Les Nouveaux Laboratoires du Muséum
LES NOUVEAUX LABORATOIRES
DU MUSÉUM D’HISTOIRE NATURELLE.
L’enseignement supérieur est organisé de telle sorte dans notre pays que les chaires libres qui ne conduisent pas directement à un examen, doivent fatalement être désertées. Les lycées ont donné l’enseignement secondaire, les Écoles spéciales, polytechnique, normale, centrale, des mines, des forêts, prennent tous les jeunes gens qui se destinent aux carrières de l’enseignement ou de l’industrie, la Faculté des sciences prépare elle-même ses licenciés ; seuls le Collège de France et le Muséum restent sans auditeurs, leur enseignement n’a pas de sanction, les ouvrages qui traitent des sujets qu’on y étudie sont nombreux, bien faits, et l’enseignement oral donné dans ces établissements ne s’adresse plus qu’à un public très restreint, presque nul, si on en élimine en tout temps les désœuvrés et en hiver les frileux.
Comment relever cet enseignement libre qui devrait être d’autant plus important que le professeur n’est plus strictement limité par les exigences d’un programme ? comment rappeler aux étudiants le chemin de ces chaires libres qu’ils ont oublié ? C’est ce que les professeurs du Muséum ont cherché à faire en substituant à l’enseignement purement oral de l’amphithéâtre l’enseignement pratique du laboratoire. Sous leur pression, un ministre a fondé l’École des hautes études, c’est-à-dire une réunion de laboratoires dans lesquels les jeunes gens reçoivent l’enseignement pratique par excellence ; ils sont exercés là aux manipulations et aux dissections, initiés à toutes ces finesses, à ces tours de main, qui sont de tradition dans les coulisses de la science, mais qui ne peuvent être exposés sur son théâtre. Dans le laboratoire, les jeunes gens travaillent sous les yeux du maître, à ses côtés, et s’instruisent bien autrement par les conversations familières, par le contact de chaque jour, que par les leçons d’apparat qu’ils écoutaient naguère.
Sans nous occuper aujourd’hui du Laboratoire de zoologie, dirigé avec le plus grand zèle par M. A. Milne-Edwards, et par lequel ont déjà passé nombre de jeunes gens désireux de prendre le grade de licencié ès sciences naturelles ; du Laboratoire de physiologie, à la tête duquel se trouve l’illustre M. Claude Bernard, d’anatomie comparée, de géologie, nous entraînerons le lecteur rue de Buffon, dans les nouvelles constructions qui comprennent le Laboratoire de chimie de M. Frémy, le laboratoire de botanique de M. Brogniart, et le Laboratoire de physiologie et d’anatomie végétales de M. Decaisne.
M. Frémy avait depuis plusieurs années déjà réuni ses élèves dans d’anciens bâtiments du Muséum, mal éclairés, petits, étroits, où ils étaient fort mal à l’aise ; maintenant au contraire il les a installés dans un bâtiment neuf où ils trouvent toute facilité pour leur travail.
Aussitôt qu’on a pénétré dans la cour, on trouve, à droite et à gauche, des paillasses en plein air couvertes d’un vitrage où peuvent être faites toutes les préparations à odeur forte qui infecteraient les laboratoires. De chaque côté s’allongent des bâtiments, l’un spécialement destiné aux commençants, l’autre aux jeunes gens plus avancés ; ce dernier est garni des fourneaux construits pour obtenir les températures les plus élevées ; chaque élève a sa place marquée, son nom inscrit sur les cadres qui s’élèvent au-dessus de sa table de travail, à laquelle sont adaptés le tiroir et l’armoire où il conserve le matériel qui lui est spécialement destiné ; le laboratoire de l’aide naturaliste, M. Terreil, celui du préparateur, sont placés à la suite du laboratoire des élèves : ainsi qu’on peut le voir sur le plan d’ensemble que représente notre figure, la surveillance est facile, les conseils sont proches.
