Les Opalines/Les Champs Élysées

L. Vanier (p. 82-84).

LES CHAMPS ÉLYSÉES

Calmes, majestueux entre leurs larges bords,
Emerveillés d’un crépuscule, ardente chose,
Qui s’émiettait, splendide, en une poudre d’or,
Ils montaient largement dans une apothéose.

Apothéose énorme et que chevauchait l’Arc
Dans l’immobilité de sa tranquille gloire,
Porte phénoménale et s’ouvrant sur un parc :
L’immensité du ciel aux grands champs de victoire.

L’Avenue avait, ouverts, d’énormes accès.
Une fièvre coulait en son artère, intense ;
C’était Paris passant, le luxe et le succès,
Comme un flot pressé qui sans compter se dépense.

Je regardais passer ce flot, toujours plus fort.
Je regardais là-bas, symbole des batailles,
Où doit s’ensanglanter cruellement l’Effort,
Le ciel rougissant de blessures d’entrailles.

Alors, cheveux au vent, dans l’ombre où je passais,
J’eus un cri puissant, sourd, que n’entendit personne,
Un cri qu’on aurait cru le hurlement d’essai
Du jeune fauve qui fait peur, et s’en étonne.

Et puis tout frémissant d’espoirs sans bornes, tous,
Je montai l’Avenue en un besoin de vivre !
Ma jeunesse exultait, m’énervait les genoux :
L’avenir s’allongeait devant moi : j’étais ivre !

Un rêve fulgurant, comme une volonté,
Me saisit au cerveau. Fantastique seconde
Où je jurai sur place et sans même hésiter,
De conquérir Paris, c’est-à-dire le monde !

Enfant !… Que voulais-tu de plus que tu n’avais !
Il te fallait tenter d’étonnantes prouesses !
Que ne te voyais-tu marchant quand tu rêvais :
La gloire, tu l’avais : mais c’était ta jeunesse !

Depuis… le rêve est loin. Devant mes pas lassés
Qui ne vont plus joyeux en des rumeurs de fête,
Je vois s’agrandissant l’ombre de mon passé
Déjà plus grand que moi, me dépassant la tête.

Depuis !… L’àge a coulé, le ciel s’est obscurci,
J’ai poursuivi l’espace et la gloire rebelle !
Depuis !… Mon avenir, dame, s’est rétréci,
Mais l’avenue, énorme, est toujours aussi belle !