Les Muses françaises/Eugénie de Guérin
Toute l’existence d’Eugénie de Guérin s’est déroulée dans le Périgord au château du Cayla, où elle est née en janvier 1805 et où elle est morte le 31 mai 1848.
Là, en compagnie de son frère Maurice, c’est une vie charmante, à la fois studieuse et champêtre. Eugénie file sa quenouille, irait une brebis et lit ; elle lit, Sainte-Thérèse, Saint-François de Sales, les écrits de Sainte-Catherine de Gênes « estimés par Leibnitz », les poésies de Chénier, d’Ossian et de Lamartine.
Eugénie passe ainsi ses jours, au milieu des champs, dans une monotonie infiniment douce.
Sa première grande douleur lui viendra de l’absence de son frère. Celuici est en Bretagne et, pour demeurer en communion d’âme avec lui, elle commence, le 15 novembre 1834, le journal de sa vie.
Les pages de ces cahiers intimes sont pleines de son unique et pur amour pour son frère. Elle s’écrie : « Maurice, mon cher Maurice, oh 1 que j’ai besoin de toi et de Dieu I » Et elle s’efforce de mettre dans son journal, nous dit M. Edmond Pilon « outre sa pure tendresse, tout ce coin d’arbres et de verdure, de paix et de vie champêtres dont il semble que sou frère s’éloigne à jamais ».
Puisque le nom de M. Edmond Pilon est venu tout naturellement sous notre plume, comment résister au plaisir de citer la page charmante qu’il consacre au Journal de la tendre Eugénie ?
« Ah ! journal d’une ancienne demoiselle, journal écrit sur des cahiers d’enfant, vieux journal à faveurs comme ceux qu’on trouve dans les tiroirs des meubles du passé, ce n’est pas seulement le miroir d’une vie que tu nous offres, c’est tout un coin du monde : des fermes et des troupeaux, les champs et les moissons, les petites églises des villages, les hameaux assemblés et les enfants qui jouent et tout le paysage dans sa mobiUté. Ah ! journal sentant bon comme les herbiers gardés par les vieux botanistes, journal tout odorant, journal « plein de larmes et de mystère » et que le grand Lamartine déclarait un chef-d’œuvre, tu n’es qu’un tout petit livre de pensionnaire, mais le parfum des bois, le chaut du merle et celui du grillon dans la veillée d’hiver te donnent une poésie si réelle et si pure qu’il semble que ce soit là le Cayla lui-même, apparu devant nous, sonore de ses abeilles, de ses aboiements de chien et du bruit des battoirs que font les laveuses ! »
Son frère mort, ce frère dont elle disait : « Il était la gloire et la joie de mon cœur *, Eugénie ne cessera pas de s’entretenir avec lui. Le neuvième cahier de son Journal, elle l’offrira au cher disj)aru, « à Maurice mort, à Maurice au ciel ». Mais elle est inconsolable et elle songe à se faire religieuse. Son Journal est admirable et touchant de piété et d’affection immaculée. Il expriïne une telle tristesse et une telle exaltation de foi que Latnartine la nommera « le Saint-Augustin des femmes… un Saint-Augustin sans péché ». Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/259 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/260 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/261 Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/262