Les Origines de la Question d’Orient/03

Les Origines de la Question d’Orient
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 60 (p. 671-711).


III.

LA QUESTION D’ORIENT EN ITALIE AVANT LES CROISADES.
LES DUCS DE BÉNÉVENT ET DE SALERNE.
LES BYZANTINS ET LES MUSULMANS EN SICILE.


Je savais ce qu’avaient été Pise, Gênes, Venise et la papauté dans la lutte de l’Europe contre l’Orient après les croisades ; mais je savais moins bien ce qu’avait été cette lutte dans l’Italie méridionale avant les croisades, quand elle était soutenue par des républiques qui ne sont plus aujourd’hui que des noms de petites cilles et de villages, Salerne, Gaëte, Amalfî, Sorrente. Ayant passé quelques jours sur ces côtes de l’Italie méridionale et les voyant garnies des tours qui aujourd’hui s’appellent encore les tours des Sarrasins, trouvant partout, à Salerne, à Sorrente, à Amalfi, des souvenirs et des traditions de cet Orient musulman du VIIIe au XIe siècle, il est naturel que la curiosité des lieux ait excité chez moi la curiosité des événemens, et que je me sois mis à rechercher les récits de ces temps confus et héroïques.

C’est quelques-uns de ces récits qu’à la suite de mes premières études sur les Origines de la question d’Orient[1] je voudrais présenter très rapidement aux lecteurs de la Revue, afin qu’ils puissent avoir une idée du premier choc entre l’Orient musulman et l’Occident chrétien. Nous nous faisons volontiers une grande image de la lutte qui a eu lieu en Espagne entre les Maures et les Visigoths ; nous nous plaisons à célébrer la victoire de Charles Martel sur les Sarrasins à Poitiers, et nous l’appelons le sauveur de la chrétienté. Oui, Charles Martel a sauvé la chrétienté occidentale ; mais il y avait pendant ce temps-là une chrétienté méridionale qui luttait contre les musulmans sur les bords de la Méditerranée, en Italie, en Sicile, en Sardaigne, en Corse, en Provence. Cette lutte a souvent été périlleuse. Les Sarrasins du VIIIe au XIe siècle avaient encore l’ardeur et l’énergie de la foi mahométane dans ses commencemens. L’Italie a donc plusieurs fois failli devenir mahométane, la Sicile l’est devenue, l’Espagne l’a été ; la Provence a eu pendant longtemps à Fraissinet, aujourd’hui Lagarde-Frainet, un établissement de Sarrasins. Il s’en est peu fallu que le bassin de la Méditerranée et que l’Adriatique aussi ne soient devenues un bassin musulman. On peut donc dire sans aucune exagération que la question de savoir si l’Europe méridionale serait musulmane ou resterait chrétienne s’est plusieurs fois débattue du VIIIe au XIe siècle dans le bassin de la Méditerranée, — et si l’Europe a échappé à la domination musulmane, elle le doit peut-être à ces républiques de l’Italie méridionale aujourd’hui sans nom et presque sans histoire, à Amalfi, à Sorrente, à Salerne, à Gaëte, à ces chrétiens de la Sicile vaincus par les musulmans, mais qui tâchaient sans cesse de secouer le joug, à ces moines de couvens sans cesse dévastés qui bravaient le martyre pour affermir les fidèles dans la foi de Jésus-Christ, à ces papes dont quelques-uns n’avaient pas les allures de l’église, mais qui défendaient l’Italie avec une intrépidité guerrière et patriotique appropriée aux dangers du temps. Voilà les premiers combattans et les premiers martyrs de la question d’Orient.

Je croyais d’abord, pour découvrir les commencemens de la question d’Orient en Italie, n’avoir à étudier que les annales de Pise, de Gênes, de Venise et de la papauté ; mais c’est le propre des études sur quelques points de l’histoire d’Italie qu’on s’aperçoit bien vite qu’il n’y a rien d’ancien dans ce pays qui n’ait en arrière quelque chose de plus ancien, et qu’il y a toujours sur chaque sujet deux ou trois antiquités groupées pour ainsi dire l’une sur l’autre. Avant la lutte que Pise, Gênes, Venise et la papauté ont soutenue, après le XIIIe siècle, contre l’Orient musulman, il y a la lutte plus ancienne de l’Italie méridionale, d’Amalfi, de Salerne, de Sorrente, de Naples, de Gaëte, petits états, mais grands courages. Ils avaient leurs lois, leurs gouvernemens, leurs armées, leurs marines, leur commerce, leur industrie, et tous ces biens qu’ils s’étaient acquis, ils savaient les défendre en versant leur sang. Pourquoi donc les oublier, ces premiers et ces énergiques représentans de l’indépendance chrétienne, ces perpétuels soldats de la foi et de la liberté italiennes pendant les siècles les plus confus et les plus périlleux de l’histoire ? Pourquoi donc ne pas glorifier ces marchands, ces marins, ces soldats, ces citoyens d’Amalfî, de Sorrente, de Salerne, de Gaëte ? Ils ont sauvé l’Europe de leur côté comme Charles Martel l’a sauvée du sien. Ah ! je sais bien que lorsqu’on voit aujourd’hui Sorrente, Amalfî, Salerne, il y a deux choses qui font qu’on oublie leur héroïsme, leurs ruines d’une part et la beauté de leurs rivages de l’autre. Comment croire, lorsqu’on voit ces villes si petites et si désolées, ces maisons négligées, ces masures délabrées, ces rues qui ne sont que des ruelles de village, ces ports presque abandonnés, Sorrente et Salerne, ou qui ne sont animés que par des barques de pêcheurs ou de touristes, comment croire qu’il y a eu là des populations nombreuses, actives, guerrières, industrieuses, prêtes au travail et au combat ? Comment croire à une marine, à une armée, à un état ? Quoi ! il y a eu, disent les chroniqueurs, plus de cent cinquante mille hommes à Amalfî, dans cette petite ville, dans cette longue et étroite rue qui fait le fond d’une petite vallée descendant à la mer ? Où habitait donc tout ce monde ? Les maisons autrefois grimpaient des deux côtés de la vallée, placées sur les mamelons de la montagne comme mille et une forteresses ; à travers ces maisons, des couvens étaient çà et là dispersés. Il y en a encore quelques-uns debout avec leurs petites chambres autour du cloître, et c’est dans un de ces vieux couvens, arrangé en auberge, que viennent loger les touristes, qui y sont assez médiocrement nourris en souvenir sans doute de la sobriété des anciens moines ; mais ils ont, pour charmer leurs regards, l’immense et étincelant aspect de la mer, et vers la terre le gracieux contraste des montagnes couvertes de verdure. Que de fois, au temps jadis, quand la cloche du vieux couvent sonnait l’alarme pour annoncer une descente des Sarrasins, ou appelait à la prière pour bénir le départ d’une expédition des Amalfitains, on vit descendre des étages de la montagne, à travers mille sentiers, hommes, femmes, enfans, les hommes allant se battre ou s’embarquer, les femmes et les enfans allant prier pour leurs défenseurs ! J’aimais à les voir se grouper sur les degrés du grand escalier qui, de la place publique, monte à l’église placée sur une terrasse de rochers, à mi-côte de la montagne. De là, surveillant le combat ou le départ, ils envoyaient leurs cris de victoire ou d’adieux aux combattans ou aux embarqués. Images du passé, vous ne ressemblez guère aux images du présent, quoique Amalfi revive un peu, dit-on, par ses fabriques et ses expéditions de macaronis ! Mais ce qui couvre et efface tout, grandeurs du passé, ruines et délabrement du présent, c’est l’ineffable splendeur et l’inexprimable douceur de la nature. Comme tous les aspects semblent faits ici pour le plaisir des yeux et l’enchantement de l’esprit ! Comme la beauté arrive à vous de toutes parts, de la mer et des flots qui viennent caresser le rivage, des îles placées ça et là pour ôter et pour rendre tour à tour à ce grand horizon l’idée de l’infini, selon que l’œil s’attache à ces îles ou s’en détourne, — de la terre arrondie en collines charmantes, coupée en vallées étroites et obscures, parée du gris changeant de l’olivier et de la sombre et éclatante verdure de l’oranger ! Ces lignes graves et douces des montagnes appartiennent à l’architecture grecque ; c’est Phidias qui les a dessinées. Quelques-unes de ces femmes qui passent ressemblent à ses statues. Ce chevrier que je vois assis sur le rocher pendant que ses chèvres grimpent et se suspendent aux pierres, cherchant çà et là quelques brins d’herbes, et qui regarde la mer pour en jouir, je l’ai lu dans Théocrite, où il regarde aussi la mer depuis plus de deux mille ans pour en jouir et pour en enseigner la jouissance à ceux dont la poésie ouvre les yeux sur la nature. Est-ce qu’en ces beaux lieux les hommes ont jamais pu faire autre chose que regarder et aimer ? Est-ce qu’ici ils ont jamais pu travailler, souffrir, combattre pour une idée, pour un sentiment, pour un devoir, pour un intérêt ? Est-ce qu’il y a ici une histoire ? Est-ce qu’il y a autre chose que le charme de l’heure présente ? A ces molles insinuations d’une nature enchanteresse, j’aime que l’histoire réponde, avec sa voix sévère, en me parlant des labeurs, des dévouemens, des misères, des victoires, des grandeurs des anciens habitans de ces petites villes, des anciens citoyens de ces petites républiques. Les républiques de la Grèce ancienne et de l’Italie du moyen-âge n’existent, je crois, dans l’histoire, que pour enseigner aux hommes de notre siècle, trop épris du pêle-mêle humain et du mécanisme administratif des vastes empires, que les petites sociétés peuvent faire de grandes choses, et que, pour laisser une longue mémoire, l’énergie du patriotisme vaut mieux que l’étendue du territoire.

L’Italie moderne a produit un ouvrage très savant, l’Histoire des Musulmans de Sicile[2], par M. Amari, où tous les souvenirs de cette première lutte entre l’Italie et l’Orient sont rassemblés avec beaucoup de soin et d’étude, et je me sers d’autant plus volontiers de cet ouvrage que l’auteur l’a entrepris et écrit à Paris. Exilé du royaume de Naples, M. Amari vint à Paris et se mit courageusement à apprendre l’arabe. Son Histoire des Musulmans de Sicile est le fruit du noble et laborieux emploi qu’il fit de ses longues journées d’exil. En 1833, l’Académie des inscriptions et belles-lettres avait mis au concours la question des incursions et de la domination des musulmans en Italie[3] ». L’ouvrage de M. Amari procède de cette question, sinon de ce concours ; il a été fait sous les auspices de notre Institut, et mérite, à ce titre comme à beaucoup d’autres, d’attirer l’attention de la France.

Il y a une autre raison qui me pousse à parler avec une très grande estime du livre de M. Amari, c’est que je me permettrai quelquefois de critiquer, non pas les savantes recherches de l’auteur, mais ses jugemens et ses conclusions. Je ne m’étonne pas d’ailleurs de cette différence d’opinions entre M. Amari et moi ; nous ne traitons pas le même sujet. Il fait l’histoire des musulmans en Sicile et il aime ses héros jusqu’à penser parfois que la Sicile eût peut-être gagné à rester soumise à la domination musulmane. La question que j’essaie d’étudier est toute différente : je veux signaler les services que l’Italie a rendus à l’Europe du VIIIe au XIe siècle, avant les croisades, en luttant contre l’invasion des musulmans. Je veux montrer comment l’Italie, non-seulement par sa situation géographique, mais par l’exemple de toute son histoire, soit avant, soit après les croisades, doit avoir une part importante dans la décision de la question d’Orient. Tout l’y appelle : sa conformation géographique, puisqu’elle est une des deux grandes péninsules qui s’avancent vers l’Orient, et que, plus européenne que la péninsule hellénique, elle représente l’Europe en Orient de plus près qu’aucun autre pays ; les souvenirs de Pise, de Gênes, de Venise après les croisades, d’Amalfi, de Sorrente et de Salerne avant les croisades ; l’accord ancien et facile de la papauté et de l’Italie sur la question d’Orient ; les titres de rois de Chypre et de Jérusalem restés dans la maison de Savoie ; la part même, singulière, mais peut-être prédestinée, que le Piémont a prise en 1854 à la guerre d’Orient. Avec ces idées sur le passé et même sur l’avenir de l’Italie en Orient, il est difficile que je ne lui sache pas gré d’avoir voulu rester chrétienne, d’avoir lutté du VIIIe au XIe siècle pour l’indépendance du bassin de la Méditerranée, et du XIIIe au XVIIIe pour la sécurité du commerce européen. C’est une belle gloire que d’avoir servi deux fois de rempart à l’Europe avant et après les croisades, et cela vaut mieux, selon moi, pour l’Italie que les courtes prospérités et l’éclat éphémère que les cours mahométanes promettaient à leurs sujets à Bagdad, à Cordoue, ou même à Palerme.


I

Il faut, pour bien se représenter le trouble singulier que les incursions maritimes des Arabes ou des Sarrasins jetèrent dans le bassin de la Méditerranée au VIIIe siècle, il faut songer à la paix et à la sécurité dont jouissait ce bassin depuis les derniers temps de la république romaine. A prendre l’histoire de Rome, ce fut une grande tristesse que l’établissement de l’empire romain, qui produisit les cruautés et les extravagances des empereurs, la bassesse et la paresse de la populace romaine, qu’il fallait nourrir et amuser. A prendre l’histoire du monde, qui était tyrannisé et pillé par les proconsuls romains, l’établissement de l’empire fut un bienfait ; il y eut pour les provinces plus d’ordre et un peu moins d’exactions. Mais ce fut surtout pour le commerce que l’empire fut un grand avantage : plus de flottes rivales sur mer et luttant les unes contre les autres. La police de la mer fut facile, puisqu’il n’y avait plus qu’un seul pavillon, et la Méditerranée, avec ses mille golfes, ne fut plus qu’un vaste bassin ouvert au commerce par la paix.

