plus.

« Vous savez quelle a été sa fin malheureuse ; atteint par ceux qui le poursuivaient pour le faire prisonnier, il se fit sauter la cervelle d’un coup de pistolet pour éviter les suites d’une double vengeance.

« Tout était en confusion lorsque j’arrivai. Je trouvai ma maison remplie des principaux citoyens qui m’engagèrent à chercher sans délai mon salut dans la fuite. Je voulus que madame Girouard restât chez elle, lui faisant entendre qu’assurément l’invasion étant conduite par des officiers de haut rang qui avaient une réputation et un honneur à conserver, il ne lui serait point fait de mal, et que l’on respecterait chez moi les papiers publics dont j’étais le dépositaire. Elle n’y voulut point consentir, et force me fut de vider ma maison. Il fallut, en un instant, tout empaqueter. Je choisis comme lieu le plus sûr la vieille maison inhabitée de Richer, voisine de ma terre, à environ neuf arpents derrière le village. Là furent transportés mes minutes, mes livres et tous mes autres papiers, sans oublier mes nombreux papiers, notes et documents historiques, et surtout, l’histoire du Canada, par feu le Dr  Labrie, le tout bien renfermé dans des coffres et des valises. Après avoir donné quelques ordres et fait les recommandations que je crus nécessaires dans une circonstance aussi pénible, je joignis mes amis, nous nous embrassâmes, et chacun prit son parti comme il put. Cependant, je fus sur le point de prendre la résolution de rester chez moi, dans l’espoir que je pourrais peut-être prévenir de grands malheurs en me jetant entre le vainqueur et mes braves bonnets-bleus, mais il se faisait déjà tard ; les moments étaient précieux, et il fallut céder aux pressantes sollicitations de ceux qui m’entouraient et qui craignaient, avec raison, que si je tombais entre les mains de l’ennemi, je ne fusse mis en pièces au premier moment. Je pris donc ma route par les Éboulis.

« Je n’ai voulu jusqu’à présent vous parler de moi, mon sensible ami, qu’en autant que cela a été indispensable pour vous mettre au fait des événements. Je passerai donc sous silence les aventures de mon voyage, mes pertes et mes souffrances individuelles. De grandes calamités doivent faire taire les plaintes particulières. C’est sur les malheurs de la patrie que nous devons verser des pleurs. Sans doute, un ami et un bon ami comme vous, y trouverait de l’intérêt, mais je ne veux point interrompre ma narration, non que mes barbouillages soient faits avec ordre et sur un plan convenable, comme vous vous en apercevrez bien en les lisant ; ce que je veux dire, c’est que j’ai voulu entrer le moins possible dans les petits détails qui ne se rattachent pas directement aux grands événements, quoiqu’ils en dépendent. Je crains beaucoup que vous ne me trouviez déjà trop long. Je suivrai le plan que je me suis proposé en vous écrivant les tristes événements qui se sont passés dans mon comté et dont je vais vous continuer le récit.

« Les troupes stationnées à Carillon avec les volontaires et loyaux d’Argenteuil, Chatham, Grenville et les orangistes de Gore, tous, ou au moins la plupart armés et ammunitionnés par le gouvernement, se divisèrent en deux bandes pour donner sur Saint-Benoît. Le même soir de mon départ de chez moi, une partie de l’expédition bivouaqua dans la baie de Carillon pour déboucher par les Éboulis, et j’aperçus leurs feux de l’endroit où j’étais arrêté ; l’autre partie chemina par la rivière Rouge et Saint-Hermas.

« Le lendemain matin, vendredi 15 décembre, les ennemis ne tardèrent pas à entrer dans les Éboulis le long du lac des Deux-Montagnes. Ils parcoururent lentement cette côte, s’arrêtant aux maisons marquées de proscription pour y commettre toutes sortes de brigandages, pillant tout ce qu’ils trouvaient sous leurs mains. Tous y prirent part, le ministre Abbott fit sa provision de dindes et autres choses, et M. Forbes que vous connaissez, se chargea de butin. Arrivés à la belle maison de pierre du capitaine Mongrain, d’où sa dame s’était sauvée avec ses enfants, ils pillèrent cette maison et y mirent le feu. J’étais à quelques arpents de là dans le petit bois qui se trouve non loin du chemin, et je pus voir de mes propres yeux toutes ces horreurs. Je les vis, ces sauvages, danser, gambader et jouer de la trompette devant la maison en jetant des cris féroces. Ils mirent ensuite le feu à la grange du capitaine Mongrain et à la maison voisine appartenant à la veuve Laframboise, près de la terre du père Payen que vous connaissez, et ils prirent le chemin de Saint-Étienne.

