Les Mots à la mode

Les Mots à la mode
Théâtre de feu Monsieur Boursault. Tome III
La Compagnie des Libraires.


LES MOTS
À LA MODE.

PETITE COMÉDIE.


Augmentée de quantité de Vers qui
n’ont pas été dits sur le Théâtre.

A HAUT
ET PUISSANT SEIGNEUR.
MESSIRE
JACQUES LOMELLINI,
ENVOYÉ EXTRAORDINAIRE
De la Sérénissime République de
Génes, auprès de Sa Majesté.

Monsieur,

Le plaisir que vous avez eû à voir représenter cette petite Comédie, m’en a fait un si grand, que j’ai cru ne me pouvoir mieux acquitter de la grace dont je vous suis redevable, qu’en vous en demandant une nouvelle. C’est, MONSIEUR, d’avoir autant d’indulgence à sa lecture que vous en eûtes à sa représentation ; & de ne me pas dire comme ce Prince à qui l’Arioste dédia ses œuvres : Dove, diavolo, hai radunato tante coionarie ? Pour mettre dans leur jour toutes les extravagances de la Mode, & toute l’impertinence des faux Nobles, j’ai été contraint de faire tant de caractéres ridicules, que le mien, peut-être, n’est pas celui qui l’aura été le moins. Je m’en console, puisque vous y avez pris du plaisir ; & je mets au nombre de mes bonnes aventures celle d’avoir diverti quelques momens un aussi galant homme que vous l’êtes, qui n’est étranger en aucun endroit qu’il aille, & qui sçait la délicatesse de toutes les langues de l’Europe, comme s’il étoit né dans toutes les Cours ou il s’est trouvé. Celle de France où l’on peut dire que cette délicatesse régne plus souverainement que dans aucune autre, a été surprise de vous entendre parler un langage avec plus de politesse que beaucoup de ceux qui la composent : & sans les interêts dont votre Sérénissime République se repose sur votre capacité, & que vous soûtenez avec autant de fidélité que d’intelligence, le Roy même, qui jamais ne se méprend, vous eût pris pour un de ses Sujets. Je ne sçai, MONSIEUR, de quel œil une personne qui arrange ses mots avec une si grande justesse, en verra ici de si bizarrement placés : mais je sçai bien que je ne puis faire plus de honte aux François qui corrompent la pureté de leur langue naturelle par des expressions non-seulement forcées, mais odieuses, qu’en la leur faisant voir parfaitement épurée dans la bouche d’un homme à qui elle est étrangére. Un Ancien disoit, que sçavoir dans sa perfection la langue de son pays n’étoit pas un grand sujet de louange, mais que l’ignorer étoit un grand sujet de blâme : S’il ne vous eût point donné d’éloge de ce que dans les momens de votre loisir vous faites des Vers où brillent toutes les graces de la langue Italienne, il n’eût pû s’empêcher de vous en donner beaucoup de la facilité que vous auriez à en faire en toutes sortes de langues, si le ciel qui vous a fait naître pour les grandes choses ne vous faisoit préférer celles qui sont utiles à celles qui ne sont qu’agréables. Il est vrai, MONSIEUR, que c’est aux Ambassades glorieuses, aux Négociations importantes, en un mot, au bien de votre Sérénissime République, qu’un homme de votre mérite se doit tout entier : avec d’aussi heureuses dispositions que celles que vous avez, il n’y a point d’obstacles que votre courage ne surmonte, point de difficultés que vos lumiéres n’applanissent ; point de rang où la Noblesse de votre naissance ne puisse aspirer ; point d’emploi que la grandeur de votre génie ne puisse remplir. Celui que vous avez auprès de Louis le Grand, & dont vous vous acquittez avec une satisfaction égale de l’Etat qui vous envoye, & de celui où vous êtes envoyé, justifie assez qu’il n’est rien dont vous ne soyez capables ; & si votre République vous a fait honneur en vous confiant les intérêts auprès d’un si grand Monarque, vous ne lui en faites pas moins, puisqu’il avouë lui-même qu’elle ne pouvoit faire un choix plus judicieux. Je n’ose, MONSIEUR, après un aveu qui vous est si glorieux, prendre la liberté de vous donner aucune louange : Une bouche si auguste impose silence à toutes les autres ; & s’il m’est permis d’ouvrir encore la mienne, ce ne doit être que pour vous marquer avec combien de respect je suis,

MONSIEUR,
Votre très-humble &
très obéissant serviteur,
Boursault.

AU LECTEUR.


Un petit Livre intitulé, Les Mots à la Mode, que l’on vend chez Barbin, & qui a eu toute la réputation qu’il mérite, m’inspira la pensée de faire cette Comédie. Quelque débit que ce Livre ait eu, je crus qu’il ne feroit pas tout l’effet que son Auteur s’était proposé, si l’on ne pesoit un peu plus sur ceux qui se rendent ridicules par des façons de parler aussi extravagantes que les personnes qui ont l’impertinence de les inventer, & je ne doutai point que le Théâtre étant un miroir plus grand que la boutique d’un Libraire, ceux qui s’y verroient, ne s’apperçussent mieux de leurs défauts. Le succès a justifié ma pensée : le plaisir qu’on a pris, & qu’on prend encore tous les jours à voir cette Bagatelle, est une preuve que les portraits, quoiqu’un peu outrés, y sont ressemblans ; & qu’au moins les Auditeurs y reconnoissent leurs voisins, si leur amour propre les empêche de s’y reconnoître eux-mêmes. Si cette Piéce paroît un peu libre, ce n’est pas à moi qu’il s’en faut prendre ; c’est aux libertés que l’on se donne, & qui vont si loin, qu’il semble qu’on se fasse un mérite de joindre l’effronterie au luxe par les noms odieux dont les femmes salissent leurs ajustemens. Les vers que je mets dans la bouche du seul Personnage raisonnable que j’y introduis, font assez connoître l’intention que j’ai euë ; & qu’en faisant rire, je cherche plus à corriger les mœurs qu’à les corrompre. Tout ce qu’on a prêché & tout ce qu’on a écrit contre le luxe des coëffures, effarouche & ne corrige point : la morale austére se fait moins aimer, qu’elle ne se fait craindre ; & qui veut qu’on profite de ses leçons, doit donner envie de les entendre. En un mot, il faut prendre l’ame par son foible, & tâcher de la conduire à la vertu par un chemin qui ne la rebute pas. Rien ne fait mieux revenir les gens du ridicule qu’ils ont, que de leur en faire dans autrui une peinture qui les divertisse : le plaisir qu’ils trouvent à s’en moquer, leur fait appréhender de donner le même plaisir à d’autres ; & c’est un joug qui les arrête d’autant mieux, qu’il ne leur est imposé par personne. Je me flatte qu’il en sera ainsi des Mots à la Mode : ce qu’on sent de joie à voir jouer publiquement ceux qui les affectent deviendra un frein pour s’abstenir désormais de les redire ; & pour peu que le Sexe ait encore de pudeur, il fera scrupule de la blesser par des termes dont il ne se peut servir sans faire soupçonner leur conduite. Le grand défaut de cette petite Comédie est que les Auditeurs ne l’ont pas trouvée assez longue, ce qui m’a fait ajouter à l’impression plusieurs Vers qui n’ont pas été dits sur le Théâtre ; & qui, à ce que je crois, donneront une nouvelle satisfaction à ceux qui ont trouvé du plaisir à la voir représenter.

ACTEURS.

Mons. JOSSE, Noble, auparavant Orfévre.
Mad. JOSSE, sa Femme.
NANNETTE, Filles de Monsieur et de Madame Josse.
BABET,
Mons. BRICE, Avocat, Frere de Mad. Josse.
Mons. DU RUS, Freres Nobles, auparavant Parfumeurs.
Mons. DE L’ORME,
MAROTE POUSSINEAU, Fille d’un Marchand.
Mad. BRICE, Bouchére, mere de Mad. Josse.
Mons. GRIFFET, Commissaire.
NICODEME, Jardinier.
ADRIENNE, Femme de Nicodéme
NICOLE, Servante.
CHAMPAGNE, Laquais.
DES ARCHERS.


La scène est à Paris.

SCENE PREMIERE.

Mons. JOSSE, Mons. GRIFFET.
Mons. JOSSE.

Je vous ai de ma femme appris la trahison ;
Quoiqu’il puisse arriver, j’en veux avoir raison.
Contre ce beau Memoire elle ne peut rien dire ;
Et pour la condamner il suffit de le lire.

