G. Roux (Paris) (p. 223-232).

XXVI

la pauvre jeanne.


Un domestique s’avançait dans le quinconce, tenant une lettre à la main ; après l’avoir remise à M. de Rocheboise il s’éloigna.

Herman pâlit en recevant cette lettre, dont l’adresse était d’une main inconnue. Tout son sang se retirait à son cœur, qui battait violemment. Il tâchait de réprimer une espérance insensée selon lui, et dont la perte allait le briser. Léon partageait ses impressions, et tous deux tenaient leurs regards attachés sur le papier en respirant à peine.

— Cette lettre !… après ce que tu viens de me dire !… s’écria Dubreuil. Voyons, ajouta-t-il, du courage !

Herman, s’il se fût trouvé seul, aurait tardé longtemps sans doute à rompre le cachet, à dissiper le prestige, mais, honteux de sa faiblesse devant un ami, il ouvrit l’enveloppe d’une main tremblante.

Elle contenait la quittance de la somme de quatre-vingt-dix mille francs reçue par son adversaire.

— Oh ? c’est bien cela ! s’écria Herman avec un soulagement indicible, c’est bien cela ! Je suis sauvé !

— Oui, le reçu…

— Signé du comte de Noirmont… qui, lorsque j’y pense, a bien moins l’air d’un comte que d’un escamoteur de cartes… C’est égal, tout est terminé entre lui et moi.

Un second papier était dans l’enveloppe ; mais Herman, dans sa joie étourdissante, ne le remarqua pas.

— Tout cela était donc vrai, mon Dieu ! reprit-il ; ce que j’ai vu et entendu dans l’oratoire… cette apparition de la mendiante… ces révélations extraordinaires ?…

— Eh bien ! dit Dubreuil d’une voix émue, prendras-tu encore pour du délire une preuve du dévouement de Valentine ?

— Oh ! c’était elle seule qui avait le droit de blâmer ma conduite, elle seule dont je devais craindre les reproches tacites, la froideur ! Et c’est elle qui vient à mon secours !

En ce moment Valentine parut sous les arbres, le regard radieux, le plus doux sourire sur les lèvres.

Grâce aux précautions prises par la bonne vieille, messagère inconnue, madame de Rocheboise croyait que les fonds déposés chez son banquier avaient été absorbés par les embellissements de l’hôtel, dont elle n’avait jamais connu le montant ; et la vieille mendiante ayant aussi voulu se charger de solder l’adversaire d’Herman, elle ignorait également dans quel lieu et avec qui la dette de jeu avait été contractée.

Valentine reprocha gracieusement à Herman de lui avoir caché ses peine, quand elle pouvait les faire cesser. Dans l’épanchement de sa joie, elle mit dans son langage le toi dont se sert une tendre mère.

— Mon Dieu !… dit-elle, mais tout ce que nous possédons de fortune est à toi ! tout mon bonheur est de te voir en jouir… Tu vois bien, ajouta-t-elle avec un sourire, qu’en dépensant tu ne peux pas me ruiner !…

— Oh ! dit Herman, j’ai prodigué si aveuglément…

— Tu ne peux pas calculer sans cesse comme un homme d’argent… cela t’irait mal, mon Herman.

— Des dépenses aussi folles que nombreuses…

— Eh bien ! faut-il donc régler ses désirs de jeunesse avec la régularité de l’horloge ?… Qu’importe qu’il te plaise de jouir vite ou lentement… Dissipe en un jour ce que tu voudras, tu te reposeras le lendemain dans une existence plus calme… et plus douce peut être !

— Chère Valentine !

— Tu es maître de prodiguer tes plaisirs, Herman ; seulement, à l’avenir, ménage mieux tes peines, et surtout viens me les confier ; tu n’es pas libre de souffrir sans moi… Pour cette fois je te dirai comment…

— Je le sais… J’étais sur le balcon, devant la croisée de l’oratoire, quand…

— Une révélation inattendue, divine… à laquelle je n’oserais croire moi-même, est venue m’apprendre la situation dangereuse et le moyen de t’en arracher…

— Oui… j’étais là… j’ai tout entendu.

