Les Muses françaises/Renée Vivien

Les Muses françaises : anthologie des femmes-poètesLouis-MichaudII (XXe Siècle) (p. 337-349).




RENÉE VIVIEN




Issue d’une famille anglo-américaine, Mlle Renée Vivien est née aux Etats-Unis, en 1877. — Elle a débuté en 1901, par un volume de vers : Études et Préludes, dans lequel elle se révélait telle qu’elle devait toujours se montrer à nous dans ses autres livres, c’est-à-dire la mystique prêtresse de Sapho.

En vérité, n’est-ce point une chose étrange que cette jeune femme, oubliant sa langue et sa patrie, chantant en vers français et portant en elle l’idéal grec de la beauté plastique et de l’amour lesbien ! M. Paul Flat, qui a consacré quelques belles pages de critique à l’auteur de Sapho, ne cache pas son étonnement d’un tel miracle littéraire. « Je ne sais pas d’exemple plus saisissant de retour en arrière, dit-il, ni qui montre mieux ce phénomène singulier : un écrivain de notre race, vivant parmi nous, et que nous pouvons coudoyer, sautant à pieds joints par-dessus deux mille années de culture, pour nous faire respirer une âme tout imprégnée des senteurs de Lesbos ! » — Car, le plus surprenant, outre l’incroyable pureté d’expression du vers de Mlle Renée Vivien, c’est qu’elle paraphrase ou s’inspire simplement de la poétesse de Mitylène, l’essence vraiment grecque, sans apparent effort, de son inspiration, la forme tout antique de sa pensée. Il y a là plus qu’un effet de l’art : Mlle Vivien voit, ressent, pense comme une Grecque ; par un oubli total de l’ambiance moderne, par un dédoublement inouï, par une continuelle tension d’imagination elle est arrivée à modifier son âme, à s’identifier complètement avec la célèbre Lesbienne qu’elle s’est donnée comme modèle. Sa sincérité est entière, on n’en saurait douter, bien qu’il y ait dans son cas une importante part d’excitation cérébrale et beaucoup de littérature. — Si on lit seulement quelques pièces de ses livres, on a tout d’abord l’impression de vers écrits par un élève de rhétorique vicieux, à l’esprit farci de classicisme, — mais, lorsque l’on pousse la lecture plus avant, on se convainc, alors, que toute cette poésie saphique est l’expression exacte de sentiments vrais.

Dois-je confesser mon peu de sympathie pour l’œuvre de Mlle Renée Vivien ? — Ce n’est pas que je méconnaisse la beauté de certains poèmes, mais, ces éternels frôlements de chairs féminines m’énervent. La suavité incolore de ses vers de forme très pure, leur fluidité devient extrêmement fade, à la longue. Il manque à tout cela un peu de piment, un peu de nerf, quelques cris échappés à un cœur profondément convulsé ; on voudrait une véritable pâmoison et non pas toujours ces amours languides et évanouies. Et puis, cette perpétuelle extase, cette prière d’amant-femelle agenouillée devant la beauté d’une femme qui « tient la pose » des lys dans les mains — toute cette atmosphère, tout ce décor facticement vrai, tout cela, en dépit du grand art du poète, fatigue et crispe.

On ne saurait néanmoins ne pas trouver très beaux des vers tels que ceux-ci :

Ton rire est clair, ta caresse est profonde.
Tes froids baisers aiment le mal qu’ils font ;
Tes yeux sont bleus comme un lotus sur l’onde,
Et les lys d’eau sont moins purs que ton front.

Ou ceux-ci qui sont célèbres :

Puisque telle est la loi lamentable et stupide,
Tu te flétriras un jour, ah ! mon lys !
Et le déshonneur hideux de la ride
Marquera ton front de ce mot : jadis !
Tes pas oublieront le rythme de l’onde,
Ta chair sans désir, tes membres perclus
Ne frémiront plus dans l’ardeur profonde.
L’amour désenchanté ne te connaîtra plus…..

Et ces autres encore tout à fait délicieux :

Ton âme, c’est la chose exquise et parfumée
Qui s’ouvre avec lenteur, en silence, en tremblant,
Et qui, pleine d’amour, s’étonne d’être aimée.
Ton âme, c’est le lys, le lys divin et blanc.

