Les Mystères du confessionnal/Épilogue/06

Imprimerie E.-J. Carlier (p. 136-138).



GUIDE DES ÂMES

Taxe de la Chancellerie romaine pour tous les péchés


Le confessionnal, foyer de corruption, centre d’intrigues amoureuses, de cabales politiques, est également un comptoir où se débattent les questions d’intérêt. Le curé ou le cureton, c’est-à-dire le chef d’une paroisse ou son vicaire qui confesse, ne néglige jamais les intérêts de l’Église et les siens propres ; l’argent est au fond de toutes les controverses qui s’agitent au tribunal de la pénitence entre le prêtre et son client. Suborner une femme, débaucher une jeune fille, cupidonner avec les garçonnets, commettre des actes de sodomie et de pédérastie, sont joyeusetés et passetemps pour les soutaniers et les frocards ; mais l’affaire principale, la grande question, c’est l’argent à faire passer de la maison des fidèles à la cure et à l’évêché ou dans le gouffre béant qu’on nomme le trésor de l’Église.

Pour se convaincre de la vérité de notre assertion, on n’a qu’à jeter un coup d’œil sur un livre qui a pour titre « Guide des âmes. » Cet opuscule porte en sous-titre : Taxe de la Chancellerie romaine pour tous les péchés. L’objet et le but du livret se trouvent suffisamment expliqués par les deux titres ; il s’agit de guider les âmes dans la voie du salut, en faisant connaître aux fidèles combien ils ont à payer pour chaque péché. Conséquence : faire affluer dans les caisses de l’Église la plus grosse part de richesses qu’il sera possible d’arracher à la bêtise humaine.

Nous relevons certains articles de ce livre curieux, ne pouvant le reproduire en entier. L’ouvrage a été fait à Rome ; il porte le sceau et les armes de la grande chancellerie, il est revêtu de l’approbation du cardinal président la consulte. Plusieurs conciles et synodes en ont recommandé la propagation dans tous les pays catholiques, et les papes ont ordonné aux chefs de diocèses d’en suivre les prescriptions.

L’absolution pour celui qui connaît charnellement sa mère, sa sœur, ou quelque autre personne ou alliée, ou sa commère de baptême ; elle est taxée à vingt livres tournois et cinq carlins.

L’absolution pour celui qui dépucelle une jeune fille ; elle est taxée à dix livres tournois, cinq ducats et six carlins.

L’absolution pour celui qui révèle la confession de quelque pénitent ; elle est taxée à sept livres tournois.

L’absolution pour celui qui a tué son père, sa mère, son frère, sa sœur, sa femme ou quelque parent ou allié, laïque ; elle est taxée à trente livres tournois et cinq carlins ; mais si le mort était ecclésiastique, l’homicide serait obligé, outre l’amende, de visiter les saints lieux.

L’absolution pour un acte de paillardise quelqu’il soit, commis par un clerc, fût-ce avec une religieuse dans le cloitre ou dehors, ou avec ses parentes ou alliées, ou avec sa fille spirituelle, sa filleule ou avec toute autre femme ; elle coûte trente-six livres tournois, trois ducats.

L’absolution pour un prêtre qui tient une concubine dans sa cure et qui l’a engrossée ; elle coûte vingt et une livre tournois, cinq ducats, six carlins.

L’absolution pour toute sorte de péchés de la chair commis par un laïque ; elle se donne au for de la conscience, pour six livres tournois, deux ducats.

L’absolution pour crime d’adultère, commis par un laïque donnée au for de la conscience, coûte quatre livres tournois, et s’il y a adultère et inceste, il faut payer par tête six livres tournois. Si, outre ces crimes, on demande l’absolution du péché contre nature ou de la bestialité, il faut payer quatre-vingt-dix livres tournois, douze ducats et six carlins ; mais si on demande seulement l’absolution du crime contre nature ou de la bestialité, il n’en coûtera que trente-six livres tournois et neuf ducats.

