G. Roux (Paris) (p. 232-273).

XXVII

une mère.


Jeanne, arrivée aux derniers instants de sa vie, avait enfin dépouillé les insignes de la misère. Elle reposait sur une couche blanche et fine ; sa tête, soulevée sur un oreiller, et belle encore, était enveloppée de mousseline et de dentelles, le reflet des rideaux se fondait avec sa pâleur pure et transparente ; ses formes délicates se dessinaient sous les longs plis de la toile : entre ses mains s’enlaçait encore son chapelet. Elle était peu dissemblable ainsi d’une statue qui dans l’attitude du recueillement éternel, repose sur une tombe,

À l’heure de la mort, qui exalte les facultés de l’âme, on revoit d’une manière lucide le cours du son existence dont le tableau est accompli. Ainsi Jeanne, en ce moment, retrouvait dans sa mémoire tous les événements de sa vie, qui reparaissaient comme éclairés d’une lumière nouvelle.

— Mon fils !… mon Herman ! disait-elle, je dois te faire connaître celle qui fut ta mère… Je veux rappeler mon passé tout haut… devant toi… afin que ta pitié me soulage et me suive là-bas…

— Demain, ma mère, dit Herman d’une voix tremblante, vous aurez plus de force pour retracer ces tristes souvenirs.

— Demain les souvenirs mêmes ne seront plus… Laisse-moi donc la douceur de les déposer aujourd’hui dans ta mémoire, pour qu’ils y demeurent après moi.

Herman, assis auprès du lit, pencha la tête sur les mains de sa mère. Valentine, à quelques pas d’eux, les confondait dans le même regard de tristesse et d’amour.

Jeanne parla ainsi :

— Je suis née en Allemagne. Les premières années de ma jeunesse, décolorées et monotones, s’écoulèrent chez des parents éloignés, qui m’avaient recueillie après la mort de ma mère et la perte entière de notre fortune, amenée par les chances funestes de la guerre. Mon père, le colonel Meerfeld, qui servait dans l’armée de l’archiduc Ferdinand, avait été fait prisonnier par le général Moreau, à la bataille de Hohenlinden, et dirigé vers la France.

« Dès que l’époque de la majorité m’eut rendue libre de mes actions, je voulus rejoindre mon père, que je savais seul, pauvre et souffrant, et je partis pour la France. Je n’emportai que les diamants de ma mère, seul bien qui me fût resté ; mais j’espérais que ma présence, mes soins, mon travail adouciraient la situation de mon père, et, forte du sentiment qui me guidait, je fis le voyage avec confiance et courage.

« Vers la fin de l’année 1812, j’arrivai à Versailles, qui était la résidence de mon père.

« Je connus là quelque temps de véritable bonheur. La vue d’une fille pieuse envers le malheur, aimante et dévouée, semblait rendre au pauvre vétéran une nouvelle existence : ma jeunesse ramenait le sourire et l’espérance dans sa solitude ; mes soins calmaient les souffrances causées par de nombreuses blessures ; le peu d’argent que je gagnais en brodant, ajouté au subside du prisonnier, répandait quelque bien-être autour de lui. Et moi, je pouvais aimer mon père en toute sécurité d’âme, connaître un amour pur, élevé, qui satisfait au besoin de vertu et d’estime de soi-même comme au besoin de tendresse.

« Nous vivions à Versailles extrêmement retirés : le comte de Rocheboise était le seul étranger admis dans notre solitude. Son père, pendant l’émigration avait reçu de notre famille d’importants et généreux services ; il paraissait avoir hérité de la reconnaissance de ses parents et se trouver heureux de nous la témoigner par ses visites assidues et par ses attentions affectueuses.

« Mon père était trop âgé, trop affaibli par les infirmités pour juger des dangers de cette liaison et de la tendre intimité qui s’établissait entre le jeune comte et sa fille… Et moi, si j’eusse pu les prévoir, si l’avenir tout affreux qu’il devait être m’eût été révélé, je ne sais en vérité si, pour le fuir, j’eusse renoncé à mon amour, tant cet amour, dès sa naissance, avait pris du pouvoir sur mon âme.

« Dans toute cette France peuplée d’étrangers, d’indifférents, le comte de Rocheboise était le seul homme qui nous eût jamais connus, accueillis, appelés par notre nom. Il faisait passer des heures agréables à mon père ; sa figure séduisante, son esprit cultivé, ses manières pleines de distinction introduisaient dans notre retraite quelque chose des charmes et de l’élégance du monde. Mon cœur, mes yeux, mon imagination, tout en moi était également subjugué par lui.

« Quand, vers le soir, il nous accompagnait dans le parc de Versailles, et, pour me délasser, donnait le bras à son tour au pauvre vétéran, je ne pouvais détacher mes regards de lui. Sous ces ombrages empreints d’un sceau royal, et où l’air qu’on respire porte une sorte d’admiration et de respect pour la noblesse antique, son éclat et ses grandeurs, je croyais revoir dans Rocheboise un des seigneurs les plus accomplis de la cour de Louis XIV… Et cet homme, sur lequel j’aurais à peine osé lever les yeux, se faisait le soutien, le bâton de vieillesse de mon père : cet homme paraissait heureux d’un regard, d’un sourire de moi !

« Cependant, après treize années d’exil et de captivité, une espérance délicieuse vint luire pour le colonel de Meerfeld. L’Empire français touchait à sa ruine, et un retour prodigieux de fortune allait rendre aux victimes de cette grande et oppressive puissance leur patrie et leur liberté.

« Les princes alliés, qui apportaient la délivrance de mon père, cernaient la France… ils avaient passé ses frontières… ils approchaient de Paris… Encore quelques jours, et le vieux défenseur de l’Allemagne serait libre d’aller mourir dans ses foyers… Mais les souffrances qui minaient le vétéran couvert de blessures marchaient plus vite encore que sa délivrance… Mon malheureux père mourut la veille du jour où les rois confédérés signèrent la liberté de l’Europe.

« Je restai seule avec ma poignante douleur.

« Bien peu de personnes pourront comprendre la situation d’une jeune fille isolée dans un pays étranger, sans fortune, sans travail qui suffise à son existence, n’ayant personne à qui parler de sa misère sans trembler de timidité, sans rougir de la honte injuste, mais déchirante, qui tombe sur tout être obligé d’implorer secours, et protection… C’est une souffrance froide, mêlée de terreur et de misanthropie, qui vous fait voir tous les êtres dont il faudrait réclamer l’assistance comme des ennemis prêts à vous accabler… »

— Mais alors, interrompit Herman, mon père était près de vous, il vous aimait, vous consolait sans doute.

— Le comte de Rocheboise était pour moi, répondit Jeanne, l’amour, le bonheur, la vie idéale et la vie du cœur, mais il n’entrait pour rien dans ma condition matérielle… Je n’eus pas un instant l’idée de lui demander du secours. Dans mon idolâtrie pour lui, je n’aurais jamais voulu le réduire au rôle du bienfaiteur auquel on doit du pain… Pour m’élever à lui, pour partager légitimement sa fortune et son nom, Dieu sait que cette pensée ne pénétra jamais dans mon esprit, même pour y être repoussée.

« Enfin une ressource s’offrit à moi et je me crus sauvée.

« J’avais toujours conservé les diamants de ma mère, car jusque-là cette ressource ne s’était pas trouvée nécessaire à notre subsistance ; au contraire, la vue de ces brillants était une douceur pour mon père… parfois, lorsqu’il se sentait l’âme plus triste, il me demandait de les tirer de l’écrin ; il faisait lentement tourner le cordon de pierreries entre ses doigts, et l’éclat qui en jaillissait lui rappelait sa femme aimée et ses beaux jours. Le prix de ces diamants, qui était de quinze mille francs à peu près, pouvait me servir de dot et me permettre d’entrer dans un couvent.

— Au moment où cette pensée me vint, je fis comme mon pauvre père, je mis au jour la brillante parure… mais ce fut en pleurant que je la regardai !… Cet objet de luxe, qui accompagne les autres femmes dans des fêtes, allait me conduire, moi, aux portes du cloître, de ce tombeau anticipé !… Ces ornements étaient faits pour rehausser la beauté, lui donner plus d’effet ; j’étais belle aussi, et pourtant ils allaient se changer pour moi en voile noir, en robe de bure !…

« Ce furent là mes premières larmes amères… »

Jeanne s’interrompit.

— Quelle heure est-il, mes enfants ? demanda-t-elle avec un soupir.

— Deux heures, ma mère.

— Le jour commence à redescendre !

— Ô mon Dieu, éloignez ces funestes pensées !

— Ne me plaignez pas, reprit la mourante en regardant la lumière du ciel et son fils, ce jour est le dernier, mais il est bien beau.

Elle continua :

— Je fis part de mon projet au comte de Rocheboise, et j’observai en ce moment sur ses traits une expression qui m’étonna ; il parut surpris et sèchement blessé plutôt qu’ému de pitié et de regrets. Mais ce ne fut qu’une nuance passagère ; il reprit bientôt sa grâce affectueuse où résidaient tant de séductions pour moi

« J’ajoutai, pour lui faire connaître la fermeté de ma résolution, que j’avais déjà choisi pour ma retraite le couvent des dames Sainte-Marie, à Nantes.

— « Cependant, me dit-il avec étonnement, vous êtes libre de retourner en Allemagne.

— « Sans doute.

— « Comment avez-vous songé à une maison religieuse de France ?

— « Parce que c’est en France, répondis-je, où j’ai connu mon père et vous… tout ce que j’ai aimé !… Je ne pourrai prier Dieu avec foi en sa grandeur, en sa bonté que sur la terre où restera le corps de mon père, et où vous vivrez.

« Ces paroles étaient l’expression naïve de ma pensée, l’explication sincère de ma conduite. Le comte de Rocheboise ne pouvait pas douter que je ne l’aimasse ; lui parler de ce sentiment était une chose naturelle, selon moi, et qui ne changeait rien à notre situation vis-a-vis l’un de l’autre.

« Mais cette réponse, autrement interprétée, pouvait sembler aussi une ouverture à des épanchements plus intimes de nos cœurs, pouvait sembler un audacieux aveu d’amour que je faisais la première.

« Ce fut ainsi, sans doute, que le comprit Rocheboise, car depuis ce moment, il renonça à la réserve établie entre nous. Son regard, jusque-là voilé par le respect se montra tout à coup éclatant de désirs, ou suppliant et humide de larmes ; son langage devint celui de la passion décimée, qui peut dès lors se révéler sans cesse et laisser voir ses mouvements impétueux.

« Dans les premiers jours où le comte connut mon projet de retraite, il me supplia d’y renoncer ou d’en remettre l’exécution à un âge plus avancé. Je demeurai inébranlable, et c’était l’amour même qui me guidait. Dans toute autre condition, je ne voyais nulle possibilité de demeurer près de Rocheboise ; dans l’état religieux, au moins le cloître me retiendrait en France, et je serais sûre de respirer toujours le même air que lui. Alors, pour dernière grâce, le comte me demanda de passer encore quelques mois dans le logement que j’occupais à Versailles ; après quoi il aurait le courage de me conduire lui-même à ma triste destination. Je pouvais, disait-il, accepter les services qu’il me rendrait pendant le reste de mon séjour dans le monde et le voyage qui m’en séparerait pour toujours : c’était une bien faible partie de ce que son père avait dû autrefois à ma famille. Je savais que cela était parfaitement vrai, et je cédai à son désir.