L’art de Mlle Renée Vivien a été influencé par deux poètes : le tendre Verlaine et le troublant Baudelaire, Comme l’écrit M. Charles Maurras : « Le vieux faune sentimental des Fêtes galantes et de Parallèlement reconnaîtrait chez Renée Vivien beaucoup plus qu’une élève, certainement une des sœurs, une de ces amies teribles qu’il a chantées. » « Quant à Baudelaire, il lui dirait : « Ma fille », aux premiers regards échangés. » — La poésie de Mlle Vivien est tout imprégnée de baudelairisme : elle ne pastiche d’ailleurs point l’auteur des Fleurs du Mal, elle le subit dans son être, elle pense comme lui et sa pensée prend tout naturellement la même forme d’expression.

O sommeil, ô mort tiède, ô musique muette !

dit-elle au sommeil avec de purs accents baudelairiens. Parle-t-elle à la mort :

Notre lit sera plein de fleurs qui frémiront,
Et l’orgue clamera la nuptiale ivresse
Et le sanglot aigu pareil à la détresse,
Dans l’ombre où tu pâlis comme un lys infécond.

Peut-on s’empêcher de penser au fameux sonnet de Baudelaire :

 
Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères...


Aussi bien, la poésie de Mlle Renée Vivien offre un curieux mélange ; gréco-romantique pour l’inspiration, la forme en est nettement parnassienne. Avec ceci et cela, elle a su se créer une véritable originalité, Mais, en définitive, le côté le plus curieux de son talent n’est-ce pas encore le caractère spécial de ses amours !.....

BIBLIOGRAPHIE. — Poésies. — Études et Préludes, A. Lemerre, Paris, 1901, in-18. — Cendres et Poussières, A. Lemerre, Paris, 1902, in-18. — Évocations, A. Lemerre, Paris, 1903. in-18. — Sapho (traduction et paraphrase), A. Lemerre, Paris, 1903. — La Vénus des Aveugles, A. Lemerre, Paris, 1904, in-18. — À l’heure des mains jointes, A Lemerre, Paris, 1906, in-18. — Flambeaux éteints, Sansot et Cie, Paris, 1907, in-4o. — Sillages, Sansot et Cie. Paris, 1908,in-8°.

Prose. — Brumes des Fjords, contes, Paris, 1902. — Du vert au violet, nouvelles, Paris, 1903. — Les Kitharèdes (traduction), Paris, 1904. — La Dame à la Louve, nouvelle, Paris, 1904. — Une Femme m’apparut, roman, Paris, 1904.

CONSULTER. — Charles Maurras, L’Avenir de l'Intelligence, Paris, 1905. in-16. — Paul Flat, Nos Femmes de Lettres, Paris, 1908. in-18. — J. Ernest-Charles, Les Samedis littéraires (2e et 3e séries) Paris, 1904-1905. — G. Casella et E. Gaubert, La Nouvelle Littérature, Paris, 1908. in-18.

INVOCATION


Dans l’Hadès souterrain où la nuit est parfaite
Te souviens-tu de l’île odorante, ô Psappha ?
Du verger où l’élan des lyres triompha,
Et des pommiers fleuris où la brise s’arrête ?
 
Toi qui fus à la fois l’amoureuse et l’amant
Te souviens-tu d’Atthis, parmi les ombres pâles,
De ses refus et de ses rires, de ses râles,
De son corps étendu, virginal et dormant ?...

Te souviens-tu des hauts trépieds et de leurs flammes ?
Te souviens-tu du chant d'Eranna dans la nuit,
De ce chant, plus léger qu’une aile qui s’enfuit,
Mais que ne perdra point la mémoire des femmes ?
 
Ouvre ta bouche ardente et musicale. — Dis !
Te souviens-tu de ta maison à Mitylène,
Des cris mélodieux, des baisers dont fut pleine
Cette demeure où tu parus et resplendis ?
 
Revoir la mer, et les côtes asiatiques
Si proches dans le beau violet du couchant,
Et que tu contemplais, en méditant un chant
Sans fautes, mais tiré des barbares musiques.
 
