LES ORIGINES DE LA VIE

(Suite. — Voy. p. 209 et 241.)


LES ÊTRES INTERMÉDIAIRES ENTRE LES ANIMAUX ET LES VÉGÉTAUX.

Ces êtres existent réellement et ne sont pas du tout ceux que l’on désigne souvent sous les noms d’animaux-plantes ou de Zoophytes. Les Zoophytes sont de vrais animaux, malgré la ressemblance assez frappante que présentent leurs colonies branchues avec les rameaux d’un arbuste ; mais il y a au-dessous d’eux une foule d’organismes sur la nature desquels le plus habile naturaliste serait fort embarrassé de se prononcer. Hæckel a tranché la difficulté en créant pour ces êtres ambigus un règne spécial, auquel il a donné le nom de Règne des Protistes. L’innovation n’est pas très heureuse : car les Protistes, origine commune, suivant la théorie de la descendance, des animaux et des végétaux, ne doivent pas être séparés des uns et des autres : ils ne constituent pas un type spécial dans le grand empire organique, ils ne sont pas une œuvre à part, ils sont tout au plus une préface. Dès lors il est inutile de créer pour eux un règne particulier, les isolant du règne végétal et du règne animal, auxquels ils touchent par tous les points.

Parmi ces Protistes, il faut ranger tous les êtres dont il a été question jusqu’ici. C’est là une proposition fort étonnante au premier abord. Comment croire que des êtres qui se meuvent, qui dévorent des proies vivantes puissent avoir rien de commun avec des plantes ? La faculté de se mouvoir, celle de se nourrir de matières solides, ne sont-elles pas au plus haut point caractéristiques des animaux ; n’établissent-elles pas un contraste absolu entre ces derniers et les végétaux immobiles, incapables de s’alimenter autrement qu’à l’aide de matières liquides ou gazeuses ?

On a pu le penser, en effet, pendant longtemps ; mais une étude plus exacte des végétaux montre que ces différences sont loin d’être aussi absolues qu’elles le paraissent.

D’abord, le mouvement n’est en aucune façon la propriété exclusive des animaux. Sans parler des mouvements des sensitives, des feuilles de Dionœa ou d’Utriculaires, des poils de Drosera, des étamines d’Epine-Vinette, des fruits d’Impatiens et de bien d’autres dont les causes paraissent particulières au règne végétal, il est facile de reconnaître, même chez les végétaux supérieurs, des mouvements essentiellement identiques à ceux que l’on observe dans l’autre règne[1]. Les végétaux sont, comme les animaux, composés d’utricules complètement clos que l’on nomme cellules. Les jeunes cellules végétales contiennent toujours une substance identique par tous ses caractères au Protoplasma, dont nous avons déjà si souvent parlé. Dans les poils des Étamines de Tradescantia Virginica, dans les poils vénéneux des orties, les poils étoilés de l’Althœa rosea, dans les cellules des Chara et de diverses autres plantes aquatiques, ce protoplasma est le siège d’une véritable circulation protoplasmique analogue à celle que présente le sarcode chez les Monères et les Rhizopodes. Il semble qu’on n’ait qu’à briser la paroi de la cellule pour voir le protoplasma s’épandre en masse et se mouvoir à la façon des amibes. Dans les poils des Drosera, Darwin a minutieusement décrit de fort curieuses modifications protoplasmiques qui accompagnent les mouvements de ces poils.

Mais il y a plus. Lorsque nous arrivons à 1 embranchement des Cryptogames, qui contient des végétaux fort élevés comme les Fougères, nous voyons la faculté du mouvement se généraliser. Tous ces Cryptogames présentent un mode de génération sexuée, résultant de la fusion d’un élément femelle, la spore, avec un élément mâle, l’anthérozoïde. Le nom de ce dernier indique déjà qu’il rappelle certains animaux, et de fait, c’est presque toujours un petit être, doué de mouvements extrêmement rapides qu’il exécute, grâce aux battements de cils dont il est pourvu, et qui sont en tout semblables aux cils des zoospores des Radiolaires.

