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RETOUR AUX CHAMPS





Juillet !… voici l’été ! Paris, ce malappris,
Se vide en quinze jours aussitôt le Grand-Prix.
C’est la loi du bon ton, cet arbitre moderne.
Le vainqueur acclamé retourne à sa luzerne :
Imitez ce vainqueur, ô jeunes « boudinés » !
Dirigez hors des murs l’axe de votre nez,

Et, puisque ainsi l’ordonne une consigne austère,
Bouclez votre valise et parcourez la terre !

Mais nous, à qui la ville offre quelques attraits,
Nous resterons encor près de Paris, tout près,
Car la vieille demeure, oasis de feuillage,
N’en est guère éloignée. Une heure de voyage,
Une heure… et nous voilà, suivant qu’il nous plaira,
Devant une pelouse ou devant l’Opéra :
Les « environs » enfin, comme disent les Guides.

Ô paisible maison, toute pleine de rides
Que dissimule mal le fard d’un lierre épais,
Séjour tant désiré de travail et de paix,
On aime à te revoir, quand reverdit l’année,
Comme une chère aïeule à figure fanée
Qu’on connut tout petit et dont les yeux très doux
Semblent, tant que l’on vit, sourire auprès de vous.

L’esprit et le corps las de huit mois de grand’ville,

On va, tout en songeant, par le jardin tranquille ;
On retrouve un par un, tels qu’on les a laissés,
Les marronniers touffus, les sapins élancés,
Et le rond de verdure, et l’épaisse charmille,
Ces mille coins enfin où toute une famille,
Petits-enfants, enfants, grands-papas inclinés
Ont vécu tour à tour et se sont promenés.
Tout un passé revit dans ces fraîches allées ;
Les souvenirs lointains s’échappent par volées
Du moindre des massifs qu’on côtoie en rêvant…,
Et des parfums connus vous viennent dans le vent.

Le temps fraîchit. Le ciel se voile de nuages.
Rentrons dans le salon dont l’étoffe à ramages,
Malgré le double assaut des hommes et du temps,
A gardé la fraîcheur de ses tons éclatants.
Les meubles, recouverts de leur même tenture,
Dans les mêmes recoins ont la même posture ;
Avec le même pli languissant et coquet,
Les grands rideaux fanés caressent le parquet ;

Les tableaux, recouvrant quelques places tachées,
Gardent, comme jadis, leurs allures penchées,
Et la vieille pendule, un vrai bijou, donné
Par le grand-oncle « un tel », amateur forcené
Qui jamais ne trouva d’occasions meilleures,
Avec la même voix chante les mêmes heures.

Doucement le temps passe, et l’on entend sonner
La cloche régulière annonçant le dîner,
La bonne et grosse cloche en sursaut réveillée,
Qui grince aux premiers tours sur sa tige rouillée,
Mais qui bientôt s’anime et sait, chaque saison,
Régler les appétits de toute la maison.
Le repas est bruyant d’abord ; puis les pensées
Vont, remontant le cours des époques passées :
On songe aux chers absents qui gaîment se sont mis
À cette même table, à présent endormis
Dans l’éternelle mort qui brise… ou qui délie.
La nuit vient, on se tait ; une mélancolie
Vous prend, et d’un œil vague on suit avec émoi

Le lent balancement des arbres devant soi.

La chambre vous attend là-haut, proprette et blanche.
Du temps que l'on était lycéen, le dimanche,
On y venait jeter la tunique en drap noir,
Le képi galonné, pour courir jusqu’au soir
À travers la pelouse et sur les plates-bandes
Comme un chat échappé dansant des sarabandes.
Aujourd’hui l’homme reste où passait le gamin.
Les souvenirs d’antan vous mènent par la main…
Voici la table étroite où, pris de nonchalances,
On faisait, en grognant, ses devoirs de vacances ;
Voici le grand fauteuil où sur le Thésaurus
On poussait trop souvent des ronflements en us ;
Voici les papillons, aux couleurs toujours belles,
Dans un cadre en bois blanc piqués par ribambelles ;
Enfin, contre le mur, coquette encor, voici
L’humble bibliothèque, où jadis, sans souci
D’éditions princeps, de reliure riche,
On fourrait ses bouquins comme des chiens en niche.


D’un paisible sommeil c’est là que vous dormez,
Couronnes de collège aux lauriers clairsemés,
Palmarès solennels où l’on se vit inscrire,
Prix reliés en veau… qu’on n’a jamais pu lire,
Qu’on reçut autrefois tout heureux, tout tremblant,
Fier du superbe effet de son pantalon blanc,
Au son d’une musique éclatante et qui donne,
Suivant le prix nommé, plus ou moins de trombone !

L’heure coule, la nuit s’avance… et lentement
On poursuit, tout songeur, ce voyage charmant ;
On s’éloigne toujours, on arrive à l’enfance…
Voici les vieux cahiers où, sous la surveillance
De la maman câline ou grondeuse parfois,
On écrit lentement, avec de l’encre aux doigts,
Ici Rosa, la rose, ici l’histoire sainte ;
Là l’horrible dictée, épouvantable enceinte
Où la grammaire, unie à l’orthographe, a mis
Des obstacles sans nombre et tout juste permis.
Allons ! allons toujours, et jusqu’au plus bas âge !


Voilà le premier livre et la première page :
De grands bâtons tremblés, avec peine conçus,
Qui s’avancent par rangs comme autant de bossus.
Puis, plus rien, l’inconnu, le néant, le mystère,
L’étape grave et lente où l’âme solitaire
S’avance obscurément dans son premier sillon,
Aujourd’hui chrysalide et demain papillon…

Minuit !… Il est si tard ? Fou que je suis, et comme
On redevient enfant !… Couche-toi donc, pauvre homme !
L’esprit plein du passé qu’on vient de réveiller,
On s’endort, un peu las, sur le frais oreiller,
Et, marin déjà vieux qui doubla la trentaine,
On se dit :
On se dit :« Tout cela… mais c’est d’hier à peine ! »