« Les premiers mois écoulés, il fallut attendre encore à cause de la mauvaise saison… Le printemps venu, il fallut attendre encore afin de jouir au moins de ces beaux jours une fois ensemble sur la terre… Hélas ! il faut l’avouer, à la honte du cœur, peut-être, j’étais encore dans le plus grand deuil de mon père, et ce furent pourtant des jours de délices et de fêtes. L’amour me faisait oublier cette teinte lugubre de mes vêtements qui peignait en même temps la tristesse de mon passé et celle de l’avenir consacré au cloître… L’amour avait des fleurs pour couvrir tous ces deuils !…

« Le moment de partir vint enfin. Me défiant de moi-même, j’avais écrit à la supérieure des dames de Sainte-Marie, à Nantes, que j’arriverais dans sa communauté vers la fin du mois de mai. J’avais fait choix de cette maison religieuse, parce que l’ordre dont elle dépendait, établi parmi les catholiques d’Allemagne, m’avait été connu dans mon enfance.

« Le comte de Rocheboise prit, pour nous emmener, un de ces voituriers qui voyagent à petites journées et couchent toutes les nuits. Il devait mettre sept jours pour faire les quatre-vingt-neuf lieues de Versailles à Nantes. Grâce à ce moyen de transport, nous allions voyager seuls et allonger la route. C’était une providence pour nous.

« Nous partîmes au printemps de 1815. Quoique la saison fut encore peu avancée, le temps était magnifique et la chaleur brûlante.

« Pour la première fois, le conte et moi nous nous trouvions positivement seuls, délivrés de toute surveillance, isolés du monde ; et c’était dans ce rapprochement délicieux et funeste qu’amène l’étroite cloison d’une voiture et le mouvement du voyage.

« Là, dans l’élan qui l’entraîne et le berce, le corps s’assoupit pour rendre l’imagination plus forte et plus ardente : un étourdissement plein de charme égare la raison et vous livre tout entier à la puissance du cœur… Un mouvement inattendu vous fait effleurer les cheveux ou la main de l’être aimé et semble prêt à vous entraîner sur son sein. Le passage rapide du rivage, la nouveauté de ce qui vous entoure, l’aspect inconnu de chaque horizon qui se découvre, vous font croire seuls au monde, délivrés de tout le reste des humains, et emportés vers un séjour bienheureux où vous ne vivrez que pour l’amour…

« Rien, dans la vie ne ressemble tant à un rêve que le voyage.

« Rocheboise et moi, si jeunes et si beaux tous deux, nous nous abandonnions sans résistance a cette fièvre voluptueuse, à ce trouble de l’âme plein de passion et de langueur…

« Mais, tandis que je jouissais délicieusement de ces jours qui nous étaient comptés, et n’y voyais à regretter que leur tenue rapide, il se mêlait parfois chez le comte à la douceur qu’il semblait goûter, une sorte d’impatience et d’inquiétude.

« Le désir de ne rencontrer personne de la connaissance de M. de Rocheboise nous faisait choisir pour nos gîtes du soir de modestes hôtels garnis, dès notre première couchée, je vis le comte examiner avec un soin singulier la situation de sa chambre et de la mienne dans la petite auberge où nous étions descendus.

Le soir, m’ayant accompagnée dans la pièce qui m’était destinée, il vit un verrou a la porte et me demanda si j’allais le fermer ; je lui répondis en riant, que ce serait grande folie de m’endormir sans cette précaution, dans l’espèce de coupe-gorge où nous étions venus nous jeter. À quoi il dit avec un froncement de sourcils que c’était là une terreur ridicule, et il se mit à observer la disposition de la fenêtre, sa hauteur et le lieu où elle donnait… Je remarquai à peine cette particularité dans le moment ; mais je m’aperçus de nouveau qu’il y avait parfois sur les traits de Rocheboise un mécontentement sec, qui ne semblait pas tenir à la tristesse de notre séparation prochaine.

« À toutes les couchées de notre route, il en fut à peu près de même ; et, comme il y a partout des verrous aux chambres d’auberge, les questions du comte à ce sujet se renouvelaient chaque soir. Je m’amusai bientôt de son étrange préoccupation à l’égard des verrous, et m’empressais de lui montrer la première ceux qui garnissaient ma porte.

« Mais le lendemain, avant le jour, nous reprenions notre route, et le voyage était toujours délicieux… Je puis bien dire que j’allais au tombeau par un chemin fleuri.

« Chaque matin, Rocheboise faisait notre provision d’oranges, qui avec le lait et le pain noir qu’on trouve dans les campagnes, composait à peu près toute notre nourriture. Le soleil était dévorant ; le comte coupait des branches d’aubépine aux buissons et en garnissait la portière pour que je pusse avoir de l’ombre sans être privé d’air… Quand la campagne était belle, et surtout dans les grandes prairies de la Sarthe, nous faisions des lieues à pied dans l’herbage qui longeait la route, mais si nous apercevions briller dans l’herbe le filet argenté qui découlait d’une fontaine, nous allions en courant boire à cette source ; et, la mollesse nous gagnant, nous demeurions longtemps assis au bord de l’eau, sous l’ombre épaisse des noyers… Cela au grand déplaisir du voiturier, qui stationnait sur le chemin, et jugeait que nous faisions injure à sa cage de sapin en préférant l’ombre des arbres à la sienne.

« Ainsi, sans sommeil, presque sans nourriture, faisant de longues routes à pied, sous un soleil ardent, nous passions avec délices ces journées qui eussent semblé mortelles à tout autre… Pour nous, c’était la vie à deux, et elle ne nous causait aucune fatigue : on aurait pu dire réellement que nous vivions d’amour et de l’air des champs.

« Une fois, dans l’un de nos instants de repos, j’aperçus une croix rustique dans le massif où nous étions assis. Cette vue me rappela subitement le but de mon voyage, et je m’éveillai en frissonnant de mon doux songe.

« Je me levai, et j’allai, les mains jointes, appuyer ma tête contre le tronc de l’arbre sacré, dans l’attitude que devait avoir autrefois Madeleine au pied de cet antique symbole.

« Rocheboise vit que je pleurais et accourut près de moi en me disant :

— « Elisa ?… chère Elisa ? je vous avais bien dit que ce parti extrême vous laisserait de cruels regrets… Heureusement, il est temps encore ! Nous n’avons qu’à faire retourner la voiture, et tout sera fini entre le cloître et vous.

— « Mon ami, lui répondis-je, vous vous trompez : ma résolution est aussi ferme que jamais. Mon bonheur près de vous devait être de courte durée… Tant de causes nous éloignent l’un de l’autre ! J’aime mieux la séparation amenée de moi-même, et qui, du moins, me laissera dans toute sa pureté et toute sa douceur le souvenir d’un amour si beau.

— « Mais trop tôt fini…

— « Eh bien, c’est encore le meilleur sort en ce monde que d’atteindre le but où nous tendons, ne fût-ce que pour un instant ! Nous portons tous en nous le sentiment de la fragilité inévitable du bonheur ; quel être humain ne s’est écrié une fois au fond de son âme : Ô mon Dieu, être heureux un seul jour et mourir ! Ce que nous demandons ainsi, je l’aurai obtenu : j’aurai eu ce beau jour de voyage avec vous, et à la fin, je trouverai la mort du cloître.

« Ce courage était sincère et profond. Cependant, je dois le dire, à mesure que j’approchais de ma retraite religieuse, j’en devenais moins digne. L’agitation, la fièvre de l’amour me consumait, les battements de mon cœur semblaient avoir remplacé en moi tous les mouvements de l’existence. Chaque jour aussi Rocheboise paraissait plus aimant, plus enivré chaque soir, il restait plus longtemps avec moi et me quittait avec plus de peine.

« En même temps, les atteintes d’impatience et d’humeur sombre que j’avais remarquées en lui se renouvelaient plus souvent à mesure que nous avancions. Tandis que j’étais tout entière à mon amour, tantôt souriant aux douceurs ineffables qu’il m’avait données, tantôt versant quelques larmes à la pensée du triste lendemain qui devait le suivre, il y avait dans Rocheboise une nuance d’amertume et de colère que ne produisent pas les peines du cœur, mais les déceptions éprouvées dans les affaires de fortune et de plaisir.

« Nous approchions du terme de la route. La journée d’Ancenis, l’avant-dernière du voyage, devait être longue. Je me levai de très-bonne heure ce jour-là, et pour la première fois, en m’occupant de ma toilette matinale, je trouvai sur mes traits la pâleur et l’altération que laissent la fatigue. Mon cœur se serra ; il me sembla que cette force miraculeuse donnée par la joie intérieure venait de s’éteindre en moi ; il me sembla que mon bonheur devait finir même avant le terme si court qui lui était assigné.

Comme Jeanne en était là de son récit, sa voix faiblit, et sa tête se pencha lentement sur sa poitrine.

— Ma mère ? ma mère ! vous souffrez, dit Herman en l’entourant de ses bras.

— Non, pas davantage ; mais le souvenir qui se présente en ce moment pèse sur mon âme, et mes lèvres le retraceront avec peine.

— Reposez-vous, reprit Herman ; dormez un instant sur mon sein ; votre sommeil sera doux.


— Le sommeil, mon enfant, n’appartient qu’à ceux qui ont de l’existence à perdre… mais moi…

La pendule sonna. Ce timbre fit tressaillir Herman, qui jeta un coup d’œil furtif et désolé sur le cadran, puis sur sa mère.

— Ô mon fils reprit la mourante, ne tremble pas ainsi à cette voix des heures… Elle vient dire seulement que la pauvre Jeanne a assez aimé, assez souffert et va trouver le repos éternel… Cette voix est douce pour mon âme comme l’arrêt de la miséricorde divine.

Jeanne laissa voir un pieux et tendre sourire ; elle passa la main sur son front ranimé et continua ainsi son histoire.

— Pendant les premières heures de notre route, Rocheboise, comme s’il eût voulu justifier mes tristes pressentiments, se montra plus morose et plus concentré que je ne l’avais encore vu. Si je n’avais pas eu une foi si profonde en son amour, en son dévouement, j’aurais cru qu’il regrettait le service entrepris en ma faveur, qu’il éprouvait une sorte de honte et de dépit de ce voyage, où il emmenait une jeune fille loin des atteintes de l’amour.

« Le chemin que nous suivions, dans un enfoncement, était des plus rudes, et encaissé par des terrains ardus et rocailleux sur lesquels on ne pouvait mettre les pieds. De profondes ornières, durcies par la sécheresse et croisées en tous sens, opposaient à la route des aspérités heurtantes comme le roc. La voiture allait si lentement, qu’à chaque pas on pouvait la croire définitivement arrêtée.

« Nous en fîmes l’observation au conducteur.

« — Ah ! dit-il, c’est qu’il y a l’essieu de devant qui promet de casser… En comptant sur un beau chemin, il aurait fait encore la journée ; mais avec des creux comme ceux-là, que voulez-vous qu’on y tienne ?… Je vas doucement pour qui la voiture quitte le plus tard possible et que vous ayez moins de chemin à faire à pied jusqu’à la ville.

« — Et quand l’essieu cassera, nous verserons ? demandais-je.

« — Peut-être que non, répondit le voiturier.

« Cette perspective de verser à la première minute, à moins d’un hasard, nous rendit quelques instants de gaieté. Le grincement aigu qui s’élevait de chaque lourde roue avait alors un langage pour nous ; il nous rappelait notre situation précaire. Courir un danger auprès de ce qu’on aime est si doux ! Ce danger, si simple qu’il soit, resserre le lieu entre vous ; il amène la pensée supérieure de mourir ensemble, devant laquelle on ne se plaint jamais d’aimer trop. Je sentis que la catastrophe qui nous menaçait en ce moment nous donnait l’un pour l’autre une adoration que nous n’avions jamais eue, et en même temps une joie d’enfant. À chaque cahot un peu violent, Rocheboise me serrait dans ses bras ; puis, la voiture retombée dans son aplomb, nous en avions pour longtemps à rire de notre terreur… Si j’entre dans de pareils détails, mes enfants, si je rappelle ce rire de jeunesse, c’est qu’il fut, hélas ! le dernier de ma vie.

« Un léger incident vint nous distraire de cette préoccupation.