Chez les Fougères et les Prêles, l’anthérozoïde, enroulé en tire-bouchon, est pourvu, à sa partie antérieure, d’un nombre considérable de longs cils vibratilcs (fig. 1, 8). Les Mousses et les Chara ont aussi des anthérozoïdes enroulés en hélice, mais seulement munis de deux cils (fig. 1, 5) ; les Fucus et les autres Algues marines de couleur olivâtre possèdent toutes des anthérozoïdes fort actifs, de forme ovoïde, présentant quelquefois un point oculaire de couleur rouge, et toujours deux fouets vibratiles partant d’un même point et dirigés l’un en avant, l’autre en arrière (fig. 1, 1) ; enfin, certaines Conferves ou Algues d’eau douce, ont aussi des anthérozoïdes dont la forme est assez variable. De plus, dans ce groupe et dans celui des Champignons, on voit apparaître un autre mode de reproduction. Le contenu de certaines cellules se change en petits corps pourvus tantôt d’un ou de deux cils vibratiles, tantôt, comme chez les Œdogonium, d’une couronne de cils. Ces petits corps, auxquels ou peut appliquer la dénomination de Zoospores, se fixent, après avoir nagé plus ou moins longtemps, et se changent directement soit en une Algue, soit en un Champignon semblable à leur parent.

La forme la plus commune de ces zoospores est celle d’une petite masse ovoïde pourvue d’un ou deux cils. Nous retrouvons donc ici, à fort peu de chose près, l’élément reproducteur que nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion de signaler chez diverses Monères et chez les Radiolaires. On ne peut cependant douter, dans le cas actuel, que les organismes qui l’ont produit soient bien réellement des végétaux. Les zoospores des Algues sont, il est vrai, généralement colorés en vert par cette même matière qui colore les feuilles de la plupart des végétaux, la chlorophylle ; parfois même, ils présentent une petite tache arrondie, une sorte d’œil rudimentaire de couleur rouge ; mais les zoospores des Champignons sont absolument incolores, et rien ne pourrait indiquer, si l’on ne connaissait pas leur origine, que l’on doive les rapporter au règne végétal plutôt qu’au règne animal.

La matière colorante verte elle-même, la chlorophylle, n’est pas absolument particulière aux végétaux. Des infusoires dont personne ne songerait à faire autre chose que des animaux, les Stentors, par exemple, sont imprégnés de chlorophylle, et peuvent même, suivant des expériences récentes, dégager de l’oxygène au soleil, tout comme font les végétaux. Des faits analogues ont été observés chez des vers relativement élevés. C’est encore un trait distinctif des deux règnes qui disparaît.

Dans les végétaux dont nous venons de nous occuper, la période de mobilité est relativement de courte durée ; mais il n’en est pas toujours ainsi. Dans certains groupes, sa durée est plus longue, au contraire, que celle des autres périodes, de façon qu’elle constitue pour ainsi dire l’état normal, la période d’immobilité, n’étant alors qu’une période transitoire. C’est ce qu’on voit, par exemple, chez les Volvox, les Stephanosphœra ou les Gonium.

Une masse gélatineuse, sphérique chez les Stephanosphœra et les Volvox (fig. 2, n° 2), quadrangulaire chez les Gonium (fig. 2, n° 1), renferme des cellules vertes régulièrement disposées un peu au-dessous de sa surface et munies chacune de deux cils vibratiles qui font saillie hors de la masse gélatineuse et fouettent constamment le liquide ambiant. Grâce au mouvement des cils, la masse entière nage en tournoyant. Chez les Volvox (fig. 2, n° 2), les cellules ciliées sont fort nombreuses et reliées entre elles par une sorte de réseau protoplasmique ; chez le Stephanosphœra pluvialis, que l’on trouve après les pluies dans les moindres flaques d’eau, et notamment dans les creux des grosses pierres, elles ne sont qu’au nombre de huit, disposées perpendiculairement à l’un des plans équatoriaux de la sphère. Ces cellules sont en forme de fuseau, et de leurs extrémités partent des filaments protoplasmiques qui vont s’attacher à la périphérie de la sphère. On a pu suivre presque toutes les phases de la vie de ce singulier végétal. Pendant la nuit, chacune des huit cellules composantes se partage en deux, quatre et enfin huit nouvelles cellules, de manière à produire une petite famille en tout semblable à celle dont elle faisait partie. Au matin, chaque Stephanosphœra contient donc, au lieu de huit cellules, huit jeunes individus, qui se meuvent à l’intérieur de la masse gélatineuse primitive jusqu’à ce que celle-ci se dissolve et les laisse en liberté. Le phénomène se renouvelle aussi longtemps que persistent les conditions de chaleur, de lumière et d’humidité nécessaires à la vie de la plante. De temps en temps la succession des générations est interrompue par la formation d’un nombre considérable de petites sphérules, dites microgonodies, résultant d’une division répétée des cellules mères. Ces microgonidies, pourvues chacune de quatre cils vibratiles, se séparent les unes des autres et nagent librement dans le liquide ambiant : on ignore quelle est leur destinée ultérieure.