La femme qui aura pris un breuvage pour se faire avorter, ou le père qui le lui aura fait prendre, paiera quatre livres tournois, un ducat et huit carlins ; et si c’est un étranger qui ait donné le breuvage pour la faire avorter, il paiera quatre livres tournois, un ducat et cinq carlins.

Un père ou une mère ou quelque autre parent qui aura étouffé un enfant, paiera quatre livres tournois, un ducat, huit carlins et si le mari et la femme l’ont tué ensemble, ils paieront six livres tournois et deux ducats……

L’absolution d’un apostat et d’un vagabond qui veut revenir dans le giron de l’église coûte douze livres tournois, trois ducats et six carlins.

L’absolution et la réhabilitation de celui qui est coupable de sacrilége, de vol, d’incendie, de rapine, de parjure et de semblables péchés, crimes ou délits est taxée à trente-six livres tournois, deux ducats.

Comme complément de cette exploitation, la cour de Rome avait promulgué une bulle dite de Composition qui se vendait par l’entremise de moines et de prêtres ; les porteurs de bulles avaient dû préalablement verser au trésor pontifical une somme plus ou moins forte, suivant l’étendue et la richesse des contrées où ils devaient en faire le trafic. Eux-mêmes cédaient tout ou partie de leurs droits à d’autres ecclésiastiques ; les bulles étaient l’objet de spéculations honteuses de la part des frocards et des tonsurés. La vente s’en faisait en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, partout où se trouvaient des catholiques. La bulle de Composition permettait aux heureux cessionnaires de transiger avec les pécheurs sur le prix fixé dans le tarif ; les usuriers, les voleurs, les pires brigands pouvaient obtenir l’absolution et, par suite, l’impunité de leurs méfaits et de leurs crimes au rabais. Les moines prêcheurs et quêteurs préconisaient la bulle de Composition dans leurs sermons. Il nous a été permis de copier dans un vieux livre de l’époque, un de ces discours grotesques et cyniques, et nous en donnons l’exorde comme specimen de l’éloquence sacrée au XIIIe siècle.

« Venez à nous, tireurs de laine, gens de sac et de corde, drôles et scélérats ; nous avons pouvoir de vous rendre blancs comme colombes, innocents comme agneaux. N’est-il pas gracieux à nous de vous blanchir, de vous innocenter pour peu de chose ? Profitez de nos offres, accourez au saint tribunal de la pénitence ; vous n’aurez à nous donner que le dixième et même quelque chose de moins sur tout ce que vous avez soutiré aux autres, volé ou pillé. Ce que vous aurez donné à l’Église ne sera pas perdu pour vous ; Dieu vous fera retrouver ailleurs cent fois plus et vous protégera dans vos entreprises…… »

Plus tard, le progrès des lumières, le schisme de Luther et de Calvin durent obliger l’Église à renoncer au trafic des indulgences et de la taxe de la Chancellerie romaine, sous cette forme grossière ; mais si le Guide des âmes a été modifié, dans les termes, il n’en est pas moins demeuré au fond ce qu’il était au XIIIe siècle, la mine d’or qui fournit au clergé des richesses incalculables.

Le prêtre au confessionnal est comme la pieuvre dans son antre ; il attend la proie, il la happe, l’enveloppe, l’enserre dans ses membranes gluantes, suce tout son sang et la rejette cadavre inerte.