Au fond de la cour s’ouvre un couloir : il met en communication les deux ailes du bâtiment ; on y a disposé les armoires destinées à recevoir les vêtements que l’étudiant échange en pénétrant dans le laboratoire contre ses habits de travail ; une porte pratiquée dans ce corridor donne accès à une antichambre sur laquelle s’ouvrent le laboratoire de M. Frémy et celui de son aide particulier, placés vis-à-vis l’un de l’autre.
Le premier et le second étage des bâtiments à droite et au centre sont destinés aux botanistes de M. Brogniart, dont l’installation n’est pas complètement terminée ; l’aile gauche appartient encore à la chimie ; au premier se trouve la salle de conférences, au second la bibliothèque.
M. Frémy a réalisé la fondation d’une véritable école de chimie, non-seulement il prodigue à ses élèves ses conseils, mais il veille à ce que leur instruction soit complète. Tous les jours à trois heures les manipulations, les recherches du laboratoire cessent, et l’enseignement oral commence ; la salle de conférences est au reste ouverte au public ; M. Frémy enseigne la chimie générale, avec le talent d’exposition qu’on lui connaît ; M. Terreil est chargé de l’analyse ; M. Ed. Becquerel, de l’Institut, initie les jeunes gens au maniement des instruments de physique ; M. Jannetaz, aide de minéralogie, qui vient de soutenir brillamment une thèse de doctorat sur la propagation de la chaleur dans les cristaux, enseigne la minéralogie ; enfin M. Stanislas Meunier, un des collaborateurs de la Nature, déjà connu par ses recherches sur les météorites, expose toutes les parties de la géologie qui touchent à la chimie ; des examens doivent être faits par les conférenciers pour s’assurer du travail des élèves, qui seront récompensés, à la fin de leurs études, par un certificat témoignant de leur assiduité et de leur instruction.
Tout cet enseignement est absolument gratuit. M. Frémy a voulu rester fidèle à la vieille devise du Muséum : Tout est gratuit dans l’établissement ; cet excès de libéralisme est peut-être critiquable. Nous croyons savoir que le traitement des aides de M. Frémy comme ceux de tous les employés du Muséum est des plus minimes ; il doit osciller autour de 1 500 francs, sans jamais dépasser 2 000 francs ; les conférenciers font une besogne utile qui est peu ou pas rétribuée. Il y a peut-être là un abus ; si les soixante-cinq jeunes gens qui travaillent dans le laboratoire donnaient seulement 200 francs par an, ce qui serait encore bien peu, puisque les laboratoires particuliers demandent à leurs élèves 100 francs par mois, on aurait une douzaine de mille francs à distribuer dans le corps enseignants et ce ne serait que justice. Les Allemands n’y font pas tant de façons ; les professeurs qui s’entourent de nombreux élèves sont rémunérés par eux, bien que leurs traitements soient habituellement très-supérieurs à ceux que la France, si riche qu’elle soit, donne à ses maîtres les plus illustres. Il y a là évidement une réforme à faire ; elle doit d’autant plus tenter M. Frémy, qu’il a écrit il y a quelques années un opuscule pour montrer combien est difficile la position des jeunes gens qui se vouent à l’étude de la science.
Derrière la grandiose installation de chimie se trouve le laboratoire le plus modeste de M. Decaisne ; on descend quelques marches, on arrive dans un jardin destiné aux expériences de culture et l’on trouve à gauche une longue galerie vitrée : c’est le laboratoire de physiologie et d’anatomie végétales.
Autant il y a de mouvement chez les chimistes, autant on trouve ici de calme et de tranquillité ; nous ne sommes plus dans un laboratoire d’enseignement fréquenté par une nombreuse jeunesse, nous sommes dans le temple de la science pure, dans un laboratoire de recherches. M. Decaisne surveille et conseille dans sa visite quotidienne les anatomistes, qui, l’œil soudé au microscope, paraissent indifférents à tout ce qui se passe autour d’eux ; notre excellent ami et collaborateur, M. Dehérain, qui s’est fait connaître par d’importantes recherches de chimie agricole et de physiologie végétale, dirige les travaux du laboratoire que représente notre gravure. C’est une longue pièce parfaitement éclairée, où arrive à flots la lumière solaire, qui joue un rôle si important dans tous les phénomènes de la vie végétale ; à droite, les hottes enlèvent tous les gaz à odeur forte que le chimiste est obligé d’employer ; de longues tables garnies de faïences s’étendent au milieu de la pièce, comme au-dessous des fenêtres. Tout est d’une propreté méticuleuse ; nous sommes loin, on le voit, des anciens laboratoires, sombres, humides, où les toiles d’araignées rejoignaient les crocodiles pendus au plafond et enveloppaient de leurs nombreux réseaux les vieilles fioles saupoudrées de poussière.
