Les Mille et Un Jours, 1919/Histoire Nasiraddolé

XCIII

HISTOIRE DE NASIRADDOLÉ, ROI DE MOUSSEL, D’ABDERRAHMANE, MARCHAND DE BAGDAD, ET DE LA BELLE ZEINEB

Un jeune marchand de Bagdad, nommé Abderrahmane, possédait d’immenses richesses ; aussi vivait-il comme un grand seigneur. On voyait tous les jours à sa table les principaux officiers du calife ; tous les honnêtes gens de la ville étaient fort bien reçus chez lui, aussi bien que les étrangers qui l’allaient voir. Il aimait naturellement à faire plaisir à tout le monde : avait-on besoin de son crédit ou de sa bourse, on pouvait avoir recours à lui, sans craindre qu’il les refusât ; et les personnes qu’il avait déjà obligées ne lassaient point sa générosité en implorant de nouveaux secours : on ne parlait dans la ville que de son humeur bienfaisante et de ses actions généreuses. Les qualités du corps répondaient à celles de l’âme ; il était beau et fort bien fait : en un mot, il passait pour un jeune homme accompli.

Un jour il entra chez un marchand de fiquaa[1] : il y aperçut un jeune étranger de bonne mine qui était tout seul à une table ; il alla se mettre auprès de lui, et ils commencèrent tous deux à s’entretenir de diverses choses. Si l’étranger plut beaucoup au Bagdadin, le Bagdadin ne plut pas moins à l’étranger ; ils furent si satisfaits l’un de l’autre qu’ils revinrent le lendemain se chercher au même endroit ; ils s’y rencontrèrent, et eurent ensemble une seconde conversation : il se trouva entre eux tant de sympathie que, dès ce jour-là même, ils se sentirent étroitement liés. Par malheur pour Abderrahmane, l’étranger fut obligé de partir dès le jour suivant, pour s’en retourner à Moussel, où il disait avoir pris naissance. « Du moins, seigneur, lui dit le Bagdadin, avant que vous partiez apprenez-moi qui vous êtes ; je dois bientôt faire un voyage à Moussel, à qui faudra-t-il que je m’adresse pour avoir de vos nouvelles ? — Vous n’aurez, lui répondit l’étranger, qu’à venir au palais du roi de Moussel, et vous m’y verrez : si vous y paraissez, je me ferai un plaisir de vous bien recevoir ; vous saurez qui je suis, et là nous cimenterons l’amitié que nous avons formée en ce pays-ci. »

XCIV

Abderrahmane fut affligé du départ de l’étranger, et il ne s’en consola que par l’espérance de le revoir à Moussel, où ses affaires l’obligèrent d’aller peu de temps après. Il ne manqua pas de se rendre d’abord au palais du roi : il cherchait dans toutes les personnes qui s’offraient à sa vue les traits de l’inconnu qu’il aimait, lorsqu’il l’aperçut au milieu d’une foule de courtisans empressés à lui plaire : il jugea bien que c’était le souverain, comme, en effet, c’était le roi de Moussel, Nasiraddolé lui-même. Ce monarque le démêla bientôt aussi, et s’avança pour le recevoir. Le Bagdadin se prosterna devant lui, et demeura la face contre terre, jusqu’à ce que le roi l’ayant relevé lui-même, l’embrassa, le prit par la main et l’emmena dans son cabinet.

Tous les courtisans furent fort étonnés de la réception que leur maître faisait au jeune marchand : « Qui est donc cet étranger ? se disaient-ils les uns aux autres. Il faut que ce soit un prince, puisque le roi le traite avec tant de distinction. » Les grands seigneurs, qui avaient le plus de part à la confidence du souverain, commencèrent dès ce moment à le craindre et à le haïr ; et les courtisans qui attendaient des bienfaits, prenaient déjà la résolution de lui faire leur cour.

Cependant Nasiraddolé s’enferma seul avec le Bagdadin et lui fit mille caresses : « Oui, mon cher Abderrahmane, lui dit-il, je vous aime plus que tous ces hommes que je viens de quitter pour vous entretenir. Eh ! n’ai-je pas raison de vous chérir plus qu’eux ? Que sais-je si ce n’est pas l’intérêt ou l’ambition qui les attachent à moi ? Il n’y en a peut-être pas un seul qui ait une véritable affection pour ma personne : tel est le malheur des grands qu’ils ne sauraient être sûrs qu’on les aime ; le bien qu’ils sont en état de faire leur ôte le plaisir de n’en pouvoir douter ; mais pour vos sentiments, j’en vois la sincérité ; j’en connais tout le prix : vous m’avez donné votre amitié sans me connaître ; je puis me vanter d’avoir un ami. »

Le jeune marchand de Bagdad répondit aux bontés du roi dans des termes pleins de tendresse et de reconnaissance ; après quoi ce prince lui dit : « Pendant que vous demeurerez à Moussel, vous logerez dans mon palais ; vous serez servi par mes propres officiers, et j’aurai soin de vous faire passer le temps le plus agréablement qu’il me sera possible. » Il n’y manqua pas, et il n’oublia rien de tout ce qu’il crut capable de le divertir. Tantôt il lui faisait prendre le divertissement de la chasse, tantôt il lui donnait des concerts de voix et d’instruments qui étaient exécutés à ravir, et presque tous les jours ils faisaient la débauche.