— Et moi, reprit Valentine en riant, moi qui, à ton réveil, me donnais tant de peine pour te cacher ma joie… ma joie mêlée encore de bien des anxiétés, car enfin aucune garantie ne m’était donnée, et j’avais peine à croire que la main si faible de la pauvre femme pût dénouer cette affaire.

— Et cette digne et sainte créature ?

— Elle a tenu sa promesse. Elle m’a quittée non loin de chez l’homme d’affaires où j’étais allé avec elle pour lui remettre des fonds empruntés sur une de mes propriétés, en me disant qu’avant la nuit tes chagrins cesseraient, et que tu serais sauvé de plus d’un danger… La journée avançait… j’attendais avec angoisse, quand tout à l’heure la vieille mendiante est entrée chez moi… Elle m’a remis une lettre sous enveloppe… Je savais que tu étais ici, sous les marronniers… Sans attendre, sans vouloir te laisser une minute de plus dans l’inquiétude qui t’accablait, j’ai sonné et j’ai envoyé cette lettre qui apporta ta délivrance… Tandis que je suivais avidement du regard le domestique dans l’allée du jardin, la mendiante a disparu… lorsque je me suis retournée pour lui rendre grâce dans l’effusion de mon cœur, elle n’était plus là.

— Et moi aussi, je veux la remercier ! s’écria Herman. Il faut qu’elle me dise le secret de sa protection généreuse, de sa sollicitude envers moi, pour que je sache quel nom donner à la tendresse que je lui voue.

— Mais moi !… comment l’ai-je laissée partir !… comment l’ai-je un instant oubliée !

— Vous, madame, oublier une infortunée ! dit Léon, je ne vous reconnais pas là !

— Je vous disais bien, répondit Valentine en souriant et en montrant Herman, que toute cette vertu, dont vous me louez tant, n’est que de l’amour pour lui !… vous voyez… je ne sais pas en avoir d’autre.

Herman, s’inclinant, baisa la main de Valentine.

— Mais j’espère retirer cette faute, continua madame de Rocheboise. Cette digne femme ne peut être loin… Elle était si tremblante… elle marchait avec tant de peine… Je vais envoyer des domestiques sur tous les points du quartier ; l’un d’eux pourra la rejoindre.

— Et s’il en était autrement, dit Herman, j’irais moi-même demain la chercher sur les places publiques, aux portes des églises, partout où je pourrais découvrir la pauvre bonne mendiante.

— Oh ! oui, il faut qu’elle partage le bonheur qu’elle nous a donné, s’écria Valentine.

— Et j’y veillerai, sur mon âme ! ajouta son mari.

La soirée se passa cependant, et toutes les recherches au sujet de la pauvre Jeanne furent infructueuses. Les domestiques battirent toutes les rues voisines de l’hôtel, et allèrent même plus loin que les pas de la vieille mendiante n’auraient pu la porter, sans venir à bout de la retrouver.

Le lendemain, Herman se préparait, selon l’inspiration de son bon cœur, à essayer lui-même de découvrir les traces de sa protectrice inconnue, quand un homme entra dans la salle à manger, où il achevait de déjeuner avec Valentine.

C’était le concierge établi à la seconde sortie de l’hôtel qui donnait sur la rue Las-Cases.

— Monsieur… madame… excusez, dit cet homme en se présentant. C’est que voici ce qui arrive… Hier soir, une pauvre femme est tombée en faiblesse devant notre porte… Je crois bien que c’était le besoin, la misère…

Herman et Valentine se levèrent vivement de leur place, mus par la même idée.

— Eh bien !… achevez !… dirent-ils tous deux.

— Quoi qu’il en soit, continua le portier, ma femme et moi nous lui avons bien vite apporte du secours…un bouillon… du vin… mais elle ne pouvait goûter à rien… On aurait dit qu’elle allait passer…

— Mon Dieu ! dit Herman, si c’était !…

Le concierge continuait :

— Alors nous avons vu qu’il fallait la recueillir chez nous, et je l’ai apportée bien doucement dans la loge où elle a passé la nuit.

— Ah ! bien, mon ami, dit Valentine.