C’est cette paix qui durait depuis sept siècles que vinrent interrompre et détruire au VIIIe siècle les incursions maritimes des Arabes. Pendant le premier siècle de l’ère mahométane, les Arabes hésitaient beaucoup à entreprendre des expéditions maritimes. Un des plus hardis capitaines des Arabes, Moawia, ayant demandé au calife Omar la permission d’aller attaquer l’île de Chypre, Omar le lui défendit en disant qu’il ne fallait pas confier les guerriers de l’islam à un morceau de bois flottant. C’est encore Omar qui écrivait qu’il savait que la Méditerranée était beaucoup au-dessus de la terre, et que nuit et jour elle demandait à Dieu la permission de l’inonder, qu’il ne fallait donc point que les armées musulmanes fussent remises à la garde d’un si perfide élément. On disait aussi autour d’Omar que, Mahomet et le Coran n’ayant pas parlé de la mer, les mahométans ne devaient pas la connaître ni surtout s’y hasarder. Cependant, comme les peuples finissent toujours par trouver dans leurs livres religieux ce qui est nécessaire à la satisfaction de leurs besoins et de leurs intérêts, les Arabes, surtout quand ils se furent emparés de l’Afrique et de Carthage (698 après Jésus-Christ), trouvèrent qu’il y avait dans le Coran toute sorte d’encouragemens à avoir une marine. Les docteurs et les commentateurs du livre sacré assurèrent que le musulman qui dans la guerre sacrée supportait le mal de mer avait autant de mérite que celui qui mourait sur le champ de bataille baigné dans son sang, que l’ange de la mort portait dans le ciel les âmes des autres martyrs, mais que c’était Dieu lui-même qui recueillait dans son sein les âmes de ceux qui périssaient dans une bataille navale[4].

Un des conquérans et des maîtres de l’Afrique, Mousa, établi à Tunis, à quelques pas de Carthage, fut tenté par la beauté de cette mer qu’on disait autrefois aux Arabes de craindre et d’ignorer. D’ailleurs près de lui Carthage, peu à peu abandonnée, lui parlait par ses ruines des grandeurs de la marine. Les chroniqueurs arabes racontent que Mousa aimait à s’entretenir avec les paysans berbères du pays, et que ceux-ci lui faisaient des récits merveilleux sur les entreprises de Carthage, qu’ils lui parlaient d’Annibal, un grand guerrier et un grand marin qui avait conquis l’Espagne et qui était revenu en Afrique en faisant, les armes à la main, le tour du bassin de la Méditerranée. Ces légendes enflammaient l’imagination du vieux Mousa. Il avait plus de soixante-dix ans ; mais sa vieillesse était verte et son âme était ambitieuse ; il ne sentait de son âge que le besoin de se presser dans ses entreprises. L’histoire des Carthaginois, changée et embellie par les récits populaires, le poussait à en ressusciter la grandeur. Ces Arabes qui, au commencement de l’ère mahométane, ne faisaient dater, pour ainsi dire, que du Coran la création elle-même avaient peu à peu appris l’histoire du monde en le conquérant, et ils voulaient se faire une histoire plus grande encore et plus merveilleuse que celle que leurs vaincus leur racontaient. Mousa voulait posséder le bassin de la Méditerranée, comme on lui disait que l’avaient possédé les Carthaginois, ses devanciers en Afrique. Il fit creuser un canal entre la mer et la lagune qui devait servir de port à Tunis, il fit bâtir un arsenal, il fit construire une flotte de cent vaisseaux, proclama la guerre sacrée sur mer et confia cette flotte à son fils Abdallah (704).

C’est à partir de ce moment que commencent ces incursions maritimes qui, sous le nom des Sarrasins, ont désolé la Méditerranée jusqu’aux croisades, et qui, après les croisades, ont recommencé, sous le nom des Turcs et plus tard des Barbaresques, jusqu’aux premières années du XIXe siècle. Ainsi, pendant onze cents ans, le bassin de la Méditerranée a été livré au pillage et à la déprédation, et l’Europe a supporté ce fléau ou l’a combattu mollement. Plus menacée que le reste de l’Europe, l’Italie a seule lutté avec une énergie supérieure à ses forces.

Si je voulais tracer le tableau du trouble et de la désolation que ces incursions musulmanes répandaient sur les côtes de la Méditerranée et particulièrement de l’Italie, je prendrais volontiers le tableau que Cicéron faisait, dans son discours pro lege Manilia, des incursions des pirates de Cilicie sept cent soixante ans juste avant l’armement de Mousa. La guerre des pirates est un des plus incroyables épisodes de l’histoire romaine. La marine grecque, la marine de Carthage, celle de Syrie et celle d’Égypte, celle de Mithridate, avaient partout cédé à la puissance des Romains. C’est à ce moment que d’audacieux pirates, cachés sur les côtes de la Cilicie, balancèrent la fortune romaine et devinrent les maîtres de la Méditerranée. Les biographies des Romains de cette époque (de 77 à 67 avant Jésus-Christ) sont pleines des aventures que la piraterie causait aux plus grands personnages de Rome : , ils prirent César, qui leur paya rançon. « Quel lieu, dit Cicéron, assez fortifié et assez défendu pour être à l’abri des armes de ces pirates, ou assez caché pour échapper à leurs incursions ?… Rappellerai-je la prise de Colophon et de Samos, et de tant d’autres villes considérables, quand les ports même dont vous tirez votre vie et votre nourriture sont tombés au pouvoir des pirates ? Ne savez-vous plus l’histoire de Gaëte et de son port plein de vaisseaux pillé par les corsaires sous les yeux d’un préteur ? et de Misène, où ils ont enlevé les enfans du consul qui les avait combattus à Misène même ? et d’Ostie enfin, du malheur et de la honte d’Ostie, quand sous vos yeux mêmes, et à deux pas de Rome, la flotte que commandait un consul romain a été prise et détruite par les pirates[5] ? » Gaëte, Misène, Ostie, tous ces lieux désolés, au temps même de la grandeur romaine, par les incursions des corsaires de Cilicie, je les retrouve dans l’histoire des incursions des Sarrasins aux VIIIe et IXe siècles de l’ère chrétienne. Cette ville d’Ostie, que M. de Visconti est en train de faire sortir de ses ruines, grâce à la libéralité intelligente du pape, ce sont les Sarrasins qui l’ont ravagée et détruite en 846. Gaëte, qui de nos jours a eu un instant historique, était, au IXe siècle, une petite république qui avait ses soldats et ses vassaux ; elle avait plusieurs fois battu les musulmans, plus heureuse ou plus courageuse que ne l’avait été l’ancienne Gaëte, aux derniers jours de la république romaine. Lorsque je voyais sur les bords du golfe de Salerne ces tours placées de distance en distance et destinées à défendre le pays contre les incursions des Sarrasins d’abord et des Barbaresques plus tard, ou bien lorsque je découvrais dans le pli caché de quelque vallée étroite s’ouvrant sur le rivage un petit hameau inattendu que de la mer on ne pouvait pas soupçonner, je me redisais malgré moi les paroles de Cicéron en pensant aux incursions du IXe et du Xe siècle : Quis toto mari locus per hos annos mit tam firmum habuit prœsidium ut tutus esset ? Aut tam fuit abditus ut lateret ?

Quant à ces captivités soudaines qui affligeaient les familles, quant à ces rachats qui les ruinaient au temps des pirates de Cilicie, c’était, hélas ! la vie quotidienne des habitans des côtes de la Méditerranée au temps des invasions des Sarrasins. Le butin des corsaires musulmans consistait surtout en captifs qui étaient mis à rançon. Dans la première expédition des Sarrasins de Tunis, en 704, sous le commandement d’Abdallah, Mousa, en rendant compte de cette expédition au calife de Bagdad, avait écrit qu’il envoyait au calife le cinquième des captifs qu’il avait faits, et que ce cinquième montait à trente mille hommes. Ce chiffre parut une erreur en trop. « C’est une erreur en moins, répondit Mousa ; le secrétaire aurait dû écrire soixante mille hommes. » Ces incursions n’étaient donc pas seulement des pillages, c’étaient de grandes captures d’hommes et des dépopulations de territoires.

Les incursions des Sarrasins dans la Méditerranée datent de la conquête qu’ils firent de l’Afrique ; elles devinrent plus nombreuses quand ils se furent emparés de la Sicile. À Dieu ne plaise que je veuille faire de la géographie une règle fatale qui décide de la destinée des peuples ! Il m’est impossible cependant de ne pas remarquer le lien singulier qui rattache la Sicile à l’Afrique. Quand l’Afrique est puissante, elle étend sa domination sur la Sicile, témoin les Carthaginois avant l’ère chrétienne et les Sarrasins à partir du VIIIe siècle. Quand l’Afrique est faible et vaincue, la Sicile alors devient italienne. Elle a rarement été indépendante, quoiqu’elle l’ait toujours souhaité. Elle paie en cela le prix de son admirable situation. Placée au milieu de la Méditerranée occidentale comme une place forte, tous les conquérans et tous les dominateurs de la mer l’ont enviée et se la sont disputée. Les Athéniens ont voulu l’avoir et y ont perdu leur puissance ; les Carthaginois l’ont disputée aux Grecs ; les Romains l’ont enlevée aux Carthaginois. Soumise aux Romains, la Sicile ne fut pas seulement pillée par les préteurs : c’était le sort commun du monde ; elle fut ruinée et dépeuplée par les grands propriétaires romains. C’est là qu’ils avaient leurs immenses domaines, qu’ils ne cultivaient plus, qu’ils changeaient en vastes pâturages pour l’élève des bestiaux, avec des esclaves marqués au front comme les bêtes du troupeau, à demi nus, mal nourris, mal logés, et qui devenaient des brigands à la première occasion. Dans ce pays désolé et épuisé par ses maîtres, il y avait souvent des révoltes d’esclaves et des guerres serviles qui faisaient trembler Rome au milieu même de son luxe et de ses plaisirs. Tacite donne la raison des frayeurs que ressentait la ville souveraine ; « la population libre diminuait tous les jours, la population esclave s’accroissait sans cesse[6]. » Jusqu’à l’apparition des musulmans dans la Méditerranée, la Sicile était aisément restée soumise à l’empire de Constantinople. Avec les musulmans, tout change, non pas seulement pour la Sicile, mais pour la Méditerranée tout entière. A qui restera la Sicile ? à qui restera l’empire de la Méditerranée ? Aux musulmans ou aux chrétiens ? Et parmi les chrétiens, qui l’emportera ? Il y a deux peuples ou deux états parmi les chrétiens qui au IXe siècle se disputent l’Italie méridionale et la Sicile : les Lombards de Bénévent et de Salerne, les Grecs de Constantinople. Ce sont ces deux états dont je veux caractériser rapidement la destinée et les principaux personnages en montrant la part qu’ils ont prise à la lutte contre les musulmans ; mais c’est surtout les petites républiques de cette Italie méridionale, les glorieuses devancières de Pise, de Gênes et de Venise, dont j’aimerais à signaler les efforts et la puissance.

Un mot d’abord sur les duchés lombards de Bénévent et de Salerne.

La royauté lombarde a laissé d’elle une grande mémoire en Italie. L’éclat de ses conquêtes a frappé les imaginations ; l’Arioste a chanté le roi Autharis, qui porta son étendard du pied des montagnes jusqu’aux rives de Messine :

…. Corse il suo tendardo
Da’piè de’ monti al mamertino lido,


et la légende populaire, plus poétique encore que le poète, raconte que le roi lombard, arrivé à Reggio, à l’extrémité de la Calabre, poussa son cheval dans la mer, et, frappant de sa lance la colonne d’un vieux temple, s’écria : « Voilà la frontière du royaume des Lombards ! » Boccace, dans ses contes, qui sont des récits recueillis çà et là, a mis les rois et les reines de Lombardie. Enfin les Lombards en Italie sont le peuple guerrier et chevaleresque. Ils n’ont pas la même réputation dans notre histoire de France. Accusée par les papes, détruite par notre Charlemagne, la royauté lombarde a la mauvaise renommée que les vainqueurs ont soin en général de faire aux vaincus. Ce n’est pas seulement par leurs prouesses guerrières que les Lombards plaisent à l’imagination de l’Italie ; leurs lois les ont aussi rendus célèbres. Ces batailleurs étaient des législateurs et des jurisconsultes. Au temps de l’empereur Frédéric Barberousse, un poète de sa cour, faisant l’éloge des Lombards, qui n’avaient plus nulle part en Italie ni royaume ni duché, disait d’eux :

Gens astuta, sagax, prudens, industria, solers,
Provida consilio, legum jurisque perita[7].

Le droit lombard luttait contre le droit romain et l’emportait dans les parties de l’Italie méridionale qui dépendaient du duché lombard de Bénévent. Comme les Lombards étaient d’origine germanique, le droit lombard était essentiellement féodal et se répandait avec la féodalité. Aussi, quand les Normands conquirent l’Italie, la loi lombarde prévalut décidément sur la loi romaine dans l’Italie méridionale. Les Normands sont la dernière invasion germanique ou Scandinave, et ils furent à ce titre en Europe, au IXe siècle, les restaurateurs du régime féodal, déjà affaibli et altéré, ils l’appliquèrent avec une telle force que l’empreinte s’en est pour ainsi dire conservée jusqu’à nos jours, partout où ils l’ont mise, en Angleterre par exemple et dans l’Italie méridionale et dans la Sicile, où la grande noblesse garde encore quelque chose de l’ascendant de la féodalité, sans savoir, comme en Angleterre, s’en servir pour la liberté. Comme la conquête normande avait féodalisé l’Italie méridionale[8], le droit lombard garda sa prépondérance dans le royaume de Naples jusqu’au milieu du XIVe siècle sous la maison d’Anjou ; alors l’école des jurisconsultes et du despotisme rendit la primauté au droit romain.