Il y avait déjà près d’une année que le Bagdadin vivait de cette manière, lorsqu’on lui manda de Bagdad que sa présence y était absolument nécessaire s’il voulait empêcher ses affaires de se déranger. Il parla au roi de l’avis qu’on lui donnait, et le pria de trouver bon qu’il s’en retournât à Bagdad. Nasiraddolé y consentit, quoique à regret, et enfin Abderrahmane s’arracha aux délices de la cour de Moussel. Aussitôt qu’il fut de retour chez lui il s’appliqua fort sérieusement à réparer le tort que son absence avait fait à ses affaires ; et quand il les eut bien rétablies, il se remit à régaler ses amis, à rendre service à tout le monde, et à faire encore plus de dépense qu’auparavant ; il acheta de nouvelles esclaves, et se fit un plaisir d’en avoir de toutes les nations du monde.

Un marchand lui en vendit une un jour ; elle était née en Circassie, et l’on pouvait dire que c’était une des plus parfaites créatures que l’on pût voir ; elle se nommait Zeineb : il l’acheta six mille sequins d’or ; mais quand il en aurait donné dix mille, il ne l’aurait pas encore assez payée. Son extrême beauté ne faisait pas tout son mérite ; on admirait en elle un esprit cultivé, une humeur douce et toujours égale, avec un cœur tendre, sincère et fidèle. Une personne si aimable ne tarda guère à charmer Abderrahmane ; il conçut pour elle un amour violent, et il eut le bonheur de trouver Zeineb disposée à l’aimer autant qu’il l’aimait.

Tandis qu’ils goûtaient en repos les douceurs de leur ardeur mutuelle et qu’ils en faisaient toute leur occupation, le roi de Moussel arriva sans suite à Bagdad, et vint descendre chez le jeune marchand. « Abderrahmane, lui dit-il, il m’a pris envie de voir encore incognito cette ville et la cour du calife, ou plutôt j’ai souhaité de vous revoir vous-même ; je viens loger chez vous ; je me flatte que je vous fais autant de plaisir que j’en ressentais de vous avoir dans mon palais. » Le Bagdadin, enchanté de l’honneur qu’il recevait, voulut se jeter aux pieds de Nasiraddolé pour lui témoigner combien il y était sensible ; mais ce prince le releva et lui dit : « Laissez-là le respect que vous devez au roi de Moussel : ne voyez en moi qu’un ami qui veut se réjouir avec vous ; vivons sans contrainte ; rien n’est si doux qu’une vie libre ; pour en goûter les charmes je me dérobe de temps en temps à ma cour ; je me plais à voyager sans suite, à me confondre avec les particuliers, et, je vous l’avouerai, les jours que je passe de cette sorte sont les plus heureux de ma vie. »

XCV

Le jeune marchand de Bagdad, pour obéir et plaire au roi de Moussel, prit avec lui un air familier ; ils commencèrent à vivre ensemble comme s’ils eussent été de la même condition ; ils faisaient tous les jours des parties de plaisir, et Nasiraddolé, oubliant ce qu’il était, passait le temps ainsi qu’un particulier.

Un soir, pendant qu’ils étaient à table, tête à tête, et qu’ils buvaient des meilleurs vins, leur conversation roula sur la beauté des femmes : le roi de Moussel vanta les charmes de quelques esclaves de son sérail, et dit qu’il n’y en avait pas au monde qui leur fussent comparables. Le Bagdadin n’écouta pas tranquillement ce discours ; l’amour qu’il avait pour Zeineb et le vin qu’il avait bu ne lui permirent pas de convenir de ce qu’il venait d’entendre. « Seigneur, dit-il à son hôte, je ne doute point que vous n’ayez de très belles femmes, mais je ne crois point qu’elles surpassent les miennes en beauté, j’ai plusieurs esclaves qu’on ne peut regarder sans admiration, et entre autres une Circassienne que la nature semble avoir pris plaisir à former. — C’est-à-dire, reprit le roi, que vous aimez cette Circassienne : l’éloge que vous en faites me prouve que vous en êtes fort épris, sans me persuader qu’elle soit aussi charmante que mes esclaves. — Il est bien aisé de vous en convaincre, repartit Abderrahmane. » En disant cela, il fit venir un eunuque et lui dit à l’oreille : « Allez dire à mes esclaves qu’elles se parent de leurs plus riches habits et qu’elles s’assemblent toutes dans un appartement bien éclairé. »

L’eunuque courut s’acquitter de sa commission, et le Bagdadin se remit à table en disant au prince : « Seigneur, vous jugerez bientôt par vous-même si vous avez tort ou raison de penser que votre sérail renferme les plus belles femmes de l’Asie. — Je vous avoue, répondit le roi, que je suis curieux de savoir si l’amour ne vous aveugle point. »

