Les Oiseaux de passage (Ségalas)/03/02

Les Oiseaux de passage : PoésiesMoutardier, libraire-éditeur (p. 245-252).

À UNE TÊTE DE MORT.

Frère, il faut mourir.
Les Trappistes.

Des ruines rien que des ruines !
Mme A. Dupin.


Squelette, qu’as-tu fait de l’âme ?[1]
Foyer, qu’as-tu fait de ta flamme ?
Cage muette, qu’as-tu fait
De ton bel oiseau qui chantait ?

Volcan, qu’as-tu fait de ta lave ?
Qu’as-tu fait de ton maître, esclave ?


Comme une souveraine, avec toute sa cour,
Une âme t’habitait : son cortége d’amour,
D’espoir, chantait, pleurait, et peuplait son domaine ;
Tu n’es plus qu’un désert ; le lézard sous ton front
S’établit ; l’âme a fui ; le frêle moucheron
S’introduit librement dans son château de reine !


Étais-tu femme et belle, avec de longs cils noirs,
Des fleurs dans les cheveux, souriant aux miroirs ?
Grand seigneur, dépassant les têtes de la foule ?
Jeune homme, et délirant pour des yeux bruns ou bleus ?

On ne sait ; tous les morts se ressemblent entre eux :
La vie a cent aspects, le néant n’a qu’un moule.


Débris dans les débris, crâne blanc et hideux,
Édifice montrant ta charpente à nos yeux,
Miroir brisé de l’âme, où rien ne se reflète,
Le passant, qui te voit sans lèvres, sans regard,
Sans chair, demande : Où donc est l’homme ? Un peu plus tard,
Il va se demander : Où donc est le squelette ?


Quelques amis, du moins, conservèrent ton corps
Embaumé dans leur cœur ; tous sont avec les morts.
Sur terre rien de toi ; la trace est effacée :
Nul de ton souvenir n’y garde des lambeaux,

Et tu t’anéantis même dans les tombeaux
Qu’on t’avait, ici-bas, creusés dans la pensée !


C’est pitié ! reste là, regarde les passans :
Oh ! reste ! dis néant aux heureux, aux puissans !
Celui qui t’exposa dans son joyeux domaine
A pensé que tes os parleraient haut et fort ;
Il vient d’écrire, avec une tête de mort,
Son traité sur l’orgueil et la misère humaine !


Ton âme a fui là-haut, vers la cité des cieux,
Aux longs murs de vapeur, au temple radieux.
Elle est là, contemplant, dans une sainte extase,
Le soleil dans sa force, et Dieu dans sa splendeur ;

Toi, tu n’es que ruine et cendre : le Seigneur,
Quand il a pris l’encens, laisse tomber le vase !

  1. La tête de mort qui a inspiré ces vers est exposée dans un parc, au milieu des ruines du château royal du Vivier, appartenant à M. Parquin.