« Un petit paysan, nu pieds, suivait la voiture en faisant la roue dans la poussière ; après lui avoir jeté quelques sous qu’il ramassait en continuant son manège, je remarquai la chaleur extrême amenée par cet exercice, où la tête prenait alternativement la place des jambes, et je lançai à l’enfant une de nos oranges. Cette fois il demeura immobile, stupéfait, couvant ce fruit doré des mains et du regard, avec une expression de bonheur qui ne peut se décrire.

« J’en fus frappée, et j’attirai l’attention de Rocheboise de ce côté.

« — Mon Dieu ! regardez donc ce petit garçon, m’écriai-je. Est-il possible d’être si heureux pour une orange !

« Le comte, l’œil fixe et sombre, le sourcil froncé, me dit d’un accent amer :

« — Et vous êtes charmée de donner un instant de joie !

« — Sans doute, répondis-je avec étonnement.

« — Et moi ! reprit-il d’un ton passionné, presque colère, tu ne veux donc rien faire pour moi ! tu ne songes pas à mon bonheur !

« L’expression de ses traits, ce langage dont il se servait pour la première fois, me firent songer tout à coup qu’un jeune homme doué de tous les avantages, tel qu’était Rocheboise, attendait un autre prix de son amour que l’amour même… Il me fallut alors comprendre l’impudence que j’avais commise en acceptant un tel compagnon de voyage et le danger de ma situation.

« Heureusement, dis-je en moi-même, le terme approche où cette intimité périlleuse sera rompue, rompue pour toujours !

« Et cette triste consolation redoubla ma douleur.

« — Le temps passe bien vite, dit Rocheboise, comme si sa pensée avait suivi le même cours que la mienne. Chaque tour de roue accomplit notre séparation. Il semble que cette marche devienne fatale en avançant plus rapide. Et dans deux jours, vous serez dans un asile où je ne vous reverrai jamais.

« — Ne me plaignez pas, répondis-je. Je vous ai déjà dit que cette retraite austère n’avait point d’effroi pour moi… l’obscurité, les privations, le néant de toutes choses ne me sont rien… Je n’aurais redouté que le vide du cœur ; et, grâce au souvenir de mon père bien-aimé, grâce aux moments passés près de vous, j’emporte dans le cloître de quoi nourrir de tendresse toute ma vie, quelque longue qu’il plaise à Dieu de la mesurer.

« Puis, exaltée par cette pensée, je continuai :

« Oh ! oui, je serai riche et fière dans cette condition de pauvreté, d’humilité profonde !… riche et fière de mon trésor caché… plus heureuse que toutes les autres recluses… Les reines mêmes, qui se retirent dans les monastères, perdent leur couronne, leur pouvoir, leur fortune ; mais moi, je conserverai mes richesses, ma grandeur, je garderai mon amour ardent au fond de mon sein.

« — Aussi, n’est-ce pas de vous dont je m’inquiète, répondit Rocheboise avec un étrange accent de froideur, c’est de moi…

« Mais s’interrompant subitement, il reprit d’une voix plus tendre :

« — Sans doute, Elisa, je sais qu’avec votre pureté de cœur, votre piété extrême, vous trouverez la satisfaction de tous les instants dans la paix de la conscience, l’accomplissement de vos saints devoirs ; je sais que votre courage est à la hauteur de votre sacrifice… Mais moi, que deviendrai-je après vous avoir perdue ? Dans l’existence où je vais rentrer, rien ne compensera le bonheur suprême que me donnait votre vue ; aucune consolation ne m’attend, et je ne retrouverai pas dans ma vie entière la douceur d’un seul moment passé à vos genoux…

« Je n’eus pas le temps de répondre. À cet instant, un rude cahot souleva la voiture, la fit craquer du haut en bas et la jeta brisée sur le bord de la route.

« Nous n’avions aucun mal, et nous sortîmes facilement des décombres de l’équipage. À quelques pas, le voiturier, lancé hors de son siège, nous attendait, couché sur le dos, dans la poussière du chemin.

« Rocheboise lui dit en riant :

« — Eh bien ! mon cher, l’essieu de devant tient fidèlement ce qu’il avait promis !

« — Que voulez-vous, monsieur ? une descente comme celle-ci l’a fait aller plus vile qu’il ne pouvait… Regardez donc ?

« Le chemin offrait en effet une pente très-rapide, après laquelle il se perdait dans une profondeur d’épaisse verdure.

« — Combien avons-nous encore d’ici à Ancenis ? demanda le comte.

« — Cinq lieues, monsieur.

« — Cinq lieues !… Et il est sept heures du soir… N’y a-t-il pas de ville plus près ?

« — Pas seulement un village.

« — Alors, que ferons-nous ?

« Voici là-bas, au bout de mon fouet, un charron qui raccommodera la voiture. Comme la descente est très-mauvaise, il est venu s’établir là pour avoir toujours de l’ouvrage.

« — Et la voiture sera bientôt prête ?

« — Bientôt… mais pas aujourd’hui cependant.

« — Où pourrons-nous donc passer la nuit ?

« — Si nous n’avons pas le nécessaire, nous aurons au moins l’agréable, dis-je au comte ; car, pendant son colloque avec le voiturier, j’avais inspecté les environs. Regardez donc, ajoutai-je, au bas de ce coteau, quelle plaine de feuillage ! quelles belles masses de verdure, coupées de zones blanches par les fleurs de l’acacia ! C’est vraiment du luxe en fait d’ombre et de fraîcheur.

« Rocheboise, en portant son regard du côté que j’indiquais, découvrit au milieu des rameaux une cheminée et la cime d’un toit. Ce fut une raison décisive de nous diriger vers cet endroit, puisqu’il offrait, outre les avantages que je signalais, l’espérance d’un gite pour la nuit.

« Le bâtiment enfoncé dans les arbres était une grange, où on voulut bien nous recevoir, et, sur notre bonne apparence, nous promettre le repas du soir et le coucher.

« Cette habitation de cultivateurs êtait bien la maison rustique dépouillée de toute la poésie qu’on lui prête. En entrant, on aspirait une odeur aigre et fade qui portait au cœur ; la malpropreté séjournait à l’intérieur ; il ne s’y trouvait pas l’empreinte de la pauvreté, mais celle de la lâcheté à se procurer le bien-être ; les meubles, les ustensiles de ménage y étaient étalés en grand nombre ; il semblait qu’il ne manquait rien que de l’eau pour laver toutes ces choses.

« Tout en préparant notre souper, les paysans nous accablent de paroles obséquieuses, dont le ton n’était pas moins grossier, tandis que les animaux domestiques, errant autour de nous, faisaient de notre gîte une véritable basse-cour, moins le grand air qui la purifie.

« Dans cette situation critique, nous prîmes notre repas avec un dégoût extrême, et en songeant surinai avec terreur aux lits dans lesquels il nous faudrait passer la nuit.

« Je vais vous rapporter ici, mes enfants, une circonstance qui semble la plus insignifiante de toutes, et ne laissa pas d’avoir une grande importance dans ma vie.

« Comme nous étions encore à table, une mendiante vint à la porte de la grange demander l’hospitalité.

« Cette femme avait, vingt-cinq ans à peine ; la fatigue la faisait fléchir sur le seuil ; son visage était encore effilé par la maigreur et l’épuisement ; des cheveux fins et mouillés de sueur encadraient sa pâleur d’une ligne noire. Malgré la chaleur, la mendiante portait un grand châle vert qui, en tombant de l’épaule, s’arrondissait autour de son bras gauche.

« Un petit enfant était couché là ; il reposait comme dans une barcelonnette formée par le bras de la pauvre femme et le châle en cerceau ; il y était toujours bercé, et toujours près du sein de sa mère.

« On permit à la mendiante d’aller coucher dans l’étable, et nous lui donnâmes le reste de notre souper, auquel nous n’avions guère touché.

« La grange était assez vaste, et on pouvait nous y donner deux lits, à la condition que M. de Rocheboise coucherait dans un grenier, et que je partagerais, moi, la chambre des filles de la maison, grosses et rubicondes paysannes qui menaçaient de me laisser bien peu de place.

« Je me souviens à cette heure de tous les détails de cette soirée, dont les jours suivants il m’eût été impossible de recueillir aucune trace, dans le trouble violent qui avait tout effacé.

« Avant de monter dans nos chambres, nous étions, le comte et moi, sur un petit plateau situé entre la grange et un enclos boisé faisant partie des épais ombrages qu’on découvrait de la hauteur. Là se trouvait la belle plantation d’acacias dont les fleurs roses et blanches nuançaient la verdure. On découvrait au-dessous des fuyants profonds où un gazon uni conduisait par des cintres prolongés dans des retraites pleines d’ombre et de silence.

« Nous parlions en même temps des lits durs et repoussants qu’on nous préparait dans cette étouffante tanière, et Rocheboise me dit :

« — Il vaudrait mieux cent fois coucher à la belle étoile, dans une nuit si douce, et sous les grands arbres que voilà.

« — Oh ! comme se serait bien ! m’écriai-je. Quel lit délicieux que cette herbe longue et fine, avec ses tiges tombantes, si blanches et si parfumées, pour nous servir de rideaux.

« — Et des rossignols encore qui chanteraient pour nous endormir !

« — On se sent frais et reposé rien que d’y penser !

« — Eh bien ? allons dormir là ! reprit vivement le comte… laissons cette affreuse maison.

« Et sans attendre ma réponse, il se retourna, et dit assez arrogamment au cultivateur assis au seuil de sa grange, qu’il était inutile de préparer nos lits, parce que nous aimions mieux coucher au dehors qu’entre ces quatre murs.

« — À votre aise, mon beau monsieur ! répondit le paysan.

« Et en même temps, blessé du dédain qu’on faisait de sa demeure, il en referma la porte sur nous, ce qui nous ôtait toute possibilité de revenir sur nos pas.

« Un moment après, j’étais assise dans le massif ombreux dont je vous ai parlé, et Rocheboise à mes pieds.

« Oh ! cette nuit fatale était bien belle ! L’air avait une pureté céleste, le feuillage paisible frémissait doucement, les rayons des étoiles scintillaient à travers comme une vague lumière de l’âme ; rien ne veillait dans la nature que ce qui était bon et bienfaisant.

« Jamais Rocheboise n’avait été si tendre, si passionné ; jamais son cœur ne lui avait inspiré des paroles si enivrantes : son regard, son souffle, ses accents, tout son être exhalait l’amour… tel qu’on peut le rêver dans la plus ardente aspiration vers ce bien suprême.

« J’aurais peut-être cédé à cette puissance entraînante quand même elle eût été seule à se faire sentir ; mais une circonstance étrange signala ce moment de ma vie.

« Le parfum des acacias, dans leur entière floraison, et dont la chaleur dilatait les abondants arômes, était si fort, si pénétrant, qu’il changeait l’air en un délicieux poison. Affaiblie comme je l’étais par cette dernière journée de voyage, par des fatigues et des émotions au-dessus de mes forces, ce tourbillon de vapeurs odorantes eut une influence extraordinaire sur moi. Peu à peu, dans cette atmosphère enivrante et mortelle, ma tête se troubla, mes membres s’apesantirent, l’air manqua à ma poitrine, et je tombai dans un sommeil léthargique

« Mon Dieu ! pourquoi ne suis-je pas morte au moment où ce calice m’était versé ? puisque ces parfums pénétrants peuvent enivrer de délices et tuer en même temps, comme l’amour qui m’avait conduite dans leur retraite !…

« Ce fut dans cette nuit mêlée de fièvre, de délire et d’anéantissement profond, que j’appartins à Rocheboise.

« Mon esprit, comme tout mon être, était tellement bouleversé dans cette atmosphère mortelle, que je n’eus dans le moment ni le regret, ni même le sentiment de ma faute et, quelque temps avant le jour, accablée, défaillante, je retombai dans mon étrange sommeil.

