Livre I
XLIII. À quoi s’amusait le petit Jacques Clément
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Le chevalier de Pardaillan accompagna Marillac jusqu’à la porte de l’hôtel Coligny. Il était à ce moment environ minuit. Pendant le trajet, Marillac, violemment ému de la scène que nous venons de raconter, ne dit que peu de mots. Mais il pria son ami d’entrer avec lui dans l’hôtel, ce à quoi Pardaillan consentit.

Le comte fit réveiller aussitôt le roi de Navarre, Coligny et leurs compagnons.

Le futur Henri IV dormait de tout son cœur lorsqu’on vint le secouer.

Il sauta de son lit et saisit son épée en s’écriant d’une voix altérée :

— Est-ce qu’on se bat ?

— Non, sire. C’est M. le comte de Marillac qui désire vous faire une communication d’une extrême importance.

Le jeune roi de Navarre laissa retomber son épée en poussant un soupir de satisfaction. Il était devenu fort pâle à la pensée que si on le réveillait ainsi, ce ne pouvait être que pour en découdre. Et tout en se faisant habiller, il tremblait légèrement. Il se mit à rire et grommela :

— Ah çà ! qu’as-tu à trembler ainsi ?… Tremble, carcasse, tu en verras bien d’autres !…

Henri de Béarn qui avait un grand courage moral, n’était pas, en effet, à l’abri de cette infirmité physique que connaissent presque toutes les natures nerveuses : la peur de la blessure, l’horreur du sang. Cela ne l’empêchait pas de se bien battre.

Dès que le roi, Coligny, Condé et d’Andelot furent réunis, Marillac leur dit que Catherine de Médicis connaissait leur retraite.

— Il faut fuir, dit Coligny simplement.

— Il faut rester, répondit le roi de Navarre avec fermeté, mais sans pouvoir réprimer un frisson. Si Catherine n’a pas encore fait cerner cette maison, c’est qu’elle a des intentions qu’il faut connaître à tout prix.

— Votre Majesté est dans le vrai, dit Marillac.

Il raconta alors de point en point son entrevue avec la reine. Une longue discussion s’ensuivit, et il fut convenu que la reine Jeanne, véritable chef des huguenots, devait être mise au courant. Les propositions de Catherine furent d’ailleurs bien accueillies par Coligny, qui rêvait sincèrement la paix et que l’idée d’aller porter secours aux protestants des Pays-Bas enthousiasma.

On décida que Marillac partirait aussitôt que possible, c’est-à-dire dès l’ouverture des portes.

Il alla retrouver Pardaillan qui s’était à moitié endormi sur un fauteuil et lui expliqua ce qui se passait.

— Voici, ajouta-t-il en terminant, ce que j’attends de vous, mon ami. Mon absence peut durer un mois. En cette affaire, c’est un bonheur que j’aie songé à vous présenter à Alice. Vous irez la voir ; vous lui direz que je vais retrouver la reine de Navarre, et pour que la séparation lui soit adoucie, dites-lui que je compte profiter de ce voyage pour raconter notre amour à la reine. Il est vraisemblable que Jeanne d’Albret va venir à Paris ; à ce moment-là, j’espère, rien ne s’opposera à ce qu’Alice devienne ma femme. Voilà, mon cher ami, les bonnes nouvelles que je vous prie de porter à celle que j’aime. Dites par vous, elles n’en auront que plus de prix.

Les deux amis passèrent une heure encore à deviser de ce qui les intéressait le plus au monde, Pardaillan de Loïse, et Marillac d’Alice de Lux. Puis ils s’embrassèrent, et le chevalier regagna l’hôtel de Montmorency pour y prendre un peu de repos.

Quant à Marillac, il partit au point du jour comme c’était convenu.

Quelques jours plus tard, le bruit commença à se répandre dans Paris que la paix de Saint-Germain, de boiteuse et mal assise qu’elle était, allait devenir parfaitement solide sur ses pieds et tout à fait inamovible. La reine donnait l’exemple et disait tout haut à la cour que c’était un crime de répandre le sang au nom de la religion. Le roi chassait le sanglier, heureux d’en avoir fini avec les tracas de la guerre. Dans les églises, les prédicateurs ne fulminaient plus ; et les plus enragés catholiques gardaient le silence, comme s’ils eussent obéi à un mot d’ordre.

Bientôt, ce fut bien mieux : on apprit que le roi Henri de Béarn devait épouser Marguerite de France et que des fêtes magnifiques devaient avoir lieu à ce propos, et que Jeanne d’Albret allait faire son entrée dans Paris, escortée de tout ce que le royaume comptait de huguenots illustres.