Le Léthé peut-il faire oublier les vergers
Qui dorment à l’abri des coups de vent maussades,
Et leurs pommes et leurs figues et leurs grenades
Et le doux tremblement des oliviers légers ?
 
Peut-il faire oublier le pas lassé des chèvres
Vers l'étable, et l’odeur des vignes de l’été ?
Dors-tu tranquillement, là-bas, en vérité,
Toi dont le nom divin est toujours sur nos lèvres ?

Tu qui fus le poète et l’égale des Dieux,
Toi que vint écouter Aphrodite, elle-même,
Dis-nous que ton génie est demeuré suprême,
Que le sommeil n’a pu s’emparer de tes yeux !

Parmi les flots pesants et les ondes dormantes.
Toi qui servis, dans sa beauté, l’Éros vainqueur,
L’Éros au feu subtil qui fait battre le cœur,
As-tu donc oublié le baiser des amantes,

Dans les nuits où le bruit des baisers s’étouffa ?
Et les matins remplis de plaintes d’hirondelles,
Et l’innocent orgueil de vivre et d’être belles
Dans la simplicité de l’amour, ô Psappha ?

(Sillages.)
DANS UN CHEMIN DE VIOLETTES

 
Dans l’air la merveilleuse odeur de violettes,
Nos doigts entrelacés et nos lèvres muettes.
 
Les rosiers roux ont la couleur de tes cheveux
Et nos cœurs sont pareils... Je veux ce que tu veux.

Tout le jardin autour de nous, ma bien-aimée,
Et la brise embaumant ta face parfumée.

Nulle n’a la splendeur de tes cheveux flottants
Ni le charme de ton sourire, ô mon Printemps !

De tout mon cœur avide et chantant je te loue.
Nulle n’a le contour précieux de ta joue,

Nulle n’a ce regard incertain qui me plaît
Mêlé de gris aigu, de vert, de violet.

Dans l’énorme univers nulle ne te ressemble
C’est pourquoi près de toi mon désir brûle et tremble.

Je le sais, ton regard n’a pas de loyauté
Et ta bouche a menti... Que j’aime ta beauté !

Règne sur moi toujours, préférée et suprême...
Que tes plus petits pas sont charmants. — Que je t’aime

(Sillages.)


HYMNE A LA LENTEUR


 
Parmi les thyms chauffés et leur bonne senteur
Et le bourdonnement d’abeilles inquiètes,
J’élève un autel d’or à la bonne Lenteur
Amie et protectrice auguste des poètes.

Elle enseigne l’oubli des heures et des jours
Et donne avec le doux mépris de ce qui presse
Le sens oriental de ces belles amours
Dont le songe parfait naquit dans la paresse.
 
Daigne nous inspirer le distique touchant
Qui réveille en pleurant la mémoire dormante,
O Lenteur, toi qui rends plus suave un beau chant
Mélancolique et noble et digne de l’amante !

Inspire les amours, toi qui sais apaiser
Et retenir longtemps et rendre plus vivace,
Et rendre plus suave encor un doux baiser,
Et révéler la gloire entière de la face.

Nous ployons devant toi nos dociles genoux,
La contemplation nous étant chère encore...
Puisque nous t’honorons, demeure parmi nous,
Toi que nous adorons, ô Lenteur que j’adore !

(Sillages.)


CHAIR DES CHOSES


Je possède, en mes doigts subtils, le sens du monde,
Car le toucher pénètre ainsi que fait la voix,
L’harmonie et le songe et la douleur profonde
Frémissent longuement sur le bout de mes doigts.

Je comprends mieux, en les frôlant, les choses belles,
Je partage leur vie intense en les touchant,
C’est alors que je sais ce qu’elles ont en elles
De noble, de très doux et de pareil au chant.

Car mes doigts ont connu la chair des poteries
La chair lisse du marbre aux féminins contours
Que la main qui les sait modeler a meurtries,
Et celle de la perle et celle du velours.

Ils ont connu la vie intime des fourrures.
Toison chaude et superbe où je plonge les mains !
Ils ont connu l’ardent secret des chevelures
Où se sont effeuillés des milliers de jasmins.