« En m’éveillant, je sentis sur mon front les rayons du soleil levé. Je repris alors la connaissance lucide de ma situation. Je voulus me replier sur moi-même, examiner l’état de mon âme… mais je n’y trouvai que l’amour. Quoi qu’il pût arriver désormais, quelle que fût ma destinée, j’appartenais à Rocheboise, je l’adorais, j’étais aimée de lui, c’était assez !

« Je feignis de prolonger mon sommeil pour me peindre à moi-même le moment où je le reverrais. Il y avait tant de malheur pour moi dans ce moment où j’allais retrouver Rocheboise, le contempler, rencontrer son regard, que je le retardais pour en jouir d’avance, pour en étreindre dans mon sein les délices suprêmes.

« J’avais entendu un mouvement dans le feuillage ; je savais que Rocheboise était éveillé et près de moi ; je me le figurais à mes genoux, comme je l’avais vu la veille, pénétré de la piété, de la grandeur de l’amour, exprimant cette impression sur sa figure si belle, si bien faite pour être le miroir d’un sentiment sublime.

« J’ouvris les yeux pour le voir ainsi.

« Le comte était à quelques pas de moi, adossé contre un arbre ; sa physionomie froide, insouciante, peignait seulement la satisfaction de lui-même. Il tenait et faisait tourner entre ses doigts un objet brillant que je reconnus pour une épingle de diamant. Il la plaça dans son gousset… après quoi il s’éloigna… et je refermai les yeux.

« Je ne vous dirai point ce qui se passa en moi dans ce rapide moment de lumière qui était venu me luire : vous le comprendrez.

« Rocheboise venait de dérober ce brillant dans l’écrin que j’emportais avec moi, comme je vous l’ai dit, pour qu’il payât ma dot au couvent, et que dans le trouble de la nuit j’avais laissé tomber sur l’herbe.

« Ainsi, cet homme que je croyais plongé comme moi dans le recueillement suprême de l’amour, au moment où nous venions d’être unis l’un à l’autre devant Dieu, où la destinée entière d’une femme était livrée à lui, perdue, brisée, si elle ne trouvait un asile dans son cœur, cet homme s’occupait d’un détail de parure, de la plus misérable satisfaction de vanité…

« En tout autre moment, le vol que venait de commettre Rocheboise l’aurait avili à mes yeux ; mais alors je le méprisais bien plus de ne savoir pas aimer. À cette pensée, un froid mortel, un désespoir infini pénétrèrent dans mon âme pour n’en plus sortir.

« Je repris dans le gazon l’écrin de diamants, souvenir sacré d’une mère ! seule fortune qu’elle eût laissée à sa fille pour lui ouvrir un asile, lui donner une existence ! et je retournai à pas lents vers la maison de paysans où nous étions venus la veille prendre un abri.

« En approchant, je vis Rocheboise qui s’était fait servir à déjeuner. Il vint à moi en souriant, me prit par la main et me fit asseoir à ses côtés. Cette assurance, cette gaîté, cette expression d’un bonheur paisible me brisait l’âme. Je me sentais mourir… La main de Rocheboise, en prenant la mienne, m’avait glacée… Je levai les yeux sur lui, et il me sembla ne pas le reconnaître… Je compris que je ne l’aimais plus.

« Oh ! pour les autres, il y a une providence en amour : la jeune fille, en trahissant ses devoirs, perd la confiance de ses parents, l’estime du monde, le ciel même, qu’on lui a dit ne devoir appartenir qu’aux âmes pures ; mais elle aime celui à qui elle s’est donnée plus que tout en ce monde, elle aime un de ses sourires plus que l’éternité près de Dieu… elle n’est pas à plaindre !… Moi, mon Dieu ! je ne pouvais plus avoir l’exaltation du sacrifice ni sa consolation suprême… c’était affreux à penser ; j’appartenais à Rocheboise, et il m’était devenu étranger…

« Le comte me dit d’un air plein de légèreté et de suffisance, que puisque sans doute je ne comptais plus désormais entrer dans le couvent (où, du reste, il n’avait jamais pensé sérieusement me conduire), il ne voyait rien autre chose à faire qu’à retourner sur nos pas, et reprendre la route de Versailles.

« Je n’avais pas la force de répondre. Mais en ce moment notre conducteur entra, disant que l’essieu rompu et la caisse de la voiture endommagée ne pouvaient être réparés ni dans cette journée, ni dans celle du lendemain. Au mécontentement que nous témoignâmes à cette nouvelle, les cultivateurs nous dirent que la diligence de Paris allait passer dans quelques instants, et qu’il ne tenait qu’à nous de la prendre s’il nous était agréable de partir plus promptement.

« M. de Hocheboise s’arrêta à ce parti.

« Il prit un des livres que nous avions emportés avec nous pour attendre plus patiemment. Je témoignai le désir d’aller sur la hauteur voisine pour voir venir de plus loin, à ce que je prétendis, la voiture publique, mais en réalité, pour me trouver seule et pleurer en liberté. Je balbutiai en prononçant ce peu de paroles, car si je n’aimais plus Rocheboise, je le craignais déjà ; et, frémissante de honte et de douleur, je m’enfonçai dans la campagne.

« Dès que je ne fus plus en vue de la grange, je m’arrêtai froide, immobile, la main appuyée sur mon cœur, comme pour interroger ses souffrances, les yeux fixes et hagards… je demeurai longtemps ainsi, ne regardant rien que la terre dans le sein de laquelle j’aurais voulu m’abîmer.

« Tandis que j’étais là, la jeune mendiante qui avait reçu l’hospitalité de la nuit dans la grange vint à passer près de moi en reprenant sa route.

« Elle s’approcha de moi pour me remercier du souper que je lui avais donné la veille ; et je ne sais comment, au milieu de l’égarement douloureux de mon esprit, je me mis à observer cette femme et sentis le désir de lui parler.

Sa figure était intéressante ; elle offrait des traces de beauté effacée avant l’âge, signe de souffrances qui ont tué la partie la plus fragile de notre être.

« — Vous êtes bien jeune, lui dis-je, pour être réduite à une telle condition.

« — C’est pour lui, répondit-elle, en montrant son enfant, pour ce petit amour-là.

« — Comment ?

« — Ah ! madame… vous qui êtes belle, riche, aimée de votre mari, vous ne connaîtrez jamais un pareil malheur… Mais cet enfant… est le fruit d’une faute.

« Je frissonnai à ces paroles si cruelles pour moi. La mendiante vit que mon regard l’interrogeait, et continua.

« — Quand mon enfant est venu au monde, mes parents ont dit qu’ils me pardonneraient, à condition que j’enverrais ce petit malheureux à l’hospice, et que j’épouserais un homme riche qui m’avait demandée en mariage sans se douter de ma position.

« — Et le père de votre enfant ?

« — Il était à l’armée… à l’armée qui enlève tant d’hommes à nos campagnes… Je n’avais personne pour me défendre…

« — Alors ?

« — Je feignis de vouloir bien obéir à mes parents ; je demandai pour toute grâce qu’on me laissât mon fils jusqu’au moment où j’aurais assez de force pour le porter moi-même dans le tour. Puis, quand je pus en effet me lever, je pris mon enfant dans mes bras, et je me sauvai avec lui. Je courus si vite, que je fus bientôt hors du pays, où on ne m’a jamais revue.

« — Pauvre femme !

« — Non ; c’est mon bonheur… j’aimais mieux mendier, souffrir avec mon enfant que d’être riche sans lui.

« — Et maintenant, où allez-vous ?

« — Nulle part… Ici là, demain ailleurs… je marche par tous les temps, je mendie sur les grandes routes, je couche dans les cabanes où on veut bien me recevoir.

« — Et vous ne vous plaignez pas ?

u — Je tremble chaque soir en approchant de la maison d’un paysan où je vais demander asile… c’est bien dur… mais moins que d’aller à la porte de cet affreux hospice où j’aurais perdu mon enfant… N’est-ce pas, cher petit, que tu ne veux pas aller dans le tour ?… Oh ! non, tu veux rester là… avec ta mère… ta bonne mère ! »

« Puis elle continua ainsi de parler à son enfant sans plus penser à moi.

« Cet amour de mère me pénétrait jusqu’au fond de l’âme. Émue, tremblante, entraînée par une sympathie ardente dont je ne me rendais pas compte, je pensai au seul bien qui m’appartint, je tirai de mon écrin une bague de quelque valeur, et je la tendis à la pauvre femme, en disant :

— « Voilà du pain pour votre enfant.

« Puis je m’éloignai rapidement en fondant en larmes.

« Peu d’instants après, la diligence passa et nous partîmes.

« Nous n’étions plus seuls le comte de Rocheboise et moi, et la voiture allait vite : choses qui me semblaient favorables en ce moment !… Quelle différence, mon Dieu, du départ au retour… c’était bien le cours de la vie !

« Depuis le matin, je l’ai dit, le comte avait avec moi l’air libre et dégagé comme un homme délivré de longues fatigues ; hautain comme un grand seigneur envers une maîtresse subalterne, content de sa personne comme celui qui s’admire dans son ouvrage. Il m’avait achetée par plusieurs mois de soins assidus, de sentiments affectés, de changements de figure, d’élans de passion simulés… quelquefois véritables pour être plus irrésistibles… j’étais bien à lui ; il n’avait plus rien à dépenser pour moi. Ce que je devais souffrir de honte, de remords, ma destinée perdue, il n’y songeait pas ; sa vanité et son égoïste désir satisfaits, il ne voyait rien de plus.

« Quelques instants après le départ, nous remontions cette pente rapide où la veille notre voiture s’était brisée ; la diligence allait très-lentement, ce qui me permettait de suivre de l’œil ma pauvre jeune mendiante que je venais de découvrir au bord de la route, où elle cheminait tête nue, garantissant son enfant contre le vent qui enlevait son châle et ses cheveux… Cette femme arrêtait malgré moi mes regards… Je fus soudain frappée d’une prévision qui me traversa le cœur : je songeai que je pouvais être mère aussi, et que tel serait mon sort… Il me semblait me voir là au bord de cette route, comme dans un de ces miroirs magiques où l’on découvre son image tel qu’on sera dans l’avenir. »

Jeanne se tut quelques instants. Assise sur son lit, le regard perdu dans l’espace, elle recueillait dans sa pensée les événements qui allaient suivre… Mais devant ce tableau d’infortune, ses traits prirent une empreinte d’ineffable mansuétude. Un sentiment de l’essence la plus pure venait dès ce moment planer sur toutes ses misères : elle n’avait plus que de douces peines à retracer.

La mourante continua ainsi son récit :

« En arrivant à Versailles, je ne voulus pas retourner dans la maison que j’avais habitée, où tout était encore empreint des souvenirs de mon père et de mes années de jeunesse, aux amours si vrais, aux espérances si trompeuses… Je louai assez loin de là une petite chambre solitaire, où je vécus de mon travail.

« Tout était déjà fini entre Rocheboise et moi. Il avait vu le désenchantement de mon cœur et le terme subit de ma passion pour lui avec une impatience amère. Il voulait bien avouer m’avoir séduite par une simple fantaisie de grand seigneur ; mais il pensait que mon idolâtrie invincible survivrait à cette révélation même. En même temps, il fut appelé à Paris, où le retour des princes légitimes amenait du changement, favorable dans sa situation de fortune, et je ne le revis plus.

« Depuis quelque temps, je menais l’existence la plus morne, la plus dépouillée, dans l’absence de toute affection, dans le calme sombre d’une destinée tristement accomplie, quand soudain, au milieu de cette sphère glacée, il pénètre en moi une source infinie de joies instinctives, d’espérances et de craintes, avec la certitude d’être bientôt mère.

« Oh ! rien ne pourrait, exprimer la révolution que cet événement, si imposant pour toutes les femmes, opéra sur mon âme dans le désert que le malheur avait formé autour de moi !… Ce qui dominait tout le reste était l’amour de cet enfant qui n’existait pas encore, mais que mon cœur connaissait déjà, et que j’allais chercher en deçà de la vie pour l’aimer d’avance.