Mons. GRIFFET.

Parlons sans passion. Etes-vous bien certain
Que ce Memoire-là soit de sa propre main ?

J’y trouve, comme vous, des endroits effroyables.

Mons. JOSSE.

Si j’en suis bien certain ? Trop de par tous les Diables.
Oui, Monsieur, il est d’elle. Avez-vous bien oüi ?
Voilà cinq ou six fois que je vous dis que oüi.
En cherchant des papiers hier dans son armoire
Dans un coin, à l’écart, j’apperçûs ce Mémoire.
Quoiqu’elle m’observât ses yeux furent déçûs :
Avec subtilité je mis la main dessus.
Je cherchois un prétexte à me défaire d’elle :
Et je l’ai bien trouvé, puisqu’elle est infidelle.

Mons. GRIFFET.

J’ai reçu votre plainte, & je sçai tout cela :
Ne poussez point la chose, & tenez-vous en là.
Vous donner cet avis c’est vous mal satisfaire ;
Mais un Sot par Arrêt est difficile à faire.
Si tous ceux qui le sont intentoient des procès ;
Il faudroit leur créer un Tribunal exprès ;
Encore est-il certain, à bien péser les choses,
Qu’il ne pourroit suffire à juger tant de causes.
Quoi ! pour donner à rire à tout le genre humain,
Comme fit ce Bourgeois du Fauxbourg saint Germain,

Voulez-vous, en rendant votre femme si noire,
Vous-même troubler l’eau que vous avez à boire ;
Et quand vous serez Sot, à la face de tous,
Etre encor trop heureux de la revoir chez vous ?
Est-ce peu pour un Sot de la douleur de l’être ?
Quelle démangeaison de le vouloir paroître !

Mons. JOSSE.

Hé qui, de bonne foi, croyez-vous le moins Sot,
D’un Sot qui l’est assez pour n’en dire aucun mot,
Ou d’un qui se déméne, & qui donne à connoître
Qu’il fait tout ce qu’il peut pour s’empêcher de l’être ?
Je veux, si je le suis, le dire à haute voix ;
Et ne pas ressembler à tous ceux que je vois,
Qui par un mercenaire & coupable silence
Avec leurs Substituts semblent d’intelligence.
Vous avez, pour ma plainte, eu quatre louis d’or ;
Je prétens par la suite en user mieux encor :
Je sçai combien d’argent vous coûte votre Office :
Et comment aujourd’hui s’éxerce la Justice ;
On ne la connoît plus que par son attirail ;
Et qui l’achéte en gros, la revend en détail.
N’importe ce qu’il coûte à venger cet outrage.

Mons. GRIFFET.

Mais si, par cas fortuit, votre femme étoit sage ?

Mons. JOSSE.

Après les actions dont vous êtes instruit,
Il est vrai que le cas seroit assez fortuit.
Elle sage !

Mons. GRIFFET.

Elle sage !Je sçai que dans le voisinage
On ne s’est jamais plaint qu’elle ne fût point sage :
Je demeure d’accord qu’elle a d’autres défauts :
Elle s’en fait accroire, & prend des airs trop hauts.
On la blâme, sur tout, de ce qu’elle s’infecte
De certains mots nouveaux que sans cesse elle affecte.
Alexandre le Grand, l’éxemple des Héros,
Est appellé par elle Alexandre le Gros.
Hier au soir elle-même, en parlant d’Allemagne ,
Dit que le Gros Visir s’alloit mettre en campagne.
On ne peut là-dessus lui faire ouvrir les yeux :
C’est un mot favori qu’elle fourre en tous lieux ;
Mais de quelque façon qu’une femme s’exprime,
C’est un entêtement, mais ce n’est pas un crime.

Mons. JOSSE.

Aussi, suis-je chagrin, mon cher Monsieur Griffet,
Moins de ce qu’elle dit que de ce qu’elle fait.
Quoique dans le quartier chacun se moque d’elle,
Le vice du langage est une bagatelle ;

Et quant au choix des mots, il m’est indifférent
Quel est le plus en vogue ou le Gros ou le Grand.
Le cas dont il s’agit, est un cas plus énorme.

Mons. GRIFFET.

Je reviens dans une heure avec un Acte en forme.
Adieu.

Mons. JOSSE.

Adieu.Souvenez-vous d’arrêter prisonnier
Un certain gros coquin qui sert de Jardinier.
J’ai mes raisons.

Mons. GRIFFET.

J’ai mes raisons.Suffit. C’est une affaire faite.

SCENE II.

Mons. JOSSE seul.

Dans quel piége ma femme elle-même se jette !
Quelle imprudence aussi d’écrire mot pour mot
Tout ce qu’elle dépense à faire un mari Sot !
Ce que depuis six mois elle a fait de sotises
En termes naturels dans ce Journal sont mises.
La voici. Sa présence augmente mon courroux.

SCENE III.

Mons. JOSSE, Mad. JOSSE.
Mad. JOSSE.

Je viens vous avertir qu’il ne tiendra qu’à vous
De donner dès ce soir des époux à vos filles.

Mons. JOSSE.

Connoissez-vous leurs biens, leurs emplois, leurs familles ?

Mad. JOSSE.

Leurs familles ? Eh si ! Perdez-vous la raison ?
Les voudrois-je souffrir s’ils n’étoient de Maison ?
Qui vous fait présumer en moi tant de foiblesse ?
Famille est bourgeoisie, & Maison est noblesse.
Je vous les garantis Nobles ; c’est un grand point.

Mons. JOSSE.

Vous les garantissez ?

Mad. JOSSE.

Vous les garantissez ?Nobles.

Mons. JOSSE.

Vous les garantissez ? Nobles.Je n’en veux point.
Je veux d’honnêtes gens. Par éxemple un Notaire,

Un Banquier, un Marchand, un bon homme d’affaire,
Gens avides de bien, & sûrs d’en amasser ;
Et non pas de ces gens faits pour en dépenser,
Qui consumant leurs jours en des chiméres vaines,
Ont plus de créanciers qu’un an n’a de semaines.
Entendez-vous, ma Femme ?

Mad. JOSSE.

Entendez-vous, ma Femme ?Oui, mon Mari, j’entens.
Que diroit-on de pis chez de petites gens ?
A moins d’être du Peuple on ne dit point ma Femme,
C’est une Impolitesse à faire rendre l’ame.
Cela sent le bourgeois du plus méchant aloi.

Mons. JOSSE.

Hé que suis-je de plus ? Parlons net.

Mad. JOSSE.

Hé que suis-je de plus ? Parlons net.Vous ?

Mons. JOSSE.

Hé que suis-je de plus ? Parlons net.Vous ?Oui, moi.
Que, Diable, suis-je ?

Mad. JOSSE.

Que, Diable, suis-je ? Noble. Et ce qui plus me touche,
C’est moi qui, malgré-vous, ai voulu faire souche.

Pour peu qu’on ait de Goût au rang où je me vois,
On abdique aisément ce qu’on a de Bourgeois.
Imitez-moi.

Mons. JOSSE.

Imitez-moi.Ma Femme, en un mot comme en mille,
Votre sote noblesse est comme votre style ;
Et je ne m’accommode en aucune façon
Ni de votre fierté ni de votre jargon.
De nobles, comme moi, d’une fabrique neuve,
Le nombre croit si fort qu’on dirait qu’il en pleuve :
Il n’est point de Manan, pourvû qu’il ait de quoi,
Qui pour le même prix ne le soit comme moi.
Tréve donc, s’il vous plaît, Mademoiselle Josse,
Du ridicule orgueil qui vous rend si féroce.
Est-il charge ni rang qui puisse me cacher
Que mon pere est Orfévre, & le vôtre Boucher ?
Voilà pour faire un jour de célébres familles !
Je veux à leurs égaux associer vos filles.
Faites-les moi venir ; & sur tout pour leur bien
Quand je leur parlerai ne vous mêlez de rien.

Mad. JOSSE.

Hé quelqu’un ! Mes Laquais, montrez-vous, je vous prie.

Mons. JOSSE.

L’un s’appelle Champagne, & l’autre a nom la Brie.
Est-il si mal-aisé de se souvenir d’eux ?

Mad. JOSSE.

Fi ! C’est montrer par-là que l’en n’en a que deux ;
Au lieu qu’en m’expliquant de maniere incertaine
Je parois en avoir une demi-douzaine.
Qui voit-on aujourd’hui distingué du commun
Appeler de ses gens, qui ne dise, hé quelqu’un ?
Un air noble sied bien jusques aux bagatelles.
Préparez-vous, Monsieur ; voici des Demoiselles,
Qui savent les beaux mots comme leur alphabet.

