Les Oiseaux de passage (Ségalas)/02/15

Les Oiseaux de passage : PoésiesMoutardier, libraire-éditeur (p. 215-224).

LA PETITE FILLE.

Votre front est si pur qu’on y lirait votre âme.
Mme  Ménessier-Nodier.

Qu’ils étaient beaux ces jours !
— La princesse de Salm.

Le soleil garde-t-il son éclat sans nuage ?
Les cieux gardent-ils leur azur ?
Ernest Falconnet.

Painted by W. Hamilton R. A. Engraved by T. S. Engleheart


Allons, dans les jardins suis tes compagnies blondes,
Enfant ; va te mêler aux tournoyantes rondes :
Allons, frères et sœurs, jouez, sautez, riez !
Prends ta corde à la main, et bondis intrépide ;

Forme ce double tour, qui passe si rapide
Sous tes deux petits pieds !


J’aime tes mouvemens, si souples quand tu joues ;
J’aime à voir les couleurs qui nuancent tes joues,
Tes pas légers, glissant sur les gazons foulés,
Ta bouche qui sourit, et ta grâce ingénue,
Et tes cheveux tombant sur ton épaule nue,
Tout blonds et tout bouclés.


Tout est céleste en toi ; l’enfant candide et rose
Nouveau-venu du ciel en garde quelque chose :
Un regard d’ange luit dans ton bel œil d’azur ;
Ta voix faible n’est pas encor la voix humaine ;

Ton corps, si petit, semble appartenir à peine
À notre monde impur !


Eh quoi ! tu viens à moi les yeux en pleurs ! ta mère
T’aura parlé peut-être avec un ton sévère ?
Est-ce un jeu qu’on défend, un devoir imposé ?
Est-ce un oiseau captif qui t’échappe et s’envole ?
Une leçon bien longue à dire dans l’école ?
Quelque jouet brisé ?


Tu devrais les bénir, ces larmes passagères ;
Car le bon Dieu t’a fait des peines si légères !
Qu’une image, une fleur, un rien frappe tes yeux,
Qu’une petite amie arrive et te console,

Tes pleurs vont s’arrêter, et puis, rieuse et folle,
Tu vas courir aux jeux !


Chaque année en fuyant doit leur ôter des charmes,
Attrister à la fois ton sourire et tes larmes,
T’avancer pas à pas dans ce monde souffrant,
Apprendre quelque chose à ta jeune ignorance,
Puis enlever un peu de joie et d’innocence
À ton beau front d’enfant.


Oh ! cours dans les jardins ! lance l’escarpolette
Jusqu’aux grands marronniers ! ou bien fais la toilette
De ta poupée aux yeux d’émail, au frais chapeau ;
Ou lance ce volant qui glisse entre les branches,

Et que tu vois dans l’air, avec ses plumes blanches,
Passer comme un oiseau !


Tu connaîtras plus tard nos amères pensées,
Les ennuis, les dégoûts de nos âmes lassées,
Nos chagrins de fortune, ou d’orgueil, ou d’amour,
Notre sommeil troublé, nos rêves fantastiques,
Où passent chaque soir, sous des traits chimériques,
Tous nos soucis du jour !


Tes nuits n’ont maintenant que de joyeux mensonges :
Des souvenirs de jeux enchantent tous tes songes ;
Sur tes yeux, un sommeil calme vient se poser,
Lorsqu’on ne t’a pas dit quelque parole austère,

Quand ta prière est faite, et quand ta bonne mère
T’a donné son baiser.


Comme il va s’écouler, ton âge d’innocence !
Adieu, rire éclatant et jeune insouciance,
Et folâtres pensers, rayonnant dans l’esprit !
Tout cela fuit avec nos premières journées ;
Et, comme le visage, au souffle des années
L’âme aussi se flétrit !


Oh ! retourne bien vite à la ronde joyeuse !
Tu vas grandir… qui sait ! la gloire lumineuse
Peut mettre des rayons sur ton front triomphant ;
Tu pourras devenir belle à t’en rendre vaine,

Être une grande dame, être duchesse, reine !…
Mais plus jamais enfant !