Les Oiseaux de passage (Ségalas)/02/16

Les Oiseaux de passage : PoésiesMoutardier, libraire-éditeur (p. 225-232).

LES POËTES.

Dieu parle à l’homme, ensuite l’homme parle à l’homme.
Ballanche.

Moi, je suis devant vous comme un roseau qui plie,
Votre souffle en passant pourrait me renverser.
Sainte-Beuve.


Vous avez de l’orgueil dans l’âme et sur le front ;
Vous savez que votre art est sublime et profond :
Et la foule se dit, quand elle vous écoute :
« Sur leur bouche une abeille a déposé son miel ;

Un des oiseaux légers qui volent dans le ciel
« Leur apprit à chanter sans doute ! »


Savans magiciens, comme avec un ciseau,
Vous sculptez vos pensers ; comme avec un pinceau,
Vous posez des couleurs dont le vernis fascine,
Des couleurs d’écarlate et de pourpre ! L’objet
Que vos vers ont touché s’éclaire à leur reflet :
On dirait qu’un rayon de soleil l’illumine.


Vous comprenez les voix des fleuves, des vents. Dieu,
Le grand poëte, avec les astres, le ciel bleu,
Les vagues de la mer, les arbres de la plaine,
Fit le poëme entier de l’univers ; et vous,
Il vous a désignés pour le lire à genoux,
Et le traduire en langue humaine.



Vous pouvez regarder ce qu’on fait dans les cieux ;
Voir les élus, aux corps subtils et radieux,
Qui suivent le Seigneur en chantant ses louanges ;
Voir sur la haute échelle, aux échelons sans fin,
L’ange aux ailes de cygne et l’ardent séraphin :
Vous avez les clefs d’or de la cité des anges.



Oh ! vous êtes bien fiers ! pauvres fous ! voyez donc
Comme vos jours sont noirs, troublés par la tempête :
Toi, la critique vient découronner ta tête,
Et, prenant un fer rouge, elle te marque au front.


Toi, ton chant est magique, et nul ne le répète ;
Le silence y répond, le silence, grand Dieu,
Ce néant des vivans, ce tombeau du poëte,
Ce linceul, sous lequel bondit un cœur de feu !

À toi la gloire immense et ses splendeurs divines !
Salut, te voilà roi, poëte au large essor !
Mais n’as-tu pas senti la couronne d’épines
Que la gloire cachait sous sa couronne d’or ?


Jeune homme, tu t’éprends d’une céleste femme ;
Mais au public, qui veut avoir un beau concert,
Tu livres ton amour ; tu laisses dans ton âme
Regarder les passans ! comme en un temple ouvert.


Pour vous autres, la gloire est dans le cimetière ;
Vos sépulcres glacés seront vos piédestaux !
À quoi servent vos vers de flamme et de lumière ?
À faire quelque jour reluire vos tombeaux.

Sitôt qu’il n’entend plus, on dit gloire au poëte.
Couchés dans vos cercueils vous paraîtrez plus grands ;
Le public aime tant les morts ! c’est un squelette
Qu’il choisit pour idole, et parfume d’encens !


Tous, vous êtes poussés par un pouvoir étrange :
Cherchez-vous l’ombre, hélas ! pour y passer vos jours,
Comme le juif errant, vous entendez l’archange
Vous crier : Marche ! marche !… encor !… marche toujours !