SCENE IV.

Mons. JOSSE, Mad. JOSSE, NANNETTE, BABET.
Mons. JOSSE.

Approchez-vous, Nannette ; & vous aussi, Babet.
C’est moi qui vous demande.

NANNETTE.

C’est moi qui vous demande.Hé, Monsieur, je vous prie,

Donnez-nous à chacune un nom de Seigneurie :
Je ne vois que vous seul de gens de qualité
Prendre si peu de soin de sa postérité.
Monsieur Coquerico, Marchand de Savonnettes,
Devenu gentilhomme aussi-bien que vous l’êtes,
N’a pas un de ses fils qui n’ait un nom nouveau,
Soit le nom de quelque Arbre ou de quelque Ruisseau :
Pour faire ses enfants nobles, en bonne forme,
L’un est Monsieur du Rus, l’autre Monsieur de l’Orme ;
Et comme le plus jeune a le dos tout courbé,
Sûr qu’il n’est bon à rien il en fait un Abbé.
S’il avoit comme vous une fille bien faite
Lui feroit-il l’affront de l’appeler Nannette ?

Mons. JOSSE.

Vous me citez, vraiment, un plaisant animal !

NANNETTE.

Est-ce vous offenser, que citer votre égal,
Monsieur !

Mons. JOSSE.

Monsieur ! Je vous ai dit, & vous le réitère,
Que vous m’appellassiez simplement votre pere ;
A moins que votre mere en secret, & tout bas,
Ne vous ai fait sçavoir que je ne le suis pas.

BABET.

Les gens de qualité, dont elle a l’honneur d’être,
Ont une extrême peine à ne pas le paroître :
Quoique le nom de pere ait de beau, de touchant,
Depuis un an ou deux cela put le Marchand
Un chétif Avocat par un ordre sévére,
Défend à ses enfants de l’appeler leur pere.
C’est une vérité qu’on peut vous garantir.

Mons. JOSSE.

J’en sçai bien la raison : c’est de peur de mentir.
Souvent un Avocat donne toutes ses peines
Aux affaires d’autrui, pendant qu’on fait les siennes.
Mais je vous mande ici pour un autre entretien.
Je veux vous marier. Vous ne répondez rien !

NANNETTE.

Je n’ai de volonté que pour suivre la vôtre.

BABET.

Je me fais un devoir de n’en avoir point d’autre.

Mons. JOSSE.

Fort bien : j’aime à vous voir dans ces sentimens-là.

NANNETTE.

Je dois à vos bontés beaucoup plus que cela.

BABET.

Vos ordres en tout temps me sont doux & faciles.

Mons. JOSSE.

Puisqu’à mes volontés vous êtes si dociles,
Vous aurez pour époux, dans huit jours au plus tard,
Vous, Monsieur Poussineau ; vous, Monsieur Rodillard.
L’un est un bon Marchand à grand’porte cochére,
Où l’étoffe par aulne est d’un écu plus chére ;
Car aux gros Magazins comme aux grands Cabarets,
L’apparence entre en compte au mémoire de frais ;
L’autre est un homme d’ordre, un Banquier d’importance,
Qui n’avoit pour tout bien que mille écus d’avance ;
Et qui par son mérite est devenu puissant
A prêter pour six mois à quatorze pour cent.
Enfin, gens sans reproche & d’une bonne race.

NANNETTE.

Je vous baise les mains.

BABET.

Je vous baise les mains.Et moi, je vous rends grace.

Mons. JOSSE.

Comment ?

NANNETTE.

Comment ? Je ne veux pas me marier si-tôt.

BABET.

Ni moi non plus.

Mons. JOSSE.

Ni moi non plus.Non ?

BABET.

Ni moi non plus.Non ? Non.

Mons. JOSSE.

Ni moi non plus.Non ? Non.Je le veux. Il le faut.

NANNETTE.

Votre prétention sur ce point sera vaine.
Je ne puis.

Mons. JOSSE.

Je ne puis.Craignez-vous de mourir dans la peine ?
Votre mere à votre âge avait franchi ce pas :
Elle n’en est pas morte ; & vous n’en mourrez pas.

NANNETTE.

Vous nous offrez des gens d’une agréable allûre !

BABET.

Il nous faut des partis bien d’une autre tournûre.

NANNETTE.

Puis-je prendre un époux à moins que de son chef,

Il ne soit Noble, riche, & d’un gros Relief ?

BABET.

Pour moi, je n’en veux point, comme vous pouvez croire,
S’il me fait dérouter du chemin de la gloire.

NANNETTE.

Je voudrois bien sçavoir si Monsieur Poussineau,
Peut jamais, quoi qu’il fasse, être à notre niveau ?

BABET.

Et Monsieur Rodillard avec qui l’on m’assemble,
Ne fera-t-il pas beau nous faufiller ensemble ?

NANNETTE.

J’en sçai qui sous nos Lois sont prêts à se ranger,
Fais comme une Peinture & jolis à manger :
Au lieu que les amans dont vous faites l’ébauche,
Ont un esprit si louche ! Un entretien si gauche !

BABET.

Quoique votre noblesse ait déjà près d’un mois,
Il vous reste toujours des vestiges bourgeois.
Je ne vois qu’à vous seul ces petites manieres.

Mons. JOSSE.

Hé bien ! n’est-il pas beau de voir trois grimacieres,
Qui sans le fade appas de vingt bizarres mots,
Que font des étourdis & que disent des sots,
Tant que dure le jour n’auroient rien à se dire ?

Encor n’est ce pas là ce que l’on fait de pire.

Mad. JOSSE.

Hé, que fait-on, Monsieur ?

Mons. JOSSE.

Hé, que fait-on, Monsieur ?Ce que l’on fait ?

Mad. JOSSE.

Hé, que fait-on, Monsieur ? Ce que l’on fait ?Oui ; quoi ?

Mons. JOSSE.

Ce que personne ici ne doit faire que moi.
Mais je vais de ce pas y donner si bon ordre,
Qu’il sera mal-aisé que nous puissions nous mordre.
Serviteur.

SCENE V.

Mad. JOSSE, NANNETTE, BABET.
Mad. JOSSE.

Serviteur.Moquez vous des menaces qu’il fait :
Messieurs Coquerico sont bien mieux votre fait :
Il ne s’est jamais vû d’égalité plus grande :
Age, rang…


BABET.

Age, rang...Moi, Banquiere !

Mad. JOSSE.

Age, rang...Moi, Banquiere !Il est fou.

NANNETTE.

Age, rang...Moi, Banquiere !Il est fou.Moi, Marchande !

Mad. JOSSE.

Il radote.

SCENE VI.

Mons. BRICE, Mad. JOSSE, NANNETTE, BABET.
Mad. JOSSE.

Il radote.Ah c’est vous ! Eh, mon frere, bon jour.

Mons. BRICE.

Bon jour, ma sœur.

Mad. JOSSE.

Bon jour, ma sœur.De quand êtes-vous de retour,
Monsieur l’Avocat ?

Mons. BRICE.

Monsieur l’Avocat ?D’hier à dix heures, je pense.


Mad. JOSSE.

Je vous veux un gros mal d’une si grosse absence.
Depuis quinze gros jours ne m’avoir point écrit !
Vous qui passez partout pour un si gros esprit.
A peine un gros Seigneur, que le rang autorise,
Se seroit-il permis cette grosse sottise.

Mons. BRICE.

Quoi ! ma sœur, votre erreur dure jusqu’à présent !
Laissez mourir en paix un mot agonisant.
Hors chez quelques Laquais qu’il est en étalage,
En aucun lieu du monde il n’est plus en usage.
Laissez, encore un coup, mourir ce mot en paix.
Me trouver l’esprit gros, c’est le trouver épais.
A moins qu’un gros Seigneur n’ait la taille fort grosse,
Est-il expression plus bizarre & plus fausse ?
Qui, Diable, a jamais dit depuis quinze gros jours ?
Ceux qui risquent ces mots pour leur faire avoir cours
Devroient être punis presque de même voye
Que ceux qui font passer de la fausse monnoye ;
Gros est un mot proscrit, ma sœur.

Mad. JOSSE.

Gros est un mot proscrit, ma sœur.Avez-vous peur

Que l’on ne sçache pas que je suis votre sœur ?
A qui plus justement voulez-vous qu’appartienne
Le titre de Madame ?

