Les Pères de l’Église/Tome 2/Notice sur Athénagore


Texte établi par M. de GenoudeSapia (Tome secondp. 299-301).

NOTICE SUR ATHÉNAGORE.


Une preuve des plus frappantes en faveur du Christianisme, c’est la conversion de ces grands génies qui, dès les premiers temps, embrassèrent sa défense. Ils sortaient des écoles de la philosophie ; ils allaient partout cherchant la vérité. Ils s’arrêtent tout à coup devant la doctrine du Christ. Ils l’embrassent avec transport ; ils bravent la mort pour la défendre : elle leur apparaissait donc avec tous les caractères de vérité qui ne laissent plus aucun doute à l’esprit.

La beauté de la doctrine qu’ils entrevoient, la sublimité des vertus qu’ils ont sous les yeux, les étonnent. Ils examinent, ils raisonnent ; et plus ils cherchent à approfondir, plus ils restent convaincus qu’il n’y a rien de l’homme dans ce qu’ils découvrent ; qu’ici tout est divin, la droiture de l’âme unie à la docilité du cœur seconde la grâce ; ils en deviennent la conquête, et demandent avec empressement d’être admis dans la société chrétienne.

Et que lui apportent ces illustres transfuges de la philosophie et du paganisme ? Une érudition prodigieuse dans tous les genres, une force de raisonnement irrésistible, une connaissance parfaite de tout ce qui se disait, s’enseignait, se pratiquait dans les écoles de la philosophie comme dans les mystères de la religion païenne ; une science profonde des lois, des coutumes, des mœurs.

Et tous ces précieux avantages la Providence en fait autant d’armes victorieuses qu’elle retourne contre l’erreur au profit de la vérité.

Quel intérêt s’attache à leurs éloquents plaidoyers ! Tout leur est connu : la philosophie avec tous ses systèmes, le paganisme avec toutes ses absurdités, et le Christianisme avec son ensemble si parfait dans son unité. Ils présentent toutes les pièces du procès : d’une part, l’idée la plus sublime, la plus majestueuse, la plus digne qu’on pût se faire de la Divinité ; de l’autre, tout ce qu’on peut imaginer de plus absurde, de plus indécent, de plus propre à la dégrader. D’une part, les notions les plus saines, les plus liées, les plus consolantes pour la raison ; de l’autre, des fables dénuées de tout fondement, de toute vraisemblance, de tout bon sens. D’un côté, la sagesse de Dieu dans le gouvernement de ses créatures, dans les lois qu’il leur impose, dans la fin à laquelle il les destine ; de l’autre, le déplorable abandon des hommes jetés sur la terre comme au hasard, sans connaissance de leur origine, de leurs devoirs, de leurs destinées. Ici l’admirable spectacle des vertus les plus pures, les plus héroïques et les plus capables de rapprocher l’homme de la Divinité : là, le spectacle révoltant des vices les plus grossiers, des passions les plus brutales et des excès monstrueux qui font descendre l’homme au-dessous de la brute.

Voilà le rapprochement, la comparaison qu’ils se plaisent à faire. On ne doit pas s’étonner de les trouver tous sur ce même fond d’idées. C’est ce contraste qui les avait surtout frappés et amenés à la vérité ; et c’est en le reproduisant qu’ils cherchent à éclairer ceux dont ils partageaient les erreurs ; qu’ils ouvrent les yeux aux uns, qu’ils imposent silence aux autres, et qu’ils multiplient les glorieuses conquêtes du Christianisme.

Et quel succès ne devaient-ils pas obtenir, lorsque le génie venait embellir la raison, et avec de nouveaux charmes lui prêter de nouvelles forces ! Ces réflexions se sont présentées naturellement à propos d’Athénagore, qui nous offre toute la saine raison de saint Justin, mais parée de toutes les richesses de l’éloquence et du génie. Il était lié d’inclination, d’étude et de dévoûment à la cause du Christianisme avec le saint martyr. Il lui fut associé par les villes grecques devenues chrétiennes, dans la députation qu’elles adressèrent pour leur défense aux empereurs Marc-Aurèle et Commode. Quelle différence entre ces deux philosophes et les Carnéade, les Critolaüs que ces mêmes villes envoyèrent trois siècles auparavant près du Sénat romain. Il ne s’agit plus de fixer les bornes du territoire d’une ville ou d’une bourgade. Ici se plaide la cause de l’humanité tout entière.

Nous regrettons de ne savoir d’Athénagore que ce que nous apprennent les titres de ses écrits ; c’est-à-dire qu’il était Athénien, qu’il vécut sous Marc-Aurèle ; que de philosophe païen il devint zélé défenseur du Christianisme. On ne doit pas s’étonner de cette lacune dans l’histoire de l’Église, si on songe aux pertes qu’elle fit d’une partie de ses monuments les plus précieux pendant les ravages des persécutions et par les inondations des peuples barbares dans toutes les parties de l’empire. Baronius le met au nombre des saints martyrs de l’époque de Marc-Aurèle. Les raisons qu’il apporte sont assez plausibles.

On sait que sous ce règne, où la philosophie semblait assise sur le trône, l’animosité des peuples contre le nom chrétien, et la servile complaisance des magistrats n’en multipliaient pas moins les édits de persécution. C’est à l’occasion de ces édits de sang que le philosophe Athénagore vint plaider près de l’empereur la cause des opprimés. À défaut de détails historiques, nous aurons recours à ses écrits pour apprendre à le connaître. Son Apologie à l’empereur Marc-Aurèle, et son Traité sur la résurrection des morts, les seuls ouvrages qui nous restent de lui, nous offriront des preuves incontestables de sa force d’âme, de la beauté de son génie, de sa brillante éloquence et de sa vaste érudition.