— Mais, ce matin, cela va de mal en pis… Elle est blême à faire pitié ? son corps tremble comme la feuille ! Tout à l’heure pourtant elle a prononcé quelques paroles ; c’était pour demander qu’on la conduise dans Un hospice… mais je n’ai rien voulu faire sans prévenir madame… parce que… madame est si bonne !…

— Je vais la voir ! s’écria Valentine. Puis, répondant au regard d’Herman, elle ajouta : Ce n’est pas impossible, mon ami… tandis que nous la cherchions bien loin elle était peut-être là !

Madame de Rocheboise, en disant ces mots, descendait déjà l’escalier. Elle traversa rapidement le jardin. Herman la suivait en questionnant encore le concierge sur la pauvre femme qu’il avait recueillie, et en cherchant à relier ces indications avec le souvenir qu’il conservait de sa mystérieuse mendiante.

Quand il entra dans la loge, il vit Jeanne évanouie dans les bras de Valentine.

On transporta aussitôt la malade dans la chambre de madame de Rocheboise.

Jeanne, placée dans un fauteuil, vers une fenêtre ouverte demeurait encore immobile, les traits profondément altérés et empreints d’une pâleur morbide.

Au bout d’un instant, l’air et le doux rayon de soleil qui venaient l’effleurer parurent la ranimer ; sa paupière vacilla, ses lèvres laissèrent échapper un soupir.

Herman, craignant instinctivement que sa vue ne lui causât une trop vive émotion, fit un mouvement en arrière, et demeura penché sur le dossier du fauteuil, tandis que Valentine soutenait toujours la malade.

Jeanne ouvrit les yeux… mais sans regarder autour d’elle le lieu où elle se trouvait et qui devait lui causer de la surprise ; elle passa la main sur son front et parut chercher à se souvenir.

Puis elle dit d’une voix interrompue :

— Herman !… Le temps s’est écoulé… Il est tranquille maintenant… et préservé contre un malheur plus grand… Je peux mourir.

— Que dit-elle ? murmurait Herman.

— Quel accent de tendresse suprême ! disait à demi-voix Valentine.

— Oui, reprit encore Jeanne ; le ciel m’a conduite dans l’endroit où cachée sous les arbres, j’ai pu apprendre ses tourments… les dangers de toute sorte qui le menaçaient. Je suis venue implorer sa femme, sa noble femme ; elle l’a sauvé… mon Herman !

Celui dont elle parlait ainsi l’écoutait avec une émotion extrême et une surprise croissante.

Après un instant de silence :

— Je souffre, dit Jeanne en croisant les mains sur sa poitrine, je souffre… ce n’est rien… Il est heureux, lui !… lui que j’aime tant !… J’ai pu faire quelque chose pour lui en ce monde… Que cette pensée fait de bien, mon Dieu !… Quel doux adieu à la vie… Oh ! je ne me plains plus !

À ces mots, le souffle de Jeanne s’éteignît, sa tête s’abaissa et son corps abandonné semblait se pencher dans une défaillance mortelle.

Herman n’y tint plus ; il la soutint dans ses bras en s’écriant :

— Mais qui donc êtes-vous ?

Jeanne tressaillit et laissa échapper ces mots qui semblaient emporter toute son âme :

— Herman !… mon fils ?

Puis ses yeux se fermèrent.

Son fils ! répéta Herman, qui demeurait à ses genoux, immobile et pâle comme elle.

Valentine, presque aussi émue, s’empressa pourtant de secourir la mourante. Elle la fit mettre au lit, envoya chercher de tous côtés des secours. Herman, pendant ce temps, restait fixe devant Jeanne, les yeux attachés sur elle, les bras croisés dans une attitude solennelle, et murmurait sans cesse :

— Oui ! c’est l’accent de la vérité… c’est son cœur qui a parlé… c’est le mien qui l’a entendu… oui, elle est ma mère !

Et ce doux nom de mère retentit si souvent à l’oreille de Jeanne, qu’elle revint à la vie.

Elle écouta ce mot avec un ravissement ineffable, comme on entendrait une musique du ciel… Mais ses esprits s’étant tout à fait ranimés, elle pressa son front de sa main, ses regards devinrent inquiets, errants ; elle semblait agitée par un mélange de joie indicible, de regrets et de craintes.