Je me souviens d’avoir vu au couvent de la Cava un manuscrit des lois lombardes du IXe au Xe siècle ; j’aimais à toucher de mes mains ce témoin d’un temps si ancien et ces lois faites par des princes barbares pour conserver ou rétablir un peu d’ordre social à travers la confusion violente des événemens. Puis ma pensée passait naturellement de ces monumens antiques aux lieux où je les voyais et aux bénédictins intelligens, instruits et aimables, qui me les montraient. Quels lieux ! une vallée ou plutôt une fente et un trou (cava) dans la montagne, et au fond de cette fente un couvent à l’endroit le plus sauvage, adossé à la montagne ! Mettez cela dans nos climats septentrionaux, même dans nos Alpes, quelle triste et affreuse solitude ! mais la resplendissante lumière du midi inonde ces rochers qui n’ont plus d’obscurités, et ce qui serait une cave au nord devient un abri et un ombrage au midi. Les arbres, les rochers, ce qui reste même des vieux murs du couvent, tout est vêtu d’une pourpre lumineuse. L’œil sent pour ainsi dire que derrière cette montagne est la mer immense et étincelante, cette mer que les fondateurs de la Cava n’avaient pas sans doute voulu voir, puisqu’ils lui avaient volontairement tourné le dos, soit que l’aspect de la mer eût pour eux l’inconvénient de faire penser à je ne sais combien de choses inconnues et de lointaines aventures, soit plutôt que voir la mer et en être vu fût un danger dans ces temps d’incursions musulmanes. Les moines de la Cava ont été moins solitaires qu’ils ne le voulaient : une vieille ville était venue se bâtir près de la vieille abbaye pour s’abriter sous son influence. Plus tard, la vieille ville a été peu à peu abandonnée, et au commencement du XVIIe siècle une ville nouvelle, une ville de villégiature et de plaisance, s’est bâtie dans la vallée qui, par Vietri, débouche vers la mer. La solitude primitive du couvent s’est retrouvée ; mais elle a retenu ses pieux habitans, qui ont continué à y vivre avec leur foi, avec leurs souvenirs, avec leurs livres, avec leurs manuscrits et leurs diplômes, dont ils ont fait un savant catalogue. Un bruit seulement s’est ajouté à leur vie, celui du chemin de fer de Vietri, qui passe en grondant au fond de la vallée.

Au couvent de la Cava et surtout en face du manuscrit des lois lombardes, il est impossible de ne pas songer au duché lombard de Bénévent. Bénévent n’a un nom dans l’histoire que parce qu’il a été le dernier siège de la civilisation lombarde.

Au temps de leur puissance, les Lombards avaient fondé en Italie trois grands duchés destinés à servir de boulevard à leur royaume, le duché de Frioul au nord contre les invasions barbares, le duché de Spolète au centre de l’Italie contre les Grecs de Ravenne et contre les Romains et la papauté, le duché de Bénévent dans l’Italie méridionale ; ces deux derniers duchés, Spolète et Bénévent, étaient, dans la pensée des Lombards, deux étapes pour leurs conquêtes futures. Lorsque les carlovingiens de France renversèrent le royaume des Lombards et détruisirent la première tentative de l’unité de l’Italie avant nos jours, les trois duchés lombards ne tombèrent pas avec la royauté lombarde. Les deux premiers cependant, Frioul et Spolète, disparurent dans l’anarchie de l’Italie au IXe siècle. Bénévent survécut, et perpétua dans l’Italie méridionale pendant plus d’un siècle encore la gloire du nom lombard[9]. Bénévent a compté parmi ses ducs de grands guerriers et d’habiles politiques qui faillirent presque fonder dans l’Italie méridionale le royaume que fondèrent plus tard les Normands. A la renommée des armes s’ajoutaient celle de la religion et celle de la science. Les ducs de Bénévent bâtissaient beaucoup d’églises ; ils plaçaient dans ces églises de précieuses reliques. Saint Janvier avait été évêque de Bénévent. Quand l’arrière-petit-fils de Charlemagne, l’empereur Louis, vint dans l’Italie méridionale combattre et vaincre les Sarrasins et couronner d’un dernier rayon de gloire la race prématurément abâtardie des carlovingiens, un chroniqueur du temps dit qu’il y avait à Bénévent trente-deux philosophes[10] ! Sans doute ces trente-deux philosophes étaient de médiocres savans et de médiocres lettrés ; ils brillaient au milieu de l’ignorance générale et faisaient honneur à leur pays.

Il y a parmi ces ducs de Bénévent, et surtout pendant leur lutte contre les Carlovingiens, quelques hommes remarquables. Ainsi Grimoald II, sous le règne de Charlemagne, défend intrépidement l’indépendance lombarde, dont Bénévent était le dernier refuge. Charlemagne avait nommé roi d’Italie son fils Pépin, et le jeune prince supportait avec impatience que Grimoald osât lui résister. Il lui envoya des députés chargés de lui dire de sa part qu’il voulait que de même qu’Arelghis, son père, avait obéi à Didier, roi des Lombards, il lui obéît comme au roi d’Italie ; mais Grimoald lui répondit par ces deux vers latins :

Liber et ingenuus sum natus utroque parente ;
Semper ero liber, credo, tuente Deo[11].

Voilà un orgueil de liberté et de noblesse qui est tout germanique et tout barbare ; quoiqu’il s’exprime en vers latins ; mais, comme la cour de Charlemagne visait à la gloire littéraire, Grimoald voulait, en cela aussi, rivaliser avec ses adversaires. Le fils de Charlemagne, tout jeune et tout puissant qu’il était, ne put pas vaincre Grimoald, qui mourut en 806, avant Charlemagne, et les Bénéventins lui élevèrent un tombeau avec une épitaphe où ils dirent que Grimoald n’avait pas été soumis par les Français :

Sed quid plura feram ? Gallorum fortia régna
Non valuere hujus subdere colla sibi.


Je me défie de l’authenticité de cette épitaphe, qui fait du même coup un compliment à Grimoald et aux Français, à celui qui n’a pas été vaincu et à ceux qui n’ont pas été vainqueurs. Cette épitaphe du ixe siècle pourrait bien être du XIVe siècle, sous la maison française d’Anjou.

Je pourrais prendre encore çà et là dans l’histoire des ducs de Bénévent quelques personnages et quelques événemens intéressans ; j’aime mieux chercher dans les romans et dans les récits du temps le témoignage de l’ascendant qu’avaient au ixe siècle les ducs lombards de Bénévent. Dans les temps éclairés, l’histoire, quand elle échappe à l’esprit de parti ou de système, au désir de flatter le pouvoir debout ou à l’envie d’attaquer le pouvoir tombé, est le meilleur et le plus sûr témoin des choses et des hommes ; mais dans les siècles barbares et confus comme ceux, dont je parle en ce moment l’histoire est sèche et stérile. J’aime mieux alors la tradition et la légende, qui ont l’avantage, non pas de dire la vérité des événemens, mais la vérité des impressions que les choses et les hommes ont laissées dans l’esprit des contemporains. Règle générale : jamais les personnages obscurs et insignifians ne prennent place dans la légende. Il en est de même pour les choses. Il faut, quant aux hommes, avoir fait beaucoup de bien ou beaucoup de mal à ses contemporains, les avoir beaucoup aidés et bienheurés (qu’on me passe ce vieux mot français très regrettable), ou les avoir beaucoup battus et beaucoup opprimés, — il faut, quant aux choses, qu’elles aient été très favorables ou très funestes, — pour rester dans la mémoire des hommes et entrer dans la tradition ou dans la légende. J’avoue même que, si je voulais savoir exactement ce qu’a été pour les contemporains tel homme ou tel événement, j’en croirais la légende plus volontiers encore que la tradition. La mémoire oublie, l’imagination se souvient, mais à sa manière, tenant moins de compte des faits que de leur retentissement dans l’esprit de l’homme, c’est-à-dire de leur renommée. Cherchons donc dans les chroniques et dans les légendes du IXe siècle quelque histoire qui nous montre l’idée qu’avaient les contemporains des ducs et du duché de Bénévent.

Autre réflexion que je dois faire sur les légendes et sur ce qui fait que je les préfère souvent à l’histoire. Comme tableau d’un temps et d’un pays, l’histoire a un grand défaut, elle appartient trop aux hommes. Elle est toute masculine et toute salique ; elle exclut presque toujours les femmes. On dirait en vérité, à lire seulement l’histoire, que les femmes ne font pas la moitié des sociétés humaines. La légende est plus juste et plus égale ; elle fait une grande part aux femmes dans les événemens de ce monde, et elle a raison. Non que je veuille aller aussi loin que ce vieux juge anglais qui, lorsqu’on venait lui dénoncer un crime, écoutait patiemment le dénonciateur ou le témoin, puis, quand il avait fini, lui faisait cette question : Et la femme ? — Quelle femme ? — Oui, s’il y a un crime, il doit y avoir une femme pour qui le crime a été commis. — La légende est un peu de cette école. Il y a une révolution dans un état, il y a une conquête faite d’un peuple par un autre. — Et la femme ? dit la légende ; il doit y avoir une femme à propos de qui s’est faite là révolution ou la conquête. — Les musulmans envahissent la Sicile : c’est que le gouverneur byzantin de la Sicile avait fait une mortelle injure à Euphémius, riche seigneur sicilien. Euphémius aimait la belle Omoniza, et il allait l’épouser quand le gouverneur grec, corrompu par de grands présens, enleva Omoniza pour la donner à un rival d, Euphémius. Celui-ci, furieux, alla se réfugier en Afrique et offrit aux musulmans de leur livrer la Sicile. Avec une armée musulmane, il entre à Catane et tue le méchant gouverneur. Euphémius est vengé, mais la Sicile reste en proie aux musulmans. Selon une autre légende, Euphémius était un capitaine sicilien qui s’était épris d’une religieuse ; il voulait l’épouser et il l’avait enlevée de son couvent. Les frères de la religieuse demandèrent à l’empereur de Constantinople de punir le ravisseur, et il allait être puni, c’est-à-dire avoir le nez coupé, ce qui était le châtiment prononcé par la loi, quand il fit révolter les soldats qu’il commandait, s’échappa et alla offrir au sultan de Tunis de lui livrer la Sicile[12]. Selon les légendes espagnoles, c’est pour venger l’auront fait à sa fille par le roi Rodrigue que le comte Julien appelle aussi les musulmans en Espagne[13]. Les deux grandes conquêtes musulmanes dans le bassin de la Méditerranée, l’invasion de l’Espagne et celle de la Sicile, ont, selon la légende, une femme pour cause.

A mes yeux, la légende, outre la part qu’elle fait aux femmes, a encore un autre mérite : elle suit une sorte de logique instinctive. Ayant gagné la Sicile à propos des aventures d’une femme, les musulmans doivent la perdre aussi par une femme. Vers 1060, les musulmans de Sicile étaient partagés en deux factions ennemies ; il y eut une réconciliation entre les deux partis, et Ibn-Thimna, chef d’un des partis, épousa la sœur d’Ibn-Hawasci, chef de l’autre parti. Cette sœur, qui s’appelait Meimuna, était belle, mais altière, de beaucoup d’esprit et très mauvaise langue. Elle se disputait souvent avec son mari, qui ne l’aimait pas et qu’elle n’aimait pas non plus ; c’était un mariage politique. Un soir, Ibn-Thimna, étant ivre, se mit à quereller sa femme et à lui dire de grosses injures. Elle ne resta pas court et lui en répondit d’aussi grosses, ce qui irrita l’ivrogne à ce point qu’il fit lier sa femme et lui fit ouvrir les veines des bras. Heureusement un des fils d’Ibn-Thimna accourut, appela les médecins et fit arrêter le sang. Le lendemain, Ibn-Thimna, rentré en lui-même, vint trouver sa femme, lui demanda pardon, s’excusa sur l’ivresse, et Meimuna fit semblant de lui pardonner. Quelque temps après, elle demanda à son mari la permission d’aller voir son frère ; il le lui permit, soit qu’il s’inquiétât peu de ce qu’elle pourrait faire, soit qu’il cherchât à avoir une querelle avec ibn-Hawasci. Une fois chez son frère, Meimuna lui conta ce qui s’était passé, et le frère jura qu’il ne la rendrait plus à ce maître féroce. Ibn-Thimna redemanda sa femme ; les deux chefs prirent les armes et en vinrent aux mains. Ibn-Thimna fut battu, et pour se venger il appela les Normands, déjà établis dans l’Italie méridionale. Ceux-ci vinrent en Sicile, n’en sortirent plus, et chassèrent les musulmans des deux partis. Voilà ce que j’appelle la légende de l’expulsion des musulmans. Les femmes ont part à cette légende, comme elles ont eu part à la légende de l’invasion.

Je crains bien que ces légendes, qui s’enfilent l’une au bout de l’autre comme des contes arabes, ne fassent tort à celle que je veux raconter comme un dernier témoignage de la renommée et de la puissance des ducs de Bénévent. Celle-là n’est qu’un chapitre de roman de chevalerie tout à fait fabuleux, non pas que ce conte, comme toutes les légendes, ne se rattache par quelque point à l’histoire ; mais il mêle ensemble le VIIe siècle et le Xe siècle, il tient peu de compte de la chronologie : il est seulement fidèle à ce que j’appelle l’histoire morale, c’est-à-dire aux traditions populaires et aux sentimens religieux et nationaux de l’Italie à cette époque. Les deux traits principaux de cette tradition sont premièrement le mélange obligé d’une aventure de femme aux événemens politiques du temps, en second lieu la glorification de l’héroïsme guerrier des Lombards de Bénévent.

Le duc de Bénévent Romuald avait une sœur nommée Gysa, qui aimait uniquement le Christ, et qui ne songeait pas aux joies humaines du mariage. Elle était très belle, très gracieuse, et la renommée de sa beauté remplissait le monde. Le sultan de Palerme, apprenant que la belle Gysa était à Bénévent, assembla une grande armée de barbares accourus de l’Afrique et de la Babylonie ; il l’embarqua sur des vaisseaux rapides et vint aborder à Amalfi. Son armée couvrait la terre comme les sauterelles couvrent les campagnes. Prenant leur course en furieux, les barbares arrivèrent à Bénévent. Quand les Lombards de Romuald virent cette innombrable armée, ils eurent grande crainte. Romuald leur disait : « Levons-nous tous et marchons contre nos ennemis ; » mais les Lombards lui répondaient : « Nous ne pouvons pas marcher contre une si grande armée. Il vaut mieux nous renfermer dans les remparts de notre ville et envoyer des messagers à notre roi Grimoald, ton père, afin qu’il vienne à notre secours. Alors nous combattrons nos ennemis. Nous sommes trop peu en ce moment. » Romuald leur dit : « Loin de nous cette timidité ! Depuis qu’Alboin, le premier de nos rois, a amené les Lombards de la Pannonie en Italie, jamais il ne s’est trouvé pareille faiblesse parmi les Lombards. Eh bien ! si notre fin est venue, mourons courageusement pour notre patrie, et ne laissons pas à nos ancêtres la gloire d’avoir été braves et victorieux. » Il y avait un grand deuil parmi les Lombards en voyant leur petit nombre. Les anciens habitans de Bénévent étaient les plus affligés. Radalgise, un des parens de Romuald, traitait secrètement avec les barbares. Les princes pleuraient leurs principautés perdues, et c’étaient ceux même qui passaient jusque-là pour les plus braves qui devenaient les plus timides. Romuald, le chef intrépide, sortit de Bénévent avec ses soldats et marcha contre les barbares. Bientôt les deux armées furent l’une devant l’autre. Les trompettes de l’armée de Romuald retentirent, et la terre s’ébranla aux cris que poussèrent les deux armées. Le combat dura depuis le matin jusqu’au soir, et quarante mille hommes de l’armée barbare tombèrent morts ce jour-là. Le sultan Florent s’enfuit, arriva au bord de la mer, et se hâta de remonter sur son vaisseau. Romuald, le grand prince de Bénévent, était comme un lion qui a fait son carnage et qui tressaille encore du combat qu’il a livré : il poursuivait les infidèles, sans les laisser reposer. C’est ainsi qu’il délivra Bénévent, et quand il revint dans sa ville, beaucoup de chefs le prirent pour leur duc[14].

