Éditions Prima (Collection Gauloise ; no 190p. 43-48).

XII

Tout de même

Oui, Margot sentait venir le moment où elle atteindrait cette joie qui la fuyait depuis le matin, et qui, toute la nuit, l’avait hantée.

Elle était enfin proche.

Encore une demi-minute et elle entrerait dans le délicieux paradis.

Un paradis terrestre qui ne réclame pas de disparition, mais seulement la petite mort…

Quand, une fois de plus, la porte, c’était pourtant une nouvelle porte, et qui ne semblait pas ensorcelée comme celle du fabricant d’oranges, la porte donc s’ouvrit…

Et une femme entra.

Elle regarda le spectacle qui s’offrait à son regard soudain irrité, puis poussa un hurlement à glacer le cœur d’un tigre affamé.

— Misérables !…

Elle réitéra, soucieuse de se tenir dans la bonne tradition des paroles d’amoureuses trompées :

— Misérables !

Puis elle ajouta, ayant lu des pièces de théâtre romantiques :

— Je vous y prends enfin.

— Tais-toi, et fiche-nous le camp ! dit le jeune financier que cette intervention d’une maîtresse, mal attendue, surprenait, mais ne suffisait pas à décontenancer.

Mais la femme cherchait un acte définitif à accomplir, et c’était la raison de son peu d’éloquence. Elle trouva enfin.

Et elle tira de son sac un magnifique pistolet.

C’était une arme automatique extrêmement perfectionnée, et qui ne devait certainement jamais pardonner.

Et elle le dirigea vers son amant.

— Comment, tu oses me tromper avec cette fille de rien ?

Margot n’aimait pas qu’on l’insultât.

Elle riposta :

— Dites-donc, je vous vaux bien, espèce de pimbêche.

L’autre changea la direction de son arme et la dirigea vers la jeune fille, que cela ne suffit point à terrifier. En même temps elle disait :

— Oui ! c’est vous que je veux tuer.

Margot n’avait aucunement peur. Elle était de ces femmes pour qui tout passe après l’amour et l’orgueil. Ce qu’elle voulait, avant tout, c’était donc d’asseoir la survenante d’une solide réponse.

Et elle dit carrément :

— C’est du vice, de se servir comme ça d’une pétoire…

Il faut avouer que malgré l’incontestable tragique de la situation, l’amant eut envie de rire à cette réponse, et il cria joyeusement :

— Marthe, tu nous ennuies, remporte ta mitrailleuse. Je ne te dois rien. Je ne t’ai jamais juré d’amours éternelles, nous ne sommes pas époux, et, en somme, tu n’as absolument pas de reproche à me faire. Donc, le mieux est de t’en aller. Tu vas être en retard chez ton patron.

Elle dit orgueilleusement :

— Je m’en moque, je suis sa maîtresse. Il ne peut me coller dehors, ça ferait du bruit…

Le jeune Boursier tenta de canaliser le drame en faisant de l’esprit :

— Puisque tu es sa maîtresse, que dirais-tu si j’allais, moi, aussi le menacer avec un canon de 280 ?

Mais Marthe n’était pas accessible à la simple logique. Elle voulait s’en aller avec les honneurs de la guerre, ce qui, dans l’âme des femmes prime la plupart des autres sentiments.

Et, pour cela, il n’y avait qu’un seul parti à prendre, c’était de tuer quelqu’un.

Elle tira.

Il y eut un bruit terrible. Les vitres sonnèrent. Une fumée compacte se répandit dans la pièce et la malheureuse, convaincue qu’elle avait un meurtre sur la conscience, se laissa enfin tomber à terre en poussant des cris aigus.

— Pardon !… pardon !…

Dans le nuage qui emplissait la pièce, l’amoureux parvint à regarder le visage de la charmante Margot. Il était un peu pâle. Dame ! mettez-vous à sa place, l’émotion s’explique. Mais il n’y avait aucune trace de sang et de se sentir parfaitement bien portante, Margot connaissait même une félicité qui s’épanouissait en léger sourire.

