Les Oiseaux de passage (Ségalas)/03/01

Les Oiseaux de passage : PoésiesMoutardier, libraire-éditeur (p. 234-244).

PARIS.

La grande cité, qui était vêtue de crêpe et de pourpre, et d’écarlate, et était dorée d’or.
Apocalypse.
Les mille fenêtres luciolent au soleil comme autant de gouffres de feu.
Achille Jubinal.

PARIS.


Ma ville de beauté, ma ville de splendeur,
Que j’aime tes cent bruits de voitures, de foule !
J’entendis, tout enfant, ta voix qui crie et roule :
C’est une voix de mère, et d’amie, et de sœur ;

De ces voix qui ne sont que chant et que merveille,
Qui peuvent arriver bruyantes à l’oreille,
Mais sont toujours douces au cœur !


Oh ! je t’aime, malgré tes ruisseaux, où la roue
Se noircit, tes égouts et tes pavés boueux !
Ton front est pailleté de brillans lumineux,
Orné de frais rubans, de gaze où le vent joue,
De plumes, de dentelle au parfum de boudoir ;
Et l’œil s’arrête là, sans se baisser pour voir
Si tu mets tes pieds dans la boue !


J’aime tes bataillons de maisons au toit noir !
Chacune est animée et vit ; des yeux rayonnent
Près de chaque fenêtre, et mille voix bourdonnent
À chaque étage ; au ciel un soupir, un espoir,

Monte avec chaque feu qui s’envole en fumée ;
Une âme brûle avec chaque lampe allumée
Qui reluit aux vitres le soir.



Mais je te sais, Paris, visage à double face,
Grand habit d’arlequin, gazon vert et bourbier :
Ton bon peuple sait tout, mais ne sait plus prier ;
Quand il veut voir le prêtre, au théâtre il se place ;
Au riche, un voleur prend du sang avec de l’or ;
Le pauvre a des greniers au sombre corridor,
Où l’on a toisé l’air, et le jour, et l’espace ;


Mais, va, ton paradis est près de ton enfer :
Que l’hiver fastueux jette un monde splendide
Dans tes salons brillans, comme un palais d’Armide,
Qu’il passe quelque femme au front coquet et fier,

Ou qu’un poëte chante, on oublie, on admire…
Un chant couvre parfois bien des cris de martyre,
Et quelques grains d’encens parfument bien de l’air.


La France te nomma sa maîtresse et sa dame,
Ma ville de magie ; allons, fais pour tes sœurs
Voler sous tous les cieux tes rubans et tes fleurs !
Impose-leur tes rois et tes modes de femme ;
Fais remplir leur corbeille, et garnir leur écrin ;
Fais-leur jaillir les lois de tes cuves d’airain :
La France est un grand corps, mais toi seule en es l’âme !



Bonjour, la ville aux cent couleurs ;
Souveraine toute-puissante ;
Bonjour, la noble et la charmante,

Reine à la couronne pesante,
Reine à la couronne de fleurs !


Allons, allons, belle coquette,
Belle fée, allons, parez-vous ;
Mettez vos tissus, vos bijoux :
Toutes vos sœurs sont à genoux,
Et regardent votre toilette !


Montrez votre art magicien ;
Ou, dans votre mise frivole,
Soyez fantasque, soyez folle ;
Vous êtes la reine et l’idole,
Et l’on dira toujours : C’est bien.



Laisse son Espagne la belle
Au grand poëte aux chants nouveaux ;
Laisse-lui ses tours à créneaux,
Ses ogives, ses chapiteaux,
Et ses hauts clochers de dentelle !

Si tout n’est que senteurs et miel
Sur sa terre d’Andalousie,
C’est que lui, vois-tu, l’a choisie ;
Et son soleil de poésie
S’en est allé dorer son ciel !


Rome, qui se dit souveraine,
Pour loger ses ducs, ses prélats,
A mille palais aux toits plats,

Mais rien qui charme ; et ce n’est pas
Le sceptre seul qui fait la reine.


Puis, son bras qui donnait des lois
S’est affaibli ; plus de conquête :
Bonne vieille, en branlant la tête,
Elle vante ses jours de fête,
Et ne sait que dire : Autrefois !


Naples est belle à ravir les âmes
Quand elle dit ses chants aimés,
Sous ses orangers embaumés,
Ouvre ses sachets parfumés,
Et met sa guirlande de femmes !



La nuit, comme en un frais jardin,
Elle dort ; la mer sur sa grève
Chante, et la berce dans son rêve ;
Mais parfois son volcan se lève,
Pour la réveiller le matin.



Avec ton ciel changeant, pâle au cœur du poëte,
Tes hivers froids et longs, je te préfère, moi,
Parce que tes défauts, vois-tu, c’est encor toi !
Oui, je t’aime, élégante à la fraîche toilette ;
Je t’aime, noble dame au cortége doré ;
Je t’aime, jeune folle à l’air évaporé ;
Je t’aime, enchanteresse à la riche baguette !