Mons. BRICE.

Le titre de Madame ?Oh ! qu’à cela ne tienne.
C’est un titre abusif que tant de femmes ont,
Qu’il ne fait plus d’honneur à celles qui le sont.
On traite également, tant on rend de justice,
Et la femme d’un Duc & celle de son Suisse ;
Et l’on distingue à peine en un même quartier
Celle d’un Président de celle d’un Huissier.
Jadis un Conseiller défendoit à sa femme
De souffrir que ses gens l’appelassent Madame :
Et le Clerc de son Clerc, moins scrupuleux que lui,
Trouve bon que la sienne ait ce titre aujourd’hui.
Cette contagion s’étend avec furie ;
Particulièrement parmi la Librairie :
Auprès des Mathurins j’en connois un trio,
Une Madame in-douze, & deux in-folio.
Mais les gens de bon goût distinguent les espéces.
Hé bien, mariez-vous mes deux charmantes Niéces ?

NANNETTE.

Vous ne pouviez choisir un plus heureux moment.

Il nous vient ce matin à chacune un amant :
Mais bien faits ! Mais d’un goût & du rang dont nous sommes.

SCENE VII.

CHAMPAGNE, Mad. JOSSE, Mons. BRICE, NANNETTE, BABET.
CHAMPAGNE.

Madame, on vous demande.

Mad. JOSSE.

Madame, on vous demande.Hé qui ?

CHAMPAGNE.

Madame, on vous demande.Hé qui ? Deux Gentilshommes ;
Leur pere est Parfumeur, & demeure ici près.

BABET.

Il semble que le ciel nous les envoye exprès.

Mons. BRICE.

Les fils d’un Parfumeur Gentilshommes ? Prodige !

Mad. JOSSE.

Oui, mon frere, ils le sont.

Mons. BRICE.

Oui, mon frere, ils le sont.Eux, ma sœur ?

Mad. JOSSE.

à ses filles.Oui ; vous dis-je.
De l’éclat de vos yeux éblouis, pénétrés,
Ils ne sortiront pas comme ils seront entrés.
Charmez-les bien.à Monsieur Brice.
Charmez-les bien.Et vous, respectez leur noblesse.
Et qu’il ne vous échappe aucun mot qui la blesse.
Qu’ils entrent.

SCENE VIII.

Mons. DU RUS, Mons. DE L’ORME, Mad. JOSSE,
Mons. BRICE, NANNETTE, BABET.
Mad. JOSSE.

Qu’ils entrent.Hé quelqu’un ! des fauteuils.

Mons. DU RUS.

Qu’ils entrent.Hé quelqu’un ! des fauteuils.Vos appas
Qui font à tout venant mettre pavillon bas,
Sûrs de tout conquérir aussi-tôt qu’ils se montrent,

Font autant de captifs que de cœurs qu’ils rencontrent.
Vers une autre beauté j’avois pris mon essor,
Mais je change.

Mons. DE L’ORME.

Mais je change.Pour moi, mon cœur est libre encor :
Mais à voir tant d’appas pour peu qu’il persévére,
J’appréhende bien fort qu’il ne le soit plus guére.

NANNETTE.

Quel plaisir de ranger sous l’amoureux lien
De ces cœurs Isolés qui ne tiennent à rien !
Que ne puis-je causer votre premiére allarme !

Mad. JOSSE.

Isolés ! Ah, Messieurs, le joli mot ! Il charme.
Qui jamais avant elle, à l’âge où la voilà,
Avec tant de justesse a placé ce mot-là ?
Isolés !

Mons. DU RUS.

Isolés ! Franchement, Isolés me prend l’ame.

Mons. DE L’ORME.

Isolés me ravit, me pénètre, m’enflamme.

Mons. DU RUS.

Ce qui m’en plaît le plus, c’est qu’elle s’en sert bien.
De ces cœurs Isolés qui ne tiennent à rien !

Quand de l’architecture on sçauroit la manœuvre,
On auroit de la peine à mieux le mettre en œuvre.
Ce mot est d’un bon sel, & d’un excellent goût.

Mad. JOSSE.

Il m’a fait oublier que vous êtes debout.
Ces fauteuils sont ici pour nous mettre à notre aise.
Hé quelqu’un ! pour mon frere il ne faut qu’une chaise ;
Il n’est pas noble.

Mons. BRICE.

Il n’est pas noble.Non ; dont je rens grace au ciel.

Mons. DE L’ORME.

Ouais ! Contre la noblesse il semble avoir du fiel.

Mons. BRICE.

Point du tout ; je l’honore autant qu’on le peut faire :
Il n’est dans un état rien de plus nécessaire :
A le rendre tranquille elle applique son soin ;
Mais je l’aime un peu vieille, & marquée au bon coin.

Mons. DU RUS.

Fy ! Peut-on avouer qu’on aime la vieillesse ?
Rien n’est plus décrépit que la vieille noblesse.

Est-il un Financier noble depuis un mois,
Qui n’ait son dîné sûr chez Madame Guerbois ?
Et que de vieux Barons pour le leur trouvent blanque
Quand le gibier s’envole, ou que leur fusil manque ?
Monsieur parle en bourgeois des plus invétérés.

Mad. JOSSE.

Les mots les plus jolis sont par lui censurés.
Contre celui de gros il jette feux & flammes.

Mons. DE L’ORME.

Tant pis : Il se fera lapider par les Dames.
C’est un des mots nouveaux qu’elles aiment le plus.

Mad. JOSSE.

Est-il rien de mieux dit que de grosses vertus ?
Je suis de cette phrase inséparable amie.

Mons. BRICE.

Vous avez contre vous toute l’Académie :
Elle, qui dans la langue a le don d’exceller.

Mons. DU RUS.

Moi, je lui soutiens, moi, qu’on ne peut mieux parler.
Il est certains endroits où ce mot charme, enchante.
Quelle Académie est-ce ? Est-ce celle où l’on chante ?

Mons. BRICE.

Plaisante Académie, & dont on fait grand cas !

Mons. DU RUS.

Est-ce celle, où l’on fait de si bons almanachs ?

Mons. BRICE.

Ces gens, pour bien parler, n’ont pas l’air assez grave.

Mons. DU RUS.

Est-ce l’Académie où l’on peint, où l’on grave ?
Ces gens-là sont du monde, & parlent juste.

Mons. BRICE.

Ces gens-là sont du monde, & parlent juste.Non.

Mons. DE L’ORME.

C’est donc l’Académie où l’on ne fait rien !

Mons. BRICE.

C’est donc l’Académie où l’on ne fait rien ! Bon !
Celle que je vous dis travaille plus que toutes.
C’est-là que de la langue on décide les doutes :
Là que l’on sert de régle à tous les gens d’esprit,
Par ce que l’on prononce & ce que l’on écrit :
L’ennemie, en un mot, des sotises nouvelles.

SCENE IX.

CHAMPAGNE, Mad. JOSSE, Mons. DU RUS, Mons. DE L’ORME,
Mons. BRICE, NANNETTE, BABET.
CHAMPAGNE.

Marote Poussineau vient voir ces Demoiselles.

Mad. JOSSE.

Voyez pour quel sujet le sot nous interrompt :
Di qu’elles n’y sont pas.

CHAMPAGNE.

Di qu’elles n’y sont pas.J’ai dit qu’elles y sont,
Je ne serai pas cru, si je dis le contraire.

Mad. JOSSE.

De ces sortes de gens tâchez à vous défaire.
C’est vers la Bourgeoisie un reste de penchant
Que de souffrir ici la fille d’un marchand.
Elle ne connoît pas, tant elle est animale,
Combien entre elle & vous le rang met d’intervalle.

Qu’elle entre. Ces Messieurs permettront bien cela.
Pardon.

SCENE X.

MAROTE, Mad. JOSSE, Mons. DU RUS, Mons. DE L’ORME,
Mons. BRICE, NANNETTE, BABET.
MAROTE.

Pardon.Bonjour Nannette ; à la fin te voilà !
Je suis venue ici deux ou trois fois de suite ;
Et toutes ces fois-là j’ai perdu ma visite.
Comment te portes-tu ? J’en suis en peine.

NANNETTE.

Comment te portes-tu ? J’en suis en peine.Bien.

MAROTE.

Je te vois du chagrin. Qu’as-tu ?

NANNETTE.

Je te vois du chagrin. Qu’as-tu ? Qu’aurois-je ? Rien.

