Les Merveilleux Voyages de Marco Polo dans l’Asie du XIIIe siècle/Partie I/Chapitre 2

CHAPITRE II

Premier voyage des frères Polo


Après plusieurs années de séjour à Soudak, Nicolo et Matteo Polo en étaient partis, en 1261, pour se rendre auprès, de Barkaï-Khan, descendant de Gengis-Khan, qui régnait sur les Mongols occidentaux et habitait la ville de Séraï, sur le Volga. Long voyage qui dura plus de deux mois. On allait à petites journées. On avait chargé dans des chariots traînés par des bœufs des pièces de toile et de drap, seule monnaie qui parût précieuse aux nomades du pays. En échange de cette pacotille, ils donnaient aux voyageurs force bœufs et moutons pour se nourrir et aussi le délicieux koumis préparé avec le lait des cavales. Les frères Polo arrivèrent enfin à Saraï. Plutôt qu’une ville véritable, c’était un vaste assemblage de parcs et de marchés, quelque chose comme une foire permanente. Les Mongols y faisaient hiverner leurs immenses troupeaux et les marchands arabes y apportaient leurs produits. Seul, le palais du Khan était garni de remparts et de tours.

Barkaï fit grand accueil aux Vénitiens. Mal informé des choses et des gens d’Europe, il était très curieux de les connaître. Il retint les deux frères à sa cour pendant une année entière. Comme tous les chefs mongols, à qui la guerre offrait un moyen facile de s’enrichir, il était généreux et traitait les affaires largement, en prince plutôt qu’en marchand. Les Vénitiens, qui avaient escompté cette munificence, ne manquèrent pas d’en profiter. Ils offrirent à Barkaï tous les joyaux dont ils s’étaient munis. Le Mongol fut enchanté et leur en fit remettre plus de deux fois la valeur.

Les Vénitiens auraient sans doute utilisé longtemps encore les dispositions bienveillantes de leur hôte. Par malheur, une guerre éclata entre lui et un autre descendant de Gengis-Khan, Houlagou, qui régnait en Perse. Barkaï fut vaincu, mais la guerre se prolongea et toute la région qu’avaient traversée les voyageurs pour venir à Saraï fut dévastée par des bandes qui pillaient et massacraient. La voie du retour leur était fermée : les Vénitiens, payant d’audace, se résolurent à aller de l’avant. Ils franchirent le Volga, traversèrent pendant vingt-six journées de marche un désert peuplé seulement de pasteurs nomades et arrivèrent enfin à Boukhara.

Cette fois, leur embarras fut extrême. Impossible soit d’avancer, soit de reculer. Les indigènes se méfiaient de ces visiteurs dont la curiosité leur paraissait suspecte et ils les surveillaient étroitement. Pendant trois ans, les Polo se morfondirent. Un événement imprévu vint les tirer d’affaire. En 1264, passèrent à Boukhara des ambassadeurs qu’Houlagou envoyait à Cambaluc, près de Pékin, pour rendre hommage au chef suprême des Mongols, à l’empereur Koubilaï-Khan. Quelle occasion de traverser en sécurité des régions inconnues et peut-être, qui sait ? de nouer des relations politiques et commerciales dont eux-mêmes profiteraient à coup sûr et peut-être, avec eux, toute la chrétienté ! Les circonstances les favorisèrent. S’ils étaient curieux de connaître les choses de Chine, l’empereur mongol ne l’était pas moins de connaître celles d’Europe. Des voyageurs comme les Polo, bien informés et intelligents, seraient en mesure de lui apprendre beaucoup. Jamais Latins n’avaient poussé aussi avant. Amener ceux-ci à la cour du souverain, c’était faire acte de bon et utile serviteur. Les ambassadeurs pressentirent donc les frères Polo :

— Si vous voulez nous croire, nous vous donnerons belle occasion de gloire et de profit.

Les Vénitiens, subtils diplomates, se gardèrent bien de laisser voir qu’ils devinaient la pensée de leurs interlocuteurs, surtout de révéler la leur et leur secret désir. Ils se contentèrent d’affirmer leur confiance, invitant les ambassadeurs à s’exprimer avec clarté.

— Jamais, poursuivirent les Mongols, jamais le grand Khan n’a vu homme de race latine et il désire grandement en voir. Venez avec nous jusqu’à sa Cour. Soyez bien convaincus qu’il vous recevra avec joie et vous comblera de présents et de marques d’honneur. En notre compagnie, votre sécurité sera complète : personne n’oserait vous molester.

Les deux frères eussent recherché une telle proposition si on ne la leur eût pas faite. Ils mirent à l’accepter tout juste assez d’hésitation pour persuader les ambassadeurs qu’ils cédaient surtout au désir de leur complaire et de complaire au grand Khan.