Les Mystères du confessionnal/Épilogue/04

Imprimerie E.-J. Carlier (p. 130).


L’AUMÔNIER DU COUVENT

Le Loup dans la Bergerie
Dialogue entre Sœur Rose & Sœur Marguerite


Sœur Rose. Quel nuage de tristesse sur ton beau front, ma chère Marguerite ! Quoi donc a pu changer de cette façon ta folle gaieté ?

Sœur Marguerite. Rien, ma chère Rose, je suis aujourd’hui comme hier, mon humeur est la même. Elle s’efforce de sourire en répondant à son amie.

Sœur Rose. Tu ne réussiras pas à tromper mon amitié ; ton visage porte l’empreinte d’un violent chagrin ; et, de ce chagrin, je veux connaître la cause.

Sœur Marguerite. Non, non, ton amitié s’alarme à tort à mon sujet ; je n’ai aucun motif de tristesse. — La pauvrette cherche de nouveau à sourire devant sa compagne ; enfin, ne pouvant retenir plus longtemps ses pleurs, elle éclate en sanglots.

Sœur Rose. Allons ! chère belle, je vois que j’avais deviné juste ; ouvre ton cœur, confie-moi le sujet de ta douleur. — Elle l’embrasse avec effusion.

Sœur Marguerite. Tu dois te rappeler, qu’il y a peu de jours, nous nous faisions de mutuelles confidences sur nos regrets d’avoir quitté nos familles pour entrer dans ce couvent.

Sœur Rose. Nous parlions de nos illusions perdues ; nous maudissions ce jour néfaste où, sous l’influence de notre confesseur, celui-là même qui est attaché à cette maison comme aumônier, nous avions prononcé des vœux imprudents.

Sœur Marguerite. Eh bien ! c’est précisément ce prêtre, directeur de nos consciences, qui est la cause du désespoir dans lequel tu me vois plongée.

Sœur Rose. Raconte-moi donc ce qui a pu t’émouvoir à ce point et faire couler tes larmes.

Sœur Marguerite. — La pauvre enfant essuie ses pleurs qu’elle a peine à retenir et s’arrête de sangloter. Ce matin, j’ai été mandée au confessionnal, par ordre de Mr l’aumônier, quoi qu’il m’eût déjà entendue la veille au tribunal de la pénitence. Il m’a fait subir un interrogatoire des plus minutieux sur une matière que je n’ose t’indiquer, mais tu dois me comprendre… Quand il a jugé à propos de mettre fin à la confession, il m’a congédiée, en me recommandant de me rendre, aussitôt ma prière de contrition terminée, à son oratoire particulier, pour y recevoir un livre de piété, lequel devait me faire avancer, disait-il, dans la voie du salut. Un peu par frayeur, par crainte de l’irriter et de m’exposer aux suites de sa vengeance, un peu par obéissance, je vins le trouver à son oratoire. Il m’engagea à m’asseoir sur un fauteuil d’une forme singulière, puis il feignit de chercher un livre sur un rayon de sa bibliothèque. Pendant ce manège, il passa derrière le fauteuil, qu’il toucha brusquement ; un ressort partit et je me trouvai enserrée des bras et des jambes. Des liens rigides me tenaient captive. Il se jeta sur moi, appuya un mouchoir sur ma bouche pour étouffer mes cris, et ........ Dispense-moi, chère Rose, de t’en dire davantage.

Sœur Rose. — Le monstre !… Accomplir un tel forfait dans une maison consacrée à Dieu, dans son oratoire, au milieu des emblèmes de la religion !

Pauvre chère sœur, complète ton récit ; que s’est-il passé après le crime ?…

Sœur Marguerite. — Il m’a parlé de son amour, de sa passion qui l’avait poussé à des moyens qu’il réprouvait lui-même ; il m’a promis sa protection si je consentais à revenir dans son oratoire quand il m’y appellerait ; et comme je repoussais avec indignation ses protestations d’amour, ses offres de protection, il a changé tout à coup de langage, il s’est emporté contre moi en menaces effroyables, il a juré que je serais la plus misérable des créatures si j’osais dire un mot sur tout ce qui s’était accompli. Ensuite, il a fait jouer de nouveau le mécanisme du fauteuil infernal, et, me soulevant du siége, il m’a ordonné de sortir, renouvelant ses menaces si j’osais faire une révélation. Telle est la douloureuse histoire dont tu m’as arraché l’aveu. Hélas ! que me reste-t-il à faire pour conjurer les malheurs que je prévois. La vengeance de cet homme est à redouter, et je frémis en songeant que je suis absolument en son pouvoir. La supérieure de la communauté est à son entière dévotion, elle obéira s’il lui commande de me faire renfermer dans une de ces terribles cellules souterraines destinées aux religieuses coupables. Malheur sur moi ! je suis perdue si tu ne viens à mon secours. Mais que faire, mon Dieu ! pour me soustraire au sort que je redoute ?

Sœur Rose. Ayons prudence et patience, chère belle ; j’ai déjà songé, en t’écoutant, à un moyen pour te soustraire à la lubricité de ce prêtre ; il est d’une exécution facile, c’est la fuite ; nous quitterons ensemble ce couvent odieux. Mais, d’abord, laisse-moi te dire que j’ai été également sollicitée, pressée par notre aumônier pour venir le trouver dans son oratoire, après des interrogations les plus étranges dans le confessionnal. Seulement, plus avisée que toi, ma chère Marguerite, j’avais deviné le piége. Du reste, j’avais été mise en éveil contre cet homme, par des demi-confidences de la sœur Augustine, celle qu’on nomme sa favorite. Il l’avait chargée de me préparer à écouter ses propositions ; j’avais feint alors de ne pas comprendre ce qu’on voulait de moi, mais je me gardai bien de me rendre à son oratoire.

Sœur Marguerite. Maintenant, je comprends tout…… trop tard pour mon malheur…… ce couvent est le sérail de l’aumônier……

Ici prend fin le dialogue. Les deux amies parvinrent à franchir les grilles du couvent le même soir de ce jour où s’était accompli le viol de sœur Marguerite par l’aumônier. Celui-ci est encore resté plusieurs années dans ses fonctions, ensuite il a été promu à un siége épiscopal ; aujourd’hui il est cardinal et archevêque. Satyre mitré et crossé.