« Il me serait impossible de vous peindre la désolation que cette marche et les scènes barbares dont elle était accompagnée, répandirent dans les familles. Je fus obligé de passer une partie de la même nuit dans une maison nouvellement bâtie dans le fond de la grande anse des Éboulis. Cette maison était entièrement remplie de femmes et d’enfants qui s’y étaient réfugiés avec quelques couvertures soustraites aux envahisseurs. Un grand nombre de jeunes filles se réfugièrent dans la maison de ferme du séminaire à la Pointe-des-Anglais, pour se soustraire aux poursuites et à la brutalité des loyaux et des soldats. J’aurai peut-être occasion de vous raconter plus au long ce qui se passa dans la maison où j’étais, les larmes et les angoisses dont je fus témoin. Oh ! que je passai de pénibles moments ! Que de douleurs et de chagrins, mais en même temps que de fermeté, de courage et de grandeur d’âme chez nos femmes canadiennes ! Ah ! s’il m’était jamais donné d’aller quelque jour à Saint-Benoît, oui, je veux rassembler toutes ces généreuses patriotes pour leur témoigner ma reconnaissance ; elles qui m’entourèrent des soins les plus touchants et refusèrent l’or qu’on leur offrait à pleines mains pour découvrir ma retraite.

« Le même jour au soir arriva à Saint-Benoît sir John Colborne, à la tête de toute l’expédition de Montréal ; il y fut rejoint par les troupes et les loyaux venus par Saint-Andrew et Saint-Hermas. Le jour suivant, il se trouva à Saint-Benoît entre cinq à six mille hommes. Son Excellence et plusieurs des gens de sa suite couchèrent dans ma maison.

« Un fait à remarquer avant d’aller plus loin, c’est que, peu après son départ de Saint-Eustache, sir John Colborne avait reçu une députation d’habitants de Saint-Benoît pour l’informer qu’ils n’avaient aucune résistance à lui opposer, et le prier d’épargner les personnes et les propriétés. M. James Brown parut comme entremetteur, et, d’après ce qu’il a rapporté lui-même, ou ce que l’on m’a dit, il ne devait être commis aucun acte de violence à Saint-Benoît non plus qu’à Saint-Hermas et à Sainte-Scholastique. C’est à M. Dumouchel même que M. Brown a communiqué ceci avec d’autres choses que je ne puis rapporter ici.

« Quoi qu’il en soit, l’on fit rassembler dans ma cour, qui est très large, comme vous savez, un nombre considérable d’habitants ; ils y furent mis en rang, et l’on braqua sur eux deux canons par la porte-cochère, en leur disant qu’on allait les exterminer en peu de minutes. Il n’est point d’injures et d’outrages dont on ne les accabla, et de menaces qu’on ne leur fit pour les intimider et les forcer à déclarer la retraite de tous ceux que l’on appelait leurs chefs. Aucun d’eux ne put ou ne voulut donner le moindre indice, et les indignités que les officiers leur firent endurer furent en pure perte. Des officiers avaient appris que Paul Brazeau m’avait conduit jusqu’aux Éboulis. Ils le mirent pour ainsi dire à la question pour le forcer à indiquer ma retraite. Ils lui mirent le pistolet sur la gorge, le firent plusieurs fois étendre sur un billot en menaçant de lui couper la tête, mais le généreux patriote resta ferme et nos barbares en furent pour leurs violences. Je ne sais pourquoi ils firent prendre les noms de tous ceux que l’on fit rassembler chez moi et qui furent ensuite congédiés.