Le peuple, le bon peuple s’étonna qu’après avoir tant et si bien voulu exterminer les huguenots, la cour les eût pris tout à coup en si vive affection. Et comme sa passion religieuse avait été exaspérée, le peuple trouva quelque déception dans le nouvel état de choses.

Quoi qu’il en soit, vers la fin de juin, nombre de huguenots notoires se promenaient ouvertement dans Paris, et bientôt on sut que monsieur l’amiral était arrivé, et chose fantastique, que monsieur de Guise l’avait embrassé !

Mais tout ceci viendra en temps et lieu : n’anticipons pas, comme on disait dans les vieux romans !

Le chevalier de Pardaillan, pendant toute cette période, erra à travers Paris comme une âme en peine.

Ses recherches pour retrouver Loïse n’aboutissaient à aucun résultat…

Le maréchal de Montmorency, de plus en plus sombre, commençait à perdre tout espoir. Et le pauvre chevalier en arrivait à se dire que, sans aucun doute, Loïse et sa mère avaient été entraînées au fond de quelque province.

Quant à son père, non seulement il ne lui apportait pas les nouvelles promises, mais il avait complètement disparu.

Plusieurs fois le chevalier avait essayé de pénétrer à l’hôtel de Mesmes par le moyen qui lui avait réussi une fois. Mais il eut beau faire le tour de l’hôtel, sauter par-dessus le mur du jardin, jamais il n’entrevit le minois de Jeannette, ni le profil grotesque de Gillot, ni la face de carême de l’intendant ; porte et fenêtres demeuraient obstinément closes.

Quant à Marillac, il était au loin, accomplissant sa mission auprès de Jeanne d’Albret.

Le chevalier avait, le jour même du départ de son ami, tenu sa promesse en allant voir Alice de Lux. Celle-ci l’accueillit avec une sorte de joie fiévreuse, qui était bien rare chez cette fille, habituée à la plus extrême prudence. Son premier mot fut pour demander si son fiancé n’avait pas été assailli en sortant de chez elle.

— Rassurez-vous, madame, répondit Pardaillan ; tout s’est passé le mieux du monde. Et M. le comte n’a pas eu à dégainer, personne n’ayant songé à nous attaquer.

— Cependant, monsieur, vous venez seul… dit Alice.

Pardaillan raconta alors comment un gentilhomme inconnu les avait accostés, comment ce gentilhomme avait invité le comte à le suivre jusque chez la reine…

— Chez la reine ! s’écria Alice frémissante. Au Louvre ?… Ah ! il n’en sortira pas !…

— Non, pas au Louvre, madame ! mais en certaine maison du Pont de Bois. Et il en est sorti parfaitement sain et sauf, à telles enseignes que moi qui l’attendais à la porte l’ai accompagné jusqu’à l’hôtel de la rue Béthisy.

— Et, reprit Alice pensive, hésitante et troublée, il ne vous a rien dit de cette étrange entrevue ?

— Si fait. M. le comte est chargé d’une ambassade secrète auprès de la reine de Navarre, il a dû quitter Paris ce matin et m’a chargé de vous venir rassurer.

Alice avait pâli. Elle se mordait les lèvres. Mille questions qu’elle n’osait formuler se pressaient dans son esprit. Le chevalier suivait attentivement ces indices d’émotion. Les vagues soupçons qu’il avait conçus contre Alice prenaient de plus en plus de consistance. Et il prit dès lors la résolution de surveiller cette femme, de savoir au juste qui elle était.

Une seule chose le rassurait : de toute évidence, elle aimait sincèrement Marillac.

Mais alors, que signifiait ce trouble ?

Le plus naturellement du monde, il acheva sa mission en disant à Alice :

— Mais ce n’est pas tout, madame. Mon ami m’a chargé de vous dire qu’il veut profiter de son voyage auprès de la reine de Navarre pour l’informer de son amour pour vous…

Pardaillan avait à peine achevé ces mots qu’Alice se mit à trembler convulsivement. Une pâleur mortelle s’étendit sur son visage et, d’une voix morne, elle murmura :

— Je suis perdue !

— Vous m’avez sans doute mal compris, madame ! s’écria Pardaillan. Monsieur le comte est résolu à demander à la reine l’autorisation de vous épouser dès son retour à Paris… Je pensais vous apporter une grande joie…

— Oui… en effet… balbutia Alice… c’est une bien grande joie… ah ? je me meurs…

— Par Pilate ! elle perd connaissance ! Holà ! du secours ! cria Pardaillan.