Lorsque les conditions deviennent moins favorables, chacune des huit cellules composant un Stephanosphœra perd ses cils, s’isole, s’enveloppe d’une membrane résistante et tombe au fond de l’eau, où sa couleur passe graduellement au brun et au rouge. Elle peut très bien, dans cet état, supporter la dessiccation ; mais que l’humidité revienne, chaque cellule se divise de nouveau en deux, quatre, quelquefois huit parties ; sa membrane d’enveloppe disparaît et met en liberté des zoospores pourvus de deux cils locomoteurs. Chacun de ces zoospores donne naissance, par division, à un nouveau Stephanosphœra à huit cellules.

La période de repos est donc ici presque nulle, et si l’on s’en tenait au caractère tiré du mouvement, il faudrait faire des Stephanosphœra et des autres Volvocinées de véritables animaux : la couleur verte des cellules composantes, la ressemblance des zoospores avec ceux des Hydrodyction, qui par la durée de leur période de repos, sont bien réellement des Algues, sont les seules raisons qui font rattacher les Volvox au règne végétal.

Au contraire, on rattache plus volontiers au règne animal la remarquable Magosphœra planula découverte, en 1869, par Hæckel, dans la mer du Nord, et qui présente cependant certaines analogies avec les Volvox.

À l’état adulte, un individu de Magosphœra (fig. 3, nos 3 et 4) a l’apparence d’une petite sphère composée de trente-deux cellules en forme de pyramides dont les sommets se réunissent au centre de la sphère, et dont les bases polygonales affleurent à la surface de celle ci, où elles se disposent en mosaïque. Toute la surface libre des cellules est couverte de cils vibratiles, et la Magosphœra nage comme un Volvox en tournoyant sur elle-même. À un certain moment, la sphère se désagrège : les cellules mises en liberté se meuvent quelque temps encore en rampant, à la manière des amibes (fig. 3, nos 5, 6, 7) : puis elles prennent la forme sphérique et s’entourent d’une membrane d’enveloppe (fig. 3, n° 1). Rien ne les distingue alors des œufs des animaux. L’œuf de la Magosphœra n’a pas besoin d’être fécondé ; son contenu, par une série de bipartitions successives (fig. 3, n° 2), donne naissance à trente-deux cellules, d’abord indépendantes, et effectuant sans cesse des mouvements amiboïdes. Mais bientôt tout se régularise : les cellules s’effilent vers le centre du kyste, et prennent la disposition rayonnée que nous connaissons ; elles cessent de produire des mouvements amiboïdes, sauf à leur surface. Là même, les pseudopodes qu’elles émettent cessent de devenir rétractiles tout en continuant à se mouvoir ; ils forment ainsi le revêtement de cils vibratiles de la sphère. Enfin le kyste se rompt ; une nouvelle Magosphœra est mise en liberté.

Fig. 1. — Zoospores et anthérozoïdes des CRYPTOGAMES. — 1. Spore et anthérozoïdes de Fucus vesiculosus (les anthérozoïdes sont plus gros qu’ils ne devraient être proportionnellement). — 2. Anthérozoïdes du même plus fortement grossis. — 3. Anthérozoïdes d’Œdogonium gemelliparum sortant du filament de l’algue où ils se sont développés. — 4. Zoospores de Bulbochæte intermedia. — 5. Anthérozoïde d’une characée (Nitella flexilis). — 6 Anthérozoïde d’une mou « se (Funaria hygrometrica). — 7. Anthérozoïde d’une autre mousse (Sphagnum acutifolium). — 8. Anthérozoïde d’une fougère (Adianthum capillus veneris). — 9, 10, 11. Anthérozoïdes d’une Prêle (Equisetum arvense).


Fig. 2. — ALGUES de la famille des VOLVOCINÉES. — 1. Familles et cellules isolées de Gonium pectorale, Ehrb. — 2. Familles ou colonies de Volvox globator, Ehrb. (La colonie de gauche est rompue. Toutes les deux contiennent des jeunes.)

L’histoire du développement des Magosphœra nous montre un fait intéressant ; la transformation des pseudopodes sans forme déterminée, essentiellement transitoires, en quelque sorte accidentels de la masse amiboïde, en organes nettement définis, de forme constante, les cils vibratiles. Répandus dans le règne animal tout entier, jouant un rôle important dans l’économie des êtres les plus élevés, chez l’homme même, où ils revêtent d’une couche continue la trachée artère et les bronches, ces organes ne sont que de simples prolongements du protoplasma cellulaire qui, tout en perdant la faculté de changer de forme, conservent cependant la faculté primordiale de se mouvoir.