Avec tant de renommée et tant de puissance, comment se fait-il que Bénévent n’ait pas eu au IXe siècle une meilleure fortune, et que ce duché lombard ne soit pas devenu le royaume des Deux-Siciles ? Le duché de Bénévent avait pour ennemis les Byzantins, les musulmans, les carlovingiens, les petites républiques maritimes de l’Italie méridionale ; mais ces ennemis étaient souvent divisés, et ce n’est pas sous leurs coups qu’il aurait succombé, s’il n’avait porté dans son sein les causes de sa ruine. Les deux causes principales de cette ruine sont le manque de marine et le morcellement féodal.

Au temps de leur puissance en Italie, les Lombards n’avaient pas de marine, et le duché de Bénévent n’en eut pas non plus. Venant de la Pannonie et peuple essentiellement continental, les Lombards ne comprirent pas, en arrivant en Italie, qu’ils devaient prendre conseil du pays où ils arrivaient et non pas du pays d’où ils venaient. Or la configuration géographique de l’Italie appelle évidemment une marine. Assise entre deux mers, avec des côtes qui ont presque partout des golfes et des ports, l’Italie perd les avantages de sa position, si elle n’a pas de marine. Il y a plus : faute de marine, ses avantages tournent contre elle. Elle est partout ouverte et exposée aux incursions des peuples étrangers. La grandeur de l’Italie au moyen-âge tient à ses républiques maritimes, à Pise, à Gênes, à Venise, et au commerce qu’elles faisaient en Orient. Il faut que l’Italie se répande au dehors, si elle veut remplir sa destinée, si elle veut devenir un grand état. Et qu’on ne croie pas que je conseille à l’Italie de se créer une grande marine de guerre et de laisser à son gouvernement le soin de lui faire la grandeur maritime que lui conseille la géographie. C’est aux particuliers que convient ce labeur. Qu’ils construisent partout des navires, comme ils le font déjà en plusieurs endroits ; qu’ils naviguent, qu’ils aient d’abord une grande marine de commerce : la marine de guerre viendra d’elle-même. Je me souviens qu’allant de Gênes à La Spezzia par la belle route de la Corniche du Levant, nous nous arrêtâmes pour déjeuner à La Rota, au haut de la montagne, et que mon voiturin me montra en bas, au bord de la mer, un petit village où l’on construisait, me disait-il, beaucoup de navires et où il se faisait beaucoup d’expéditions pour l’Amérique. Aussi y avait-il dans ce petit village plusieurs millionnaires, me répéta-t-il deux ou trois fois avec l’accent d’admiration et d’estime qu’inspire partout le millionnaire. J’ai oublié le nom de ce village ; mais il y a là certainement un grand exemple et une grande leçon pour l’Italie. Castellamare aussi, près de Naples, qui, il n’y a pas plus de quarante ans, n’était qu’un village de plaisance, est aujourd’hui un port de commerce. On y bâtit des navires, il y a de grands magasins, peut-être ne songe-t-on qu’à faire fortune ; il n’en est pas moins vrai que dans le petit village au bas de La Rota et à Castellamare on est sur la route des vrais destins de l’Italie, et on tourne habilement et heureusement le dos à la mauvaise fortune des rois lombards et des ducs de Bénévent, qui ont cessé d’être rois et ducs pour n’avoir pas su être ou avoir des marins.

La seconde cause de la chute du duché de Bénévent est le morcellement féodal. Les Lombards introduisirent la féodalité dans l’Italie méridionale, et les ducs de Bénévent y multiplièrent les comtes et les seigneurs. « Cette multitude de comtes, dit Giannone dans son Histoire civile de Naples, contribua beaucoup à augmenter le relief des princes de Bénévent, » et il remarque à ce propos que « beaucoup des grandes maisons de Naples descendent de ces comtes et seigneurs du duché de Bénévent[15]. » Ces paroles de Giannone sur l’honneur que se faisaient les ducs de Bénévent en s’entourant d’un grand nombre de comtes me rappellent les paroles de Tacite[16] : Hœc ducum dignitas, hœc vires magno semper electorum juvenum globo circumdari’, in pace decus, in bello prœsidium. Nec solum in gente sua cuique, sed apud finitimas quoque civitates et nomen et gloria est, si numéro ac virtute comitatus emineat. « C’est l’honneur et la force des chefs germains d’être toujours entourés d’une troupe de jeunes gens d’élite ; c’est leur ornement dans la paix et leur puissance dans la guerre. Avoir une cour de compagnons nombreux et braves ne fait pas seulement la renommée des chefs dans leur cité, mais dans les cités étrangères. » La bande germanique était devenue la cour féodale avec la conquête barbare, et les ducs de Bénévent, en vrais Lombards ou vrais Germains, s’honoraient d’avoir une cour féodale ; mais, si par là ils ajoutaient à leur magnificence et à leur renommée, ils diminuaient leur puissance, car tous ces fiefs et tous ces comtés qu’ils créaient aux dépens du domaine conquis les affaiblissaient. Outre la collation des fiefs, il y avait encore pour les ducs de Bénévent une autre cause de division et de morcellement. Les Lombards n’avaient ni droit d’aînesse ni loi salique, et ils partageaient leurs principautés entre tous leurs enfans. De là un nombre infini de petits seigneurs et de petits chefs opposés les uns aux autres et prompts à invoquer l’appui de l’étranger dans leurs querelles intestines. C’est en vain que par une faveur inespérée de la fortune les deux autres duchés lombards, Salerne et Capoue, se trouvèrent plusieurs fois réunis dans la même main. Le partage des successions détruisait bientôt cette unité, qui pouvait être le principe d’une autre unité plus grande encore, et venait rétablir la multiplicité et la faiblesse.

Ainsi divisés et affaiblis, ainsi dépourvus de marine dans un pays qui n’est qu’une bande de terre entre deux mers, les Lombards de Bénévent et de Salerne n’étaient pas capables de résister aux musulmans de Sicile et de défendre l’Italie méridionale en se l’appropriant. L’empire grec de Constantinople, qui avait perdu l’exarchat de Ravenne, mais qui avait gardé la partie la plus méridionale de la péninsule italienne, était-il plus capable que les ducs de Bénévent de repousser l’invasion des musulmans ?


II

Le bas-empire a une détestable réputation dans l’histoire : non pas qu’il soit plus mauvais que l’empire romain lui-même, mais il a eu le malheur d’avoir presque tous les vices de l’ancien empire et d’être venu à une époque où, ces vices ayant produit leur effet et perdu la société romaine, il aurait fallu, pour la rétablir, des qualités et des vertus plus grandes encore que celles qui l’avaient créée autrefois. Il succomba sous le poids d’une succession ruineuse ; cependant il fut longtemps à succomber. Montesquieu, dans ses considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, a cherché à expliquer cette longue durée d’un empire en déclin. Ce n’a pas été toujours une agonie, et le bas-empire a eu des reprises de force et de puissance qui nous font comprendre comment il a mis tant de temps à mourir. J’avoue même qu’à voir le bas-empire durer près de neuf cents ans, depuis la mort de Justinien (565) jusqu’à la prise de Constantinople par Mahomet II (1453), je me prends à croire que la durée de cet empire, plus longue que celle de beaucoup de grands états célèbres dans l’histoire, ne peut pas s’expliquer seulement par les lenteurs de l’agonie et les délais de la mort. Je suis même persuadé qu’à mesure qu’on étudiera de plus près l’histoire du bas-empire, nous verrons tomber les préjugés que nous avons contre les Byzantins, contre ce vieux boulevard de la chrétienté en Orient. Ces préjugés nous viennent des rancunes des croisés et de la haine qui divisait l’église grecque et l’église latine.

Les Byzantins ont rendu à l’Europe un grand service : ils ont défendu l’Europe orientale et méridionale contre la première invasion du mahométisme. Sans doute ils n’ont pas pu arrêter partout le torrent, ils ont été forcés d’abandonner l’Afrique, l’Égypte, la Syrie, une partie de l’Asie-Mineure, et en Europe l’Espagne et la Sicile ; mais ils ont lutté tout en reculant, et l’Europe a profité de leur résistance. Il suffit, pour comprendre le service que le bas-empire a rendu à l’Europe, de comparer la première invasion mahométane, celle des Arabes ou Sarrasins, avec la seconde, celle des Turcs. Les Turcs, après la chute de l’empire grec, se sont avancés en Europe jusqu’à Vienne ; ils ont envahi tout l’Archipel et menacé sans cesse l’Italie. Nos dangers après 1453 montrent quelle était l’utilité des remparts que nous avons laissés tomber.

Oserai-je ajouter que l’empire grec de Constantinople, ou tout au moins l’indépendance des populations chrétiennes en Orient, à Athènes, à Thessalonique, à Smyrne, à Chio, en Crète, en Chypre, est une des conditions de la prospérité de l’Orient et de la sécurité de l’Europe ? À Dieu ne plaise que je revienne ici sur des idées que j’ai souvent essayé de développer dans la Revue ; mais je suis chaque jour plus profondément convaincu que l’Europe s’est posé en Orient un problème qu’elle ne pourra pas résoudre. Ce problème est le suivant : continuer d’une part l’empire turc, parce que politiquement il est le gardien le meilleur, c’est-à-dire le plus inutile, de l’Orient, et d’autre part ne point consentir à la destruction des populations chrétiennes, qui sont en train de devenir les possesseurs utiles de l’Orient. Je sais bien que l’histoire de l’humanité s’accommode fort bien des inconséquences ; mais celle-ci est une inconséquence progressive qui marche vers l’état de difficulté insoluble.

Faisons rapidement pour les Grecs ce que nous avons fait pour les Lombards de Bénévent et de Salerne, et indiquons la part qu’ils ont prise à la lutte contre les musulmans.

Quiconque est malheureux est soupçonneux. Les empereurs de Constantinople, sentant que les provinces de leur empire étaient prêtes à leur échapper l’une après l’autre, les soupçonnaient sans cesse d’infidélité. Avant même la grande expédition du fils de Mousa, en 704, les courses des musulmans avaient commencé en Sicile ; les campagnes avaient été ravagées, des villes brûlées, des femmes enlevées et transportées en Syrie, près de Damas, où elles avaient bien vite oublié, selon les historiens byzantins, leur patrie, leurs familles et leur foi. En apprenant ces ravages, le pape Martin Ier (649-654) avait envoyé des aumônes en Sicile, et il avait racheté quelques-uns des captifs faits par les musulmans. Comme l’église romaine avait de grands domaines en Sicile, c’étaient peut-être des colons de ces domaines que le pape avait délivrés à prix d’argent. La cour de Byzance l’accusa d’avoir traité avec les musulmans et de s’entendre avec eux pour soustraire la Sicile à la domination de l’empereur. Cette étrange accusation fut le prétexte d’une affreuse persécution contre le pape Martin. Il fut arraché de Rome, jeté sur un vaisseau, transporté, avec toute sorte d’outrages et de mauvais traitemens, à Constantinople, où il fut flagellé comme un criminel, traîné à travers les rues avec un collier de fer et précédé du bourreau, qui brandissait la hache, enfin relégué à Cherson, où il mourut comme un martyr. Ce n’était pas seulement le pape Martin que l’empereur Constant avait voulu frapper ; c’était la papauté elle-même, dont l’ascendant en Italie inquiétait et gênait la cour de Byzance. Il fallait toutefois défendre l’Italie autrement qu’en persécutant les papes, et l’empereur Constant eut l’idée d’y reporter le siège de l’empire et de faire l’œuvre de Constantin. Il ne voulait pas retourner à Rome : la vieille capitale lui déplaisait par ses souvenirs anciens et par son pouvoir nouveau, la papauté. Comment être empereur à côté du pape ? D’ailleurs les successeurs de Constantin croyaient volontiers qu’un prince peut faire une capitale, et cela flattait leur vanité. L’aïeul de Constant, le brave et aventureux Héraclius, avait déjà eu la pensée de mettre le siège de l’empire en Afrique. Constant voulait le mettre en Sicile : ils songeaient évidemment tous les deux à s’assurer du bassin de la Méditerranée. Constant quitta donc Constantinople ; il y laissa sa femme et ses enfans comme otages, afin d’apaiser une sédition du peuple, qui ne voulait pas que Constantinople perdît son titre et ses avantages de capitale, et il vint s’établir à Syracuse. C’était en 663.