Et, pareils à ceux-là qui viennent des voyages
Mes doigts ont parcouru d’infinis horizons,
Ils ont éclairé, mieux que mes yeux, des visages
Et m’ont prophétisé d’obscures trahisons.

Ils ont connu la peau subtile de la femme,
Et ses frissons cruels et ses parfums sournois...
Chair des choses ! j’ai cru parfois étreindre une âme
Avec le frôlement prolongé de mes doigts...

(Sillages.)


NUPTIALE


Elle viendra tantôt cette femme que j’aime !
Son voile aux plis flottants a de nobles ampleurs...
Vous qui savez chanter, chantez un beau poème
Et parsemez de fleurs et de fleurs et de fleurs
Le chemin lumineux de la femme que j’aime.
 
Elle viendra vers moi, très blanche dans le soir,
Cette femme que j’aime entre toutes les femmes !
Elle a le don de se vêtir et de se mouvoir
Et de marcher sans bruit ainsi que font les âmes...
Combien son pas léger est charmiant dans le soir !...

Et qui dira la beauté de Celle qui s’approche
Et m’apporte mon cœur entre ses tendres mains :
Son visage est parfait, son corps est sans reproche.
Son regard ne craint pas l’ombre des lendemains,
Elle sait que je l’aime. Elle vient et s’approche...

Vierges qui l’attendez, éteignez les flambeaux,
Disposez autour d’elle ainsi qu’une parure
L’ombre douce qui rend les visages plus beaux,
Le regard plus profond et la ligne plus pure...
Je l’entends... Elle vient... Éteignez les flambeaux.

(Sillages.)
AMATA

Dis, que veux-tu de moi qui t’aime, ô mon souci !
Et comment retenir ton caprice de femme ?
Prends mes anneaux… Prends mes colliers… Et prends aussi
Ce que j’ai de plus rare et de plus beau : mon âme.

Si mon très grand désir t’importune, ce soir
Je me refuserai la douceur de ta couche
Et dissimulerai mon pesant désespoir
Car je ne veux que le sourire de ta bouche.

Ton vouloir est mon vœu, mon désir et ma loi.
Et si quelque étrangère apparaît plus aimable
A tes regards changeants, prends-là, réjouis-toi !
Moi-même dresserai le lit doux et la table…

O toi que je verrai dans les yeux de la mort !
Que ne peux-tu me demander, à moi qui t’aime ?
Je mets entre tes doigts insouciants mon sort,
O toi, douceur finale, ô toi, douleur suprême !


VÊTUE
I


Ta robe participe à ton être enchanté,
O ma très chère !… Elle est un peu de ta beauté.

La respirer, c’est ton odeur que l’on dérobe.
Ton cœur intime vit dans les plis de ta robe.

L’odeur de nos baisers anciens est dans ses plis…
Elle se ressouvient de nos divins oublis.

En mon être secret je suis presque jalouse
De l’étoffe qui suit ton corps et qui l’épouse.

D’après le portrait de Lévy-Dhurmer.

J’ose te l’avouer, en un soir hasardeux
Ou l’on s’exprime enfin... Nous t’aimons toutes deux.
 
D’avoir été si près de ta douceur suprême,
Ta robe est ma rivale, et cependant je l’aime...


II


Tu n’aimes déjà plus ta robe de jadis,
Soyeuse et longue ainsi qu’un irréel iris.

Mais moi je l’aime et je la veux et je la garde,
Pour moi, le passé reste et l'autrefois s’attarde.

J’adore ces chers plis du voile transparent
Qui n’enveloppe plus ton corps indifférent.
 
Garde-moi, parfumée ainsi qu’une momie,
Ta robe des beaux jours passés, ô mon amie !


DEVANT L’ÉTÉ

Voici l’été... Les jours sont trop longs, mon amie,
L’ombre tarde... On attend l’heure du grand repos,
Des lys plus odorants, de la cloche endormie,
De la grande fraîcheur des feuilles et des eaux.

Je m’attriste de la clarté qui se prolonge,
Mon cœur est l’ennemi des midis éclatants,
Et malgré que les jours soient beaux comme un beau songe,
Cette heure qui me plaît, je l’attends trop longtemps.