MAROTE.

Parle-moi bonnement, & ne fais point la sote.

Qu’as-tu ? Bonjour, Madame.

Mad. JOSSE.

Qu’as-tu ? Bonjour, Madame.Ah, ah ! Bonjour, Marote,
Bonjour.

MAROTE.

Bonjour.On me reçoit ici bien froidement !
D’où vient donc que Babet ne me dit rien ? Vraiment
On me chasse ; & l’on veut que je m’en apperçoive.

BABET.

Comment donc voulez-vous, dites, qu’on vous reçoive ?

MAROTE.

Comment ? Il semble ici qu’on me voye à regret.

Mad. JOSSE.

Apporter pour Marote un petit tabouret.
Car je ne pense pas que votre orgueil vous porte
A vous équipoller aux gens de notre sorte :
Il faut selon les rangs de la distinction ;
Et l’on nomme cela subordination.

MAROTE.

Je veux un Fauteuil, moi, s’il faut que je le dise :
Non pour avoir l’honneur d’être un peu mieux assise ;

Mais sçachant où je suis, pour m’épargner l’affront
De l’être un peu plus mal que les autres ne sont.

NANNETTE.

Que le monde aujourd’hui se rend peu de justice !
Et qu’aux petites gens l’audace est un sot vice !
Vous imaginez-vous qu’ici, non-plus qu’ailleurs,
Vous ayez un fauteuil où seront ces Messieurs,
Eux qui vont à la gloire avec tant de vitesse ;
Et qui, de compte fait, ont un mois de noblesse ?
Il faut de la raison & de l’ordre par-tout.

MAROTE.

Ces Messieurs où je suis devroient être debout.
Une belle noblesse & de source bien pure,
Que celle qu’on débite à la Manufacture !

Mad. JOSSE.

Vous vous êtes, ma fille, exposée à cela,
En vous encanaillant de cette Guenon-là.
Marote Poussineau ! Ce nom seul est atroce.

MAROTE.

Marote Poussineau vaut bien Madame Josse.
Cet orgueil avec moi ne lui sied-il pas bien ?
Elle de qui le pere est le Boucher du mien ;
Et qui plus d’une fois eût fermé sa boutique,
S’il n’eût eu le bonheur d’avoir notre pratique ?
Je m’en vais le changer, sans y perdre un moment.

SCENE XI.

Mad. JOSSE, Mons. DU RUS, Mons. DE L’ORME,
NANNETTE, Mons. BRICE, BABET.
Mons. DE L’ORME.

Vous l’avez repoussée, & vigoureusement.
Je ne sçai rien de mieux pour vous en bien défaire.

Mad. JOSSE.

Remettons-nous. Hé bien, Messieurs, qu’allez-vous faire ?
Car rien n’est plus honteux, dans ces temps divisés,
Que de voir la noblesse avoir les bras croisés.
Il faut, pour son honneur, qu’elle soit occupée.
Prenez-vous une Charge où de Robe ou d’Epée.

Mons. DU RUS.

D’Epée. On sent bien mieux l’homme de qualité.
Par-tout Mars sur Thémis l’a toujours emporté.
Chez tous les gens d’Epée aujourd’hui c’est la mode
De passer sur le ventre à tous les gens du code.

Ce n’est pas au Palais que croissent les lauriers.

BABET.

Que vous ferez tous deux de jolis officiers !

NANNETTE.

Si l’on en croit le bruit que fait la renommée,
De jolis officiers ornent bien une armée.

Mons. DU RUS.

Quand ils ont à leur tête un joli Général :
Il n’est pour les Grivois point de plaisir égal :
Et ce qui rend la France en tous lieux formidable,
En jolis Généraux elle est inépuisable.
Ce que nous en avons sont des gens accomplis.

Mad. JOSSE.

Ceux que nous n’avons plus étoient bien plus jolis.
Quoique pour en juger mon esprit soit trop mince,
Feu Monsieur de Turenne, & feu Monsieur le Prince,
L’un pour temporiser & lasser l’Allemand ;
L’autre pour foudroyer Espagnol & Flamand ;
Ont été, selon moi, les deux plus jolis Hommes
Que la France ait produit dans le siécle où nous sommes.

Mons. BRICE.

Et vous ne voulez pas que les gens soient piqués
Contre des mots si sots & si mal appliqués !

Est-il dans l’Univers encore un Capitaine
Tel que Monsieur le Prince, & Monsieur de Turenne ?
Quels noms ont plus de gloire, & sont mieux établis ?
Et des gens d’un tel poids vous paroissent jolis ?
Qui jamais, dites-moi, fut assez ridicule
Pour traiter de jolis Hector, Achile, Hercule ?
Vous nommez deux Héros qui les effacent tous :
Il faut quand on en parle en parler à genoux ;
Et ceux qu’en pareil cas ces jolis termes tentent,
Sont du moins aussi fous que ceux qui les inventent.
On ne dit point non plus de jolis Officiers.
Jolis ne convient point à de vaillants guerriers :
Il faut que l’épithéte exprime ce qu’on nomme :
Dire un joli garçon n’est pas dire un brave homme ;
Et le mot de joli n’a jamais été fait
Qu’en faveur d’un enfant, & d’un colifichet.

Mons. DE L’ORME.

J’entrevois les raisons de Monsieur votre frere :
Joli ne lui plaît pas, parce qu’il ne l’est guére.
Voilà ce qui l’oblige à s’expliquer ainsi.

Mad. JOSSE.

Ha ! que mal-à-propos ma mere vient ici !

SCENE XII.

Mad. BRICE, Mad. JOSSE, Mons. DU RUS, Mons. DE L’ORME,
Mons. BRICE, NANNETTE, BABET.
Mad. JOSSE.

Quel sujet vous amène en ce lieu, toute seule ?

Mad. BRICE.

Je devrois y venir vous souffleter la gueule.
Vous avez par vos soins fait si bien & si beau,
Que nous ne servons plus chez Monsieur Poussineau.
Sa fille…

Mad. JOSSE.

Sa fille…Sçavez-vous qu’elle est assez brutale
Pour oser sotement se croire notre égale ?
De la désabuser on s’est donné le soin.

Mons. DU RUS.

Franchement, l’insolence alloit un peu trop loin.

Mad. BRICE.

Mêlez-vous, s’il vous plaît, de ce qui vous regarde.

NANNETTE.

Ces messieurs sont d’un rang…

Mad. BRICE.

Ces messieurs sont d’un rang…Vous, taisez-vous, Guimbarde.
Il vous appartient bien de dire vos raisons,
Et de mettre le nez dans ce que nous disons.
Qui demande un avis aussi sot que le vôtre ?

Mons. BRICE.

Eh ! de grace, ma mere, abstenez-vous…

Mad. BRICE.

Eh ! de grace, ma mere, abstenez-vous…A l’autre,
Qui pour être Boucher ayant trop peu d’esprit,
Voulut être Avocat pour nous faire dépit ;
Et de qui chaque jour la principale affaire
Est d’endosser sa housse, écouter, & se taire.
Faites-moi le plaisir de me laisser en paix :
On vous y laisse bien tous les jours au Palais.

BABET.

Ciel ! que les vieilles gens ont un esprit revêche !

Mad. BRICE.

Entendez-vous jaser la petite Pimbêche ?
Voyez : Ne faut-il pas qu’elle s’en mêle aussi ?
Les vieilles gens ! La masque, oser parler ainsi !
Je t’apprendrai, friponne, à me morguer en face.
Vieille !

Mons. DE L’ORME.

Vieille !Madame Brice, il faut lui faire grace.
Vos attraits par ce mot ne sont pas effacez !
Vous êtes encor jeune ; on le void bien.

Mad. BRICE.

Vous êtes encor jeune ; on le void bien.Assez,
Pour voir votre noblesse un jour aller au peautre ;
Et vous, redevenir Parfumeurs l’un & l’autre.
Mon gendre est une bête, & votre pere un fou,
De chercher à monter pour se casser le cou.
Suffit d’être enrôlé dans la Gentilhommaille
Pour être convaincu de n’avoir pas la maille :
Et de tous les états où l’on est malheureux,
Le plus insupportable est d’être noble & gueux.
Ajoûtez à cela quelle sera la fiévre
D’un noble Parfumeur, d’un gentilhomme Orfévre,
Si le Roy les oblige à marcher dans un an,
Comme l’autre noblesse, à quelque Arriéreban ?     
Les braves gens !

Mons. BRICE.