Les naturalistes, qui considèrent la matière verte comme caractéristique des végétaux, seraient disposés à ranger les Magosphœra dans le règne animal ; mais nous avons vu combien ce caractère a peu de valeur. Les Magosphœra sont donc des êtres absolument ambigus, et cela ne veut pas dire, remarquez-le bien, que si les naturalistes ne savent actuellement où les placer, ils pourraient néanmoins se décider un jour ; cela signifie tout simplement qu’en réalité les Magosphœra ne sont ni des animaux ni des végétaux ; elles sont composées des mêmes matériaux que ceux-ci, mais ces matériaux n’ont encore acquis ni le mode de groupement, ni les caractères qui les distinguent dans les deux règnes.

On peut en dire tout autant de cette curieuse Labyrinthula macrocystis découverte à Odessa, par Cienkowski, sur des pilotis enfoncés dans la mer. Imaginez une sorte de réseau muqueux, dans lequel peuvent glisser, en tournant sur elles-mêmes, des cellules d’un jaune d’œuf, tantôt isolées, tantôt groupées en amas irréguliers, plus ou moins considérables. Le mode de reproduction et de développement des Labyrinthules est encore peu connu.

Là aussi, la matière verte manque complètement : mais elle manque aussi chez les Myxomycètes, que pendant la plus grande partie de leur existence, on prendrait pour des animaux, et que la considération de leurs organes de reproduction oblige cependant à regarder comme de véritables Champignons.

Fig. 3. — Magosphæra planula, Hæckel. — 1. Phase ovulaire de la Magosphsera — 2. Segmentation de l’œuf à l’intérieur du kyste. — 3. Magosphsera adulte dont la surface est au foyer du microscope. — 4. La même, dont le plan équatorial est mis au foyer du microscope pour montrer la disposition interne des cellules. — 5, 6, 7. Cellules de la Magosphsera après leur isolement, revêtant diverses formes amiboïdes avant de s’enkyster pour passer à l’état d’œuf.


Fig. 4. — MYXOMYCÈTES. — 1. Didymium leucopus pendant sa phase amiboïde. — 2. Sporange fermé d’Arcyria incarnata. — 3. Sporange après l’émission des spores et la sortie du Capillitium encore adhérent aux parois de l’organe.

Le type de ce groupe des Myxomycètes est un organisme qui se développe abondamment pendant l’été sur les amas de copeaux de chêne ou de hêtre désignés par les fabricants de cuir sous le nom de tannée. Cet organisme est lui-même bien connu : c’est le Champignon de la tannée ou la fleur du tan ; les botanistes l’appellent Æthalium septicum. Il forme des masses muqueuses orangées d’un assez grand volume, et que l’on voit émettre de toutes parts des prolongements analogues aux pseudopodes des amibes ; ces prolongements sont aptes à se souder entre eux de manière que la masse entière a souvent une apparence réticulée semblable à celle dont le Bathybius nous a déjà fourni un exemple. Grâce à ses mouvements protoplasmiques, cette masse se déplace assez rapidement, elle englobe des matières étrangères, les dissout et se nourrit par conséquent tout à fait à la façon d’un animal. Arrive la fin de l’été, tout change : à la surface du tan se forment des gâteaux volumineux ayant quelquefois jusqu’à 30 centimètres de diamètre et 2 centimètres d’épaisseur. Ces gâteaux sont d’abord d’un beau jaune ; ils deviennent ensuite bruns ; ils sont formés d’une sorte d’écorce rugueuse, au-dessous de laquelle se trouve un feutrage très-serré de tubes anastomosés en réseau. Chacun de ces tubes en contient d’autres beaucoup plus fins formant un nouveau réseau dans les mailles duquel sont emprisonnées les petites semences sphériques, les Spores qui doivent reproduire l’Æthalium. On donne le nom de capillitium aux tubes minces qui sont développés autour des spores, celui de Sporanges aux gros tubes qui les contiennent. La croûte colorée qui protège ces tubes chez les Æthalium manque dans la plupart des autres genres. Chez les Physarum ces tubes sont eux-mêmes indépendants les uns des autres ; ils sont remplacés par de petites sphères isolées chez les Arcyria (fig. 4, n° 2) ; enfin le capillitium manque chez les Licea et les Cribraria. Dans tous les cas, c’est la masse muqueuse tout entière des Myxomycètes qui se transforme en organe de fructification. La croûte rugueuse qui forme, chez les Æthalium, la paroi externe de l’organe, n’est autre chose qu’une portion de cette masse dans laquelle se sont rassemblées toutes les substances solides étrangères que contenait le protoplasma au moment de la fructification. Cette sorte d’épuration est l’indication du début de la phase reproductrice.