Ils continuèrent de se réjouir, et ils burent des liqueurs jusqu’à ce que le même eunuque qui avait paru vint dire à son maître que les esclaves étaient assemblées et qu’elles n’avaient rien oublié de ce qui pouvait relever leur beauté. Alors le Bagdadin emmena le roi de Moussel dans un appartement de la dernière magnificence, où il y avait trente esclaves, jeunes, belles, bien faites, et toutes couvertes de pierreries : elles étaient assises sur des sofas d’étoffe de soie de couleur de rose à fleurs d’argent ; les unes jouaient du luth, les autres du tambour de basque, et les autres s’amusaient à chanter en attendant l’arrivée de leur maître : elles se levèrent dès qu’elles l’aperçurent, et se tinrent debout en gardant un silence modeste. Abderrahmane leur ordonna de s’asseoir et de continuer à jouer de leurs instruments ; elles obéirent dans le moment.

Le roi de Nasiraddolé, tout grand prince qu’il était, fut obligé d’avouer qu’il n’avait point dans son sérail de plus aimables personnes ; il se mit à les considérer l’une après l’autre ; il commença par les joueuses de luth, qui lui parurent fort jolies ; il ne trouva pas moins agréables celles qui jouaient du tambour de basque, et lorsqu’il vint à examiner les chanteuses, il en vit une dont la beauté l’éblouit. « Est-ce là, dit-il au Bagdadin, cette Circassienne dont vous m’avez parlé ? — Oui, seigneur, répondit Abderrahmane, c’est elle-même, suis-je un peintre flatteur ? avez-vous jamais vu quelque chose de plus beau ? »

XCVI

Le Bagdadin attendait la réponse du roi de Moussel, et il ne doutait pas qu’elle ne fût très glorieuse pour Zeineb ; mais il fut bien étonné lorsqu’il vit que ce prince, au lieu de louer la beauté de cette esclave, prit un air sérieux et chagrin sans vouloir dire ce qu’il en pensait, ce qui lui fit juger que le monarque trouvait Zeineb plus belle que toutes les femmes de son sérail et qu’il en avait un secret dépit : « Seigneur, reprit-il un moment après, en le reconduisant à son appartement, je vois bien que j’ai trop présumé des charmes de Zeineb ; je vous les ai sans doute trop vantés. » Nasiraddolé ne répondit rien encore à ces paroles, et lorsqu’il fut dans la chambre où il couchait, il pria son hôte de l’y laisser seul, parce qu’il souhaitait, disait-il, de se reposer. Abderrahmane aussitôt se retira, persuadé qu’il n’était chagrin qu’à cause qu’il venait d’avoir le démenti.

Le lendemain matin le jeune marchand alla au lever du roi de Moussel ; il croyait trouver ce monarque dans une meilleure situation, mais il le surprit dans une tristesse et dans un accablement dont il fut vivement touché. « Qu’avez-vous, seigneur, lui dit-il ? De quel sombre nuage vos yeux sont-il enveloppés ? Quelle est la cause de cette profondes mélancolie où je vous vois plongé ? — Abderrahmane, lui répondit le roi, je pars dès ce jour pour Moussel ; j’emporte une douleur que le temps ne fera peut-être qu’augmenter ; laissez moi partir sans m’en demander le sujet. — Non, seigneur, répondit le Bagdadin, il faut que vous me le disiez, ne me le cachez point, je vous en conjure ; n’ai-je point eu l’imprudence de manquer au respect que je vous dois ? J’ai abusé des bontés qu’un grand prince a pour moi ; je vous ai sans doute offensé ? — À Dieu ne plaise, repartit Nasiraddolé, que je me plaigne de vous ! Je ne me plains que de ma mauvaise destinée. Encore une fois, poursuivit-il, ne vous informez point de ce qui peut m’affliger. »

Plus le roi de Moussel s’obstinait à cacher la cause de son affliction, et plus le Bagdadin le pressait de la lui découvrir. Cependant ce prince se disposait à partir, et il avait dessein de garder son secret ; mais enfin son hôte l’obligea par ses instances à le lui révéler. « Eh bien ! Abderrahmane, lui dit en partant Nasiraddolé, vous voulez que je parle, je vais vous satisfaire : j’aime, ou plutôt j’adore Zeineb ; je n’ai pu la voir sans prendre dans ses beaux yeux le funeste amour qui trouble mon repos ; je souhaitais de partir sans vous faire ce triste aveu, vous me l’arrachez ; que votre amitié ne me le reproche point. Hélas ! je ne l’expierai que trop par tous les maux que je vais souffrir : adieu ! » À ces mots il sortit de chez le Bagdadin et prit la route de Moussel.