Alice de Lux, en effet, était tombée à la renverse, évanouie. Elle demeurait immobile, comme morte. Et le chevalier, avec un indicible mélange de pitié et de doute, vit que, dans l’évanouissement, deux larmes qui roulaient sur les joues décolorées de la malheureuse indiquaient seules qu’elle vivait encore.

À ses cris, la vieille Laura arriva tout effarée ; elle avait d’ailleurs tout écouté à travers la porte.

— Ne vous inquiétez pas, dit-elle avec un sourire qui parut bizarre à Pardaillan, ma nièce est sujette à ces vertiges ; la moindre émotion de crainte… ou de joie la met dans cet état ; mais ce ne sera rien.

En parlant ainsi, la vieille bassinait les tempes d’Alice avec du vinaigre et s’efforçait de lui faire avaler quelques gouttes d’un élixir contenu dans un petit flacon.

— Ah ! fit machinalement le chevalier, madame est votre nièce ?

— Oui, monsieur… la seule parente qui me reste… Ah ! la voici qui revient à elle… Allons, mon enfant, pourquoi vous agiter ainsi… vous avez donc éprouvé quelque secousse ?… une douleur, peut-être ?

Alice qui rouvrait les yeux aperçut le chevalier.

— Non, répondit-elle en faisant un effort presque sublime.

— Une joie, alors ? insista l’atroce vieille.

— Oui !… fit Alice d’une voix infiniment triste.

L’instant d’après, elle paraissait remise. Elle avait, d’ailleurs, repris son sang-froid et reconquis cette force d’âme qui faisait d’elle une femme réellement extraordinaire. Le chevalier, par discrétion, voulut se retirer. Mais elle le retint et voulut savoir par le détail tout ce que Pardaillan savait ; elle se fit répéter à plusieurs reprises les paroles du comte, et Pardaillan dut recommencer le récit de la nuit et des incidents auxquels il avait assisté. Alice écouta tout cela avec une attention soutenue qui, après son évanouissement, parut très remarquable au chevalier.

Enfin, il se retira plus intrigué que jamais, se promettant bien de déchiffrer le mystère qu’il devinait là. Mais lorsque, quelques jours plus tard, il voulut faire une visite à Alice, il trouva la maison fermée comme l’hôtel de Mesmes. Il interrogea des voisins ; mais nul ne put lui donner le moindre renseignement.

Ce fut ainsi que Pardaillan se trouva dès lors complètement isolé dans Paris. Seul, le maréchal de Montmorency lui restait. Ils passaient ensemble de longues heures à combiner des plans de recherche dont aucun n’aboutissait.

Le chevalier, désœuvré, mortellement ennuyé, employait donc le plus clair de son temps à se promener dans Paris, ruminant des projets, l’œil et l’oreille au guet, mais ne voyant et n’entendant jamais rien qui pût le mettre sur une piste.

Par bonheur, il ne fut jamais aperçu d’aucun de ceux qui eussent eu intérêt à le voir… et qui le croyaient mort.

Il ne rencontra ni Maurevert, ni aucun des mignons.

Un jour qu’il avait franchi les ponts et qu’il errait dans l’Université, le hasard le conduisit sur la montagne Sainte-Geneviève, dans une ruelle solitaire qui longeait le couvent des Carmes sur son flanc gauche.

Diverses maisons s’adossaient aux murailles du couvent des Barrés.

Et même, plusieurs de ces maisons, par une porte de derrière, communiquaient avec le couvent. C’étaient en général des boutiques que les moines subventionnaient en secret et où on vendait des objets de piété, tels que chapelets, médailles, selon un usage qui s’est perpétué jusqu’à nos jours autour des grandes basiliques.

Dans l’une de ces boutiques, on fabriquait des fleurs artificielles comme on en met sur les autels dans les églises : bouquets grossièrement enluminés, avec des feuilles d’or.

Ce jour-là, comme il faisait très chaud, les gens de la boutique travaillaient sur le pas de la porte, dans la rue, à l’ombre des hautes murailles du couvent.

Il y avait là un homme qui paraissait diriger le travail, deux femmes, une jeune fille, en groupe, activement occupés à façonner des fleurs et des imitations de branches d’arbustes…

À quelques pas de ce groupe, un enfant travaillait tout seul.

Pardaillan s’arrêta à le contempler.