« J’écrivis avec une peine extrême à M. de Rocheboise, sentant trop bien que la révélation qu’il m’était ordonné de lui faire irait se briser contre la plus profonde indifférence… Je ne reçus point de réponse et ne m’en étonnai pas. Sans fortune, sans nom en France, je n’avais jamais eu la pensée d’épouser le comte de Rocheboise, et quand cela eût été possible, avec la connaissance que j’avais dès lors de son caractère… Dieu me pardonne… mais je ne l’aurais pas voulu.

« Mon enfant vint au monde, et je le reçus avec délice dans mes bras.

« Ma situation était alors bien changée. La nature bienfaisante, veillant sans doute à ce que la nourriture épanchée de mon sein pour le nouveau-né demeurât pure, me donnait une sérénité d’âme extraordinaire. Je trouvai une force d’insouciance singulière pour tout ce qui pouvait me faire souffrir ; l’orgueil d’avoir donné le jour à une si belle créature effaçait pour moi la honte de mon état ; des jouissances continuelles me donnaient un épanouissement de vie inexprimable.

« Une année entière se passa ainsi. Au milieu de ma pauvreté, je donnais à mon enfant tout le luxe de son âge ; je remplissais ma chambre de fleurs et de soleil pour faire croître cette petite plante adorée, et je la voyais se développer sous mes yeux. Je vivais seule avec mon bonheur dans cette atmosphère délicieuse. On eût dit que mon existence recommençait avec celle de mon enfant ; j’avais comme lui le repos profond de l’esprit qui ne connaît rien encore, l’imprévoyance complète de tout avenir ; j’avais avec lui de ces joies et de ces rires sans cause que le cher ange semblait apporter du ciel.

« Un soir que j’étais dans un de ces moments de bonheur suprême, car mon enfant venait de me parler pour la première fois, ou du moins je l’avais supposé, on me remit une lettre de M. de Rocheboise.

« Mon cœur se serra à la seule vue de ce papier ; il me sembla qu’il était froid au toucher comme les reptiles qui renferment un venin de mort… Je demandai pardon à l’homme que j’avais aimé de cette terreur étrange, et j’ouvris la lettre en tremblant.

« Rocheboise me disait que sa position dans le monde, encore mal assurée, ne lui permettait pas de contracter un mariage avec moi, mais qu’il voulait reconnaître et élever son enfant.

« Ses sentiments étaient bien faciles à deviner : ce n’était pas un fils qu’il voulait, mais un héritier de son nom, maintenant que la Restauration rendait une grande valeur à la perpétuation des titres nobiliaires et en faisait une source de fortune.

« D’abord cette résolution de sa part ne me causa point d’effroi je me mis à l’instant à écrire ma réponse. Je disais que mon fils appartenait à moi seule, que j’userais de mon droit pour le conserver, et l’élèverais d’une manière digne du nom de mon père qu’il devait porter…

« Là je m’arrêtai subitement. Je l’élèverai, répétai-je en pressant mon front de mes mains, mais avec quoi, mon Dieu !… Je cherchai en frémissant… avec mon travail ? dis-je, vingt ou trente sous par jour, quelle fortune pour donner de l’instruction et un état à un jeune homme !… encore ma vue faiblit, cette ressource peut me manquer… mais quand même j’userais jusqu’au dernier rayon la lumière de mes yeux pour gagner la vie de mon fils, d’où recevra-t-il la nourriture de l’intelligence ?… Je ne peux pas l’instruire, moi, je ne sais rien… Je ne peux pas l’introduire, le poser dans le monde, moi inconnue dans ma solitude, et si j’en sortais, réprouvée par ma situation.

« Toute la triste prévoyance que j’avais quelque temps rejetée loin de moi vint alors m’accabler… Dans la nuit, je fis un rêve affreux ; je me vis morte et mon fils demandant l’aumône auprès de mon cercueil… À peine éveillée de ce songe, il me sembla entendre une voix qui me disait d’assurer l’avenir de mon enfant, à tout prix, sans songer à moi-même… À cet ordre cruel, je sortis éperdue de mon lit, je marchai à grands pas dans une espèce de délire, et une lutte violente s’établit en moi.

« Dans certains instants, j’aimais mon enfant avec une passion instinctive, avide, palpitante comme celle de la louve pour le petit qu’elle allaite ; je ne songeais qu’à le garder contre les ravisseurs ; dans d’autres, je l’aimais, avec une abnégation sainte, où je ne voyais que lui où je ne vivais qu’en lui, et j’étais prête à le porter moi-même dans mes bras jusqu’à l’homme qui pouvait le rendre riche, heureux !

« Enfin le jour parut et la lumière pénétra dans mon âme avec lui. Le sentiment le plus élevé l’emporta. Dans une situation où il fallait sacrifier mon enfant ou moi, je me trouvai digne du titre de mère ; je sauvai mon fils et assumai sur moi toutes les douleurs.

« Je le devais au nom de l’amour, au nom de la raison : mon fils avait toute l’existence à parcourir, et moi, le malheur avait rapidement usé ma vie ; qu’importaient des souffrances de plus pour ce peu de jours qu’il me restait à languir sur la terre.

J’écrivis à M. de Rocheboise, non plus avec enthousiasme et courage, comme dans ma première lettre inachevée, mais la mort dans l’âme… Parfois, en traçant ces lignes, un doute, un espoir enivrant faisait trembler ma main : je me disais que près de moi mon fils aurait du moins mon amour, et que l’amour immense, infini, est une richesse aussi, qu’il en découle bien des lumières pour une jeune âme !… Hélas !… il fallait penser en même temps combien cette tendresse est impuissante à donner tout ce que l’existence, large et ambitieuse d’un jeune homme demande… Et je conduisis jusqu’au bout ma triste tâche ; J’écrivis que mon enfant serait remis entre les mains de son père.

« Ce fut ainsi, mon fils, que tu devins Herman de Rocheboise. »

— Oh ! ma mère ! ma mère ! au prix de tant de larmes et de souffrances pour vous ! dit Herman en baisant les mains de la pauvre Jeanne. Mais, votre sacrifice sublime n’a pas été perdu ; l’amour que vous aviez fait reposer sur moi y laissait sa trace ; j’ai toujours senti que ma mère devait être un ange de tendresse et de dévouement ; je l’ai toujours adorée et bénie sans la connaître.

— Je demandai pour toute grâce, reprit Jeanne, qu’on te laissât le nom d’Herman, que je t’avais donné, et qui était celui de mon père. Jusque-là ; mon fils, tu avais été dans ce monde comme un pauvre oiseau des champs, sans déclaration authentique, sans baptême ; je n’avais songé à rien, qu’à t’aimer… M. de Rocheboise remplit ces formalités, il te reconnut, t’adopta, te donna auprès de lui le rang d’un enfant légitime…

« Je ne parlerai pas de ma douleur après cette séparation. La veille encore, j’avais vingt-trois ans, j’étais belle… quelques jours après, je ne me reconnaissais plus ; mon visage avait pâli dans une solitude mortelle ; mes yeux étaient devenus ternes et hagards à regarder sans cesse avec désespoir les lambris de cette chambre vide…

« Je n’ai plus à te raconter que ma triste vieillesse.

« Dès que je pus reporter mon attention sur moi-même, je songeai à reprendre la route du monastère vers lequel ma première inspiration m’avait dirigée… Je partis… et, cette fois, l’amour ne me retint plus en chemin.

« J’entrai au couvent des dames de Sainte-Marie, à Nantes, vers la fin de l’hiver de 1816.

« L’abord de cette maison n’a rien de tristement imposant. En passant la grille, on entre dans une cour plantée d’arbres et de fleurs, qui présente à droite la chapelle, à gauche la loge du concierge, au fond le bâtiment de la communauté ; au delà est un jardin réservé aux religieuses. Cet enclos touche à celui des Jésuites, d’où s’élèvent de magnifiques ombrages, et le faîte transparent d’une chapelle couverte en vitraux coloriés.

« Le costume de l’ordre a conservé son caractère primitif : c’est une robe de laine blanche, à longue queue traînante, un voile blanc, et le cœur de Marie, suspendu sur la poitrine par un ruban de laine rouge. On désigne les religieuses de cette communauté, à Nantes, sous le nom de Dames blanches.

« La supérieure, qui avait reçu de moi la confession entière de ma vie, m’accueillit avec une généreuse bonté, et je pris le voile dans ce monastère pour y passer plus de vingt années.

« Je ne vous dirai rien de ce temps : dans le cloître, vingt ans passent comme un jour ; le mouvement de la vie y est dompté par la règle uniforme ; les événements extérieurs n’en franchissent jamais les grilles.

« En apparence, mon existence était la même que celle de mes sœurs ; mais, au fond de l’âme, possédée d’un amour profond, le seul que j’eusse réellement connu, je ne vivais que du souvenir de mon fils.

« J’avais intimement lié sa pensée à la religion, dont les exercices remplissaient notre journée. Je revenais sans cesse au culte de la Vierge Marie. Agenouillée devant son image, je partageais sa tendresse heureuse lorsqu’elle se penche sur le berceau de son fils ; je pleurais avec elle quand elle se prosterne éperdue au pied de la croix. Dans nos prières, je redisais maintes fois les versets où la Vierge mère exalte son amour pour le Christ. Quand arrivaient les grandes fêtes de l’année, seul événement dans le cloître qui marque le cours du temps, je me disais : Mon fils a une saison de plus ; je me figurais ce que cet intervalle de temps avait développé en lui de force et de beauté, et il y avait dans cette rêverie de quoi remplir tout mon jour de fête.

« Si j’avais pu vivre ailleurs que dans ce sentiment et ramener mon intérêt sur moi-même, je me serais trouvée peut-être bien malheureuse dans ma sainte prison.

« Je m’étais cru la vocation religieuse, parce que j’avais une piété sincère et profonde ; mais il y a loin de là faire de la religion une profession matérielle, où les prières, les élans de l’âme vers Dieu sont des tâches à remplir pour chaque heure de la journée.

« Ne pouvant me plier à ces lois monacales, j’étais sans cesse en contradiction avec la règle, avec mes sœurs, avec la cloche qui m’appelait à l’église, avec les murs du cloître, où je voyais inscrites des maximes antiques faites pour un autre âge.

« Il se passait peu de jours sans que je subisse les punitions d’usage. J’étais mise à genoux, les bras en croix, je prenais la robe noire, signe de pénitence, je portais la corde au cou, qui, dans la pénalité catholique, est affectée aux plus grands pécheurs.

« L’amour idolâtre que je conservais pour mon enfant était aussi une grande cause de blâme : on me prêchait sans cesse le désintéressement, on m’imposait des silences intérieurs, c’est-à-dire des intervalles de temps où, faisant taire toute pensée, on reste en extase devant Dieu ; ensuite, lorsque j’allais au cabinet de direction rendre compte à la supérieure de la manière dont j’avais accompli ce devoir, il fallait avouer qu’en regardant le ciel, je suivais de l’œil les nuages vers le lieu où était mon fils ; que, dans chaque objet de piété familier à mes mains, je retrouvais la pensée de mon fils que j’y avais laissée la veille… Et alors, je devais reprendre la corde au cou en signe d’esclavage à mes passions.

« Vingt-quatre années, mes enfants, se passèrent ainsi.

« Ce terme venait de s’écouler, lorsqu’un jour je me trouvais avec quelques religieuses dans la cour d’entrée de notre maison. Nous étions réunies devant la balle d’un colporteur qui nous vendait des chapelets, des crucifix, des boîtes à reliques. La clôture observée ne nous défendait pas cependant de communiquer avec les étrangers quand cela était nécessaire pour le service de la communauté.