Ce laboratoire, où se trouvent associés dans les mêmes recherches chimistes et botanistes, nous promet sans doute une ample récolte de travaux originaux, il est encore peu peuplé : n’y entre pas qui veut, on le conçoit. Il ne s’agit plus ici d’apprendre, mais de trouver. Les noms de M. Decaisne, de M. Dehérain, de M. Prilleux, physiologiste distingué, sont un garant que des recherches sérieuses y seront exécutées ; parmi les jeunes gens qui y travaillent se trouvent M. Landrin, M. Bertrand, qui, lorsqu’il était encore élève au collège Chaptal, a trouvé dans les sablières de Clichy, près Paris, des ossements humains associés à ceux des grands mammifères de l’époque quaternaire ; enfin un jeune Luxembourgeois, M. Vesque, chargé de tenir le laboratoire au courant des travaux publiés en Allemagne.
Au moment de notre visite, la préparation du jardin annexé au laboratoire de physiologie n’était pas terminée ; on remplissait des fosses, soigneusement garnies de tuiles, de terres d’espèces différentes pour y entreprendre des cultures comparées et suivre ainsi l’influence du sol sur le développement des plantes.
Ce jardin de physiologie végétale nous paraît destiné à fournir à la chimie agricole et à l’agriculture de féconds résultats. Le savant aura là le moyen de préparer à sa guise de véritables sols artificiels ; il verra les plantes de diverse nature croître sous ses yeux ; il les nourrira de substances organiques et minérales dont la composition lui sera connue. Il suivra pas à pas les différentes phases de la vie végétale ; il étudiera les lois encore pleines de mystère de la nutrition des végétaux. Quelles puissantes ressources entre les mains d’un expérimentateur !
À peine les laboratoires de chimie et de culture étaient-ils terminés que l’habile architecte, M. André, qui sait donner aux bâtiments qu’il construit une forme appropriée à leur destination et qui serait incapable de construire le fort détaché où loge l’anatomie comparée, a commencé l’édification des laboratoires de zoologie de M. Milne-Edwards. Il achève l’installation d’un bâtiment destiné aux reptiles et aux poissons : en deux ans la république aura fait plus pour le Muséum que l’empire pendant les vingt ans qu’il a présidé à nos destinées. De toutes parts, dans ce grand établissement, la vie renaît ; l’activité qui s’y manifeste est de bon augure.
- ↑ B. Cour intérieure des laboratoires — AA. Paillasses extérieures couvertes — C. Laboratoire de M. Terreil, aide naturaliste. — D. Laboratoire des élèves. — E. Escaliers conduisant aux étages supérieurs. — K. Salle des balances : laboratoire du préparateur de M. Frémy — P. Laboratoire du préparateur de M. Frémy. — N. Laboratoire de M. Frémy. — M. Cabinet de M. Frémy. — FF. Corridors mettant en communication les divers laboratoires. — G. Laboratoire des élèves. — H. Laboratoire du préparateur. — I. Water closets. — L. Alambics pour l’eau distillée. — QR. Concierge. — S. Perron conduisant au jardin W destiné aux expériences de culture. — X. Laboratoire particulier de M. Deraisne. — J. Salle des instruments de physique ; lieu de travail des micrographes. — T. Laboratoire de physiologie végétale (M. Dehérain). — V. Magasin. — U. Salle du garçon, — débarras. — A. Paillasse extérieure. — Échelle 0,0017 pour mètre