En effet, l’enfant était remarquable par la vive intelligence qui éclairait ses grands yeux profonds. Il était pâle et malingre. Il dégageait de la tristesse. Mais à ce moment, il paraissait heureux, ou du moins si complètement absorbé par son travail, qu’il en oubliait tout chagrin.

Les yeux fixes, les doigts agiles, le front en sueur, il tirait un peu la langue de côté comme font les enfants acharnés sur une besogne qui les intéresse. Parfois, il reculait au bout de son petit bras tendu, le bout de branche artificielle qu’il travaillait, et clignait des yeux pour mieux l’examiner ; alors, il rectifiait les détails qui lui semblaient défectueux, et la besogne reprenait plus acharnée, plus passionnée.

Cet enfant avait évidemment une âme d’artiste. Cela n’était pas seulement visible à ses yeux profonds et contemplatifs, à ses attitudes naturellement esthétiques, mais aussi à l’étrange perfection du travail qui sortait de ses mains.

— Mon petit Clément, dit l’une des jeunes filles, prenez garde de vous piquer comme hier…

Le groupe d’artisans qui s’activait sur le seuil de la boutique, le regardait parfois avec une dédaigneuse pitié et un haussement d’épaules indulgent. En effet, ces braves gens fabriquaient des feuilles d’or, toujours les mêmes, et des fleurs géométriques, vrais bouquets pour vases d’église.

L’enfant, au contraire, s’acharnait à donner l’impression de la nature.

Même il employait des branches véritables, tout un buisson épineux et desséché qui lui servait de carcasse et qu’il s’ingéniait simplement à faire revivre en lui ajoutant des petites feuilles par masses frêles et tremblotantes et des petites fleurettes qui, à deux pas semblaient naturelles.


Sans savoir pourquoi, Pardaillan s’intéressait à ce travail, au point d’en être ému.

Il s’approcha de l’enfant, se baissa et examina de près les branchages entrelacés et fleuris que le petit artiste mettait de côté à mesure qu’il les terminait. Il en avait déjà tout un tas.

D’abord, l’enfant, absorbé par son travail, ne vit pas cette figure qui se penchait sur lui. Enfin il leva les yeux, examina un instant la physionomie souriante de l’étranger et, l’ayant sans doute trouvée à son goût, sourit à son tour.

— Que fais-tu là, petit ? demanda alors le chevalier. Tu travailles ?

— Oh ! non, monsieur, je m’amuse. Je ne sais pas encore travailler, moi.

— Oui-da ? Mais c’est très joli, ce que tu fais…

Les yeux de l’enfant flamboyèrent de plaisir. Il recula la branche qu’il tenait, au bout de son bras tendu, et dit avec un accent d’admiration :

— C’est de l’aubépine.

La glace était rompue. Le chevalier s’était accroupi près de l’enfant. Et il s’amusait, lui aussi ! Il redressait des bouts de branche, piquait des fleurettes qui tremblotaient sur leur tige en fil de fer.

— De l’aubépine, reprit-il. Mais pourquoi faire ?

— Ah ! voilà… j’ai un jardin, un petit jardin à moi tout seul.

— Où cela, donc ?

— Là, dans le grand jardin du couvent, tout contre la chapelle. Le père jardinier me l’a donné et m’a dit d’y planter ce que je voudrais.

— Et tu veux y planter de l’aubépine ? sourit Pardaillan.

— Oh ! non, c’est pour l’entourer… pour que les pères ne puissent pas entrer dedans.

— Mais pourquoi n’y mets-tu de la véritable aubépine ?… Et puis l’aubépine ne fleurit pas en cette saison ?…

— Ah ! voilà… c’est pour ça… mon aubépine, à moi, sera toujours fleurie… vous voyez bien ! C’est moi qui fais les fleurs, et je les pique…

— Je vois. Elle est vraiment jolie ton aubépine.

— N’est-ce pas ? fit le petit artiste, ravi de cette approbation d’ailleurs méritée. Et puis, vous ne savez pas ?

— Non, mon petit, je ne sais pas…

— Eh bien, écoutez : je n’ai pas de mère, moi… savez-vous pourquoi ?

— Non, mon enfant, dit le chevalier ému.

— Bon ami me l’a dit. Si je n’ai pas de mère, c’est qu’elle est morte… Savez-vous ce que c’est d’être mort ?… Vous ne savez pas ? Eh bien, on vous met dans la terre… ma mère est dans la terre, au cimetière des Innocents… Bon ami me l’a dit.

— Pauvre petiot, murmura Pardaillan.

