Les Merveilleux Voyages de Marco Polo dans l’Asie du XIIIe siècle/Partie II/Chapitre 20

CHAPITRE XX

Le cérémonial de la Cour


Le grand Khan se fait garder par douze mille hommes de sa noblesse qu’on appelle quesitan, c’est-à-dire chevaliers fidèles au seigneur. Ils sont répartis en quatre compagnies de trois mille hommes, commandées chacune par un capitaine. Chaque compagnie reste trois jours et trois nuits au palais. Elle y boit et y mange. Elle est ensuite remplacée par une autre.

Quand le grand Khan tient sa table, pour une cérémonie, voici comment on procède. Sa table est beaucoup plus élevée que les autres. Il s’assied au nord, le visage tourné vers le midi, sa première épouse s’assied près de lui, à sa gauche. À sa droite, plus bas, sont assis ses fils, ses neveux et les princes de son sang : leur tête est à la hauteur de ses pieds. Les autres seigneurs sont assis à des tables encore plus basses. L’ordre est le même pour les femmes. Celles de ses fils, de ses neveux et des princes du sang sont assises plus bas à gauche. Viennent ensuite, encore plus bas, les dames des autres seigneurs, chacune au rang désigné par le Khan. Les tables sont disposées de telle façon que le seigneur les peut voir toutes d’un coup d’œil, si nombreuses qu’elles soient. En dehors de la salle se pressent plus de quarante mille hommes, car il vient beaucoup de visiteurs étrangers qui apportent des présents.

En un endroit de la salle, il y a un grand vase d’or qui contient autant de vin qu’un tonnelet. À côté de ce grand vase, il y en a de plus petits pleins de breuvages épicés et de haut goût. On puise le vin dans des coupes d’or sans anse, si grandes qu’elles pourraient suffire à dix personnes. On place une de ces coupes entre deux convives ; on met à côté deux petits hanaps d’or : chaque convive remplit son hanap avec la coupe.

Coupes et hanaps forment un trésor considérable : le Khan en possède un très grand nombre. Il a aussi d’autre vaisselle d’or et d’argent en si grande quantité qu’on ne pourrait le croire à moins de l’avoir vu.

Ce sont des barons qui présentent à boire et à manger au grand Khan. Ils ont le nez et la bouche couverts de serviettes d’or et de soie pour éviter que leur haleine ne souille les mets. Quand le Khan s’apprête à boire, tous les instruments se mettent à sonner. Pendant qu’il tient en main sa coupe, tous les assistants s’agenouillent et se prosternent. Alors le grand seigneur boit : chaque fois qu’il boit, le même cérémonial se renouvelle.

Je ne vous dirai rien des viandes, car on pense bien qu’elles sont en abondance. Quand tous ont mangé et que les tables sont ôtées, un grand nombre de jongleurs et de bateleurs entrent dans la salle. Sous les yeux du Khan et de tous les convives, ils exécutent des tours variés avec tant d’habileté que chacun rit et se divertit.