L’idée n’était pas mauvaise : l’établissement de l’empire à Syracuse aurait peut-être sauvé la Méditerranée des incursions qui allaient la désoler ; mais il n’y a de bonnes œuvres en ce monde que celles qui ont de bons ouvriers. Constant, en venant à Syracuse, fuyait surtout Constantinople et ses remords : il avait tué son frère, dont le spectre, dit-on, le poursuivait les nuits dans le palais impérial bâti sur le Bosphore, et il croyait qu’en quittant ce palais il échapperait à l’apparition vengeresse. Il ne transporta pas seulement ses remords en Occident, il y transporta tous les vices de sa nature et tous ceux de son gouvernement. Il commença son établissement en Occident par aller piller Rome, et il poussa la cupidité jusqu’à dépouiller le Panthéon de sa toiture de bronze. De plus il se fit battre par les Lombards de Bénévent. Le nouvel empereur d’Occident arriva donc à Syracuse doublement déshonoré par ses brigandages et par ses défaites. C’étaient de tristes auspices pour le nouvel empire. Bientôt les Siciliens sentirent la présence de l’empereur par les exactions du fisc, devenues plus violentes, et par les débauches qui désolaient les familles. Les Italiens de la Pouille et de la Calabre, les villes de l’Afrique encore romaines, connurent aussi ce qu’était le voisinage impérial. Enfin un beau jour Constant fut assassiné dans le bain par un de ses officiers, et le projet d’empire dans la Méditerranée, ruiné d’avance par les vices de l’auteur, tomba pour toujours avec lui (mort de Constant, 608)[17].

L’empire grec avait une forte marine, et Montesquieu compte sa puissance maritime parmi les causes principales de sa durée. C’était là aussi ce qui le rendait propre à avoir son siège en Sicile. L’Italie et la Sicile sont par la nature elle-même, je l’ai dit, vouées à la marine, et l’histoire enseigne que toutes les fois qu’elles ont négligé la marine, elles ont perdu leur puissance et leur prospérité. Constantinople a la même destinée : tant que la marine turque a été forte, l’empire turc a été puissant. Il a perdu sa grandeur le jour où il a commencé à négliger la marine. Ce qui dans l’empire grec soutenait la marine, « c’est que, dit Montesquieu, Constantinople faisait le plus grand et presque le seul commerce du monde dans un temps où les nations gothiques d’un côté et les Arabes de l’autre avaient ruiné le commerce et l’industrie partout ailleurs. Les manufactures de soie y avaient passé de Perse, et depuis l’invasion des Arabes elles furent fort négligées dans la Perse même. D’ailleurs les Grecs étaient les maîtres de la mer ; cela mit dans l’état de grandes richesses et par conséquent de grandes ressources[18]. » Plus loin, Montesquieu montre qu’une des causes décisives de la ruine de Constantinople fut que pendant et après l’empire latin « le commerce passa entièrement aux villes d’Italie, et Constantinople fut privée de ses richesses… Le commerce même de l’intérieur se fit par les Latins. »

Pendant la première moitié du vine siècle, la prépondérance de la marine grecque et les divisions de sectes et de partis qui troublaient l’Orient mahométan arrêtèrent un peu le torrent des invasions musulmanes dans l’Italie méridionale. Il y avait des incursions, il n’y avait pas encore de conquêtes. La Sicile et l’Italie méridionale étaient partagées entre les Grecs et les Lombards, qui dans la seconde moitié du VIIIe siècle s’alliaient encore pour repousser la conquête carlovingienne. Cependant, toute soumise qu’elle était à l’empire grec, la Sicile avait de grands rapports de commerce avec l’Afrique mahométane. Les huiles de l’Afrique se vendaient alors dans tout le bassin de la Méditerranée, et un chroniqueur arabe raconte que, la première fois que les habitans de l’Afrique, récemment conquise par les musulmans, vinrent payer le tribut à leurs vainqueurs, un des capitaines arabes, voyant apporter un sac de pièces d’or, demanda à un des contribuables comment ils gagnaient cet or. Celui-ci, cherchant autour de lui, aperçut un olivier, le montra à Abdallah et lui dit : « Voilà d’où nous tirons notre or ; les Romains n’ont point d’oliviers, et ils nous paient notre huile avec cet or. » Ainsi, malgré la guerre, le commerce se faisait dans le bassin de la Méditerranée. Il y avait même des marchands arabes établis en Sicile avant la conquête, et les musulmans n’étaient point des inconnus pour l’Italie. Souvent opprimés par les gouverneurs byzantins, les Siciliens et les Italiens méridionaux étaient parfois amenés à penser que les musulmans, leurs ennemis, ne leur faisaient guère plus de mal que les Grecs, leurs défenseurs. Je ne crois pas, comme M. Amari, que la conquête de la Sicile par les musulmans fut un bonheur pour les Siciliens ou tout au moins une secousse heureuse. A lire sa savante histoire, on voit que le bonheur des Siciliens a consisté à changer de servitude. Ils aimaient fort peu leurs maîtres byzantins ; ils n’aimèrent guère mieux leurs maîtres sarrasins. L’anarchie musulmane remplaça la paralysie grecque. La seule ressemblance entre les deux régimes, c’est que le fisc fut aussi dur et aussi tyrannique sous les musulmans que sous les byzantins, et cette ressemblance suffisait pour ôter aux Siciliens toute envie de préférer le nouveau régime à l’ancien.

Ce qui aliéna le plus les Siciliens de l’empire grec, ce fut la querelle des iconoclastes. On sait la guerre acharnée que les empereurs iconoclastes firent aux images. Les Siciliens et les Italiens méridionaux aimaient et aiment encore les images, nouvelle cause de division entre eux et les Byzantins ; mais ce n’était pas assurément une cause d’attachement et d’union avec les musulmans, plus grands ennemis des images que les iconoclastes eux-mêmes. Détester les iconoclastes et pencher vers les musulmans, dont les doctrines avaient peut-être inspiré le zèle sauvage des iconoclastes, c’est là une contradiction que je n’ose point imputer aux Siciliens. Il est vrai que M. Amari ne croit pas qu’il y ait le moindre rapport de doctrine entre les iconoclastes et les musulmans ; il ne pense pas que le plus ardent des empereurs iconoclastes, Léon l’Isaurien (726), se soit inspiré le moins du monde du mahométisme ou du judaïsme dans sa haine contre les images. Ici, je dois le dire, je joue de malheur avec M. Amari. Je suis assez favorable aux empereurs byzantins, et je crois qu’il y en a un assez grand nombre qui valent mieux que leur réputation ; mais je ne puis pas m’accorder avec M. Amari sur l’empereur Léon l’Isaurien, dont il fait un réformateur philosophique qui a voulu corriger la superstition et détruire les abus du monachisme. Léon a été intolérant et persécuteur, dit-on, parce qu’il a voulu faire des sages, l’étant lui-même. A Dieu ne plaise que je veuille ici discuter avec M. Amari pour ou contre la doctrine des iconoclastes ! Leur doctrine pouvait avoir du bon ; son malheur est d’être arrivée au trône et de n’avoir pas su résister au désir de triompher par des décrets. On reproche en général aux césars de Byzance d’avoir été trop théologiens. Leur tort, selon moi, n’est pas d’avoir été trop théologiens ; la théologie était le goût et la passion du temps. Comment des empereurs tumultueusement électifs auraient-ils pu échapper aux passions et aux opinions de leur siècle ? Aussi voyons-nous qu’à Constantinople toutes les hérésies sont arrivées tour à tour au trône. Le mal n’est pas que les empereurs aient été trop théologiens, mais qu’ils aient été trop empereurs dans la théologie. Au lieu de discuter, ils se sont mis à décréter. Il n’y avait pas grand mal à controverser sur l’usage et l’abus des images, sur la double ou l’unique volonté de Jésus-Christ ; le tort était de substituer la volonté de l’empereur à toutes les volontés du ciel et de la terre et d’adorer la toute-puissante personne du prince au lieu de telle ou telle image plus ou moins miraculeuse de la Vierge ou des saints. Règle générale : il est plus dangereux d’adorer les vivans que les morts, parce que l’adoration des vivans est un métier, tandis que celle des morts n’est qu’une opinion. Je ne veux pourtant pas reprocher trop vivement aux hérésies byzantines d’avoir cédé à la tentation de triompher par la force au lieu de triompher par la discussion et d’avoir préféré la publicité impérieuse du bulletin des lois à la publicité contentieuse des journaux. N’avons-nous pas vu de nos jours les plus honnêtes gens du monde, qui peut-être avaient raison et qui étaient en train de le faire croire au public, les économistes, renoncer à la lente sûreté de leurs démonstrations et aimer mieux vaincre par l’autorité que par la liberté ? Soyons donc indulgens pour les formulaires et les types théologiques que les empereurs imposaient à la conscience de leurs sujets, et plaignons les sectaires, princes ou ministres, plaignons les sectaires de toute opinion de préférer le commandement à l’apostolat.

Malgré le penchant que M. Amari prête aux Siciliens pour les musulmans, la conquête de la Sicile fut lente à faire, et ce n’est qu’entre 821 et 827 qu’elle s’accomplit ; ce ne fut pas non plus sans résistance. Cette résistance, dont je ne veux pas faire le récit, mais dont je veux citer quelques traits, montre un des plus curieux caractères de l’empire grec. Ce sont ce que j’appellerais volontiers ses accès inattendus de vitalité et ses résurrections intermittentes. Il y a des instans où, voyant la faiblesse de ses empereurs, la vénalité de ses ministres, l’indiscipline de ses armées, la mollesse du peuple, vous croyez que cet empire est à la veille de sa mort, et que rien ne peut le sauver. Tout à coup un nouvel empereur monte sur le trône, tantôt par l’élection d’une armée révoltée, tantôt par une révolution de palais, tantôt par un crime, et cet empereur, créé par le hasard, par le désordre ou par le crime, s’il a quelque courage et quelque talent, rend soudain à l’empire le ressort qu’il semblait avoir perdu, tant il y a de vitalité cachée dans cet établissement à la fois vieux et nouveau, tant la vie afflue naturellement de toutes parts dans cette capitale assise sur le Bosphore ! Il suffit d’un intervalle ou d’une trêve dans les vices de son gouvernement pour lui rendre quelque chose de la force et de la puissance romaines. Je ne compte pas, il est vrai, parmi les vices et les misères de son gouvernement l’usage d’élire révolutionnairement ou militairement ses empereurs. « Comme les Grecs, dit Montesquieu, avaient vu passer successivement tant de diverses familles sur le trône, ils n’étaient attachés à aucune, et, la fortune ayant pris des empereurs dans toutes les conditions, il n’y avait pas de naissance assez basse ni de mérite si mince qui pût ôter l’espérance. » Habitué à la perpétuité héréditaire de la maison de France, Montesquieu était disposé à regarder la monarchie élective et vacillante comme un mauvais système. Nous sommes d’un siècle plus aguerri aux oscillations du pouvoir. La phrase de Montesquieu veut dire après tout que, parmi les empereurs grecs, il y a eu beaucoup de parvenus. Où était le mal dans un empire cosmopolite, comme était nécessairement l’empire grec ? L’élection et le cosmopolitisme étaient un des remèdes et des contre-poids du despotisme oriental : mauvais remède, je l’avoue, meilleur pourtant que le mal. Dès Rome, il était visible que l’élection des empereurs, faite par le choix capricieux des soldats entre des parvenus arrivant du monde entier, était pour l’empire un moyen de salut plutôt que de ruine. Les courtes dynasties que Rome avait eues avaient toutes mal fini, celle des Césars par Néron, celle de Vespasien par Domitien, de Marc-Aurèle par Commode, de Septime-Sévère par Caracalla. A Constantinople, les dynasties ne furent pas plus heureuses. L’empire romain à Rome et l’empire grec à Constantinople n’avaient pas ce qu’il faut pour avoir des dynasties durables. La stabilité des dynasties tient à l’unité des peuples. Or il n’y a pas de peuple et de société qui aient jamais eu moins d’unité nationale que l’empire de Rome ou de Constantinople. Quand on est le monde entier, on peut être un état, mais on n’est point un peuple. Le palais des césars à Rome et le palais des empereurs grecs sur le Bosphore ressemblent à un vaste panthéon où entrent tour à tour les dieux de toutes les nations et de toutes les races. Il y a des empereurs de toutes les provinces, de tous les pays qui forment l’empire, et il y en a aussi de toutes les sectes chrétiennes de l’Orient. Les Thraces sont remplacés par des Africains, les Africains par des Arméniens et des Phrygiens, ceux-ci par des Macédoniens, les Macédoniens par les Comnène issus de Rome. L’élection prend partout ses élus ; souvent aussi l’audace les lui impose. Byzance voit à peine une dynastie durer plus d’un siècle, et cette mutabilité n’est pas un malheur pour l’empire, car on peut remarquer que les résurrections de l’empire grec coïncident avec l’avènement des dynasties nouvelles. Le règne de Justinien est glorieux pour l’empire ; Justinien représente une dynastie nouvelle fondée par son oncle Justin Ier, qui est fils d’un laboureur. Héraclius relève la fortune de l’empire ; il est le chef d’une dynastie nouvelle. Il en est de même de Léon l’Isaurien et de Basile le Macédonien. Le corps du vieil empire reprend la vie aussitôt qu’il reçoit un nouveau sang. Il y a des états qui tombent par de trop fréquens changemens de dynasties ; l’empire grec se relève par ce qui ordinairement perd les autres états.