— Ah ! dit-elle enfin, j’ai parlé dans un moment de délire, que Dieu me le pardonne !

— Ma mère !… s’écria Herman en étendant ses mains jointes vers Jeanne, pourquoi n’êtes-vous pas venue à moi, puisque vous saviez le lien qui nous unissait ?

— Mon âme était toujours auprès de toi.

— Vous ne vouliez donc être ma mère que pour m’aimer, me protéger ?

— C’est là toute l’existence.

— Oh ! non… Pourquoi êtes-vous restée seule, pauvre, misérable, quand je pouvais changer votre sort ? Pourquoi vous êtes-vous privée de mon amour !

— Un devoir tout puissant l’exigeait.

— Quel devoir peut forcer à un tel sacrifice !… à m’ôter ma mère !… à vous priver de votre fils !…

Le cœur d’Herman se fondait en larmes, et sa voix avait, en prononçant ces simples mots de tendresse, des vibrations pénétrantes.

Jeanne se pencha sur sa main et la baisa avec transport.

— Oh ! reprit Herman, vous pensiez peut être que j’aurais pu douter de vos paroles ?… Non il y a dans un tel aveu des accents au-dessus de ceux de la terre. Que j’aurais pu rougir de votre condition ? Mon Dieu, des sentiments indignes auraient-ils trouvé place en moi qui suis votre fils ?

— Non… non, mon Herman adoré… Je te connaissais : j’avais vu la bonté angélique peinte sur ton front, dans ton regard.

— Eh bien, ma mère ?

— Mais je devais me taire… je le devais au nom de ce qu’il y a de plus sacré… maintenant je me suis révélée à toi… mais Dieu a permis que ce fût au moment où… j’allais mourir… pour que je n’en eusse pas le remords.

Valentine, émue de respect et d’admiration, se tenait à demi-prosternée devant la pauvre Jeanne.

— Oh ! pieuse martyre ! dit-elle.

— Les martyrs sont récompensés dans le ciel, dit Jeanne en souriant et en regardant son fils. Moi, je le suis déjà sur la terre ! Voyez !

Mais tant de bonheur précipitait les derniers souffles d’existence dans le sein de la malade, et hâtait sa fin.

Le médecin appelé ne put cacher à ses enfants qu’elle était très-mal, et qu’il n’existait aucun espoir de la sauver. Jeanne, dans un âge peu avancé, avait, par les privations, les souffrances, atteint le dernier degré de la vieillesse ; les sources de la vie étaient épuisées.

Après les émotions puissantes de cette scène, l’état de Jeanne exigeait impérieusement le repos. Herman fut obligé de se retirer en confiant sa mère aux soins de Valentine.

Rocheboise, seul dans son cabinet, resta d’abord livré au sentiment nouveau qui venait de su révéler à lui, et dont son âme aimante à l’excès avait été subitement et profondément pénétrée.

Au bout de peu d’instants, cherchant autour de lui quelque chose qui lui rappelai sa mère, ses regards l’amenèrent sur la lettre qu’elle lui avait envoyée.

En retirant la première feuille de l’enveloppe, il en vit une autre qui n’avait pas, la veille, attiré son attention, étant trop occupé du titre qui assurait sa délivrance.

Ce dernier papier était une lettre sans adresse. Herman, en l’ouvrant, vit une écriture parfaitement inconnue, d’autant plus qu’on pouvait ne pas même la reconnaître pour de l’écriture : c’étaient plutôt les gros jambages qui servent d’apprentissage à la formation des lettres.

Herman, cependant, déchiffra ces mots :

« Oh ! Pasqual, au milieu de mes grandeurs, je ne t’ai pas un instant oublié ! Tu me fuis, tu me dédaignes, et je t’aime, oh ! Pasqual ! »

On reconnaît cette lettre, chef-d’œuvre de Robinette, et tracée par elle à la sueur de son front.

Le premier sentiment qui domina Herman en la lisant fut l’humiliation poussée au degré extrême. En élevant à lui une fille de la classe la plus misérable, en la comblant de richesses, en l’aimant de l’amour des sens, superficiel, mais idolâtre, il n’avait pas même pu en être aimé, ni se placer dans le cœur de la petite créature au-dessus d’un valet… Il devint d’une rougeur brûlante en songeant aux caresses passionnées qu’il avait prodiguées à cette forme de femme, admirablement belle, mais ne contenant que cendre au fond… en songeant qu’il avait pressé contre son sein un sein où habitait l’image d’un mendiant !