Le discours de Nasiraddolé surprit étrangement Abderrahmane, qui fut longtemps après le départ de ce prince à revenir du désordre où étaient ses sens. « Ah ! malheureux que je suis, s’écriat-il, devais-je faire voir Zeineb au roi de Moussel ? ne devais-je pas prévoir qu’il ne pourrait la regarder impunément ? Il va languir dans sa cour ; les femmes de son sérail, de quelque beauté qu’elles soient pourvues, ne pourront lui faire oublier la fatale Circassienne dont il est occupé : j’en juge par moi-même ; un cœur qu’elle a charmé ne peut brûler d’un autre amour ; j’aurai donc à me reprocher toute ma vie que je fais l’infortune d’un roi, plus grand encore par ses vertus que par sa couronne : c’est moi qui, par un transport d’amant indiscret, interromps le cours de ses jours heureux : pour prix de toutes les marques d’amitié que j’ai reçues de lui, est-il juste que je lui plonge un poignard dans le cœur ? Non, mon cher prince, non, Abderrahmane ne vous laissera point dans l’état cruel où il vous a réduit ! Je suis prêt à m’immoler pour vous ; je vais vous céder Zeineb, j’y suis résolu. »

Aussitôt qu’il eût pris cette résolution, il appela quelques-uns de ses officiers, et leur ordonna de préparer une litière ; ensuite il fit venir Zeineb, et lui dit : « Vous n’êtes plus à moi, vous êtes au roi de Moussel ; c’est ce prince que vous avez vu hier au soir ; il a pour vous une passion violente ; il est aimable ; vous devez souscrire sans peine au don que je lui fais de votre personne. »

À ce discours l’esclave se prit à pleurer. « Est-il bien possible, dit-elle, qu’Abderrahmane m’abandonne après m’avoir juré tant de fois un amour immortel ? Ah ! volage, vous ne m’aimez plus ; une beauté nouvelle triomphe sans doute du pouvoir de mes yeux, et vous ne m’éloignez de vous que pour éviter les reproches secrets que ma présence vous pourrait faire. — Non, belle Zeineb, répondit le Bagdadin tout attendri, vous n’avez point de rivale, et je ne vous ai jamais plus aimée ; j’en jure par le tombeau de notre grand prophète qu’on voit à Médine. — Et si cela est, interrompit avec précipitation Zeineb, pourquoi faut-il nous séparer ? — Mon cœur en gémit, répondit-il ; mais je ne puis souffrir qu’un prince pour qui j’ai l’amitié la plus tendre et qui m’a donné tant de témoignages de la sienne, traîne une vie languissante : dès qu’il s’agit de son repos, je n’ai plus d’égard au mien. Lorsque je mesure la distance que la nature a mise entre ce rival et moi, il n’est point de sacrifice que je ne croie lui devoir faire ; et d’ailleurs quand je songe que c’est pour vous rendre favorite d’un souverain, cette pensée, je l’avouerai, adoucit la rigueur de la violence que je me fais en vous cédant ; allez donc remplir l’heureux destin qui vous attend à Moussel ; hâtez-vous de joindre Nasiraddolé et de faire succéder dans son cœur la joie la plus vive à l’affliction dont il est saisi. »

À ces paroles, qu’il ne put achever sans verser quelques pleurs, il ordonna aux officiers qu’il avait nommés pour conduire Zeineb à Moussel, de l’emmener promptement et de l’arracher à sa vue, car elle fondait en larmes et paraissait si affligée, qu’il commençait à ne pouvoir plus soutenir ce spectacle. Les officiers la mirent dans la litière avec une vieille esclave qui la servait, et ils prirent le chemin qu’avait suivi le roi de Moussel.

XCVII

Ils eurent beau faire diligence, la litière allait trop lentement pour pouvoir joindre Nasiraddolé, qui montait un cheval arabe des plus vigoureux. Il arriva dans sa capitale plusieurs jours avant Zeineb, qui n’y fut pas plus tôt rendue, qu’un de ses conducteurs courut au palais pour avertir le roi qu’Abderrahmane leur maître lui envoyait cette esclave.

On ne peut exprimer quelles furent la surprise et la joie de ce monarque, lorsqu’il apprit cette nouvelle. « Ô généreux ami, s’écria-t-il, quand je ne serais pas déjà persuadé que tu es le plus parfait ami du monde, je n’en pourrais présentement douter, puisque tu préfères mon bonheur au tien. »