« Tandis que nous faisions choix de ces objets de piété, l’angelus vint à sonner. Nous nous mîmes à genoux pour réciter la salutation angélique… Mais moi, au lieu de baisser la tête dans mes deux mains jointes comme mes sœurs, je continuai à regarder avec émotion le colporteur… C’est qu’il devait avoir vingt-cinq ans à peu près, et vingt-cinq ans était l’âge de mon fils !… Ce jeune homme, d’une figure ouverte, gracieuse, était du reste fort laid… Moi, Je m’étais toujours figuré mon Herman beau comme un Dieu… Mais l’âge empreint sur ce visage captivait mon attention : je voyais quelque chose d’Herman.

« Nos emplètes achevées, il fallut rentrer dans le couvent. À peine sur le seuil, je prétendis que le chapelet que je venais d’acheter était cassé, et je demandai la permission d’aller le changer. Je pus donc retourner auprès du colporteur tandis qu’il pliait sa balle, et contempler encore une minute ce jeune homme de vingt-cinq ans.

« Je priai le marchand ambulant de me donner un autre rosaire.

« — Oh ! tout ce que vous voudrez, ma caisse… tout est à votre service… car tout à l’heure… c’est étrange !

« — Quoi donc ?

« — La manière dont vous me regardiez me remuait le cœur.

« — Est-il vrai ?

« — Ça me rappelait ma mère… Oh ! mais, plus que je ne puis le dire… Je n’ai jamais vu qu’elle et vous me regarder ainsi… Et je l’aime tant, la pauvre femme !

« — Heureuse mère !

« — Allons, reprit-il, voilà que vous pleurez maintenant tout comme elle… quand elle m’embrasse au retour d’un petit voyage.

« — Et alors, vous restez près d’elle !… elle vous voit tout le jour !

« — Le plus que je peux… mais c’est moi maintenant qui porte la balle dans nos environs. Elle a eu assez de mal, la bonne mère… Figurez-vous ma sœur, que pour me garder près d’elle quand j’étais enfant, et que ses parents voulaient là contraindre à m’abandonner, elle s’était réduite à demander l’aumône.

« Je regardai ce jeune homme avec un Vif saisissement qu’éveillaient ses paroles.

« — Mon Dieu oui, continua-t-il, toute jeune et faible qu’elle était, elle errait dans les campagnes, demandant un morceau de pain pour elle et pour son enfant… quand un jour une jeune et belle dame…

« — Qu’elle rencontra dans la campagne… À cinq lieues d’Ancenis ?

« — Oui… lui donna une bague…

« — En lui disant : « Voilà du pain pour votre enfant. »

« — Mais, seigneur Dieu, comment savez-vous ?…

« — Continuez.

« — Oh ! ma sœur, cette bague était un bijou enchanté ! Toute petite qu’elle paraissait, le joaillier auquel ma mère s’adressa lui en donna au premier mot quinze cents francs… Depuis lors, la misère a disparu de chez nous.

« — Quel bonheur ! m’écriai-je dans un doux mouvement du cœur.

« Le jeune homme me regardait stupéfait ; mais je ne lui laissai pas le temps de s’étonner ; je le pressai de questions.

« — Ma mère, répondit-il, demeura à Ancenis pendant les années de ma première enfance. Lorsque je pus marcher, elle acheta, avec cinq cents francs qui lui restaient, des marchandises pour commencer son commerce. Elle me prit d’un côté, sa balle de l’autre, et se remit à parcourir les campagnes ; car il y avait pour elle quelque chose de triste et de doux dans les souvenirs de sa vie errante qui l’y ramenait… Et puis, elle était fière de reparaître en riche marchande, payant bien sa couchée, dans les chaumières où elle avait souvent imploré l’hospitalité… Moi je me hâtai de devenir grand et fort pour porter la balle à mon tour ; et ce fut moi qui soutins ma mère dans ces mêmes sentiers où elle me portait autrefois dans ses bras.

« — Bonne mère !… elle était bien récompensée de ses peines.

« — Notre commerce a eu bonne chance ; nous sommes riches à présent… mais dans tous les temps, nous n’avons jamais manqué d’aller une fois chaque année dire un acte d’adoration sur la hauteur d’Ancenis, à la place où cette belle dame est apparue à ma mère.

« — C’était moi ! dis-je avec une effusion de joie que je ne pus réprimer.

« — Vous ! ma sœur !… vous !… s’écria-t-il avec extase. Ah ! je ne m’étonne plus du miracle produit par la petite bague…Elle venait d’une sainte !

« Je baissai la tête sous mon voile.

« Le jeune homme s’était prosterné devant moi et baisait le bas de ma robe.

« Frappée de ce mouvement de reconnaissance bien profonde et bien vraie, je conçus une subite espérance, et je dis au marchand forain, avec une palpitation de cœur violente :

« — Bon jeune homme, vous feriez bien quelque chose pour moi ?

« — Tout, madame… tout ce que vous voudrez… et encore davantage !

« — Eh bien, écoutez-moi… Il faut que je me presse, car on pourrait remarquer que je reste bien longtemps avec vous… Dans vos courses continuelles, il vous est bien égal d’aller d’un côté ou de l’autre… allez jusqu’à Paris… Voulez-vous ?

« — J’irais au bout du monde pour vous.

« — Une fois arrivé là, cherchez la demeure du comte de Rocheboise : un homme riche, titré. Ce n’est pas difficile à trouver.

« — Je m’en charge.

« — Alors, pénétrez chez lui sous un prétexte quelconque ; tâchez de voir son fils, le jeune Herman de Rocheboise. Il a justement votre âge. Vous le regarderez, vous l’écouterez parler, vous graverez bien dans votre mémoire ses traits, ses paroles, ses moindres mouvements, quels qu’ils soient. Et puis vous me rapporterez tout cela.

« — Je le ferai, Dieu m’en est témoin.

« — Je vous donne pour ce voyage deux mois.

« — Avant cela, je serai de retour.

« — Ici.

« — Ici… près de vous, sainte du ciel !

« — Adieu.

« Je lui jetai dans cet adieu toute mon âme, et je rentrai précipitamment.

« Depuis ce jour, mon sort fut bien changé… J’allais connaître mon fils… de loin… mais dans l’ignorance où j’avais vécu de tout ce qui le touchait, dans cette séparation mortelle, le peu que je pourrais apprendre de mon Herman aurait bien du prix. Je renfermai en moi toutes mes espérances ; car l’esprit du cloître, qui condamne tout amour mondain, m’aurait interdit le bonheur d’entendre, parler de mon fils.

« Le brave colporteur fut fidèle à sa promesse ; six semaines après il était de retour.

« Cette fois, la Providence me servit à souhait. J’avais souvent parlé depuis quelques jours des fermoirs de nos livres d’heures qu’il serait utile de renouveler, et quand la tourière vint annoncer le colporteur, on me chargea d’aller terminer avec lui cette affaire.

« Le jeune marchand me raconta son voyage.

« À son arrivée à Paris, il avait appris que le comte de Rocheboise venait de quitter son hôtel pour une maison de campagne située près de Meudon, où il passait une partie de l’automne ; mon messager s’était aussitôt rendu à ce domicile, et sa balle sur l’épaule, avait bravement pénétré au salon, où se trouvaient MM. de Rocheboise père et fils. Là, étalant ses marchandises, et présentant au comte, bon gré mal gré, quelques objets de toilette, il avait tenu pendant ce temps ses regards attentivement fixés sur M. Herman.

« Je ne respirais pas, mes yeux interrogeaient avidement le jeune homme.

« — Monsieur Herman, me dit-il, est un peu plus grand que moi, bien pris de taille et d’une figure admirable… Il est… tenez, ma sœur, ajouta-t-il en riant, il est aussi beau que je suis laid… car il n’y a que ma mère au monde qui me trouve beau, la pauvre femme…

« — Mais lui ! lui ! m’écriai-je.

« — Il a une physionomie très-douce… mais en même temps quelque chose de noble et fier… le regard qu’on supposerait à un bon prince. Je le priai de m’acheter quelque chose pour le faire parler ; mais sans jeter les yeux sur mes pauvres marchandises, il me demanda si la journée était bonne pour la chasse. « Ma foi, monsieur, lui dis-je, j’ignore quel temps il fait pour les lièvres, mais pour les hommes il fait furieusement chaud. » Alors il a ordonné, en souriant, au valet, qui se tenait à la porte, de me donner une bonne bouteille de vin a mon départ, et bientôt après je me suis retiré. »

« J’écoutais, je contemplais le jeune marchand avec extase… je croyais recueillir sur ses traits le regard que Herman y avait laissé tomber ! il semblait qu’il m’apportât quelque chose de mon fils…

« Je lui fis encore mille questions.

« Il répondit de manière à satisfaire mon ambition de mère, quelque exigeante qu’elle fût. Il me fit aussi une description exacte de la maison qu’habitaient MM. de Rocheboise et du pays où elle était située… Comme il l’avait promis en partant, le jeune homme, inspiré par son bon cœur, avait été au delà de mes vœux et fait plus pour moi que je ne demandais.

« Je rentrai au couvent heureuse et agité. Le récit du colporteur avait allumé en moi, si je puis le dire, une nouvelle passion pour mon fils. Maintenant que je le savais si accompli, je brûlai du désir de le voir… Quand, au fond du cloître, une idée fixe vient s’emparer de votre esprit, le temps est si long pour y songer, le recueillement et le silence la laissent si bien se développer en liberté, qu’elle devient bientôt une puissance à laquelle il faut fatalement céder.

« Huit jours s’étaient à peine écoulés depuis la visite du marchand ambulant, que j’étais décidée à fuir du couvent de Sainte-Marie pour aller dans les lieux où je pourrais sans me faire connaître à lui, apercevoir mon fils.

« Bien que la clôture éternelle soit abolie, les religieuses n’en ont guère plus de liberté de quitter leur retraite : l’usage antique, la conscience monacale les retiennent à défaut de la loi. Si j’avais déclaré ma volonté de retourner dans le monde, il aurait fallu subir mille difficultés, mille retards… et je voulais partir… La vieillesse avançait ; s’il m’était donné de revoir mon fils, je n’avais pas trop de temps pour en jouir… Et puis, j’étais si lasse d’obéir ! ma volonté, abattue depuis vingt-quatre ans, avait tant besoin de se relever et de faire usage de la vie !… Je résolus de quitter la maison religieuse de mon propre arbitre.

« Une nuit, celle qui précédait le premier dimanche du mois où a lieu la procession générale, je me levai sans bruit, j’allai dans le vestiaire prendre la robe noire… Je l’avais assez souvent portée cette robe de pénitence, je pouvais bien, la connaître… j’y joignis une simple coiffe, un mouchoir de couleur, et, me glissant dans la chapelle, Je cachai ces vêtements derrière l’autel, de la Vierge, puis je revins dans ma cellule.

« Le lendemain, au lever du soleil, les cérémonies religieuses commencèrent.

« Après l’office, au moment où la procession se mettait en marche pour parcourir les alentours du monastère, je dis à la supérieure, tout bas en tremblant comme une feuille, que je me sentais très-souffrante, et lui demandai la permission de demeurer dans la chapelle pendant la cérémonie au dehors. Ma pâleur, l’altération de mes traits prêtaient un air de vérité à mes paroles, et l’abbesse me répondit par un signe de consentement.