— Clément, reprit la même jeune fille, rentrez vous amuser au couvent…

L’enfant secoua la tête, garda un instant le silence, actionné à entrelacer des petites branches piquantes. Une épine déchira son doigt. Une gouttelette de sang apparut, tomba et rougit l’une des fleurettes blanches.

— Tu t’es fais mal, hein ? dit le chevalier.

— Oh ! ça ne fait rien, fit gravement l’enfant. Je me pique souvent comme ça. Voyez une, trois, cinq, dix fleurs d’aubépine avec du sang dessus. Tout ça, c’est de mon sang… c’est pour maman…

Le chevalier demeura, saisi, sans trouver un mot.

Le petit artiste continua :

— Vous ne savez pas ? Quand j’aurai beaucoup d’aubépine, quand il y en aura tout autour de mon petit jardin et que ça fera un gros buisson, un jour, je prendrai tout et j’irai mettre mon aubépine là-bas où ma mère est dans la terre…

— Au cimetière des Innocents ?

— Oui. Bon ami m’a dit qu’elle est là ; mais il a été bien long à me le dire… De cette façon, ma mère sera contente, n’est-ce pas ?

— Certainement, mon petit, très contente.

La conversation s’arrêta là, l’enfant s’étant remis à son travail avec une attention telle, que le chevalier n’eut pas le courage de l’en déranger par d’importunes questions.

Comme il se retirait, il entendit la cloche du couvent qui sonnait. S’étant retourné alors, il vit près de l’enfant un moine à figure pâle qui prenait l’enfant par la main, et il l’entendit qui disait :

— Allons, mon petit Jacques, il est temps de rentrer…

— Bon, pensa le chevalier, il paraît que mon petit ami s’appelle Clément et Jacques…





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Nous laisserons pour le moment M. de Pardaillan fils poursuivre le cours de ses recherches, pour nous occuper de M. de Pardaillan père. Qu’était-il devenu ? Pourquoi n’avait-il pas cherché à revoir le chevalier ? Avait-il suivi le maréchal de Damville en quelque retraite, au fond d’une province ? Telles étaient les questions que se posait inutilement le chevalier ; mais s’il lui était impossible de les résoudre, notre devoir est de leur donner prompte réponse, grâce à ce don d’ubiquité qui est un des charmes du roman.

Pour cela, nous nous transporterons à l’hôtel de Mesmes le lendemain du jour où François de Montmorency, accompagné de son héraut d’armes, vint faire sa provocation.

Henri, caché derrière un rideau de fenêtre, avait assisté à la provocation sans faire un geste. Seulement, il avait pâli lorsque le héraut avait cloué le gant à la porte. L’insulte était grave et définitive. Mais peut-être Damville ne jugeait-il pas le moment venu de la relever, car il donna l’ordre de laisser le gant où il était.

D’ailleurs, l’hôtel devait passer pour inhabité. La plupart des domestiques avaient été envoyés dans une autre maison que le maréchal possédait dans la rue des Fossés-Montmartre, non loin des marais de la Grange-Batelière. La petite garnison de l’hôtel y avait été envoyée aussi. En sorte qu’il n’y avait plus autour de Damville que trois ou quatre soldats, un officier, le vieux Pardaillan et deux domestiques. Jeannette, promue au rang de cuisinière, faisait à manger à tout ce petit monde en prenant les précautions nécessaires toutes les fois qu’elle sortait. L’hôtel était, d’ailleurs, fortement approvisionné.

D’Aspremont, blessé, avait été porté dans la maison des Fossés-Montmartre.

Le lendemain de la provocation, donc, le maréchal de Damville, qui avait pour Orthès tout autant d’affection qu’il en pouvait avoir pour quelqu’un, alla voir le blessé et eut avec lui une longue conversation où il fut surtout question de Pardaillan. Le maréchal rentra pensif à l’hôtel de Mesmes et fit appeler Pardaillan.

— Monsieur de Pardaillan, lui demanda-t-il, savez-vous quelles personnes se trouvaient dans la voiture qui a été attaquée la nuit où nous sommes sortis d’ici ?

— Je ne m’en doute pas, monseigneur ! fit Pardaillan qui tressaillit.

— Savez-vous qui avait intérêt à attaquer cette voiture ?

— Là-dessus, je puis vous répondre puisque vous m’en avez instruit vous-même : votre frère, le maréchal.

— Oui. Et ne m’avez-vous pas affirmé que votre fils ne peut être à moi, parce qu’il est à mon frère ?

— En effet, monseigneur… mais ces questions…

— Attendez, monsieur. Vous m’avez