(p. 205-208).


LE PRÉ





Tournés vers le soleil baissant à l’horizon

Dans son linceul de gloire,

Au ruisseau qui s’enfuit à travers le gazon

Les grands bœufs viennent boire.


Silencieusement ils plongent leurs naseaux,

Leur tête nonchalante,

Dans le courant rapide et pur des belles eaux

Qu’un rayon ensanglante.


Puis, regardant sans voir le grand disque doré

Qui dans leurs yeux flamboie,

De l’herbe délicate et des fraîcheurs du pré

Ils ruminent la joie.


Le long de leurs naseaux, la bave met un fil

Que le couchant fait rose,

Et tout, dans leur placide et superbe profil,

Dit l’être qui repose.


Cependant le soir vient : le vent passe plus frais

Sur la large vallée ;

La nature s’emplit de mystère et de paix

Pudiquement voilée ;


Et le beau soleil d’or, s’enfonçant sous la mer

Comme un vaisseau qui sombre,

Lance un dernier rayon aux grands bœufs à l’œil clair

Et disparaît dans l’ombre.