Les Nuits persannes/Volupté

Les Nuits persanesAlphonse Lemerre (p. 61-69).

VOLUPTÉ

VOLUPTÉ



MÉLANGE


Porte ma couche dans les roses,
Dans le rêve emporte mon cœur,
Puis confondons toutes ces choses,
Que mon rêve, ayant leur odeur,
Prête son aile aux fleurs écloses.



*


Mon cœur est un charbon en feu ;
Qu’une femme y tombe en rosée,
Il en monte vers le ciel bleu
Une senteur vaporisée.



LES INVISIBLES


Les caresses ! erreur énorme :
Croire que, donné, c’est fini !
Leur âme reste, après leur forme,
Pour être douce au front béni.

Et chaque nouvelle caresse
Doit ses plus profondes douceurs,
À ce qu’autour d’elle se presse
L’ombre invisible de ses sœurs.



TEINTES MOLLES


Sur les murs d’étoffe aux reflets bleutés,
Tombe une lueur tamisée en rose ;
Et sur tes grands yeux, tes yeux veloutés,
En s’adoucissant, mon désir se pose.

L’ÉTOILE


Dans le ciel, encor tout azur,
Que pas un nuage ne voile,
Scintille une première étoile,
Premier désir dans un œil pur.

Oh ! sans l’obscurcir d’aucun voile,
Montre ta forme à ton amant ;
Ne porte au front qu’un diamant
Dont le ciel de ton corps s’étoile.



BLEU SUR BLEU


À la Mecque, en l’azur profond,
Des pigeons bleus ouvrent leur aile.
Le calme éternel s’y confond
Avec la vie ardente et frêle.

Dans l’ombre tiède où meurt le jour,
De même, ô jeune créature,
Mêlons les mollesses d’amour
À la langueur de la nature.

LA FUGITIVE


Esclave d’ambre parfumée,
Passant sous mon cou ton bras nu,
Dans tes cheveux toute pâmée
Pour un pas fait dans l’inconnu,

Vois une ombre, au seuil de la porte,
Fuir pâle sous un linceul blanc,
Ta douce virginité morte
Qui te regarde en s’en allant.


*


Les uns veulent se hâter,
Songeant que la vie est brève.
Ils n’arrivent qu’à gâter
Le frêle parfum du rêve.

D’autres, au sein du plaisir,
Font halte à cette pensée
Qu’un jour la mort doit saisir
Leur douce ivresse enlacée.

Sans course vaine en avant,
Sans arrêt lâche en arrière,
Mêlons nos cheveux au vent
Qui nous roulera, poussière.



LA SOIE


À ton œil, à ton baiser,
À ce qui vibre et chatoie,
Je veux me féminiser
Comme une étoffe de soie.


*


Voyant dans ma coupe vidée
La figure de nos amours,
Tu dis : que n’est-elle gardée
Par quelque Dieu, pleine toujours !

Ne laissant aucun vide à craindre,
Moins vaudrait la coupe sans fond.
Ton œil, ne devant pas s’éteindre,
Aurait un charme moins profond.



*


La gargoulette, pleine d’eau,
Qui, sans la chûte d’une goutte,
Sur la tête reste à niveau,
Pendant que tu tressailles toute ;

Tes yeux dans l’infini perdus,
Sous l’eau calme ta face inerte,
Quand, la hanche et les seins tordus,
Tu danses, de frissons couverte,

Enseignent que la volupté
Doit nous agiter de ses flammes,
Sans qu’une goutte de beauté
En brille de moins, dans nos âmes.



LES PALMIERS


Heureux les palmiers ! leurs amours
Vont, sur les ailes de la brise,
De l’amant ignoré toujours
À l’amante toujours surprise.

Rien de réel ne vient briser
L’idéal essor de leurs fièvres.
Ils ont l’ivresse du baiser
Sans avoir à subir les lèvres.