(p. 65-74).


LE MOINEAU DE SALOMON





Le grand roi Salomon, le fait paraît certain,

Aimait à se lever matin.

Un jour donc, un beau jour de printemps, à Palmyre,

La ville aux palais merveilleux,
À peine eut-il ouvert les yeux

Qu’il revêtit sa robe en souple cachemire,

Mit son bonnet orné de plumes de faucon,
Ses pantoufles d’or fin, et, sans plus de manières

Comme un simple bourgeois d’Asnières,

S’en alla respirer l’air pur sur son balcon.

L’aurore au ciel venait de poindre
Et, dans les jardins du palais,
Deçà, delà, les oiselets,
Par masses, cherchaient à se joindre
Pour se raconter, à grand bruit,
Les petits cancans de la nuit.


Le grand roi Salomon, aussi savant que sage,

Comprenait fort bien, paraît-il,

Le babil

Des oiseaux bavardant au milieu du feuillage.

Un couple de moineaux, sans s’effrayer de lui

(Sa présence étant coutumière),

Vint en volant se poser sur l’appui

Du balcon, en pleine lumière :

Et le bon Salomon se mit, tout en rêvant,
À suivre l’entretien que lui portait le vent.

Le moineau citadin disait à sa compagne,

Humble pierrette de campagne :

« Je t’aime, tu le sais !… depuis au moins trois jours !

Pitié pour de telles amours ! »

Elle lui résistait, jouait à la coquette,

Ni plus ni moins qu’une alouette,
Lui donnait cent mille raisons,
Voletait, faisait des façons.

Lui, frémissant d’amour, les ailes étendues :

« Je t’aime ! aime-moi !… Je saurai

Avoir toujours pour toi, cher trésor adoré,

Les tendresses qui te sont dues.

Si le dieu d’Israël bénit notre union

En nous donnant l’espoir d’une famille,

Tu verras quel talent et quelle attention
J’aurai pour te bâtir un nid dans la charmille !

Tant que tu couveras, volant en petits ronds
Tout autour de ce nid élégant et commode,

Je te dirai les chansons à la mode…

Et, dès que nos enfants auront leurs ailerons

À voler nous leur apprendrons…

Et, le printemps prochain, nous recommencerons ! »


À ce discours rempli de flamme
La belle, hélas ! mordait fort peu…

Et le pauvre moineau, qui se piquait au jeu,
Sentait le désespoir lui pénétrer dans l’âme.

Pour mener son affaire à bien,
Il usa d’un autre moyen.

Simple fille des champs, la pierrette ingénue
Croirait aveuglément tout ce qu’il lui dirait…
Il pouvait donc mentir, mentir sans retenue,

Si tel était son intérêt.


Or, grossissant la voix et relevant la tête :

« Mon enfant, tu n’es qu’une bête !

Refuser de m’aimer, moi !… Porte tes regards

Autour de nous, de toutes parts !

Vois-tu ces frais jardins, ces terrasses splendides,

Et, là-bas, parmi ces roseaux,
Ces fontaines aux belles eaux
Que le zéphir couvre de rides ?
Vois-tu cette noble cité

Qui s’éveille aux rayons grandissants de l’aurore ?

Vois-tu plus loin, plus loin encore
Ces plaines dont l’immensité

Fuit jusqu’à l’horizon que le soleil colore ?

Tout cela, ma chère, est à moi…
J’en suis le seigneur et le roi ! »


Et, comme la pierrette, étonnée et ravie,

Ouvrait des yeux interloqués :

« Le grand roi Salomon est devant toi, ma mie !

— Vous, Salomon ! vous vous moquez !
— Non pas ! ébloui par tes charmes,
À ta beauté rendant les armes,

Rêvant de t’inspirer l’amour,

Je me suis fait moineau comme toi, pour un jour…

Il faut au moins que la métamorphose,

Quand on en peut user, vous serve à quelque chose ! »

Les femmes, bien souvent, à ce qu’on m’a conté,
Succombent par amour moins que par vanité.

Sans doute il en était de même
Chez les moineaux, aux anciens temps ;

Toujours est-il qu’après quelques instants

La belle, renonçant à sa froideur extrême,

Avec le fourbe entama le poème
Le doux poème des amours.


À cette chanson-là les oiseaux sont fort courts.

Toute confuse de sa faute
Bientôt, sur quelque branche haute
La pauvrette partit, laissant
Son amoureux… reconnaissant,

Et riant à part lui du succès de sa ruse.
Mais Salomon prenant sa formidable voix :
« Hé ! monsieur le moineau, c’est ainsi qu’on abuse
Du nom de Salomon, le plus sage des rois ?
Par Israël ! venez çà qu’on vous gronde ! »


Le bec baissé, l’échine ronde,

Le pauvret, tout penaud, vint se placer devant
Le roi, plus grand encor dans le soleil levant.

Ce que Salomon dit, vous le pouvez comprendre

Et déjà vous devez l’entendre.
Ce fut un discours très complet,
Un discours… en langue animale,
Tout farci de saine morale,

Qui, lentement, coula sur l’oiselet.


Quand la semonce enfin fut terminée,

Le moineau — moineau jusqu’au bout —
Et risquant le tout pour le tout :
« Grand roi, fit-il, la voix peinée,
Je suis un coupable, en effet,

Et je comprends l’horreur de mon forfait.
Oui ! j’ai menti de façon très vilaine,

Poussé par mon ardent désir :
Mais ça te fait bien peu de peine,

Et ça m’a fait, à moi, tant de plaisir ! »

Le roi sourit à la gaminerie
Et pardonna. N’était-ce pas le mieux ?

Qui de nous tous, jeunes ou vieux,

N’eut jamais en amour quelque forfanterie ?

Qui, mes amis, rêvant tout bas

De vaincre une cruelle et douce résistance,

Ne s’est pas donné, par avance,
Des qualités qu’il n’avait pas ?

Qui, pour séduire une pierrette
Rebelle à l’amoureux sermon,
N’a pas quelquefois, en cachette,
Fait son « moineau de Salomon » ?