Les braves gens !Ma mere, il vaut mieux qu’on se taise…

Mad. BRICE.

Jour de Dieu ! je prétens quereller à mon aise.
C’est à vous à vous taire, imbécille Orateur.

Mons. DU RUS.

Adieu. Madame Brice est de mauvaise humeur.

Mad. JOSSE.

Elle rêve. Eh, Messieurs ! Supposez qu’elle dorme.

NANNETTE.

Restez, Monsieur du Rus.

BABET.

Restez, Monsieur du Rus.Restez, Monsieur de l’Orme.

Mons. DE L’ORME.

Nous prendrons notre temps pour revoir tant d’appas
Que la mere éternelle un matin n’y soit pas.

Mad. JOSSE.

Votre façon d’agir, ma mere, est effroyable.
Ils sont sortis.

Mad. BRICE.

Ils sont sortis.Tant mieux : Qu’ils s’en aillent au Diable.
J’aurai la joye au moins de gronder en repos.

SCENE XIII.

Mons. JOSSE, Mad. JOSSE, Mad. BRICE, Mons. BRICE,
Mons. GRIFFET, NANNETTE, BABET.
Mons. JOSSE.

Ha, ha ! Je vous rencontre ici tout à propos.
Je viens de vous chercher pour une belle affaire.

Mad. BRICE.

Comment donc ? Qu’est-ce ?

Mons. JOSSE.

Comment donc ? Qu’est-ce ? Entrez, Monsieur le Commissaire.

Mad. JOSSE.

Un Commissaire ici ! Pourquoi faire ?

Mons. JOSSE.

Un Commissaire ici ! Pourquoi faire ? Attendez.
Vous sçaurez assez tôt ce que vous demandez.
Je veux auparavant, sans nulle incertitude,
Informer vos parens de votre turpitude.
Autrefois, par l’Hymen l’un à l’autre conjoints,
Votre fille m’aimoit ; je ne l’aimois pas moins :

J’étais jeune : Un mari toujours jeune est aimable ;
Mais enfin…

Mad. BRICE.

Mais enfin…Enfin, quoi ?

Mons. JOSSE.

Mais enfin…Enfin, quoi ? J’ai vieilli : c’est le Diable ;
Et ma femme au plaisir immolant le devoir,
A ses petits besoins a pris soin de pourvoir.
C’est tout dire.

Mad. JOSSE.

C’est tout dire.Imposteur ! l’impudence est extrême.

SCENE XIV.

NICOLE, Mons. JOSSE, Mad. JOSSE, Mons. BRICE,
Mons. GRIFFET, NANNETTE, BABET.
NICOLE.

Vite, à l’aide, au secours du pauvre Nicodéme :
Si vous ne vous hâtez c’est fait du Jardinier.

Mad. JOSSE.

Comment ?

NICOLE.

Comment ?Des Poussecus l’arrêtent prisonnier.
Comme il est fort & roide, & qu’il sçait battre & mordre,
Il leur donne à tretous bien du fil à retordre :
Il en viendroit à bout s’il avoit de l’appui.
Le voici qu’on améne, & sa femme avec lui.

SCENE XV.

NICODEME, ADRIENNE, Mons. JOSSE, Mad. JOSSE, Mad. BRICE, Mons. BRICE, Mons. GRIFFET, NANNETTE, BABET, NICOLE.
Mons. JOSSE.

Approche gros Coquin.

NICODEME.

Approche gros Coquin.C’est fort bien dit. Peut-être
Que j’en dirois autant si j’étois votre maître.

Mons. BRICE.

Je ne sçai que penser de tout ce que je vois.

NANNETTE.

Plus ce desordre augmente & moins je le conçois.

Mons. JOSSE.

Fripon !

NICODEME.

Fripon !Mordié nenni. Tout chétifs que je sommes
J’avons été cinq ans à de vrais Gentilshommes :
A telle enseigne, ardé, qu’ils n’aviont pas un soû ;
Et qu’ils me tapotiont tout leur diantre de saoû ;
Il ne s’est jamais vû de noblesse meilleure.
Ce n’étoit pardié pas comme celle d’astheure.

Mad. JOSSE.

Vous le méritez bien, Monsieur Josse.

Mons. JOSSE.

Vous le méritez bien, Monsieur Josse.Tout-doux.
Je sçai ce qui se passe entr’eux, quelque autre & vous.

Mad. JOSSE.

Hé, que se passe-t-il qui ne soit à ma gloire ?

Mons. JOSSE.

Monsieur le Commissaire apportez son mémoire.
C’est trop avoir d’égard pour son manque de foi :
Ne la ménagez plus. Parlez.

Mons. GRIFFET.

Ne la ménagez plus. Parlez.De par le Roy.

Dites-moi, sans mensonge, & sans être interdite,
Si vous reconnoissez ce mémoire ?

Mons. JOSSE.

Si vous reconnoissez ce mémoire ? Elle hésite ;
Plus elle a de chagrin, plus je suis réjoüi.

Mad. JOSSE.

Oui, Monsieur, ce mémoire est de moi.

Mons. JOSSE.

Oui, Monsieur, ce mémoire est de moi.De vous ?

Mad. JOSSE.

Oui, Monsieur, ce mémoire est de moi.De vous ? Oui.
Je ne sçai ce que c’est que dire une imposture.

Mons. JOSSE.

Il s’agit maintenant d’en faire la lecture.
Vous allez, j’en suis sûr, être scandalisez.

Mad. JOSSE.

De quoi ?

Mons. JOSSE.

De quoi ? Prêtez l’oreille : & vous, Monsieur, lisez.

Mons. GRIFFET lit.

Mémoire de la Dépense que j’ai faite en galanteries.

Mons. JOSSE.

Voyons par quel endroit ce mémoire débute.

Mons. GRIFFET.

Premiérement, vingt francs pour une Culebute

Mad. BRICE.

Pour une Culebute ! Oh bon Dieu ! qu’est-ce là ?

Mons. JOSSE.

Bon ; ce n’est rien : le reste est bien pis que cela.
Poursuivez seulement, Monsieur le Commissaire.

Mons. GRIFFET.

Pour une Culebute avec un Mousquetaire.

Mons. BRICE.

Avec un Mousquetaire ! En effet, c’est bien pis.
Malheureuse ! est-ce là ce qu’on t’avoit appris ?
Faire un si grand affront à la race des Brices !

Mons. JOSSE.

Monsieur, de pareils coups laissent des cicatrices…

NICODEME bas.

La peste ! un Mousquetaire est assez bien choisi.

Mons. GRIFFET.

Plus, pour un Boute-en-train, & pour un Tâtez-y,
Huit cens francs.

Mons. JOSSE.

Huit cens francs.Dites-moi, vous, à qui je me fie,
Qu’est-ce qu’en bon françois Tâtez-y signifie ?

Mad. BRICE.

Que signifieroit-il que ce qu’on entend bien ?

Mons. BRICE.

Qu’avez-vous à répondre à cela, ma sœur ?

Mad. JOSSE.

Qu’avez-vous à répondre à cela, ma sœur ? Rien.
C’est un extravagant, qui de Paris à Rome
Auroit peine à trouver son égal.

Mad. BRICE.

Auroit peine à trouver son égal.Le pauvre homme !
Il est bien malaisé qu’il ait l’esprit serein
Quand il sçait qu’à sa femme il faut un Boute-en-train.

Mons. GRIFFET.

Plus pour la Jardiniére, & pour des Engageantes
Dont mes filles & moi nous fûmes bien contentes ;
Trois cens livres.

Mons. JOSSE.

Trois cens livres.Voilà ce qui m’outre le plus.
Donner à ses enfans des leçons là-dessus !
A quoi lui servois-tu ?

ADRIENNE.

A quoi lui servois-tu ?Qui ? moi, Monsieur ?

Mons. JOSSE.

A quoi lui servois-tu ? Qui ? moi, Monsieur ?Oui, Chienne.

Mad. BRICE.

Je te tordrai le cou, Suborneuse.

NICODEME.

Je te tordrai le cou, Suborneuse.Adrienne,

Dis-moi, sans barguigner ce que c’est que cela ;     
Et quelle manigance on débagoule-là. 
Parle.

ADRIENNE.

Parle.Moi, Nicodéme ?

NICODEME.

Parle.Moi, Nicodéme ?Oui, palsandié, dégoise.

ADRIENNE.