Il l’envoya recevoir par le chef de ses eunuques, et lui fit donner un appartement séparé, le plus commode et le plus magnifique du palais ; elle n’y fut pas longtemps sans voir paraître ce prince ; il s’approcha d’elle, et remarquant sur son visage une impression de tristesse : « Belle Zeineb, lui dit-il, il n’est pas difficile de juger que votre cœur n’avoue pas le sacrifice que le généreux Abderrahmane me fait de vous : je vois bien que vous venez à Moussel plutôt comme une victime qu’on conduit à la mort que comme une orgueilleuse beauté qui doit voir un souverain à ses genoux ; vous êtes plus sensible à la perte d’un homme que vous aimez qu’à la conquête d’un roi qui vous adore ! — Seigneur, répondit Zeineb, je devrais conformer mes sentiments au nouveau sort qui m’appelle ici ; je devrais m’applaudir de pouvoir faire le bonheur d’un prince tel que vous. Je dirai plus, je voudrais, prompte à me détacher, oublier l’ingrat qui m’abandonne, et vous donner sa place dans mon cœur. Que ne puis-je, pour me venger de sa trahison, sentir dès ce moment pour vous tout l’amour que sa perfide ardeur a su m’inspirer pour lui. Mais hélas, pour mon malheur, je suis trop occupée du traître ! Tant que je vivrai, il sera toujours présent à ma pensée, et troublera sans cesse le repos de ma vie. » La belle esclava, en achevant ces paroles, fondit en pleurs et poussa des sanglots dont Nasiraddolé fut vivement touché. « Ah, charmante Zeineb ! s’écria-t-il, modérez votre affliction, je vous en conjure, et laissez-moi du moins me flatter que le temps et mes soins en pourront triompher. Ne m’ôtez pas cette espérance qui peut seule soutenir ma vie. »

Le roi de Moussel ne se contenta pas de tenir ce discours à la belle esclave, il se jeta à ses genoux, et ajoutant à ce qu’il venait de dire mille autres choses tendres et passionnées, il fit tous ses efforts pour la consoler, mais il n’en put venir à bout ; il s’aperçut même que plus il combattait sa douleur, puis elle semblait augmenter, ce qui fut cause qu’il se retira. Il aima mieux s’éloigner de Zeineb que d’aigrir ses maux par sa présence.

Revenons au jeune marchand de Bagdad. Après le départ de sa belle esclave, il tomba dans une langueur que rien ne pouvait dissiper. Il avait beau faire des parties de plaisir, Zeineb, qu’il avait toujours dans l’esprit, ne lui permettait pas d’être content. « Ah ! malheureux que je suis, disait-il souvent en lui-même, je sens que je ne puis vivre sans Zeineb : devais-je en céder la possession au roi de Moussel ! N’est-ce pas passer les bornes de l’amitié que de livrer à son ami une personne qu’on adore ? Nasiraddolé aurait-il fait le même effort en ma faveur ? Non, sans doute, et je suis persuadé qu’il ne connaît pas tout le prix du sacrifice que je lui ai fait. Il s’imagine que j’aimais faiblement ma belle esclave, je la lui ai donnée, même sans qu’il me l’ait demandée. En effet, quel amant heureux et bien touché a jamais renoncé à sa maîtresse, par pitié pour un ami ! Cependant j’aime Zeineb autant qu’on peut aimer… Mais, hélas ! ou m’emporte ma douleur ? Que me sert-il de me condamner moi-même ? Je ferais encore ce que j’ai fait, quelle que soit ma peine en ce moment, le prince au bonheur duquel j’immole ma tendresse me tient compte d’un si grand sacrifice, et il est plus digne que moi de posséder Zeineb. »

C’est dans cette situation que se trouvait Abderrahmane ; il était au désespoir d’avoir perdu son esclave, sans se repentir de l’avoir cédée au roi de Moussel. Il y avait déjà trois mois qu’il menait une vie assez triste, quand tout à coup on vint chez lui l’arrêter de la part du grand-vizir. On lui dit qu’on l’accusait d’avoir, dans une débauche, tenu des discours peu respectueux du commandeur des croyants. Il eut beau protester qu’il ne lui était jamais échappé la moindre parole qui pût offenser le calife, on le conduisit en prison. Deux seigneurs de la cour qui étaient ses ennemis secrets, avaient inventé cette calomnie pour le perdre, et sur leur faux témoignage le grand-vizir le faisait arrêter. Il fut même ordonné que dès ce jour-là tous ses biens seraient confisqués, sa maison rasée, et que lui, le lendemain, aurait la tête coupée sur un échafaud, qui pour cet effet serait dressé devant le palais du calife.

Le concierge de la prison où il était alla pendant la nuit lui annoncer son arrêt. « Seigneur Abderrahmane, lui dit-il ensuite, je prends beaucoup de part à votre malheur ; j’en suis d’autant plus touché que je vous ai plus d’obligation. Vous m’avez rendu service dans deux conjonctures où j’ai eu besoin de votre secours. Voici une occasion de vous témoigner ma reconnaissance. J’ai résolu de vous mettre en liberté pour m’acquitter envers vous : sortez de prison, les portes vous sont ouvertes, fuyez et dérobez-vous au supplice qui vous attend. »

