Éditions Prima (Collection Gauloise ; no 190p. 30-33).

IX

La justice

La porte, en effet, s’ouvrit.

Elle ne s’ouvrit point gentiment, paisiblement et comme il se doit dans la bonne société.

Elle fut ouverte par une poigne robuste et brutale, puis quelqu’un entra.

Un personnage, deux, trois…

En tête, un homme, chapeau sur la tête, tenant à la main et montrant une écharpe tricolore. Il disait :

— Au nom de la loi !

Margot et le secrétaire regardèrent avec stupeur ce groupe qui intervenait chez eux.

— Pas d’armes ! cria le commissaire en se tournant vers les deux sbires qui l’accompagnaient. Que personne ne fasse de gestes.

Puis, à Margot, et à son compagnon :

— Vous y êtes, hein ? Ne bougez pas. Je veux que les témoins se rendent compte.

Mais déjà ils s’étaient désenlacés.

Le commissaire se tourna vers la porte.

— Le mari est là ?

Personne ne répondit.

— Quoi, il n’est pas entré avec nous ?

Un des témoins sortit et revint en hâte.

— Monsieur le commissaire, au moment où nous sommes entrés, il s’est évanoui sur le palier.

— Sacrebleu. Quel idiot. Ce n’est ni le lieu ni le moment de se trouver mal. Réveillez-le au plus tôt. Il faut qu’il reconnaisse les coupables.

Et à Margot éberluée, qui n’y comprenait goutte, il dit :

— Madame, votre mari s’est évanoui de désespoir devant vos débordements. Vous devriez avoir honte…

Elle répondit :

— Quel mari ?

— Votre mari. Je pense que vous n’en avez pas plusieurs.

— Je n’en ai même pas un seul.

Le commissaire la regarda :

— Ne vous moquez pas de la Justice, ou cela vous coûtera cher.

— Je ne me moque de personne.

— Eh bien, restez comme vous êtes, oui, dans cette tenue lascive et provocante, afin qu’il ne reste aucun doute à ce monsieur que vous trompez si insolemment.

Margot était une fille patiente. Il le faut bien lorsqu’on travaille pour autrui. On n’a pas le loisir de se permettre des indépendances qui vous feraient perdre votre gagne-pain.

Elle avait donc déjà subi mille et mille reproches absurdes et injustes, elle avait entendu des multitudes d’imbécillités, venues d’employeurs auxquels leur richesse donnait une façon d’omniscience, tout au moins à leurs propres yeux.

Et surtout avait-elle le respect de la magistrature et de ses représentants.

Mais, cette fois, son sang ne fit qu’un tour, et, en bonne faubourienne, elle retrouva l’accent du gavroche pour dire :

— Ah ! ça, dites donc, quand vous aurez fini vos singeries…

— Quoi ? fit le commissaire.

— Oui ! c’est à vous que je parle.

— Prenez garde !

— À quoi ?

— À ne pas outrager un magistrat dans l’exercice de ses fonctions.

— Je n’outrage personne. Vous n’êtes pas dans l’exercice de vos fonctions, puisque vous venez pour surprendre une femme mariée et que je ne le suis pas.

L’autre, un peu refroidi, hésita à répondre.

Et Margot reprit :

— Oui ! après tout, je fais ce que je veux ici. Je ne dois pas vous en rendre compte.

À ce moment délicat, un nouveau personnage entra.

C’était le mari trompé.

Il était étayé par un agent et respirait avec peine.

Il dit seulement :

— Erreur, monsieur le commissaire.

— Comment, erreur ? Vous me l’avez répété vingt fois. C’était au second de cet immeuble.

— Oui, mais la porte en face sur le palier.

— Vous ne pouviez pas le dire au lieu de me laisser entrer ici ?

— Je me suis évanoui.

— On ne s’évanouit pas dans ces circonstances-là. Vous êtes responsable.

Et tout le monde fit une rapide retraite vers la porte.

Margot, vite remise, riait déjà follement.

— Faites-vous régler, et allez-vous-en (page 38).

Tout le monde la regardait de travers. Mais il n’y avait rien à lui reprocher. S’il lui plaisait de disposer de ses charmes elle était libre, et de rire des erreurs d’autrui…