« Je suivis du regard la procession qui s’éloignait avec la lenteur du pas religieux et du chant sacré pour aller parcourir les longues arcades du cloître et les berceaux d’ombrages étendus au delà… Je regardai d’un œil humide la file de mes sœurs tant que je distinguai leur bannière et leur voile blanc dans la verdure… Il y avait entre elles et moi un lien tissu par l’habitude et le temps ; et quelque froide que soit cette chaîne, elle s’attache pourtant au cœur !…

« Puis une exaltation extrême me saisit ; je me jetai à genoux devant l’image de la Vierge et je lui adressai cette prière :

« Vierge Marie, bénissez mon entreprise !… Vous qui êtes mère, venez en aide à l’amour maternel, sentiment sublime, qui, seul, parmi les amours humains, a pris place dans le ciel ! Tendresse infinie qui ne se lasse jamais, qui dure dans nos cœurs toute la vie, et dans le vôtre toute l’éternité ! C’est pour revoir mon fils que je veux partir… Ô Vierge sainte, je vous implore ! ayez pitié de moi ! C’est un jour de fête pour vous ; votre bannière flotte au milieu des fleurs, et un ciel radieux la couronne ; toutes les âmes chantent vos louanges, faites que ce jour soit aussi favorable pour moi ; faites que je puisse franchir la grille du cloître : la liberté est le premier pas pour revoir mon fils.

« Je me levai, j’essuyai rapidement les larmes de mon visage ; je pris la robe noire cachée derrière l’hôtel, la coiffe, le mouchoir d’indienne qui me donnaient l’aspect d’une femme du peuple ; je mis à la place de ces vêtements la robe et le voile blanc que je quittais ; puis, bien assurée que tout le monde était à la procession, j’entrai dans la loge du concierge, pris la clef, ouvris la grille et m’élançai au dehors.

« Dans la rue, je ralentis mon pas pour ne point attirer les soupçons ; mais je courais peu de dangers d’être remarquée ; personne ne me connaissait à Nantes ; et, en voyant sortir une pauvre femme vêtue d’une bure noire et grossière de la maison des élégantes Dames Blanches, on ne pouvait me prendre que pour l’une des indigentes qui allaient souvent dans ce monastère recevoir la charité.

« je traversai ainsi la ville. Arrivée à l’une de ses portes, je rencontrai une patache prête à partir pour Paris. Le conducteur consentit à me donner place pour un prix très-modique : — je me retrouvai encore une fois sur cette route que le sort semblait m’avoir destinée à sillonner… et dans des situations si différentes !

« Il est inutile de dire que je ne me dirigeai point à Paris, mais au village de Meudon, où je savais Herman de Rocheboise établi pour le reste de l’automne. En passant, cependant, je voulus m’arrêter un jour à Versailles, séjour de mes rapides années de bonheur, et où je ne pouvais, hélas ! être reconnue par personne, ni rien reconnaître.

« Je parcourus le parc, rempli pour moi de doux et cruels souvenirs… c’était une soirée brumeuse, où le parc demeurait désert. Je marchai là à pas lents… ces statues, ces fleurs, ces arbres, ces monuments se montraient vaguement dans le brouillard, comme mes beaux jours dans le passé…

« Ce lieu me rappelait cependant encore le comte de Rocheboise, tel que je l’avais vu là, paré de ses vingt-cinq ans, de sa beauté, de sa grâce chevaleresque. En rêvant ainsi, je me laissai tomber sur un banc.

« Un homme venait de la profondeur de l’allée, la tête basse, tenant un crayon posé sur des tablettes où s’absorbait son attention. C’était presque un vieillard, à la chevelure grise et usée, au front sillonné de rides, de rides qui, en se pressant entre les sourcils, imprimaient à cette place comme un cacheté de dureté ; le regard était éteint dans ses yeux ; les autres charmes de la jeunesse avaient suivi, et la froideur, la sécheresse de l’âme se montraient hardiment sur la face de la vieillesse.

« Comme cet homme passait devant moi, un promeneur qui croisait sa marche le salua en l’appelant du nom de comte de Rocheboise.

« Celui qu’on nommait ainsi répondit au salut en inclinant silencieusement la tête, sans lever les yeux de ses tablettes, où je vis alors qu’il traçait des chiffres.

« Je le regardai avec stupeur tant que mes yeux purent le suivre.

« Voilà donc ce qu’était devenu le brillant comte de Rocheboise. Ô mes enfants ! il faudrait peut-être seulement, pour sauver une femme d’une passion funeste, que son imagination lui peignît fidèlement l’homme qu’elle aime tel qu’il sera vingt ans après…

« Je repartis le soir même de Versailles…

« J’allai à pied de Versailles à Meudon, car le peu d’argent que j’avais pu emporter du couvent était épuisé ; il me restait à peine de quoi vivre en chemin. Je descendis la côte et me dirigeai vers le petit hameau situé au bord de la Seine.

« En approchant de cet endroit, je ne songeai ni à respirer l’air libre des champs dont, j’étais depuis si longtemps privée, ni à la douceur de me retrouver après vingt-quatre ans maîtresse de diriger mes pas à mon gré ; je ne remarquai sur ma route ni la colline verdoyante, coupée de terrasses de marbre que débordaient les fleurs des jardins, ni de l’autre côté, au bord de la rivière, un humble convoi mortuaire qui passait sous les saules du rivage… Je ne cherchai que la demeure du comte de Rocheboise.

« Il me fut facile de la reconnaître d’après les indications que le colporteur m’avait données. Arrivée là, je m’assis sur l’herbe en face de cette maison ; j’étais au terme de mon pèlerinage.

« La rencontre que j’avais faite de M. de Rocheboise à Versailles me donnait à craindre que son fils, ainsi que lui, n’eût quitté le Bas-Meudon ; mais les fenêtres ouvertes et le mouvement qui avait lieu dans l’habitation me rassurèrent sur la présence du jeune maître.

« J’attendis. Il était impossible que je ne visse pas paraître Herman à l’une de ces croisées, que je ne le visse pas sortir dans le cours de la journée… Il aimait la chasse, c’était tout ce que je savais de lui… C’était beaucoup en ce moment, car mon espérance de le voir bientôt en était augmentée… Ces portes allaient s’ouvrir, des meutes, des domestiques rempliraient l’avenue… puis Herman paraîtrait, en élégant chasseur, son fusil sur l’épaule.

« Mon cœur battait avec tant de force que je me sentais près de succomber sous cette émotion délicieuse et accablante.

« Cependant je ne sais par quelle fatalité les fenêtres restèrent désertes, personne ne sortit ; tout le reste de la journée se passa sans réaliser une de mes espérances.

« Comme je l’ai dit, je n’avais ni argent ni aucune ressource pour subsister ; je pensais attendre à la place où je me trouvais jusqu’au moment où j’aurais pu apercevoir mon fils… puis ensuite m’étendre sous un arbre, et mourir, en remerciant Dieu d’avoir connu un instant l’existence avant de la quitter !

« Mais la nuit vint et mon courage commença à faiblir. Je pensai en frissonnant que si la journée du lendemain n’était pas plus heureuse, je pourrais expirer avant d’avoir goûté ce moment de bonheur suprême pour lequel j’avais donné m’a vie entière.

« Épuisée de fatigue, de besoin, je pressai sur mes lèvres quelques plantes imprégnées de rosée, et, ayant vu à quelques pas un buisson dont les broussailles tombantes pourraient me cacher aux regards si quelqu’un venait à passer dans la nuit, je me retirai dans cet abri, où succombant de lassitude, je m’endormis d’un sommeil bienfaisant.

« Quand le jour vint m’éveiller, je me hâtai de quitter mon gîte, et, brisée, étourdie encore, je m’assis dans les hautes herbes.

« Je regardai alors le lieu qui m’entourait et auquel je n’avais donné nulle attention la veille. J’étais sur une pelouse au milieu d’un paysage rustique et charmant. Une minute après, je me vis entourée d’une foule de belles chèvres, qui broutaient à mes côtés, et dont l’une frottait sa tête contre mes genoux en guise de caresse.

« Je lui donnai une poignée d’herbes que les autres voulurent partager, et bientôt après elles étaient toutes familièrement groupées autour de moi. Je vis venir de loin une paysanne portant un panier à son bras.

Cette femme me regarda attentivement, fit quelques pas, me regarda encore, puis après avoir un peu hésité, à ce qu’il paraissait, se décida à m’adresser la parole.

« — Eh bien ! la bonne femme, ; dit-elle, est-ce que vous voulez vous offrir pour garder mes chèvres à la place de la pauvre Jeanne, qui est morte avant-hier ?

« Surprise à l’improviste par cette question, je ne répondis rien.

La paysanne continua :

« — C’est que je vous trouve assise juste à la même place où se mettait Jeanne… Et de loin, j’ai cru que c’était elle qui revenait, la digne femme… Il paraît que mes bêtes s’y sont trompées comme moi, car les voilà déjà toutes en amitié avec vous.

« La villageoise crut que la timidité m’empêchait de m’expliquer, et elle reprit :

« — Si c’est votre idée de gagner votre vie en gardant ce troupeau, il faut le dire… je pense que vous êtes du pays… j’ai besoin d’une chevrière…autant vaut vous qu’une autre… je vous donnerai la nourriture et le coucher comme à Jeanne.

« J’avais eu le temps de réfléchir que, dans ce léger incident, la Providence m’offrait un moyen de vivre en restant dans ce village où toute mon âme était attachée. Je me hâtai d’accepter la proposition de la paysanne. Je lui fis sur mon arrivée dans le pays quelques mensonges qui lui donnèrent confiance en moi et me trouvai dès lors engagée à son service.

« Elle me laissa le panier de provisions qu’elle avait apportées pour elle, croyant être dans l’obligation de garder ses chèvres ce jour-là ; puis elle me montra, à cent pas sur la hauteur, sa maison, où je devais ramener le troupeau à l’angélus du soir et où je trouverais mon souper et ma couche.

« Dès que je fus seule, je me mis à déjeuner au milieu de mes nouvelles compagnes ; le pain de village et ma condition rustique me parurent très-agréables.

« C’était une journée bénie pour moi, car à peine avais-je achevé mon repas, que je vis amener des chevaux à la porte du château ; puis, un instant après, une cavalcade d’élégants jeunes hommes sortit de l’avenue.

« Ce fut la première fois que je te vis, mon fils !… Ce qu’on m’avait dépeint de ta figure et les mouvements de mon cœur suffisaient bien à te faire reconnaître. Tu t’arrêtas un instant, et je pus m’enivrer du bonheur de te contempler. Oh ! ce moment, auquel je n’ai jamais pensé depuis sans pleurer, me paya de tout ce que j’avais souffert.

« De ce jour commença ce que je pourrais appeler le temps de mes amours. J’étais constamment près de toi, je te voyais ou j’attendais le moment de te voir ; je pouvais approcher de ce qui t’appartenait, de ta maison, de tes gens, de ton cheval… Quand tu sortais, je te suivais le plus loin possible, et m’asseyais sur la route par laquelle tu devais revenir ; quand tu restais, je promenais mon troupeau autour de ta demeure et ne la perdais pas de vue. Mes chèvres semblaient comprendre cette fantaisie de mon cœur et s’y conformer d’elles-mêmes ; lorsque tu te rendais dans le bois, elles bondissaient aussitôt dans le sentier verdoyant qui leur offrait une ample moisson de broussailles ; lorsqu’il fallait rester autour du château, ; elles se contentaient d’une plus aride pâture, sans chercher à franchir les bords de la pelouse.

« Ainsi, mon fils, je te voyais chaque jour, et je te voyais riche, brillant, heureux ! Combien je m’applaudissais d’avoir eu le courage de t’éloigner de moi, de moi qui ne pouvais te donner qu’une existence pauvre et obscure, puisque tu devais ainsi recueillir le prix de mon sacrifice… Que j’avais bien fait de t’aimer plus que moi-même !

« Je partageais toutes tes jouissances : je me sentais orgueilleuse de ton rang, doucement enivré des plaisirs, élégants qui remplissaient ta vie ; j’aimais l’éclat, la fortune, j’aimais tout ce qui te rendait heureux ; quand une belle journée parait les alentours de ta demeure et faisait resplendir la campagne épanouie et parfumée sous tes pas, je remerciais la nature ; il me semblait que ces tableaux riants, ces émanations bienfaisantes, devaient être plus doux pour toi que pour tout autre, parce qu’au milieu des êtres qui animaient ce paysage était cachée pour toi une tendre mère.