XCVIII

À ce discours, Abderrahmane, transporté de joie, embrassa le concierge et le remercia de sa générosité ; puis tout à coup, faisant réflexion au péril où cet homme se mettait en le délivrant, il lui dit : « Vous ne songez pas qu’en me sauvant la vie, vous exposez la vôtre. Je ne veux point abuser de vos sentiments généreux ; il n’est pas juste que je vous laisse périr pour moi. — Ne vous mettez point en peine de ce que je deviendrai, répondit le concierge. Apprenez-moi seulement si vous êtes coupable ou innocent ; avez-vous, en effet, parlé du calife dans des termes peu respectueux ? Ne me déguisez rien : il m’importe de savoir la vérité, je prendrai mes mesures là-dessus. — J’atteste le ciel, répliqua le jeune marchand, que je n’ai jamais parlé du commandeur des croyants qu’avec tout le respect que je lui dois. — Cela étant, reprit le concierge, je sais bien ce que je ferai. Si vous étiez coupable, je prendrais la fuite comme vous ; mais puisque vous ne l’êtes pas, je demeurerai ici et je n’épargnerai rien pour faire connaître votre innocence. »

Abderrahmane fit de nouveaux remerciements au concierge et sortit de prison. Il se réfugia chez un de ses amis, qui le cacha dans un endroit de sa maison où il le crut en sûreté. Le jour suivant, le grand-vizir ayant appris l’évasion du prisonnier, envoya chercher le concierge et lui dit : « Ô misérable, est-ce ainsi que tu fais ton devoir ? Tu as laissé échapper un criminel qui était sous la garde, ou plutôt tu l’as mis toi-même en liberté. Si tu ne le retrouves dans vingt-quatre heures, tu éprouveras le sort qui lui était destiné. — Monseigneur, répondit le concierge, je ne refuse pas de mourir pour lui. Je vous l’avouerai, c’est moi qui l’ai sauvé ; je n’ai pu souffrir qu’il pérît. Je lui ai ouvert les portes de la prison et je lui ai conseillé de prendre la fuite. Je confesse mon crime, je suis prêt à l’expier par la mort que vous prépariez au plus honnête homme de Bagdad, et j’ose dire au plus innocent. — Et quelle preuve, dit le vizir, as-tu de son innocence ? — L’aveu qu’il m’en a fait lui-même, reprit le concierge. Abderrahmane est incapable de mentir ; mais vous, monseigneur, permettez que je vous représente que vous vous êtes laissé trop facilement prévenir. Connaissez-vous les accusateurs du jeune marchand ? Êtes-vous sûr de leur intégrité, pour pouvoir les croire sur leur parole ? Ne seraient-ils point ennemis secrets de l’accusé ? Savez-vous si l’envie et la haine ne les arment point contre lui ? Prenez garde de vous laisser séduire par des imposteurs, et craignez de répandre le sang des innocents, car vous serez un jour obligé de rendre compte du pouvoir dont vous êtes revêtu ; vous en serez récompensé si vous n’en faites qu’un bon usage ; mais vous en serez puni si vous en abusez. »

Ces paroles, que le concierge prononça d’un ton ferme, étonnèrent le grand-vizir et l’obligèrent à rentrer en lui-même. Il fit emprisonner le concierge jusqu’à nouvel ordre, et résolut de ne rien oublier pour découvrir si les accusateurs du jeune marchand avaient fait leur déposition de bonne foi ; cependant, comme il avait déjà fait raser la maison de l’accusé et confisquer tous ses biens, il ne voulut pas faire soupçonner sa prudence. Il ordonna au cadi de faire chercher Abderrahmane aux environs de Bagdad.

Tandis que le lieutenant du cadi parcourait la campagne avec ses archers, le jeune marchand de Bagdad se tenait caché chez son ami, et jugeant par les soins qu’on prenait de le chercher que son affaire allait mal, il craignait que le cadi ne le vint surprendre dans le lieu où il était ; c’est pourquoi il forma le dessein d’aller à Moussel. « Je serai là, disait-il, dans un asile assuré ; pourvu que je puisse me rendre à la cour de Nasiraddolé, ce prince m’aura bientôt fait oublier ma disgrâce. »

Dès qu’il sut que les archers, fatigués d’avoir fait des perquisitions inutiles, étaient revenus à Bagdad, il en sortit une nuit, monté sur un fort beau cheval que lui donna son ami, et il prit le chemin de Moussel. Il fit tant de diligence qu’il y arriva en peu de temps. Il descendit au premier caravansérail, où il laissa son cheval, et ensuite il se rendit à la cour. Tous les officiers du roi le reconnurent. « Hé ! voilà, s’écrièrent-ils, l’étranger que notre monarque chérit tant ! Qu’il soit ici le bienvenu. » Dans un moment le bruit de son arrivée se répandit dans le palais et parvint aux oreilles de Nasiraddolé. Aussitôt ce prince fit appeler son trésorier et lui dit tout bas : « Allez trouver Abderrahmane, donnez-lui de ma part deux cents sequins d’or. Dites-lui qu’il les fasse valoir dans le commerce, qu’il sorte de mon palais et qu’il n’y revienne que dans six mois.

Le trésorier s’acquitta sur-le-champ de sa commission, qui surprit étrangement le Bagdadin. C’était, en effet, lui faire une réception fort singulière, et il n’avait pas lieu de s’y attendre. « Quoi donc, s’écriat-il, est-ce de cette sorte que le roi de Moussel doit recevoir un homme qu’il n’a pas dédaigné de regarder comme son ami ? Ai-je fait quelque chose qui lui ait déplu ? Hélas ! je me flattais qu’il aurait toujours pour moi les mêmes sentiments, et cette espérance me consolait de tous mes malheurs.