Est-ce ma faute, à moi, si Madame l’emboise ?
Quand on a bon renom cela vaut mieux que tout.
Je sommes, comme on dit, plus couchés que debout.
Tenez, je ne fais rien, comme sçait Nicodéme,
Que ce que je vourois qu’on me fît à moi-même.
J’allons tête levée, & je ne craindons rien ;
Dieu marci.

NICODEME.

Dieu marci.Pour cela, je sommes gens de bien :
Et j’avons de l’honneur, malgré la médisance,
Plus qu’il ne nous en faut pour notre suffisance.
J’ignorons ce que c’est que de faire faux-bon :
Ce n’est pas comme vous & Madame.

Mad. JOSSE.

Ce n’est pas comme vous & Madame.Ah, fripon !
Tu ne t’amuses pas à voler des vetilles.

Mons. GRIFFET.

Plus pour des Papillons, des Guespes, des Chenilles,
Huit cens écus.

Mons. JOSSE.

Huit cens écus.Maraut, qui fais l’homme de bien,
Te voilà si confus que tu ne dis plus rien !
Tu ne présumois pas que l’on sçût ton négoce.
Vendre des Papillons une somme si grosse !
Je prétens qu’aujourd’hui cet argent soit rendu.

Mons. GRIFFET.

Ou qu’il soit dans trois jours bien & dûment pendu.
Pour un vol domestique on ne fait pas long gîte.

Mad. BRICE.

On ne peut d’un voleur se défaire trop vîte.
Pendez, pendez.

Mons. JOSSE.

Pendez, pendez.Crois-moi, de peur d’être étranglé,
Rens-moi ce que ta femme & toi m’avez volé :
Voilà neuf cens écus marqués en deux articles.

ADRIENNE.

Volé ! Nous ?

NICODEME.

Volé ! Nous ?Testedié, boutez mieux vos bésicles.
Quand je suis échauffé, je suis pis qu’un Satan.

Si je ne vous agrée, il faut dire va-t-en.
Avec un peu d’esprit jamais on ne demeure ;
Et, sans reproche à Dieu, j’en eus d’assez bonne heure.
J’apprenois de Musa le Singulariter,
Quand je me dépétri de notre Magister :
Il me brisi, mordié, quasiment une côte,
Parce que, disi-t-il par ma chienne de faute,
Notre âne avec sa bouche un soir avoit failli
A démettre la gueule à Monsieur le Bailli.
Sans cet accident-là qui vint troubler la fête,
Moi, la bourique & lui je n’étions qu’une tête.
Je n’avons pas toujours mangé notre pain sec.

Mons. JOSSE.

Jamais aucun fripon n’a manqué par le bec.
Ne crois pas m’éblouir par de tels artifices.
Ta femme, pour ses bons & louables services,
A reçu trois cens francs. Toi pour des Papillons,
Et je ne sçai combien de pareils guenillons,
Huit cens écus.

ADRIENNE.

Huit cens écus.Eh si ! Si je n’étois honnête,
Je vous dirois, Monsieur, que vous êtes bien bête ;
Bien nigaut, bien butor, bien badaut de Paris :
Mais Nicodéme & moi je sommes bien appris ;

Et je ne disons rien qui chagrine parsonne.
C’est une bride à viau que Madame vous donne
Que tous les Papillons qu’elle vous boute-là :
Elle dépense mieux son argent que cela :
Fraîche comme un gardon, droite comme une parche,
Bon, vrâment, c’est bien là les bêtes qu’elle charche !
Les femmes de Paris en sçavont bien plus long.

Mons. BRICE.

Vous m’impatientez, ma sœur. Répondez-donc.
Tout parle en sa faveur, & tout vous est contraire.

Mons. GRIFFET.

Plus, quatre louis d’or pour un Laisse-tout-faire.

Mons. JOSSE.

Cela n’est point obscur & chacun l’entend bien :
Quand on laisse tout faire on ne réserve rien.
Mettez-vous en ma place. Est-ce à tort que je gronde ?

Mad. BRICE.

Que ne l’ai-je étouffée en la mettant au monde !
Je n’aurois pas l’affront de voir ce que je voi.

Mad. JOSSE.

Je ris de vous voir tous déchaînés contre moi.
Vous me charmez.

Mad. BRICE.

Vous me charmez.L’infame ! Et toi, tu m’assassines.

Mons. GRIFFET.

Plus, pour une Effrontée, & pour deux Gourgandines,
Quinze louis.

Mad. BRICE.

Quinze louis.Comment : Tu connois ces gens-là !
Des Gourgandines ! Ciel ! Quelle Peste voilà !
Il n’est pas sur la terre une plus méchante ame.
Le dangereux bétail qu’une pareille femme !

Mons. GRIFFET.

Plus pour une Innocente, onze louis.

Mons. JOSSE.

Plus pour une Innocente, onze louis.Viença.

NICOLE.

Qui ?

Mons. JOSSE.

Qui ?Toi.

NICOLE.

Qui ? Toi.Moi ? Je ne sçai ce que c’est que tout çà.
J’ai toujours vû Madame une bonne vivante.

Mons. JOSSE à Monsieur Griffet.

La preuve de son crime est assez convainquante.
On lui dira le reste en temps & lieu. Suffit.

Mons. GRIFFET.  à Madame Josse.

Qu’avez-vous à répondre à tout ce que j’ai dit ?

Mad. JOSSE.

Que mes filles, Monsieur, ont sur elles les piéces,
Que contient ce mémoire espéces par espéces.
De me justifier je leur laisse le soin.
Défendez mon honneur.

Mons. JOSSE.

Défendez mon honneur.Je crois qu’il est bien loin.

NANNETTE.

Ce qui dans cet écrit vous paroît des injures,
Sont des noms que l’on donne aux nouvelles parures.
Une Robe de chambre étalée amplement,
Qui n’a point de ceinture, & va nonchalamment,
Par certain air d’enfant qu’elle donne au visage,
Est nommée Innocente, & c’est du bel usage ;
Ce Manteau de ma sœur si bien épanoui,
En est une.

Mons. JOSSE.

En est une.Cela est une Innocente ?

BABET.

En est une.Cela est une Innocente ?Oui.
Sont-ce là des sujets pour vous mettre en colere ?

NANNETTE.

Voilà la Culebute, & là le Mousquetaire.

BABET.

Un beau nœud de brillans dont le sein est saisi,
S’appelle un Boute-en-train, ou bien un Tâtez-y,
Et les habiles gens en étymologie,
Trouvent que ces deux mots ont beaucoup d’énergie.

NANNETTE.

Une longue cornette, ainsi qu’on nous en voit,
D’une dentelle fine, & d’environ un doigt,
Est une Jardiniere : & ces manches galantes
Laissant voir de beaux bras ont le nom d’Engageantes.

BABET.

Ce qu’on nomme aujourd’hui Guespes & Papillons,
Ce sont les diamants du bout de nos poinçons ;
Qui remuant toujours, & jettant mille flammes,
Paroissent voltiger dans les cheveux des Dames.

NANNETTE.

L’homme le plus grossier & l’esprit le plus lourd
Sçait qu’un Laisse-tout-faire est un Tablier fort court :
J’en porte un par hazard qui sans aucune glose,
Exprime de soi-même ingénûment la chose.

BABET.

La coëffure en arriére, & que l’on fait exprès
Pour laisser de l’oreille entrevoir les attraits,
Sentant la jeune folle, & la tête éventée,
Est ce que par le monde on appelle Effrontée.

NANNETTE.

Enfin, la Gourgandine est un riche Corset,
Entr’ouvert par devant à l’aide d’un Lacet :
Et comme il rend la taille & moins belle & moins fine,
On a cru lui devoir le nom de Gourgandine.
Vous avez pris l’allarme avec trop de chaleur.

Mons. JOSSE.

A ce compte, mon mal n’étoit donc qu’une peur ;
Et mon front avait tort de croire son cas sale ?

Mad. JOSSE.

Comment prétendez-vous réparer ce scandale ?
Après un tel éclat je n’ai plus d’yeux pour vous,
Et je vais tout permettre à mon juste courroux.
Qui vouloit me punir mérite un sort semblable.

NICODEME.

Le moins qu’il puisse faire est amende honorable,
Tête-nue, en chemise, avec la torche au poing :
Madame fera bien de n’en démordre point.
Vartidié ! Ce n’est pas une faute legére

Que de prendre l’honneur à ceux qui n’en ont guére.

ADRIENNE.

Je ne prétens pas, moi, qu’il soit quitte pour rien,
D’avoir, ou peu s’en faut, fait une bréche au mien.
On ne peut de l’honneur se montrer trop friande,
Et ce qu’il m’en a pris je veux qu’il me le rende.

