Les Moineaux francs/14
REQUÊTE À DE NOUVEAUX ÉLUS
I
Les scrutins et les ballottages ! Bientôt nos députés vont être réunis Dans leur enceinte à vingt étages.
— Sang de bœuf ou blancheur de neige — Essayer dignement, et sans grande douleur, L’élasticité de leur siège.
Les querelles folles ou mièvres, Ils vont nous cuisiner des lois dont, à coup sûr, Nous nous pourlécherons les lèvres !
Du poids des affaires publiques, Être de petits saints, doux, bienfaisants, rangés, Pleins de vertus évangéliques.
Gens délicats et fort sensibles, Ils n’essaîront jamais de passer sénateurs Pour devenir inamovibles.
Tenant les promesses données, Sans varier jamais, leur manifeste en main, Ils régleront nos destinées.
Plus de troubles et plus de drames ! Oui ! nous serons heureux, très heureux : le bonheur Est inscrit dans tous leurs programmes !
II
Permettez toutefois, ô chers représentants De notre vieux pays de France, Qu’un de vos électeurs vienne, quelques instants Avant la première séance,
À des hommes juchés au faîte, En termes mesurés, fondus et refondus, Une très modeste requête.
Ô Jupiters, dans votre Olympe ! Pour nous, la politique et ses graves soucis Sont bien trop haut pour qu’on y grimpe.
Réclamer de vous qu’il vous plaise De ménager un peu, lorsque vous discutez, Notre pauvre langue française ;
Et, quand l’opinion diverge, De ne point la traiter, cette fille des rois, Comme une servante d’auberge !
Le bonnet tout près de l’oreille ; Mais, par grâce, songez que vous vous exprimez Dans la langue du vieux Corneille !
III
Je ne parlerai point de vos prédécesseurs… Hélas ! ce n’est point un mystère Qu’ils se sont quelquefois débité des… douceurs Veuves du miel parlementaire ;
De façon un peu trop bourrue, Ils se sont adressé plus d’une expression Bien moins de Chambre que de rue.
Dire de très mordantes choses, Et parfois le serpent n’en piquera que mieux Pour être caché sous les roses.
À la tribune consacrée, Que tout terme incongru doit demeurer au fond De votre verre d’eau sucrée.
De race très athénienne — Se trouve forcément parler par votre voix… Puisqu’il vous a donné la sienne ;
Qu’il se révolte et qu’il s’attriste Quand, en son propre nom, vous lancez dans les airs Quelque apostrophe… réaliste !
Vaugelas, Chapsal et les autres, En entendant sonner vos mots faubouriens Riraient dans leurs barbes d’apôtres ;
Graves comme des Hippocrates, Le doigt dans leur habit, serrés dans le carcan De leurs gigantesques cravates ;
Comme vous, au bord de la Seine, Siège une autre Assemblée au ton discret et doux, À l’allure toujours sereine ;
Où toute dispute s’apaise, Quarante hommes polis s’occupent poliment À polir la langue française ;
L’esprit, le tact, la bonhomie… Songez enfin, songez que le Palais-Bourbon Est voisin de l’Académie !
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