— Ne vous affligez point, lui dit le trésorier. Le roi vous aime encore, et s’il ne vous reçoit pas mieux, il faut qu’il ait ses raisons. Faites ce qu’il vous prescrit, vous n’aurez peut-être pas sujet de vous en repentir. » Le Bagdadin sortit du palais et retourna au caravansérail, ne sachant ce qu’il devait penser de Nasiraddolé. « Que veut-il que je fasse, disait-il, de deux cents sequins ? Je ne pourrai pas faire un grand négoce avec une somme si modique. Encore, s’il m’eût donné mille sequins d’or, j’aurais pu m’associer avec un gros marchand, et commencer une nouvelle fortune. »

Il ne laissa pas de prendre toutes les mesures possibles pour faire profiter son argeat ; mais il ne suffit pas aux marchands de s’appliquer à leurs affaires pour réussir, il faut qu’ils aient du bonheur. Si la fortune ne seconde pas leurs soins, ils en prennent d’inutiles pour s’enrichir. Ce fut en vain qu’Abderrahmane se donna beaucoup de mouvement, il ne retira pas du commerce ce qu’il y avait mis, si bien qu’au bout de six mois, il n’avait que cent cinquante sequins de reste. Il parut à la cour. Le trésorier vint à lui de la part du roi, et lui demanda s’il avait encore ses deux cents sequins. « Non, répondit le jeune marchand, il m’en manque un quart. — Puisque cela est ainsi, répliqua le trésorier, en lui comptant cinquante sequins, voilà votre somme complète. Allez la risquer de nouveau, et revenez ici dans six mois. »

XCIX

Le Bagdadin ne fut pas moins surpris de ce discours que la première fois. « Quelle est donc la pensée de Nasiraddolé ? Est-ce ainsi qu’il prétend s’acquitter envers moi ? Croit-il par là payer le sacrifice que je lui ai fait de ce que j’avais de plus cher au monde ? Ne devrait-il pas avoir honte de me donner cinquante sequins ? Est-ce un présent qui soit digne de lui ? Je veux pourtant encore, poursuivit-il, faire ce qu’il m’ordonne. Je reviendrai dans ce palais au temps marqué ; mais ce sera pour la dernière fois, si je n’y suis pas reçu d’une autre manière. »

Il acheta de nouvelles marchandises, et se mit à trafiquer, ce qu’il fit avec tant de bonheur, qu’au bout de six mois il se trouva qu’il avait gagné près de cent sequins. Il ne manqua pas de se rendre au palais du roi. Le trésorier vint le recevoir et lui demanda s’il avait ses deux cents sequins. « J’en ai près de trois cents, répondit le Bagdadin ; la fortune cette fois-ci m’a été très favorable. — Puisque cela est ainsi, répliqua le trésorier, je vais vous conduire au roi. Il ne fera aucune difficulté de vous voir. » À ces mots, il prit le jeune marchand par la main et le mena au cabinet de Narisaddolé. Dès que ce prince aperçut Abderrahmane, il se leva pour le recevoir, et après l’avoir embrassé à plusieurs reprises : « Ô mon cher ami, lui dit-il, je ne doute point que vous n’ayez été fort surpris de la réception qu’on vous a faite. Vous aviez lieu, je l’avoue, d’en attendre de moi une plus agréable ; mais ne m’en sachez pas mauvais gré, je vous en conjure. Vous savez que les malheurs sont contagieux. J’avais appris votre disgrâce par un marchand de Bagdad à qui j’avais demandé de vos nouvelles. Je n’ai osé vous accorder un asile dans mon palais, ni même vous voir, de peur que votre infortune se répandît sur moi, et ne me mit hors d’état de vous faire du bien, lorsque vous cesseriez d’être malheureux. Présentement, poursuivit-il, que le malheur semble vous avoir abandonné, rien ne m’empêche plus de suivre les mouvements de mon amitié. Vous demeurerez désormais dans ma cour, et je ferai tous mes efforts pour vous faire oublier les maux que vous avez soufferts. »

Effectivement, Nasiraddolé fit donner au Bagdadin un appartement dans son palais, et nomma des officiers pour le servir. Ils passèrent le premier jour à table tous deux, et quand la nuit fut venue, le roi dit au jeune marchand : « Je veux m’acquitter envers vous du sacrifice que vous m’avez fait de la jeune esclave que vous aimez. Je prétends vous rendre la pareille ; je vais vous céder celle de mes femmes qui m’est la plus chère ; je prétends vous l’envoyer cette nuit, à condition que vous l’épouserez. — Seigneur, répondit Abderrahmane, je remercie Votre Majesté des bontés qu’elle veut faire pour moi, mais souffrez que je refuse la grâce qu’elle veut me faire. Je ne puis aimer aucune dame après Zeineb, et je vous conjure de ne me pas contraindre. — Quelque occupé que vous soyez de Zeineb, reprit le roi, je doute fort que vous puissiez voir la personne que je vous destine sans vous sentir de l’amour pour elle ; tout ce que je vous demande, c’est que vous ayez avec elle une conversation. Si son esprit et sa beauté ne font sur vous aucun effet, je ne vous presserai plus de l’épouser. — Seigneur, repartit le Bagdadin, je consens de l’entretenir par complaisance, puisque vous le souhaitez. Cependant, soyez assuré que malgré tous ses charmes elle ne pourra disposer mon cœur à brûler d’une nouvelle flamme. »

