Les Meules (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 235-236).


LES MEULES


À cinq, à dix, à vingt sur les éteules,

Comme autant de hameaux
Nouveaux
Autour des bourgs et des villages,
S’éparpillent les meules.

La route,
Où trimballent les attelages,
Où les rouliers, la pipe aux dents,
Passent en s’attardant
Est loin — on la redoute.

Même l’énorme branle-bas
Et le travail ardent des métairies
Tournent les fours et les buanderies

Vers le chemin d’où les meules ne se voient pas.


Mais les meules

Ont pour elles les plaines
Où l’on peut voir,
Le soir,
Myriadaire et morcelé
Le bloc total du cristal étoilé ;
Elles ont pour elles leur ombre solennelle
Se déployant si largement
Sur le damier vide et morne des champs,
Qu’elles semblent jeter au devant d’elles
Toute la nuit qu’au jour tombant
Accumule
Le crépuscule.

Ainsi, pendant les froids et les brumes d’hiver,
Trônent-elles grandes et seules,
Les meules ;
Et jusqu’aux jours du printemps vert,
Au fond des guérets nus et des plaines hagardes,

Le ciel et l’étendue en ont la garde.