C’est à ces changemens de dynastie qu’il faut faire honneur de la résistance que firent la Sicile et l’Italie méridionale aux attaques des Sarrasins. Sous Théophile, le second empereur de la dynastie phrygienne (829-842), et sous Basile Ier, fondateur de la dynastie macédonienne (867-886), l’empire grec reprit un peu d’énergie et de grandeur. Il eut des hommes de cœur à son service : ainsi, sous Théophile, en Sicile, le patrice Alexis Muscegh, un jeune Arménien plein de valeur et de talent que l’empereur Théophile avait pris en grande faveur et qu’il fiança à sa fille Marie encore enfant. L’empereur fit coup sur coup de Muscegh un patrice, un proconsul, un maître des officiers du palais, un césar, il voulait même en faire son successeur ; mais à peine l’eut-il élevé si haut qu’il se mit à le soupçonner, et il le fit général de l’armée de Sicile pour l’éloigner de Constantinople. En Sicile, Muscegh repoussait les attaques des musulmans et commençait à reconquérir les villes qu’avait perdues l’empire, quand ses ennemis l’accusèrent de s’entendre avec les musulmans pour s’emparer de l’île et s’ériger en prince indépendant. Théophile était un assez bon empereur ; mais il était déjà le second de sa dynastie, et déjà loin par conséquent des bonnes inspirations de la vie privée. Il crut aux calomnies de ses courtisans contre Muscegh et le rappela. Muscegh était instruit de sa disgrâce et hésitait à revenir, ce qui aidait à la calomnie. Théophile alors lui envoya un archevêque en protestant de son affection constante pour Muscegh. Il le chargea d’un sauf-conduit et lui remit, comme gage de sa bonne foi, une croix qu’il portait toujours sur sa poitrine. L’archevêque fut trompé par l’empereur et n’en trompa que mieux Muscegh. Le général calomnié revint à Constantinople avec lui, fut jeté en prison, battu de verges, et ses biens furent confisqués. L’archevêque reprocha en pleine église son parjure à l’empereur, qui le fit arracher de l’autel, flageller, et enfin l’exila. Le patriarche de Constantinople osa aussi faire des remontrances à l’empereur ; elles le touchèrent. Théophile avait des caprices en bien et en mal ; il en eut un de justice : il fit sortir Muscegh de prison, lui rendit ses biens et voulut lui rendre ses emplois et son commandement. Muscegh refusa : il était las du monde et de la cour. Il employa ses biens restitués à bâtir un monastère et il s’y renferma. Que dites-vous de cette scène de la cour de Byzance qui semble déjà une des scènes de la cour des sultans de Constantinople ? Et ce chapitre d’histoire n’explique-t-il pas comment l’empire grec se relevait de temps en temps par le courage de quelques empereurs et de quelques généraux, comment il retombait bientôt par les vices du despotisme et les intrigues de la cour, comment enfin le zèle de la religion, peut-être même le goût de la théologie, qui, mieux que le patriotisme, soutenait cet empire contre les musulmans, soutenait aussi les honnêtes gens de l’empire contre les déboires et les injustices de la cour et du monde ? Mais c’était malheureusement à la condition de quitter ce monde qu’ils privaient de leur appui, de telle sorte que dans ce malheureux empire l’amour même du bien se tournait en impuissance contre le mal.

Basile le Macédonien fut aussi un des restaurateurs intermittens de l’empire grec, un des défenseurs de la Sicile et surtout de l’Italie méridionale contre les musulmans. Il est impossible d’arriver à l’empire par plus de hontes mêlées à plus de crimes que ne le fit Basile. Il avait épousé une des maîtresses de l’empereur Michel III ou l’Ivrogne ; il lui avait donné sa propre sœur pour remplacer sa maîtresse répudiée ; il avait assassiné le césar Bardas, oncle de Michel III, et il assassina aussi Michel. Après cela, il régna avec habileté, avec sagesse, avec justice, releva l’empire et fonda la plus longue dynastie qui ait régné à Constantinople. Les moralistes de Port-Royal diraient que Dieu permet ces choses-là afin que nous comprenions ce que vaut au fond le pouvoir ici-bas, puisqu’on peut l’acquérir à de pareils prix. Malgré le courage et l’activité que Basile montra dans son gouvernement, c’est sous son règne pourtant que Syracuse fut prise et que la Sicile se soumit à la domination des musulmans.

Ce siège de Syracuse est un des épisodes les plus intéressans de l’histoire des musulmans de Sicile. En rapprochant les uns des autres les historiens byzantins des chroniqueurs arabes, M. Amari a fait du siège de Syracuse un récit éloquent et dramatique. Je demande la permission d’en traduire les dernières pages. La brèche était ouverte, et les musulmans avaient plusieurs fois donné l’assaut sans pouvoir vaincre l’héroïque résistance de la garnison byzantine, aidée par le dévouement des Syracusains. « Pendant vingt jours et vingt nuits, les chrétiens, épuisés par neuf mois de siège et de famine, défendirent cette brèche couverte de cadavres. Il y avait cent musulmans contre un chrétien, dit le moine Théodose, qui a raconté cette admirable défense, à laquelle il prit part ainsi qu’aux dernières et lamentables épreuves qui la terminèrent. Fatigués et mécontens d’être arrêtés si longtemps par une bande de squelettes plutôt que d’hommes, sur un monceau de ruines plutôt que sur un rempart, les musulmans s’éloignèrent un instant. Le matin du 21 mai 878, tout paraissait calme et tranquille ; le gouverneur et la plus grande partie des soldats s’étaient retirés un instant pour prendre un peu de nourriture et de repos. Jean Patriano était resté avec quelques soldats pour garder la brèche du haut de la tour qui la dominait, quand, à six heures, toutes les machines de l’ennemi se mettent à lancer des traits et des pierres avec le fracas d’une tempête. L’échelle de bois qui communiquait de la ville à la tour, et qui était le but des projectiles ennemis, se brise avec un grand bruit. À ce bruit, le gouverneur s’élance de table, court à la brèche, suivi de ses plus intrépides soldats : il n’était plus temps ; l’ennemi s’était élancé sur la tour, avait massacré ses défenseurs et faisait irruption dans la ville. Une troupe de soldats essaya de tenir tête encore aux ennemis devant l’église du Sauveur. Elle fut écrasée par le nombre et mise en pièces. Alors les vainqueurs, heurtant avec force les portes de l’église, les brisent, entrent ; il y avait là une foule immense d’hommes, de femmes, d’enfans, de vieillards, de malades, de prêtres, de moines, d’esclaves, qui s’étaient réfugiés au pied des autels : les musulmans en font un affreux carnage. De là, ils se répandent dans la ville, tuent et pillent. Le patrice, avec soixante nobles syracusains, s’enferme dans une tour et résiste jusqu’au lendemain. Une troupe de musulmans court à la cathédrale, où l’archevêque Sophronius et trois prêtres, parmi lesquels le moine Théodose, s’étaient dépouillés de leurs vêtemens sacerdotaux, afin de n’être point reconnus. Vêtus d’un pourpoint de cuir, ils s’étaient tapis entre le maître-autel et la chaire épiscopale. Sophronius attendait et promettait un miracle ; les autres se demandaient mutuellement pardon de leurs fautes, comme à l’article de la mort, et ils remerciaient Dieu, dit Théodose, de l’épreuve qu’il leur envoyait. Voici que les musulmans entrent dans la cathédrale, et l’un d’eux, avec son épée dégouttante de sang, court derrière l’autel, tire les fugitifs de leur abri, sans les maltraiter ni les menacer. Frappé de l’aspect vénérable de l’archevêque, il lui demande en grec qui il est. L’archevêque se nomme. « Où sont les vases sacrés ? » dit le musulman, et il se fait mener dans la chambre où étaient gardés ces vases, qui, dit Théodose, pesaient cinq mille livres d’argent et d’or. Le musulman enferme ses captifs dans cette chambre, puis il va chercher les chefs de l’armée et obtient la vie des prisonniers. »

M. Amari, disposé à admirer les musulmans, cite le nom de ce guerrier qui savait épargner les vaincus ; mais à voir les épouvantables massacres qui suivirent la victoire, et cela pendant une semaine entière et de sang-froid, il faut croire que Semaioun, c’est le nom du bon musulman, était de l’élite. M. Amari pense que c’était un converti au mahométisme qui gardait, encore quelque affection pour ses compatriotes. Le brave gouverneur de la ville fut égorgé un des premiers, et il reçut la mort la tête haute et comme s’il allait au combat ; le moine Théodose l’appelle un saint, il l’était, puisqu’il combattait et mourait courageusement pour défendre sa religion et sa patrie. Il y avait aussi parmi les défenseurs de Syracuse un autre guerrier que les musulmans connaissaient bien à cause des grands coups d’épée qu’il donnait et des imprécations qu’il prononçait à chaque coup d’épée contre le prophète Mahomet. Les musulmans lui écorchèrent la poitrine et lui arrachèrent le cœur, qu’ils déchirèrent à belles dents. A Dieu ne plaise que je veuille diminuer l’horreur de cette atrocité, mais c’était une croyance des Arabes que le cœur était le siège du courage de l’homme. Un de leurs plus cruels tyrans, un des fous les plus sanguinaires qui aient jamais régné, Ibrahim-ibn-Ahmed, ne manquait jamais, quand un de ses ennemis avait montré un grand courage, de lui faire arracher le cœur pour l’examiner curieusement, comme s’il pouvait y surprendre le secret du courage qui l’avait étonné. A la prise de Taorminium (902), Ibrahim fit amener devant lui l’évêque Procope, qui avait exhorté ses compatriotes à se défendre courageusement contre les musulmans. « Tes cheveux blancs, lui dit-il, m’invitent à te parler avec un esprit de paix. Si en même temps ils te rendent sage, abjure la foi chrétienne, tu sauveras ta vie, celle de tous ces prisonniers qui t’environnent, et je te mettrai dans un tel rang que tu seras, après moi, le second de la Sicile. » Procope sourit sans répondre. « Ne sais-tu pas quel est celui qui te parle ? — Si, répliqua Procope, c’est le démon qui me parle par ta bouche, et voilà pourquoi je ris. » Alors Ibrahim, se tournant vers les bourreaux : « Ouvrez-lui la poitrine, dit-il, et arrachez-lui le cœur ; je veux y chercher le secret de son orgueil. » Un chroniqueur prétend même que, dans sa fureur et en grinçant des dents, il voulait manger ce cœur : autre opinion étrange et digne d’Ibrahim, qu’à manger le cœur d’un brave on s’en approprie le courage[19].

Les Byzantins, en perdant Syracuse, perdaient la capitale de la partie de la Sicile qui était restée grecque. C’était un grave échec ; mais, comme ils avaient une marine puissante, ils désolaient par leurs prises le commerce des musulmans. Ils avaient en même temps reconquis la supériorité dans la Pouille et dans la Calabre, d’où ils avaient chassé les musulmans. Constantinople avait alors en Italie un général habile et brave, Nicéphore Phocas, qui fut l’aïeul de l’empereur Phocas. Ce n’était pas seulement un bon capitaine, c’était un guerrier généreux et qui tâchait de rendre la guerre moins cruelle qu’elle ne l’était alors. Un des plus grands fléaux de la guerre à cette époque, c’était la vente des prisonniers de guerre comme esclaves. En Italie, l’armée byzantine avait fait beaucoup de prisonniers, non-seulement parmi les musulmans, qu’elle avait vaincus, mais parmi les Italiens, qu’elle prétendait avoir délivrés du joug mahométan. Rappelée d’Italie pour aller défendre l’Asie-Mineure, l’armée byzantine, prête à s’embarquer à Brindes, traînait derrière elle ces bandes de prisonniers qu’elle comptait, vendre à Constantinople au marché des esclaves ; c’était sa plus grosse part de butin. Nicéphore ordonna que les soldats s’embarquassent avant les prisonniers ; quand ils furent embarqués, il commanda de mettre à la voile et fit annoncer aux prisonniers qu’ils étaient libres. Les Italiens reconnaissans bâtirent sur le rivage une église dédiée à saint Nicéphore, au patron de leur libérateur, en mémoire de sa générosité et des services qu’il avait rendus à l’Italie pendant son gouvernement en traitant bien les sujets de l’empire et en allégeant le poids des impôts.

Heureuse la cour de Byzance, plus heureuse encore l’Italie méridionale, si elle n’avait jamais eu que des gouverneurs comme Nicéphore Phocas ! Malheureusement les soldats byzantins se croyaient en pays conquis quand ils étaient en Italie ; ils se permettaient tout, violences contre les biens et contre les personnes, outrages à l’honneur des femmes, et répondaient aux plaintes par des coups. Aux insultes privées ajoutez la rapacité des généraux et des gouverneurs, les déprédations de leurs agens, les exactions sous prétexte d’armemens à faire : de là la haine que tous les historiens de ce temps, interprètes en cela des sentimens de l’Italie méridionale, témoignent contre les Byzantins ; de là aussi la faiblesse secrète de la domination byzantine dans la Pouille et dans la Calabre, et sa chute aux premiers coups que lui portèrent les Normands. Les Italiens du sud ne voulaient pas des musulmans pour leurs maîtres, mais ils ne voulaient pas davantage des Byzantins pour leurs défenseurs. Ils acceptèrent les Normands, chrétiens comme eux et qui cessaient d’être des étrangers en se naturalisant par leur conquête[20].

Je ne veux pas encore toucher à l’histoire des Normands dans l’Italie méridionale et plus tard dans la Sicile, qu’ils enlevèrent aux musulmans et aux Byzantins. Cette histoire viendra en son temps. Je veux achever de caractériser les derniers temps de la puissance byzantine en Italie, montrer ses derniers jours d’éclat au moment même où sa chute approchait, signaler les causes de cette chute, et enfin indiquer les traces que la domination byzantine a laissées plus ou moins longtemps dans l’Italie méridionale.


III

J’ai souvent cherché quelle était la cause du peu d’intérêt qu’inspirait l’histoire du bas-empire. Une des causes principales est, selon moi, l’incohérence et la singularité même d’un empire qui, pendant neuf cents ans, semble toujours mourant et qui ne meurt pas. Nous sommes tous portés, historiens ou lecteurs, à partager l’histoire des empires en trois périodes, celle de leur agrandissement, celle de leur puissance, celle enfin de leur décadence, et nous ne permettons guère aux événemens de mêler et de croiser ces diverses périodes, c’est-à-dire de susciter des résurrections imprévues aux jours de décadence et des chutes également imprévues aux jours de puissance et de force. Les soubresauts nous déplaisent dans l’histoire. Si un empire tombe, il faut, pour plaire aux logiciens, et nous sommes tous plus ou moins logiciens, que sa chute soit continue et progressive. Si un empire est en train de s’élever, il faut aussi qu’il s’élève par un progrès continu, sans s’interrompre par un accident inattendu. Nous savons bien, il est vrai, que le hasard a une grande part dans l’histoire privée et publique de l’humanité ; nous n’aimons pas cependant l’histoire d’un homme ou d’un état qui n’est qu’une suite de hasards. Or telle est l’histoire du bas-empire, une suite de hasards, contradictoires, hasards de mort, hasards de vie, hasards de faiblesse, hasards de force. Il n’y a qu’une seule manière d’expliquer ces hasards, et je dirai même qu’ils me plaisent ainsi expliqués : ils dépendent des individus ; ils sont bons ou mauvais selon les individus qui entrent tour à tour sur la scène. Il n’y a pas d’histoire où l’individu ait un plus grand rôle que dans l’histoire du bas-empire, de ce grand théâtre cosmopolite qui. reçoit des acteurs de toutes les parties du monde. Quel roman perpétuel, roman de palais et de cour, roman de caserne et de camp, roman de cloître et d’église ! Toutes les causes d’aventures dans la vie humaine se trouvent réunies dans les événemens du bas-empire, la guerre et la fortune militaires, les femmes et les intrigues d’alcôves, les hérésies, les schismes et les agitations de sacristies. Il y a pour l’individu dans cet empire toutes les manières de réussir, les bonnes, les mauvaises, celles qui sont mêlées de bien et de mal. Et réussir, cela veut dire le succès le plus inattendu et le plus grand, de simple soldat devenir empereur, de mignon devenir prince, de bedeau devenir patriarche ! Le malheur de cette histoire romanesque, qui est toujours tout près de me plaire parce qu’elle fait une large place aux vertus et aux vices de l’individu, c’est qu’elle a trop d’acteurs, trop de personnages. De là une sorte de confusion et de pêle-mêle qui déroute l’attention. On ne sait à qui entendre au milieu de tant de personnages qui ont tous et tour à tour le premier rôle. On se fatigue à prendre intérêt à tant de princes et à tant de princesses, quoiqu’ils diffèrent de race, de pays, de caractères, d’idées et de goûts. Les uns, il est vrai, tâchent de restaurer l’empire par leurs qualités ; les autres en hâtent la chute par leurs vices. Rien néanmoins dans cette histoire ne se décide ni en bien ni en mal, et le lecteur s’impatiente d’attendre un dénoûment qui ne vient jamais.