« À la fin de l’automne, il fallut te voir partir ; mais l’hiver qui suivit ne fut pas trop pénible à passer. Je savais que tu reviendrais à la belle saison ; j’entendis souvent parler de toi ; tout le monde disait dans le village que le jeune comte de Rocheboise était facile à vivre, doux, humain, généreux, et aussi bon à connaître qu’à voir. T’attendre et écouter chaque jour répéter tes louanges suffisait à mon cœur.

« Du reste, ma condition n’avait rien de trop dur. Les paysans dont je gardais le troupeau me traitaient avec bonté, et je ne les voyais qu’un moment chaque soir. Comme la chevrière que j’avais remplacée s’appelait Jeanne, ils me donnèrent par habitude le même nom. La pauvre femme dont à mon arrivée je rencontrai le convoi sur le rivage, en passant près de moi pour se rendre à sa dernière demeure, me légua son nom avec sa place, et depuis ce moment je l’ai toujours porté.

« J’étais libre et errante tout le jour ; j’avais la solitude au grand air, plus favorable que celle du cloître au repos et à la sérénité d’âme. La prière venait aussi remplir doucement mes heures, car depuis que j’étais sans cesse en face de la nature, et que dégagée de la règle monacale mon cœur s’élevait à Dieu selon ses libres inspirations, j’avais repris cette piété large et élevée qui seule fortifie et console.

« Je dépassai ainsi deux années au Bas-Meudon. »

« Jeanne appuya son regard sur Herman, et ajouta :

« — Toujours errante autour du château et souvent la nuit comme le jour, rien de ce qui s’y est passé, à cette époque, n’a été perdu pour moi.

« Mais bientôt arrivèrent les revers de fortune de M. de Rocheboise. J’appris que la maison du Bas-Meudon ne lui appartenait plus, qu’elle allait être fermée ou habitée par d’autres maîtres.

« Voir mon fils de loin, au gré du hasard et sans être connue de lui, avait été tout mon bonheur de mère. Mais cette douceur était encore si grande pour moi que je ne pouvais y renoncer… Je sentais que mon pèlerinage n’était pas fini, qu’il faudrait me rendre à Paris et y retrouver les traces d’Herman… Je ne combattis pas longtemps. Une seconde fois je me décidai à quitter l’asile où mon humble existence était assurée pour la livrer encore au hasard.

« Je dis adieu en pleurant à ces parages que je connaissais si bien, où j’avais autant vécu que si tout le cours de mon existence se fut passé là… à ces alentours du château que j’avais tant frayés, et où chaque herbe, chaque pierre gardait un des souvenirs de mon amour… »

Ici Jeanne s’arrêta subitement, croisa les mains sur sa poitrine dans un frémissement intérieur, et leva son regard dans l’espace avec une lenteur solennelle.

— Le jour baisse ! dit-elle d’une voix altérée.

Ces mots tirèrent Herman et Valentine de l’attention tendre et mélancolique avec laquelle ils écoutaient le récit de leur mère. Le soir venait en effet, et son obscurité naissante ramenait à la pensée cet avertissement terrible : la malade ne passera pas la journée.

Herman se leva, en frémissant.

— Oh ! dit Jeanne, ce n’est que la nuit pour tous les êtres de ce monde… Pour moi, ce sont les premières ombres des ténèbres qui ne doivent pas finir.

— Non ! non ! c’est impossible ! ma mère bien-aimée, dit Herman en fixant sur la mourante un regard d’amour pur, resplendissant, qui lui rendait la lumière effacée du ciel.

— Oui… reste là, mon fils, reprit-elle d’un accent interrompu… Reste bien près de moi… que je retrouve un peu de force pour achever ce qu’il me reste à dire. En revoyant ta mère, mon enfant, tu n’as trouvé en elle qu’une pauvre mendiante, Écoute…

— C’était au milieu de l’hiver ; je partis pour Paris, marchant sur la route couverte de neige, et songeant que le soir, je ne trouverais ni pain, ni toit pour m’abriter. Alors parut devant mes yeux avec une lucidité singulière l’image de la mendiante d’Ancenis, lorsque je l’avais vue sur le bord de la route, et m’étais dit : voilà comme je serai un jour… Ce souvenir m’éclaira : mon sort devait être désormais d’implorer la charité publique.

« Moins heureuse cependant que la pauvre femme d’Ancenis, qui, en demandant la charité, conservait, au moins son enfant avec elle, moi, je serais réduite à ce dernier degré de misère ; pour apercevoir seulement mon fils… mais, n’importe, c’était assez.

« En effet, à la porte de Paris, je demandai pour la première fois… l’aumône… et, depuis, J’ai vécu de cette triste hospitalité… la seule qu’on trouve dans la grande ville.

— Ô ma mère ! s’écria Herman, pourquoi ne vous ai-je pas connue ! Quelle qu’eût été en ce moment ma position, je vous aurais servi d’appui… j’aurais travaillé pour vous… je vous aurais au moins rendu en amour tout ce que vous m’aviez donné.

— Je te l’ai dit, c’était impossible, un devoir sacré s’y opposait. M. de Rocheboise ayant reconnu son enfant naturel sans avouer la mère, j’étais engagée tacitement à respecter son secret… mais surtout je ne pouvais me révéler à toi sans te faire connaître la froideur, la dureté de M. de Rocheboise à mon égard ; tu aurais perdu peut-être, en écoutant ces tristes aveux, une partie de ton respect, de ton estime pour ton père… Je devais les laisser en loi aussi longtemps que possible, je le devais pour ton propre bonheur.

— Mon Dieu ! dit Valentine en élevant son regard, quel saint courage vous aviez répandu, dans cette âme !

— Encore un sacrifice que vous avez fait, pour moi, ma mère ! murmura Herman en laissant tomber une larme.

« Je ne vous dirai rien de ces dernières années, reprit Jeanne. Une petite place au dernier étage, sous les combles d’une maison, l’aumône des passants, cette existence fragile que le temps favorable, le bon vouloir des gens qu’on rencontre, soutiennent au hasard de chaque jour… quelquefois les secours des pauvres comme moi, tel a été mon partage.

« En ce temps-là aussi je te voyais, Herman, moins souvent qu’à la campagne ; mais les courts instants où je pouvais me trouver sur ton chemin et te contempler encore me semblaient plus précieux.

« Que de fois je t’ai suivi des yeux quand, après ta longue maladie, faible, souffrant encore, et plus beau que jamais, tu allais sur ton cheval parcourir l’avenue des Champs-Élysées… Que de fois aussi j’ai passé la nuit à la porte des hôtels où on donnait une fête à laquelle tu assistais… J’étais assise sur la borne… Eh bien là, dans le froid, dans l’obscurité, au cœur de la nuit, par un bienfait de l’imagination, je voyais le salon resplendissant de richesses et de splendeurs où tu te trouvais ; je te voyais toi-même, jeune, beau, brillant, envié, admiré au-dessus de tous les hommes de ton âge… La musique du bal, en traversant l’espace par ces longs défilés de marbre et de fleurs, arrivait à moi en sons interrompus, vagues et amollis ; jamais concerts du ciel ne furent si doux aux âmes des bienheureux que ne l’était pour moi cette musique dont d’harmonie avait bercé mon Herman de plaisir !

« M’oubliant moi-même ; je demeurais souvent là jusqu’au jour.

« Enfin… tu sais le reste, mon fils… Sous le péristyle de Saint-Sulpice, le jour de ton mariage, je t’ai parlé pour la première fois… tu m’as donné une pièce d’or que j’ai toujours gardée… Oui, cette chère aumône de mon fils, je l’ai conservée même dans les jours où j’étais prête à succomber de faim… Depuis, je me suis présentée deux fois à tes yeux pour redevenir aussitôt invisible… »

— Comme un bon génie qui n’apparaissait que pour me protéger, interrompit Herman. Oh ! que je suis coupable de ne t’avoir pas reconnue ! Comment mon cœur ne t’a-t-il pas devinée ! Ma mère, ma bonne mère !

— J’ai vécu cependant ; j’ai passé cinq années dans cette misérable condition, quelque chose me disant sans doute qu’un jour je pourrais te voir, t’appeler mon fils et mourir dans tes bras… et j’attendais.

La mourante se pencha sur le sein d’Herman. Il régna quelque temps autour d’elle un silence pieux et recueilli.

Le jour finissait, et comme l’avait dit un arrêt fatal, la vie de Jeanne s’éteignait avec lui. Ses yeux se ternissaient, son souffle s’exhalait avec plus de peine, une langueur profonde s’emparait de tout son être.

Ses regards voilés et errants annonçaient le vague qui commençait à régner dans sa pensée.

Valentine approcha de la bouche de la malade une boisson fortifiante ; mais les gouttes se séchèrent sur les lèvres sans pouvoir couler.

— De l’eau, murmurait Jeanne dans le trouble de son esprit vacillant. De l’eau comme la gardeuse de troupeaux en trouve à la source des champs… de l’eau comme la mendiante en boit à la borne des rues… de l’eau la pauvre Jeanne ne connaît pas autre chose.

— La pauvre Jeanne, répéta Valentine, oh ! c’était une créature divine… ainsi que toutes les saintes que Dieu envoie en ce monde ; elle a caché sa grandeur inconnue dans les plus humbles conditions de la terre.

Jeanne continuait en promenant son regard voilé autour d’elle :

— Un cercueil… une tombe… je n’en vois pas… On n’a rien préparé pour moi… les pauvres sont jetés nus dans la fosse.

— Ma mère ! ma mère ! s’écria Herman.

— Ah ! oui, dit Jeanne ranimée à cette voix, je suis ici… je meurs près de mes enfants… J’aurai une tombe où viendra quelquefois mon fils… Oh ! elle sera bien belle !

À ces derniers instants, Jeanne reprit une lueur d’existence. Et, voyant les larmes de son fils :

— Ne pleure pas, mon enfant, dit-elle d’une voix haletante… Vois-tu, moi, je te quitte, et je souris… Oh ! c’est que j’espère bien te voir toujours après ma mort, et veiller sur toi.

— Oui, ma mère, dit Herman avec une exaltation égarée ; oui, je t’en supplie, que ton ombre reste toujours auprès de moi… n’est-ce pas, tu me le promets ?

— Toujours… je te le promets… Oh ! te voir ! Dieu saura que c’est le ciel pour moi !

En même temps, Herman sentit la main de sa mère se raidir et se glacer dans la sienne.

Jeanne demeura le regard attaché sur lui ; son corps était déjà sans mouvement ; ses lèvres ne pouvaient s’entrouvrir, mais en regardant ainsi son fils avec une fixité insatiable, avec une tendresse indicible, ce qu’elle lui disait était plus éloquent qu’aucune parole.

Enfin un souffle égaré revint sur ses lèvres, et elle prononça lentement :

— Mon fils… tu viens d’être soustrait à un malheur bien grand… Mais des dangers invisibles, mystérieux, te menacent encore ; écoute.

Là, sa voix s’éteignit. Elle s’agita faiblement et parut souffrir de ne pouvoir exprimer sa pensée ; mais soudain, étendant sa main vers Valentine, et tournant son regard vers Herman, elle dit seulement :

— Aime-la, et tu seras sauvé !

Ce furent les dernières paroles de Jeanne.

Depuis ce moment, nulle voix ne se fit plus entendre dans la chambre mortuaire. Il n’y avait plus dans cette enceinte remplie d’une majesté suprême que l’ombre, le silence, le souffle décroissant de la mourante, les soupirs, les larmes de ses enfants, et la solennité de la mort, qui, en approchant de Jeanne, dont les yeux se fermaient doucement, apportait à son âme la sérénité éternelle.



fin des mendiants de paris[1].

  1. L’épisode qui suit et termine les Mendiants de Paris a pour titre : Les Mendiants de la mort.