C

Enfin Abderrahmane se retira dans son appartement, où il ne fut pas plus tôt que le chef des eunuques, suivi d’une dame voilée, y arriva, et lui dit : « Seigneur, voici la personne que le roi mon maître veut vous donner. C’est la plus belle de ses femmes. Il ne saurait vous faire de présent plus précieux. » En achevant ces paroles, il fit une profonde révérence au Bagdadin, laissa l’esclave et sortit.

Le jeune marchand de Bagdad salua fort civilement la dame, et la pria de s’asseoir sur un grand sopha de brocart bleu relevé d’une broderie d’or. Elle s’y assit ; il se mit auprès d’elle, et lui dit : « Ô vous ! qui sous ce voile représentez le soleil enveloppé d’un nuage épais, écoutez-moi, je vous en conjure. Je suis persuadé que le dessein du roi vous alarme. Vous craignez sans doute, que prompt à profiter de sa générosité, je n’aille par des nœuds éternels vous attacher à mon sort ; mais cessez d’appréhender que je vous fasse cette violence. J’aime trop Nasiraddolé pour lui enlever un objet qu’il adore, et d’ailleurs, je vous l’avouerai, je suis peu sensible au sacrifice que ce prince me veut faire. Comme je n’ai point vu vos charmes, cet aveu ne vous offense pas. »

Il se tut après avoir dit ces paroles, et il attendait ce que l’esclave lui répondrait, lorsque tout à coup elle fit un éclat de rire ; ensuite elle leva son voile, et le Bagdadin reconnut en elle sa chère Zeineb : « Ah ! ma princesse, s’écria-t-il, emporté par un tranport mêlé de surprise et de joie, c’est donc vous que je vois ! — Oui, mon cher Abderrahmane, répondit-elle, c’est votre Zeineb qui vous est rendue. Le roi de Moussel n’a pas été moins généreux que vous. Dès qu’il a connu toute ma tendresse, et qu’il a vu qu’elle ne se rendait pas à ses soins, il a fini sa poursuite, et il ne me retient ici depuis longtemps que pour me remettre entre vos mains. »

La belle Zeineb et le jeune marchand passèrent la nuit à se témoigner mutuellement la joie qu’ils avaient de se revoir, et de la manière dont ils se trouvaient réunis. Le lendemain matin, Nasiraddolé vint dans leur appartement. Ils se jetèrent à ses pieds pour le remercier de ses bontés. Il les releva et leur dit : « Heureux amants, goûtez en repos, dans ma cour, les plaisirs d’une parfaite union. Pour lier encore plus étroitement vos cœurs, je vais ordonner les apprêts de votre mariage. Si je ne puis cesser d’aimer Zeineb, du moins mon amour n’éclatera que par les bienfaits dont je prétends vous combler. »

En effet, il ne se contenta pas de leur donner de grosses pensions, il leur assigna plus de vingt mille arpents de terre exempts de toutes charges. Pour surcroît de bonheur, Abderrahmane reçut d’agréables nouvelles de Bagdad. Il apprit qu’un de ses accusateurs, poussé par ses remords, avait été découvrir tout au grand-vizir, qui, sur sa déposition, avait fait mourir l’autre accusateur, pardonné au concierge et déclaré l’accusé innocent. Sur cet avis, il fit un voyage à Bagdad, alla trouver le vizir, qui lui restitua une partie de ses biens ; mais il la donna tout entière au concierge qui l’avait si généreusement sauvé, et il passa le reste de ses jours avec autant de tranquillité que d’agrément.

Sutlumemé finit en cet endroit l’histoire de Nasiraddolé, d’Abderrahmane et de Zeineb. Les femmes de Farrukhnaz louèrent fort la générosité du jeune marchand et celle du roi de Moussel, mais Farrukhnaz ne manqua pas de faire remarquer que la constance de la belle Circassienne était beaucoup plus méritoire que celle de son amant : « Ô ma princesse, dit Farrukhnaz, puisque vous paraissez aimer les caractères de personnes fidèles, je vais, si vous le permettez, vous conter l’histoire de Repsima. Je ne crois pas que le récit de ses aventures vous ennuie. » Les femmes de la princesse témoignèrent tant d’envie d’entendre cette nouvelle histoire que Farrukhnaz permit à Sutlumemé de la raconter.

  1. Sorte de bière.