« Alors commencèrent des scènes de dévastation et de destruction comme on n’en vit jamais de plus atroces, le meurtre seul excepté, dans une ville prise d’assaut et livrée au pillage après un long et pénible siège. Ayant complètement pillé le village, l’ennemi y mit le feu et le réduisit d’un bout à l’autre en un monceau de cendres. Il se dirigea ensuite de divers côtés, pillant et brûlant sur son passage toutes nos concessions de Saint-Benoît. À Saint-Hermas, il y eut un nombre considérables d’animaux et d’effets emportés, la superbe maison et les dépendances du capitaine Laurent Aubry furent incendiées, et l’église de cette paroisse ne fut sauvée, dit-on, que par l’entremise du curé. À Sainte-Scholastique, la maison et la grange de M. Barcelo et une bonne partie de la côte Saint-Joachim devinrent la proie des pillards et de la flamme. L’ennemi continua ses dévastations dans plusieurs autres concessions, et surtout dans la côte Saint-Louis, et porta le feu jusque dans le village de Sainte-Scholastique, où l’église et la majeure partie des maisons ne furent sauvées que par la conduite ferme de Messire Bonin, curé du lieu.

« Il n’en fut pas de même à Saint-Benoît. L’église et le presbytère ne furent pas épargnés et furent consumés par les flammes avec toutes leurs dépendances. Avant de mettre le feu à l’église, les soldats y étaient entrés et y avaient commis des profanations de toutes sortes. Ils n’y mirent pas leurs chevaux comme en celle de Saint-Charles, mais les uns montèrent sur l’autel pour briser les reliquaires, les autres s’emparer des vases sacrés et les firent servir à satisfaire leurs besoins naturels, après avoir percé, déchiré et foulé les hosties à leurs pieds. On en vit ensuite se revêtir des ornements sacerdotaux qu’ils avaient volés dans la sacristie et attacher des étoles autour du cou de leurs chevaux.

« Je n’en finirais point, mon cher ami, si j’entreprenais de vous rapporter tous les actes de vandalisme, d’inhumanité et de cruauté dont les soldats et les volontaires se sont rendus coupables. Qu’il vous suffise de savoir qu’un grand nombre de familles perdirent, en cette occasion, tout ce qu’elles possédaient et qu’on leur arracha jusqu’à leurs vêtements.

« Après avoir pillé tout ce qui se trouvait dans la maison et les bâtiments d’une ferme, et s’être emparé de tous les animaux, les barbares faisaient déshabiller les hommes, les femmes et les enfants, que l’on laissaient presque nus à la porte de leur maison embrasée. Les dames Dumouchel, Lemaire, Girouard, et Masson ne furent pas exemptes ; à peine resta-t-il à ces dernières de quoi couvrir leur nudité. Je ne sais encore comment ces infortunées dames ont pu survivre à tant de misères et de malheurs. On avait défendu, sous peine d’incendie, aux habitants de donner l’hospitalité à ces pauvres dames, et elles seraient mortes de froid, sans le courage de quelques bons citoyens qui leur offrirent un logement au risque de subir la vengeance loyale. Elles ont, néanmoins, montré une fermeté et un courage au-dessus de leur sexe, et paraissent avoir conservé leur santé, à l’exception de Mlle  Olive Lemaire et de Mlle  Cléophé Masson.

« La pauvre Olive, ma chère fille, elle que je chérissais tant et qui m’aimait si tendrement ! Elle n’a pu survivre longtemps au froid et aux misères qu’elle a endurés. J’ai appris, ces jours derniers, la nouvelle de sa mort, et je vous avoue que ma sensibilité l’a emporté dans cette catastrophe ; j’ai été affecté jusqu’à en être sérieusement malade, moi qui avais supporté avec tant de courage tous les autres malheurs dont nous avons été les victimes. Quand à Mlle  Masson, son frère, le docteur Masson, vient d’apprendre qu’elle est dangereusement malade.

« Ces barbares entrèrent dans la maison de Benjamin Maynard, à la côte Saint-Jean de Saint-Benoît. Sa femme y était et avait mis un enfant au monde deux jours auparavant. Ils lui arrachèrent son lit et l’effrayèrent tellement qu’elle en mourut le lendemain.