Ce sont pourtant ces restaurations temporaires qui doivent le plus exciter l’intérêt, et celle qui se fit de la domination byzantine dans l’Italie méridionale au Xe siècle doit surtout attirer notre attention, — d’un côté parce qu’elle fut la dernière en Italie et qu’elle amena un dénoûment, de l’autre parce qu’aucune peut-être ne caractérise mieux ces résurrections intermittentes et passagères qui sont le trait distinctif de l’histoire du bas-empire. Depuis que les musulmans étaient maîtres de la Sicile entière, et que cette île était leur place forte dans la Méditerranée, ils attaquaient sans cesse l’Italie méridionale ; ils s’y faisaient même des établissemens d’où ils s’élançaient par toute l’Italie et jusqu’aux portes de Rome. Sous Constantin Porphyrogénète (911-959), une expédition byzantine vint relever en Italie la fortune de l’empire. C’était en 956 ; les musulmans, divisés par des factions, se combattaient entre eux au lieu de poursuivre leurs conquêtes en Italie. L’expédition byzantine s’occupa surtout de faire rentrer sous le joug impérial les principautés lombardes, qui s’étaient relevées d’une première chute, et les municipalités italiennes, qui étaient des républiques presque indépendantes, comme Naples par exemple, qui avait alors une histoire nationale, tandis qu’elle n’a plus eu depuis que celle de ses conquérans étrangers. Les empereurs byzantins ne savaient pas qu’à détruire les principautés lombardes et les républiques municipales de l’Italie méridionale, ils abattaient d’avance les obstacles qui pouvaient arrêter la conquête normande.

Encouragés par leurs succès en Italie, les Byzantins, sous Phocas (964), songèrent à recouvrer la Sicile. Phocas, bon général avant d’être empereur, et qu’une élection militaire avait porté sur le trône, sut bien préparer et organiser l’expédition ; mais il n’osa pas mettre à la tête de l’armée ses meilleurs généraux, craignant que leurs victoires ne leur créassent des titres à l’empire. Il prit pour amiral un eunuque, Nicétas, qui était brave, et qui de plus était un savant théologien, mais qui n’était point un marin, et pour général le bâtard d’un de ses oncles, jeune homme courageux, mais imprudent. C’étaient des choix de cour et des calculs d’usurpateur. L’expédition échoua en Sicile après quelques succès : la flotte même fut moitié brûlée, moitié prise par les musulmans. L’amiral eunuque fut fait prisonnier et conduit à Mehedia, en Afrique, où il trouva, pour le consoler de sa captivité, un beau manuscrit des Homélies, qu’il copia avec soin, et cette copie est aujourd’hui à la Bibliothèque impériale de Paris[21].

L’échec des Byzantins en Sicile ne détruisit pas leur domination dans la Pouille et dans la Calabre ; mais ils ne savaient pas rendre cette domination légère et douce à leurs sujets. De là de fréquentes révoltes, et dans leur désespoir les Italiens ne manquaient pas d’appeler les musulmans de Sicile, qui venaient piller le pays sous prétexte de le délivrer. Les Byzantins à leur tour appelaient contre les musulmans d’autres défenseurs, qui accouraient comme vers une proie à dévorer. Ainsi en 1003 et 1005 nous voyons les Pisans et les Vénitiens venir au secours des Byzantins de la Pouille et de la Calabre. Les Pisans viennent défendre les côtes occidentales de l’Italie méridionale, les Vénitiens les côtes orientales : intervention à noter dans l’histoire, parce qu’en face de l’affaiblissement des municipalités républicaines de l’Italie du sud elle montre l’accroissement de puissance des républiques maritimes de l’Italie du nord. Pise et Venise ne songent pas à faire des conquêtes ou des établissemens dans l’Italie méridionale ; mais elles s’essaient à s’assurer l’empire de la Méditerranée, et c’est déjà une preuve de leur grandeur croissante que de voir les Byzantins demander secours à Pise et à Venise. La puissance maritime de Constantinople, jadis maîtresse absolue de la mer, commence à décliner. Ce n’est pas encore tout à fait le moment de l’empire grec décrit par Montesquieu, et qui précède sa chute de peu de temps quand il peint « cet état qui dominait sur plusieurs îles, qui était partagé par la mer, qui en était environné en tant d’endroits, et qui n’avait plus de vaisseaux pour y naviguer[22] ; » mais il y avait déjà un principe de ruine dans cette prépondérance accordée volontairement aux marines de Pise et de Venise.

Dix ans après, les princes lombards de Salerne, pour repousser les incursions des musulmans, appellent de leur côté les Normands, qui, par la défense de Salerne, viennent inaugurer leur destinée en Italie. A la fin du Xe siècle et au commencement du XIe, l’arrivée de la marine pisane et vénitienne dans les deux mers de l’Italie méridionale et l’apparition des Normands à Salerne semblent partout annoncer en Italie l’ascendant décisif de l’avenir sur le passé. Des puissances nouvelles, peu redoutées il y a encore un siècle, et d’autres entièrement inconnues, — Venise et Pise d’une part, les Normands de l’autre part, — entrent dans l’histoire et vont bientôt la dominer, tandis que les vieilles puissances, — le bas-empire, les principautés lombardes, — s’effacent peu à peu devant les nouveaux maîtres du destin.

La chute définitive des Byzantins dans l’Italie méridionale est représentée tout entière dans la biographie de Maniaces, général byzantin, ou plutôt un de ces capitaines d’aventure qui se font place par leur talent et par leur audace à travers la confusion du bas-empire, et auxquels il n’a manqué pour être empereurs que le succès d’une révolte ou d’une conspiration. Les aventures de Maniaces sont celles de je ne sais combien d’aventuriers qui l’avaient précédé. Son nom a dans l’histoire un peu plus de relief que les autres, parce que ses aventures ont aidé à l’expulsion des Byzantins en Italie.

George Maniaces commence à paraître dans l’histoire en 1030, pendant une campagne malheureuse de l’empereur Romain III en Syrie contre les Arabes. Romain avait été battu par les Arabes et s’était enfui dans les murs d’Antioche. Huit cents Arabes vainqueurs et chargés de butin passaient près d’une petite ville dont Maniaces commandait la garnison. Fiers de leur victoire et croyant que tous les Grecs avaient été vaincus avec leur empereur, ils envoyèrent dire à Maniaces de leur ouvrir les portes. Il aurait la vie sauve et pourrait se retirer libre avec ses soldats et ses bagages. Maniaces répondit qu’il demandait jusqu’au lendemain matin pour préparer son départ. En signe de soumission, il envoya aux Arabes beaucoup de vivres et beaucoup de vins. Les Arabes mangèrent et s’enivrèrent pendant toute la nuit. Quand Maniaces sut qu’ils étaient ivres et endormis, il sortit avec sa petite, garnison et massacra les Arabes, qui se défendaient à peine. Il trouva dans leur camp deux cent quatre-vingts chameaux chargés des dépouilles de l’armée grecque, et les fit reconduire à l’empereur.

Cet exploit arrivant si à propos mit en lumière Maniaces, jusque-là inconnu et qui n’avait pas encore d’envieux. L’empereur lui donna le gouvernement de toutes les villes de l’empire le long de l’Euphrate. Sous Michel IV le Paphlagonien, mauvais empereur qui gardait pourtant la tradition de la dynastie macédonienne, comme on pensait toujours à recouvrer la Sicile pour s’assurer de l’Italie, ce fut Maniaces qu’on chargea de commander l’armée, composée comme c’était l’usage du gouvernement impérial, de mercenaires étrangers. Parmi ces mercenaires était un corps de cinq cents cavaliers, moitié Italiens et moitié Normands, à la solde du prince de Salerne. Le commandement de l’armée avait été donné au mérite, c’est-à-dire à Maniaces ; le commandement de la flotte fut donné à la faveur, c’est-à-dire au beau-frère du principal ministre de l’empereur. Il y avait là aussi un calcul de défiance : on ne voulait pas que Maniaces fût maître à la fois de l’armée et de la flotte, et on mettait à côté de lui un surveillant et un rival. Le général devait défendre l’empire contre les musulmans et l’amiral défendre l’empereur contre le général : habile politique qui détruisait par la division la force même qu’elle voulait employer !

Maniaces prit Messine et mit le siège devant Syracuse ; la Syracuse musulmane se défendit aussi courageusement que l’avait fait la Syracuse chrétienne, et le sultan de Palerme Abdallah eut le temps de faire venir d’Afrique une armée d’Arabes et de Berbères qui vint attaquer les assiégeans dans leur camp. Maniaces, quittant le siège, livra bataille à Abdallah. Selon les uns, son habileté décida la victoire ; selon les autres, on la dut au courage impétueux du corps normand. Abdallah s’enfuit avec quelques amis et échappa aux coups des vainqueurs ; mais ces vainqueurs se divisèrent bientôt. Les Normands se plaignirent que Maniaces les louât beaucoup avant la bataille, les exposât beaucoup pendant le combat et leur fît la plus petite part possible dans le partage du butin. Maniaces s’emporta contre eux ; il fit même battre un de leurs chefs. Ce chef était un Italien, un Lombard nommé Ardouin, qui, feignant de se résigner à cet affront, engagea les Normands à ne pas prendre les armes pour le venger. Il fit en sorte de quitter le camp de Maniaces et de retourner en Italie, où il appela aux armes les Normands, qui y étaient déjà établis. Les Italiens, toujours disposés à secouer le joug intolérable des Byzantins, s’unirent à eux. Ce fut cette fois une révolte qui eut des chefs hardis et redoutables. Les anciens Lombards de Capoue, de Salerne, de Bénévent, s’alliaient aisément avec les Normands, race féodale comme eux, ou même ils s’étaient déjà mêlés à leurs bandes, témoin le Lombard Ardouin, qui avait reçu l’affront devenu la cause de l’insurrection. C’est ainsi que Maniaces, pendant qu’il était en train de conquérir la Sicile, perdait derrière lui l’Italie.

Maniaces était un bon général, mais il n’avait pas l’humeur facile : il avait insulté Ardouin, un des chefs normands ; il s’emporta aussi contre l’amiral byzantin. Il lui avait recommandé de surveiller attentivement les côtes et de ne point laisser échapper les musulmans vaincus. L’amiral, qui n’aimait pas à obéir à Maniaces, dont il se croyait le supérieur, négligea cette recommandation et laissa échapper Abdallah. Maniaces furieux traita l’amiral de lâche et de traître à l’empereur. L’amiral écrivit à son frère le premier ministre que Maniaces ne respectait plus l’empereur, et que, si on n’y prenait garde, on le verrait quelque jour arriver à Constantinople avec son armée rebelle pour détrôner le souverain. La cour de Byzance crut aisément à ces projets d’usurpation : elle envoya l’ordre d’arrêter Maniaces, occupé à reconquérir la Sicile. Il fut pris, jeté au fond d’un vaisseau et mené à Constantinople, où il resta près de trois ans en prison. Pendant ce temps, la Sicile fut reprise par les musulmans, et l’Italie ne fut pas reconquise sur les Normands. La mort de Michel IV fit sortir Maniaces de prison, et Michel V le renvoya en Italie pour réparer le mal qu’avait fait son absence ; mais un nouvel empereur, Constantin Monomaque, en 1042, s’inquiéta du pouvoir rendu à Maniaces. Celui-ci, informé des défiances du prince, ne voulut plus revenir à Constantinople en prisonnier ; il aima mieux y rentrer en empereur. Pour un général victorieux, le trône était le seul abri contre la prison : il fait révolter son armée, traverse la mer Adriatique, entre en Bulgarie et marche sur Constantinople. L’empereur envoie contre lui une armée que Maniaces met aisément en déroute ; mais, pendant qu’il poursuit les fugitifs, il reçoit un coup de flèche dans la poitrine et tombe mort de son cheval. Ainsi finit Maniaces, et avec lui finit la domination byzantine en Italie. Il aurait pu la rétablir par ses talens militaires, quoiqu’il la compromît, par ses cruautés et ses exactions : il ne pouvait pas la défendre des vices du gouvernement byzantin, il ne put pas s’en défendre lui-même, puisque les vices de ce gouvernement firent tour à tour de lui un prisonnier et un rebelle ; mais son nom resta attaché à une ; grande victoire remportée sur les musulmans de Sicile, la victoire de Troïna[23], qui releva la chrétienté en Sicile et en Italie de son abaissement ou de sa terreur de presque trois siècles devant le mahométisme. Saint Philarète, un des saints de la Sicile, et dont je parlerai plus à mon aise quand je traiterai des saints de la question d’Orient en Italie (car cette question a ses saints qui méritent leur canonisation, puisqu’ils défendaient les deux meilleures causes que puisse défendre l’humanité, la patrie et la religion), saint Philarète, qui était à Troïna en Sicile le lendemain de la victoire de Maniaces, raconte que les chrétiens, en voyant la bannière chrétienne arborée sur les murs des villes et des châteaux, couraient aux églises, chantaient des Te Deum, brisaient les fers que portaient aux pieds les esclaves chrétiens, et, délivrés enfin de la terreur que leur inspirait le tyran africain (c’est-à-dire le sultan de Païenne), respiraient en liberté. « On sait, dit M. Amari, ce que veut dire ce mot de liberté quand deux religions luttent l’une contre l’autre. » Assurément le mot ne veut pas dire la tolérance, qui n’est point une vertu des temps de lutte ; mais ce jour-là il voulait dire la liberté des chrétiens opprimés depuis près de trois siècles. Cela suffit pour que j’eusse volontiers chanté le Te Deum de Troïna.