Mons. GRIFFET.

Je vous l’avois bien dit d’aller moins vite.

Mad. BRICE.

Je vous l’avois bien dit d’aller moins vite.Et quoi.
Vous l’accusez à tort de vous manquer de foi !
Cette brutalité n’est point du tout permise :
Et dûssai-je y manger jusques à ma chemise,
Il ne sera point dit que je souffre cela.

Mons. JOSSE.

Que pouvois-je penser de ce mémoire-là ?
Tâtez-y, Boute-en-train, Culbute, Engageantes ;
Tout cela pour le front sont des armes parlantes ;
Et je sens que le mien me démange toujours.
Voilà de vilains noms pour de si beaux atours.

Mons. BRICE.

Il a raison.

Mad. JOSSE.

Il a raison.Lui ?

Mons. BRICE.

Il a raison.Lui ?Lui. N’est-ce pas une honte
De voir de la pudeur faire si peu de conte ?
Donnez, puisqu’il vous plaît d’avoir ces ornemens,
De plus honnêtes noms à vos ajustemens.
Tous ces termes impurs, ces équivoques sales,
Sont de droit naturel du Pont-neuf, ou des Halles.
Qui de les inventer s’ose mettre en devoir,
Sçait plus d’obscénités qu’il n’est beau d’en sçavoir :
Rien n’est plus odieux qu’une femme immodeste ;
Et qui risque ces mots, risque aisément le reste.
Les cœurs bien situés sont posés, retenus…

Mad. BRICE.

Franchement, ces mots-là sont un peu saugrenus.
J’ai sué de frayeur de son Laisse-tout-faire,
Et de la Culbute avec un Mousquetaire.
En un mot, ce jargon n’est point édifiant.

Mons. JOSSE.

Monsieur le Commissaire, en vous remerciant :
Vous & vos Grippechairs vous pouvez disparoître,
Puisque je ne suis pas ce que je croyois être.


Mons. GRIFFET.

Comment ? N’est-ce pas vous qui m’avez employé ?…

Mons. JOSSE.

Si j’eusse été cocu je vous aurois payé.
De tout ce que j’ai fait vous êtes le complice.

Mons. GRIFFET.

Moi ?

Mad. JOSSE.

Moi ? Vous. Si l’on faisoit une exacte Police,
On ne souffriroit point tous ces vilains mots-là,
Non plus que la Bassette & le Jeu du Hocca ;
Et l’on condamneroit à mille écus d’amende
L’impudent Lapidaire, & l’impure Marchande,
A qui l’on entend dire avec un front d’airain
Un Tâtez-y, Monsieur ; Madame, un Boute-en-train ;
Gourgandine à bon prix ; Culebute nouvelle.
Quel abus !

Mons. GRIFFET.

Quel abus ! Mon devoir en d’autres lieux m’appelle :
Payez-moi, je vous prie, ou bientôt un exploit…

Mons. BRICE.

Satisfaites Monsieur, & qu’il s’en aille.

Mons. JOSSE.

Satisfaites Monsieur, & qu’il s’en aille.Soit.
J’en suis quitte à bon compte, & la peine est petite.

NICODEME.

Oh palsandié nonfait, vous n’en étes pas quitte.
Si l’honneur de Madame a fait queuque faux pas,
J’avons notre cas net, si le sien ne l’est pas.
La femme de cheuz-nous n’est point une Engageante.

Mons. JOSSE.

Au lieu de vingt écus je t’en donnerai trente.
C’est payer son honneur & le tien grassement.

NICODEME à Adrienne.

Est-ce assez ?

ADRIENNE.

Est-ce assez ? Eh ouida, c’est bien honnêtement.
Les femmes d’aujourd’hui faisont bien voir aux hommes
Que l’honneur n’est pas cher dans le temps où je sommes.
Dix écus pour le mien c’est un prix assez haut.

NICODEME.

Je crois, comme tu dis, que c’est tout ce qu’il vaut.

Boutez-là votre main : je vous pardonne. Eh qu’est-ce ?
Pour des mots de travers faut-il bouder sans cesse.

Mons. BRICE.

Je me charge du soin de les rapatrier.

Mad. JOSSE.

Et l’affront qu’il m’a fait se peut-il oublier ?

Mons. JOSSE.

Si me croire timbré c’est vous faire une offense,
En faisant le péché, j’en ai fait pénitence :
J’ai souffert comme un Diable. Eh, bon Dieu ! Comment font
Tant de gens que je vois qui savent qu’ils le sont,
Et qui de ce malheur n’étant tristes ni mornes,
Vivent dans un plein calme à l’abri de leurs cornes ?
La patience est belle en de semblables cas :
Mais c’est un don du ciel, qu’il ne m’accorde pas.
Nommez, si vous voulez, mon imprudence extrême,
J’aime mieux avoir tort que vous l’ayez vous-même ;
Et le risque est moins grand, pour tout dire en un mot,

D’être imprudent cent fois, que d’être une fois Sot.

Mad. JOSSE.

L’êtes-vous ?

Mons. JOSSE.

L’êtes-vous ?S’il est vrai ce qu’on me fait connoître ;
Non, je ne le suis pas, mais je croyois bien l’être :
Et sur une apparence égale à celle-ci,
Bien d’autres en ma place auroient cru l’être aussi.
Puisqu’il faut se soumettre à ce que veut la Mode,
Et que la plus suivie est d’être époux commode ;
Oublions toute chose. Y consentez-vous ?

Mad. JOSSE.

Oublions toute chose. Y consentez-vous ? Non.
Je ne veux plus vous voir.

Mad. BRICE.

Je ne veux plus vous voir.Moi, je le veux, Guenon,
Ce seroit un ménage assez beau que le vôtre,
Le mâle d’un côté, la femelle de l’autre !
Il faut qu’à son époux, de peur d’avoir du bruit,
Une femme obéisse en tout temps, jour & nuit.
Ce n’est point à la poule à tant lever la crête.

ADRIENNE.

A tout ce qu’il lui plaît le mien me trouve prête.

Demandez-lui plutôt si je mens.

NICODEME.

Demandez-lui plutôt si je mens.Pardié non.
Parmi bien du méchant elle a cela de bon,
Que lors qu’il faut m’aider à de certains ouvrages,
Elle court, tête-dié, comme des arrérages.
Veux-je boire deux coups, elle en veut boire trois ;
Aussi, vivons-je heureux comme de petits Rois ;
La paix est d’un logis la piéce la plus bonne.

Mons. BRICE.

Profitez des leçons qu’un Jardinier vous donne.
A vivre bien ensemble appliquez votre soin.
Votre sotte querelle est allée assez loin.
Sur tout, qu’il ne vous sorte aucun mot de la bouche
Dont l’oreille s’indigne, & l’honneur s’effarouche.
Portez des diamans, des dentelles, de l’or,
Et, si faire se peut, plus de richesse encor ;
Mais évitez les mots dont les mœurs sont blessées,
Et qui ménent l’esprit à de sales pensées.
Chez tous les gens d’honneur ces mots sont interdits.

Mad. JOSSE.

Je voudrois bien savoir quels vilains mots je dis.

Mons. BRICE.

Lisez votre mémoire : On ne voit rien de pire,
Lisez.

Mad. JOSSE.

Lisez.Hé bien, mon frere, il ne faut plus les dire ;
J’ai cru de nos bijoux pouvoir mettre les noms,
Sans attirer sur moi de si cruels affronts.
S’ils rendent ma conduite ou douteuse, ou suspecte,
J’y renonce à jamais, loin que je les affecte.
Je n’ai pas eu dessein de le mettre en courroux.

NANNETTE.

Si vous y renoncez, j’en fais autant que vous.

BABET.

Pour les dire jamais, j’ai trop peur qu’on me gronde.

Mons. JOSSE.

Fort bien. Nous voilà tous les plus contents du monde.

à ses filles.

Je ne suis pas ingrat à qui me fait plaisir :

Choisissez des époux selon votre desir.

Mad. BRICE.

Allons nous ébaudir, & dîner tous ensemble.

NICODEME aux Auditeurs.

Et vous, allez souper, Messieurs, si bon vous semble.
Comme en chemin faisant vous trouvez quelquefois
D’impertinens Parleurs & de nobles Bourgeois,
Envoyez-les ici voir comme on accommode
La Noblesse en détrempe, & les Mots à la Mode.

FIN.