« Les volontaires et les loyaux furent ceux qui commirent le plus de cruautés et de déprédations. Ils s’en retournèrent chez eux avec un nombre considérable d’animaux et de voitures chargées de lits, meubles, grains et autres provisions, instruments d’agriculture et autres effets. Ainsi des familles nombreuses auxquelles ils avaient arraché tout ce qu’elles possédaient, jusqu’à leurs vêtements, ont été obligées de mendier quelque nourriture pour subsister et quelques couvertures pour se garder du froid.

« Sans doute, mon bon ami, vous allez me demander comment Sir John Colborne, un officier supérieur, le commandant des forces de Sa Majesté et le gardien de l’honneur du soldat anglais, ait pu ordonner ou permettre tant de carnage et d’atrocités. Il nous répondra sans doute lui-même, que tout cela s’est fait malgré les ordres exprès qu’il avait donnés de respecter les propriétés et qu’il ne peut être responsable des œuvres de quelques volontaires d’Argenteuil. C’est ce que vous ont dit les gazettes loyales, c’est ce qu’ont crié les loyaux de Montréal, parmi lesquels plusieurs avaient une bonne part du butin ; car l’on sait où Arnoldi, fils, a fait sa provision de beurre, où un autre a pris une guitare qu’il a rapportée de l’expédition suspendue à son cou. Si le lieutenant-général avait donné des ordres exprès que les propriétés fussent respectées, comment donc a-t-il pu permettre qu’elles fussent pillées et brûlées sous ses yeux à Saint-Eustache, et principalement à Saint-Benoît où il n’y eut pas un coup de tiré ? Là, dans ma maison, où il prenait ses quartiers avec plusieurs autres officiers, les lits et autres meubles que madame Girouard avait laissés furent volés. Les soldats firent un tel usage des boissons que renfermait ma cave, que plusieurs restèrent profondément endormis et y furent consumés par les flammes, car on m’a rapporté qu’il avait été trouvé plusieurs crânes humains dans les cendres de ma maison.

« Comment se fait-il donc que l’église et le village de Saint-Benoît furent mis en feu pendant que Son Excellence y était, si bien qu’il eut de la peine, en sortant de ma maison (qui fut incendiée une des dernières) à gagner le grand chemin et que ses chevaux en eurent les poils grillés.

« Pourquoi aussi des officiers supérieurs ordonnèrent-ils l’incendie et le pillage en plusieurs endroits et y présidèrent-ils ? N’ai-je pas déjà dit que l’église de Saint-Hermas et celle de Sainte-Scholastique ne furent sauvées des flammes que par l’intervention des curés et de quelques citoyens qui réussirent à calmer la fureur des officiers des troupes de ligne, de leurs soldats et des volontaires surtout ? Et, je le tiens de M. Scott lui-même, à Sainte-Thérèse, n’est-il pas de fait que le colonel Maitland ordonna l’incendie des maisons de M. Neil Scott, du docteur Lachaîne et autres patriotes du village, et que sans les pressantes prières de Messire Ducharme, ces ordres barbares eussent été exécutés ? Maitland souffrit même que Messire Ducharme se jetât à deux genoux devant lui pour implorer sa clémence.

« Mais, si véritablement Son Excellence eut donné des ordres contraires, comment est-ce donc encore que le major Townsend, qui commandait les troupes à Carillon, et qui faisait partie de l’expédition de Saint-Benoît, comment se peut-il faire qu’en s’en retournant par Saint-Vincent, il soit arrêté chez Richer et François Ouellet, que vous connaissez, et leur ait dit de mettre des couvertes mouillées sur le toit de leurs maisons, car il allait faire brûler la maison de pierre de Joseph Fortier, laquelle, comme vous devez vous en souvenir, n’est séparée des premières que par le chemin du roi ? En effet, les soldats exécutèrent les ordres du major et y mirent le feu. Ensuite les troupes reçurent l’ordre de continuer leur route. Heureusement que le pauvre Fortier fut averti à temps. Il réussit à sauver sa maison en jetant par les fenêtres les paillasses où les soldats avaient mis le feu. Mais il faillit lui en coûter la vie, parce que des soldats de l’arrière-garde ayant aperçu son mouvement, lui tirèrent leurs mousquets et le manquèrent. Le brave Fortier en fut quitte pour cinq beaux lits qui lui furent enlevés en cette occasion avec nombre d’autres effets. »