Le confesseur prend de toutes mains et spécule sur tout ce qui est du domaine sacré ; dons et offrandes, honoraires de messes, restitutions, sacrements, baptêmes, communions, mariages et enterrements, quêtes pour les vivants et pour les morts, pour le culte, pour le denier de Saint Pierre, captation d’héritages et le reste…… Les confesseurs s’attribuent presque toujours les restitutions que des pénitents repentants les chargent d’opérer, en réparation d’un dommage causé à une famille ou d’une soustraction demeurée secrète. C’est l’opinion exprimée par un ancien curé de Rome, Louis Desanctis. Dans un livre qu’il a écrit sur la confession, il dit que les restitutions faites par les prêtres sont rares et insignifiantes et qu’elles n’équivalent pas à la millième partie des sommes qui sont en réalité confiées aux confesseurs pour être remises aux victimes des larcins. » Le docte curé, qui est en grande considération dans le monde catholique, fait un autre aveu que nous relevons : « Il existe à Rome des prêtres — et nous pourrions les nommer — qui, entrés pauvres et misérables dans le sacerdoce, sont aujourd’hui très riches et habitent les palais de leurs pénitents décédés, tandis que les parents de ceux-ci, c’est-à-dire les héritiers légitimes, en sont réduits à vivre d’aumônes; d’autres gens se sont jetés dans le Tibre, par désespoir, ayant été frustrés dans leur espérance d’hériter de leurs proches. Tels sont les conséquences de la cupidité sacerdotale. Ce qui se passe à Rome existe un peu plus ou un peu moins dans tous les pays catholiques où la confession est en vigueur……

À Rome, les voleurs de profession qui, chaque année, sont condamnés aux galères ou à la prison, sont ceux qui se montrent le plus assidus au tribunal de la pénitence ; or il ne sort jamais de ce côté la moindre restitution, bien que l’on n’ignore pas que les objets volés soient cachés en quelqu’endroit. Ces gens-là se confessent néanmoins et sont admis à la communion. Voleurs et confesseurs partagent en frères les produits des larcins.

Il n’y a pas lieu, du reste, d’être étonné de ces agissements, puisqu’un pape, Pie VII, a accordé aux confesseurs qui exercent dans la maison pénitentiaire appelée « La maison du Pont rompu, » l’autorisation de donner l’absolution à leurs pénitents, en dehors de l’obligation de restitution. Un autre pontife, Léon X, dans la bulle Post quam ad apostolatus, permet d’absondre les ravisseurs du bien d’autrui, et même autorise les voleurs et les usuriers à retenir en toute sûreté de conscience les fruits de l’usure, des rapines et des vols, sous la condition qu’ils en abandonneront une partie à l’Église !……

Le chanoine Mouls, du diocèse de Bordeaux, n’est pas moins explicite que le savant curé Desanctis, sur la part du confessionnal pour l’enrichissement du clergé catholique. Voici en quels termes il s’exprime dans un de ses opuscules :

« Le confessionnal ! voilà le grand balancier pour battre monnaie ; voilà la poule aux œufs d’or ! Avez-vous commis des crimes ? Faites pénitence ; mais, surtout, rachetez vos péchés par des offrandes, des dons au curé.

» Un de vos proches, de vos amis est-il parti pour le monde des Esprits ? Le prêtre vous aborde d’un air béat, les yeux levés vers le ciel et vous dit : Cette chère âme expie peut-être, dans les flammes du purgatoire, ses fautes et ses faiblesses. Priez pour elle ; et surtout faites offrir pour elle le divin sacrifice. Ce qui signifie : payez des honoraires de messe ; payez grassement nos oraisons.

» S’agit-il d’un paroissien enrichi par des spéculations véreuses qui vient à tomber malade ? Le curé l’engage à faire construire, de ses deniers, un presbytère, un couvent, une chapelle ou une église. — « Il est encore temps, mon fils, dit-il au malade, d’assurer votre salut ; personne ne sait s’il trouvera grâce devant la miséricorde de Dieu ; faites-vous des amis dans le ciel en donnant à l’Église. Le salut de l’âme, c’est la grande affaire ; la famille doit passer après Dieu, faites la part des œuvres pies dans votre testament et n’oubliez pas votre curé. »

Le confessionnal est un gouffre béant ; Affer ! affer ! apporte, apporte, bon catholique, femme crédule, vieille fille dévote. »

Partout le sacerdoce a bu le sang et l’or.