Le jeune homme lui murmura à l’oreille :

— Tu n’as rien ?

— Non ! fit-elle.

— Alors je vais expulser cette braillarde.

Il se leva en riant.

— Qui a bien pu lui vendre des cartouches asphyxiantes comme ça ?

Il prit la gémissante Marthe à terre, puis lui dit :

— Maintenant que tu nous as tués, tu peux t’en aller, hein ?

— Oui ! dit-elle avec désespoir.

Et elle gagna la porte, le pistolet en main.

Cyprien et Margot se retrouvèrent seuls.

— Cette fois, grogna-t-il, je crois que nous allons être tranquilles ?

— C’est ta maîtresse, demanda Margot, un peu jalouse d’une femme que la passion, pouvait pousser au crime, chose dont elle se sentait tout à fait incapable.

— C’est-à-dire que c’est une petite amie que j’ai connue comme ça. Mais je ne l’ai jamais aimée.

Margot fit la moue :

— Tu me dis ça…

Et je le prouve.

Il l’enlaça de nouveau, après avoir quitté les derniers vestiges de vêtements dont elle couvrait une pudeur fort en danger.

— Ma chérie !

— Mon aimé !

— Ma belle, je t’adore !

— Moi aussi !

Ils articulaient les mots éternels des amants et le monde semblait tourner autour d’eux, lorsque soudain ils entendirent parler derrière la porte, puis on tenta d’ouvrir.

— Encore des em…nuyeux, dit le jeune homme.

Margot ne s’en souciait plus. Elle avait fermé à clé et se sentait libre enfin de s’adonner à cet amour qui la hantait. Elle dit doucement :

— Ah ! mon chéri, je suis à toi…

Il écoutait cependant, un peu inquiet de voir que l’on prétendait ouvrir malgré tout.

Il y eut plusieurs poussées, puis enfin la porte arrachée bâilla.

Et un agent entra, accompagné par Marthe qui gémissait :

— Oui, monsieur l’agent, je les ai tués tous deux.

L’agent était un brave homme, qui ne s’en faisait pas. Il aimait à voir de près les choses, et les crimes dont des mabouls s’accusent couramment.

Il demanda alors :

— Dites, madame. Ce sont ces personnes que vous avez tuées ?

— Oui ! c’est nous, répondit Cyprien.

— Pour des morts, vous ne vous portez pas mal.

Et à la pauvre Marthe, bien convaincue qu’elle avait laissé les autres agonisants dans une mare de sang, il dit sévèrement :

— Il me semble que vous les dérangez, et moi aussi…

Il la prit alors par la main :

— Venez !

Puis il sortit avec l’amoureuse et meurtrière qui n’y comprenait rien.

Le charmant financier alla regarder la porte.

— On peut la refermer tout de même. Et, cette fois, je crois que nous serons tranquilles…

Il emmena cependant Margot dans la pièce voisine :

— Enfermons-nous ici, et oublions tous ces gens qui nous dérangent.

Puis il s’assit à côté de Margot, qui, depuis trois heures, allant d’échec en échec, de catastrophe en cyclone, et de tornade en tragédie, finissait par perdre pied.

Il lui dit à l’oreille :

— Margot, cette fois, personne ne va venir.

— Tu crois ?

— J’en suis certain. Excuse-moi de n’avoir pu te protéger contre ces irruptions fâcheuses, mais la série en est finie.

Il répéta :

— Je t’aime.

Et il la mit sur ses genoux.

Elle retrouva un peu de rose pour ses joues et se cacha la face.

Puis ils se turent.

Sur la console, une pendulette comptait une à une des secondes qui n’étaient pas perdues pour les amoureux.

Pour les amants.

Autour d’eux le monde roulait ses turpitudes, ses hasards, ses misères, et ses aventures.

Du ciel, un rayon de soleil vint se promener à travers la fenêtre, sur la jambe nue et crispée de Margot qui se sentait heureuse.

Son rêve nocturne se réalisait enfin.

Elle gémit de délices.

Et son amant murmurait :

— Margot !… Margot !…