Je le sais, le beau jour dore ta chevelure
Large et blonde et qui se réjouit du soleil,
Mais je préfère à tout cette tristesse pure
Et cet ennui final qui mènent au sommeil.

J’adore ton visage et je préfère l’ombre
Mystérieuse où je ne puis que l’entrevoir...
Je préfère à ton clair regard ton regard sombre,
Belle, tu m’apparais plus belle vers le soir.

Dans l’espoir de cette heure où tout désir s’émousse,
Oublions la splendeur dure des jours trop longs.
Dans le désir et le regret de la nuit douce,
Par ces longs soirs d’été trop lumineux, allons...

Moi, je me baignerai dans cette ombre illusoire
De tes cheveux et de tes seins et de tes bras
En songeant à la paix, la douceur et la gloire
D’un beau soir violet qui ne s’achève pas.


SONNET POUR LA DOULEUR


Le soir était plus doux que l’ombre d’une fleur.
J’entrai dans l’ombre ainsi qu’en un parfait asile.
La Voix, récompensant mon attente docile,
Me chuchota : « Vois le palais de la Douleur. »

Mes yeux las s’enchantaient du violet, couleur
Unique, car le noir dominait. Immobile
La Douleur demeurait assise, très tranquille
J’admirais l’unité de sa grande pâleur,

Mon cœur se resserrait dans un étau funeste,
Et j’allais m’éloigner, lorsqu’elle me dit : « Reste. »
Aussitôt j’entendis prolonger un sanglot.

Dans la salle du trône, un clair de lune blême
Envahissait la nuit, comme un rocher le flot.
Et la Douleur régnait, implacable et suprême.


DEVANT LE COUCHANT


Je subis la langueur du jour déjà pâli..
Je suis très lasse, et je ne veux plus que l’oubli.

Si l’on parle de moi, l’on mentira sans doute.
Et mes pieds ont été déchirés par la route.

Certes, on doit trouver plus loin des cieux meilleurs,
Des visages plus doux... Je veux aller ailleurs...

Je vous l’ai dit, je suis affaiblie et très lasse...
Tel le dernier rayon du soir dernier s’efface...

Ma douleur m’apparaît très lourde et très légère.
Oubliez-moi qui suis une âme passagère.
 
Je suis venue ici, je ne sais pas pourquoi
Et j’ai vu des passants se détourner de moi.

Sans vous comprendre et sans que vous m’ayez comprise,
J’ai passé parmi vous, noire dans l’ombre grise.

Sans hâte et sans effroi, je rentre dans la nuit...
Avec tout ce qui glisse, avec tout ce qui fuit.

Je pars comme on retourne, allégée et ravie
De pardonner enfin à l’amour et la vie.


MON AMI LE VENT


Mon doux ami le vent, entre dans ma demeure
Et joins ta voix à ma voix lamentable et pleure...
Pleurons le jour, pleurons le soir, pleurons la nuit.

Pleurons avec la voix des femmes malheureuses
Sur la jeunesse morte et sur l’amour qui fuit
Malgré les bras tendus des tristes amoureuses.

Pleurons les jougs mauvais qui pèsent sur les fronts
Et sur tous et sur tout, ô mon ami, pleurons !
Pleurons le sort mauvais des êtres et des choses.

Plaignons les yeux que nul rayon d’or ne ravit,
Les vieux livres brûlés, la lente mort des roses...
O vent, mon ami cher, plaignons tout ce qui vit !

Qu’on s’éloigne de la grand’salle où l’ombre flotte
Et que nul ne m’entende alors que je sanglote
Avec le vent, avec mon doux ami le vent...

SUR LE RYTHME SAPHIQUE

 
Pour moi, ni l’amour triomphant, ni la gloire,
Ni le souffle vain d’hommages superflus.
Mais la paix d’un coin dans une maison noire
Où l’on n’aime plus.

Je sais qu’ici-bas jamais rien ne fut juste,
Je fus patiente en attendant la mort.
J’ai tu ma douleur, et quoiqu’il fût injuste
J’ai subi mon sort.

Pour moi, ni l’accueil, ni le rire, les fêtes,
Mais l’apaisement d’un très profond soupir.
Le silence noir qui succède aux défaites
Et le souvenir.

(Sillages.)