Il me reste, pour achever l’histoire de la domination byzantine dans l’Italie méridionale, à noter brièvement les traces qu’a laissées cette domination.

Le savant Giannone, dans son Histoire civile du royaume de Naples, dit que « dans certaines villes de la Calabre, et particulièrement à Naples, on conserve encore aujourd’hui (XVIIIe siècle) une manière de parler qui ressemble en bien des choses à celle des Grecs, et l’on a diverses expressions qui ont été empruntées d’eux[24]. » Selon Giannone, ce sont les Byzantins qui ont laissé à Naples dans le langage ces preuves de leur séjour. Les réflexions de M. Amari sur ce point me paraissent plus justes et plus vraies, parce qu’au lieu de rapporter seulement ces empreintes du grec à la domination byzantine, il y trouve la marque d’un plus ancien mélange fait dès l’antiquité entre les populations italiotes et les colonies grecques. La langue grecque a suivi dans l’Italie méridionale et en Sicile les vicissitudes de la Grèce. Au temps de l’expédition d’Athènes, on parlait en général le grec en Sicile, puisque les prisonniers athéniens soulageaient leur misère en récitant pour quelques oboles les tragédies d’Euripide pendant les repas des Siciliens. Quand la Sicile tomba sous le joug des Romains, le latin prit peu à peu l’ascendant sur le grec. L’historien Diodore dit que de son temps on parlait les deux langues en Sicile. Jusqu’au VIe siècle de l’ère chrétienne, les inscriptions publiques et privées sont en latin, ainsi que les titres des magistratures municipales. C’était encore la langue du gouvernement. Quand vers la fin du VIe siècle, à Constantinople, le grec remplaça le latin et devint la langue du gouvernement, la langue grecque, aidée par les anciennes habitudes du pays, prit aisément le pas sur la langue rivale ; mais n’oublions pas que la lutte se passait au-dessus de la tête du peuple, entre deux idiomes officiels et lettrés. Il s’était formé en effet en Sicile et dans l’Italie méridionale, du mélange des vieilles langues italiotes et de la langue latine, un langage populaire qui était le commencement de la langue italienne et qui dans les chroniques du temps s’appelait la langue latine. Il suffit de lire quelques-unes des chroniques du Xe et XIe siècle publiées par Pertz[25], notamment celle d’où j’ai tiré l’histoire du sultan Florent de Païenne et de la belle Gysa de Bénévent, pour voir la singulière altération qu’avait subie la langue latine. C’est cette langue latine, ou plutôt italienne, qui devait l’emporter sur le grec. Jusqu’au VIIIe siècle, en Sicile et dans l’Italie méridionale les noms propres sont plutôt grecs que latins. Quand au milieu du VIIIe siècle les églises de la Sicile et de l’Italie méridionale furent soumises au patriarche de Constantinople et distraites de l’église de Rome, ce changement de juridiction donna un ascendant momentané à la langue grecque ; mais l’esprit italien, — je ne puis plus dire l’esprit latin, — luttait contre la langue grecque, qui était la langue de maîtres odieux, et prenait peu à peu l’ascendant, non pourtant sans recevoir l’influence de la langue même qu’il repoussait. La prépondérance progressive de l’italien marque la naissance et l’accroissement du peuple italien à travers le trouble des conquêtes étrangères.

Giannone dit que, dans les provinces du royaume de Naples, « plusieurs églises ont retenu le rit grec, et que, quoique les papes se soient donné bien des peines pour effacer une trace aussi marquée du grand pouvoir des patriarches de Constantinople, ils n’y ont pas réussi entièrement, puisqu’il y a encore un petit nombre d’endroits où le sacrifice de l’autel se célèbre suivant le rit grec. » Je veux bien croire que les papes se sont donné beaucoup de peine, comme le dit Giannone, pour abolir le rit grec dans quelques églises de l’Italie méridionale ; je dois cependant faire remarquer qu’à prendre en général les bulles des papes, on y trouve un système de tolérance et même de faveur pour le rit grec-uni, que certains ordres religieux ont trouvé excessif, et qu’ils ont combattu en ne s’y conformant que le moins qu’ils ont pu. Je sais gré, quant à moi, à la cour de Rome de n’avoir pas adopté cet esprit d’unité et de centralisation que nous sommes aujourd’hui en train de combattre dans l’administration, et qui ne vaut pas mieux dans l’ordre ecclésiastique que dans l’ordre politique. Je ne veux pas citer ici les bulles pontificales qui accordent au rit grec toutes les libertés qui ne blessent pas l’unité essentielle de la foi, je veux seulement citer une fondation du pape Clément XII en 1730, celle du collège albanais du rit grec situé au centre de la Calabre citérieure, dans une des provinces du royaume de Naples où il y avait encore au XVIIIe siècle des églises qui, selon Giannone, suivaient le rit grec[26]. Loin de vouloir abolir le rit grec, Clément XII fondait un collège pour les Albanais qui le suivaient. Ce collège albanais existe encore dans le royaume de Naples, et je lisais, il y a quelques mois, dans un journal de Naples de curieux détails sur cet établissement. L’enseignement y était très libéral, et le journal prétendait que l’ancien gouvernement napolitain se défiait des élèves de ce collège. Peut-être cela n’était-il dit que pour les recommander à la faveur du nouveau gouvernement. On citait le mot d’un ancien intendant de la Calabre citérieure, grand réactionnaire il y a dix ans, grand libéral aujourd’hui, qui disait : « Si vous voulez un jeune républicain, prenez un élève du collège gréco-italien. Là tout le monde est libéral, jusqu’aux chats de la maison. » La fondation de ce collège albanais fait honneur au zèle chrétien de Clément XII, et rentre aussi dans l’histoire de la question d’Orient telle que les papes l’ont toujours très sagement considérée. C’est ce qui me permet d’en dire un mot.

On sait la lutte héroïque que Scanderbeg soutint avec ses Albanais contre Mahomet II, Cette résistance arrêta l’impétuosité du conquérant turc et aida à sauver l’Europe. La force de l’Albanie périt avec Scanderbeg. Ses compagnons les plus fidèles ne voulurent pas accepter le joug des Turcs ; ils préférèrent l’exil à la servitude, et émigrèrent dans le royaume de Naples. Ces émigrations continuèrent à mesure que la domination turque s’appesantissait sur l’Albanie. D’abord accueillis en Italie comme des frères et des martyrs, les réfugiés albanais éprouvèrent bientôt les désappointemens et les peines réservés aux exils qui durent. Les vice-rois espagnols, qui avaient remplacé à Naples la première maison d’Aragon, ne s’inquiétèrent pas des services que Scanderbeg avait rendus à l’Europe et surtout à l’Italie. Ils laissèrent les barons de la Calabre opprimer à leur aise des réfugiés pauvres et sans appui. Comme les Albanais n’avaient pas voulu abandonner leur rit grec, cette persévérance les exposait aussi aux persécutions des Latins. Sans prêtres pour les assister, sans écoles grecques pour leurs enfans, l’émigration albanaise disparaissait peu à peu. C’est l’honneur du pape Clément XII (1730-1740) d’être venu au secours de l’émigration albanaise. Comme les Albanais n’étaient pas sujets du saint-siège, mais du royaume de Naples, il ne pouvait pas les décharger de tous les fardeaux qu’ils supportaient ; mais il apprit à les respecter en fondant pour eux un collège gréco-italien, en faisant donner à leurs enfans l’instruction dans leur langue nationale, en permettant la célébration du rit grec. Cette fondation était une bonne œuvre, entièrement conforme aux principes et aux intérêts de la civilisation chrétienne en face de l’Orient mahométan. Ce n’est pas en effet par les armes qu’il faut combattre l’Orient mahométan ou barbare ; c’est par la supériorité de la civilisation chrétienne et par l’union religieuse et politique de l’Europe avec les nombreux frères chrétiens que nous avons en Orient. La fondation du collège gréco-italien répondait à ces idées, et elle répondait aussi à la vocation que l’Italie a pour l’Orient. C’est là en effet que sont tous les grands souvenirs de sa marine et de son commerce au moyen-âge ; c’est là aussi qu’est son avenir maritime et commercial. La papauté n’a jamais failli à cette vocation, mais elle intervient en Orient par la propagande religieuse surtout ; c’est son devoir et son droit. Il y a une autre intervention que l’Orient demande à l’Italie : c’est celle que racontent les arsenaux et les ports de Gênes, de Pise, de Venise, de Gaëte, de Naples, de Brindes, de Sorrente, d’Amalfi, de Salerne, de Messine et de Palerme. Le passé de l’Italie éclaire son avenir.

Les hommes qui ont eu un rôle important dans l’histoire de l’Italie n’ont pas oublié ces liens naturels établis entre l’Orient et l’Italie par la géographie, par l’histoire, par les souvenirs mêmes de la domination byzantine et musulmane dans l’Italie méridionale et en Sicile. À peine établis en Italie, les Normands, sous Robert Guiscard (1081) et sous Bohémond, passent l’Adriatique, s’emparent de Corfou, font le siège de Dyrrachium en Illyrie et remportent une grande victoire sur les Grecs. Les rois normands de la Sicile, jusqu’à la fin de leur race, ont tous leur ambition tournée vers l’Orient et vers Constantinople. De même que Constantinople avait longtemps dominé l’Italie et la Sicile, celles-ci veulent à leur tour dominer Constantinople. L’empire romain, même dans sa décadence, avait laissé dans les esprits une telle idée de l’unité qu’une province à peine libre voulait acquérir le reste de l’empire. Une fois maîtres de l’Italie méridionale et de la Sicile par le mariage de la dernière héritière des rois normands avec Henri VI (1189), les césars allemands ont la même ambition. Charles d’Anjou (1266-1285) pense aussi à l’empire d’Orient. À peine Charles VIII de France est-il arrivé à Naples qu’il prend la couronne impériale (1483) et veut relever l’empire grec, tombé au pouvoir des Turcs. Charles-Quint doit sa popularité et son ascendant en Italie à ses victoires contre les Barbaresques en Afrique. Les papes, qui n’ont jamais abandonné l’idée des croisades, ont, sous Pie V, une grande part à cette victoire de Lépante (1571) qui met à la fortune conquérante des Turcs une borne qu’elle n’a plus franchie, et en-deçà de laquelle elle a sans cesse reculé. Glorieux privilège et grande leçon pour l’Italie d’avoir son nom mêlé à toutes les grandes revendications de l’Europe sur l’Orient avant, pendant et après les croisades ! Dans l’Occident, les croisades ont été un accès d’héroïsme religieux et chevaleresque qui à duré à peu près deux cents ans. En Italie, la croisade, soit défensive, soit offensive, a été continuelle : elle a duré depuis le commencement du IXe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe. Étudiant l’histoire de la question d’Orient, je ne pouvais pas oublier le pays qu’on a vu y jouer le plus grand rôle dans les temps les plus périlleux.


Saint-Marc Girardin.
  1. Voyez la Revuedu 1er mai et du 1er octobre 1864.
  2. Storia dei Musulmani di Sicilia, scritta da Michele Amari, 3 vol. in-8o, 1854.
  3. Voici le texte de la question proposée par l’Académie : « tracer l’histoire des différentes incursions faites par les Arabes d’Asie et d’Afrique, tant sur le continent de l’Italie que dans les îles qui en dépendent, et celle des établissemens qu’ils y ont formés ; rechercher quelle a été l’influence de ces événemens sur l’état de ces contrées et de leurs habitans.
  4. Storia dei Musulmani di Sicilia, par M. Amari, t. Ier, p. 80-81.
  5. Pro legs Manilia, ch. XI et XII.
  6. « Urbem trepidam ob multitudinem familiarum quæ gliscebat immensum, minore in dies plebe ingenua. » Annales, liv. IV, ch. 27.
  7. « Nation habile, sagace, prudente, active, adroite, prévoyante dans le conseil savante dans la science des lois et du droit. »
  8. Voyez l’Histoire civile du royaume de Naples, par Giannone, 4 vol. in-4o, t. Ier, livre V, ch. 5.
  9. Fondation du duché de Bénévent, 589. — Didier, dernier roi des Lombards, 774. — Prise de Bénévent par les Byzantins, 891.
  10. « Tempore quo Ludovicus Samnitibus præerat, triginta duo philosophos Beueventum habebat. » L’anonyme de Salerne.
  11. « Je suis né libre et noble du côté de mon père et de ma mère, et je serai toujours libre, je l’espère, avec l’appui de Dieu. »
  12. Storia dei Musulmani di Sicilia, par M. Amari, t. Ier, p. 214-244.
  13. Victoire des Arabes en Espagne, 711 ; — invasion de la Sicile par les musulmans, 826.
  14. Benedicti sancti Andréas monachi chronicon (apud Pertz), — scriptores rerum germanicarum, tome III, p. 700.
  15. Histoire civile de Naples, t. Ier, p. 480.
  16. De moribus Germanorum, chap. 13.
  17. Storia dei Musulmani di Sicilia, t. Ier, p. 84 et 95.
  18. Grandeur et Décadence des Romains, chap. XXXIII.
  19. Amari, t. II, p. 84.
  20. Amari, t. Ier, p. 443.
  21. Amari, t II, p. 272.
  22. Grandeur et Décadence des Romains, ch. XXIII.
  23. Cette victoire de Troïna s’appelle la victoire de Dragine dans l’Histoire du Bas-Empire de Lebeau.
  24. Histoire civile du royaume de Naples, livre IV, ch. 10.
  25. Scriptores rerum germanicarum.
  26. La publication de l’Histoire civile du royaume de Naples est de 1723. L’ouvrage est dédié à l’empereur Charles VI, que le traité d’Utrecht avait investi du royaume de Naples.