Si la femme entretenue eût été près de lui en ce moment, il l’aurait tuée, non par colère, mais pour l’effacer de la terre, dans la honte qu’il éprouvait pour lui, dans le dégoût qu’il éprouvait pour elle…

Cependant quelques minutes s’étaient à peine écoulées, que le jeune homme en était venu à un sentiment plus sensé, à une pitié froide et dédaigneuse pour l’objet de ses récentes folies. Il songeait aux relations qui avaient existé entre Robinette et Pasqual : il se disait qu’après tout la petite fille des rues était restée fidèle à son origine, à sa nature, en aimant un de ses compagnons du vagabondage… qu’on ne pouvait pas lui demander un amour élevé… pas plus que des fruits précieux à un arbuste sauvage…

Le secret de ce changement louable ne venait cependant pas d’une source élevée, mais de l’imperfection du cœur, toujours prêt à faiblir dans ses attachements légitimes ou coupables. Herman avait perdu beaucoup de son enthousiasme pour la jolie bohémienne, et un commencement d’indifférence aida la sagesse à triompher en lui.

Il se décida donc à l’instant à laisser à sa maîtresse tout ce qu’il lui avait donné mais à lui intimer l’ordre de sortir de sa maison, et surtout a ne jamais la revoir. Pour Pasqual, Herman était si bien guéri en ce moment, qu’il ne sentait ni haine ni colère contre son infime rival : la lettre même de Robinette prouvait que cet homme n’avait jamais profité de l’amour malheureux que la plus jolie créature du monde éprouvait pour lui, et cette délicatesse louable ne devait que le mieux faire apprécier par son maître.

Herman enfin se demanda par quel étrange assemblage la lettre d’amour de la petite courtisane se trouvait avec le reçu de son créancier.

Il réfléchit quelques minutes, et, après avoir trouvé le fil de ce mystère, il s’écria dans un élan de pieuse reconnaissance :

— Ô ma mère !… ma mère ! elle a voulu me sauver des dangers que je me créais à moi-même comme de ceux qui me menaçaient… Elle est venue m’arracher à un amour avilissant, à des mœurs indignes de moi… Ô mon ange protecteur, ma mère, sois deux fois bénie !

En effet, quelques mots prononcés par Jeanne avaient appris à son fils que, dérobée par les arbres du jardin, elle avait assisté, témoin invisible, à son entretien avec Pasqual, à la suite de la soirée donnée dans le pavillon clandestin. Là, aussi, la lettre destinée à Pasqual avait pu tomber entre les mains du Jeanne, qui s’était trouvée alors en possession de l’arme la plus puissante pour combattre un amour déplorable.

Herman, après que ces lumières eurent pénétré en lui, sentit redoubler son ardente ferveur pour sa mère.

— Qu’elle vive, mon Dieu ! disait-il du plus profond de son âme, que je puisse rendre son sort aussi heureux qu’il a été jusqu’à présent misérable !… Qu’elle vive, je me charge du reste… je trouverai toutes les consolations qui pourront lui faire oublier le passé, toutes les douceurs qui pourront charmer ses derniers jours ; je trouverai des sources infinies de bonheur à lui offrir dans cette seule pensée : c’est pour ma mère !

Ce fut dans de tels sentiments qu’Herman retourna au chevet de la malade.

Quelques jours s’écoulèrent pendant lesquels les dernières forces de Jeanne déclinèrent rapidement. Un matin, à l’heure de sa première visite, le médecin déclara qu’elle ne passerait pas la journée.

Il avait prononcé ces paroles près du lit du Jeanne, qui paraissait entièrement privée de connaissance. Mais la mourante alors tourna son pâle et doux visage vers le jour qui se levait dans tout son éclat, puis vers son fils, dont les traits s’illuminaient de toute la tendresse de l’âme, et elle joignit les mains dans un mouvement de reconnaissance suprême envers Dieu. On vit qu’elle avait entendu son arrêt.