Les spores de Myxomycètes mises dans l’humidité se gonflent, leur paroi éclate et leur protoplasme, devenu libre, manifeste aussi des mouvements amiboïdes ; peu à peu cependant sa forme se fixe, l’une de ses extrémités s’effile en un long cil mobile à l’aide duquel le véritable zoospore, ainsi constitué, peut nager dans le liquide ambiant. Ces zoospores se reproduisent un certain nombre de fois par division ; finalement un certain nombre d’entre eux, reprennent l’apparence amiboïde, se fusionnent et constituent de la sorte un jeune Myxomycète qui n’a plus qu’à grandir pour reproduire la masse protoplasmique dont nous avons parié tout d’abord.

Lorsque, dans cette longue série de phénomènes, la sécheresse intervient, les zoospores ou les jeunes Myxomycètes qui résultent de leur fusion s’entourent d’une membrane d’enveloppe, s’enkystent et attendent dans cet état le retour de l’humidité ; dans ces mêmes circonstances les masses protoplasmiques de taille déjà considérable se résolvent en une infinité de petits corps sphériques, enfermés chacun dans sa membrane et aptes à reproduire autant de nouveaux individus.

Dans tout ce que nous venons de dire, rien évidemment ne permet de conclure à la nature végétale des Myxomycètes : au contraire, leurs mouvements, leur mode d’alimentation tendraient à les faire considérer comme des animaux. Des botanistes éminents comme de Bary et Rostafinski ont soutenu, l’un en 1866, l’autre en 1873, que ces êtres étaient bien certainement des animaux ; mais d’autres naturalistes ont prouvé que le passage des Myxomycètes aux véritables Champignons se faisait d’une façon insensible. Suivant Famitzine et Woronine, les Myxomycètes passent aux Ceratium d’une part, aux Polypores de l’autre par le Ceratium hydnoides et le Polysticta reticulata. M. Maxime Cornu établit en outre leur passage aux Saproligniées, petits Champignons parasites des matières animales en décomposition, par l’intermédiaire des Chitridium, eux mêmes parasites des Saproligniées.

En présence de liens aussi multipliés, il est impossible de séparer les Myxomycètes des Champignons, il faut voir en eux la forme de ce groupe la plus rapprochée de l’état initial des organismes, de l’état non différencié, comme on dit dans l’École, correspondant à une époque du développement de la vie où il n’y avait encore ni végétaux, ni animaux, mais des êtres protoplasmiques ayant en eux la puissance de le devenir.

Remarquez que nous retrouvons chez les Myxomycètes, succédant l’une à l’autre, trois formes que nous avons déjà eu presque constamment l’occasion de signaler : 1° la forme amiboïde dans laquelle une masse protoplasmique dépourvue de toute membrane d’enveloppe se meut en modifiant sans cesse son contour, soit qu’elle produise de grêles et minces pseudopodes comme chez les Rhizopodes, soit qu’elle se découpe en lobes arrondis plus ou moins profonds comme chez les Amibes ; 2° la forme ovulaire dans laquelle la masse protoplasmique devient sphérique, s’entoure d’une membrane et subit, ainsi abritée, diverses modifications généralement en rapport avec les phénomènes de reproduction ; 3° 1a forme flagellée représentée par une petite masse ovoïde de protoplasme munie d’un long filament, constamment en vibration, qui sert d’organe locomoteur.

Ces deux dernières formes ont dans la plupart des êtres que nous venons d’étudier une plus courte durée que la première, tout au moins n’attirent-elles pas autant l’attention parce que les œufs sont immobiles, parce que les œufs et les zoospores sont de petite taille. La forme ovulaire, quelle que soit sa durée, ne peut d’ailleurs être considérée que comme transitoire, car elle implique une période de repos apparent qui, en réalité, est une période d’élaboration interne préparant, chez nos Protistes, le passage de la forme amiboïde à la forme flagellée.

Il n’en est pas de même de cette dernière qui se fixe à ce point que les zoologistes ont dû former une classe spéciale des Infusoires flagellés, qu’il vaudrait mieux appeler Infusoires flagellifères. Nous aborderons l’étude de ceux-ci dans notre prochain article.

Edmond Perrier,
Professeur au Muséum d’Histoire
naturelle de Paris.

— La suite prochainement. —

  1. Voy. le Mouvement végétal, la Nature, 4e année 1876, 1er semestre, p. 230, 244 et 263).