G. Roux (Paris) (p. 137-147).

XV

l’assemblée

Ainsi que nous l’avons dit, Herman de Rocheboise possédait un cœur profondément bon et généreux ; qualité si précieuse et d’une source si élevée, qu’elle pouvait réellement compenser en lui la faiblesse, la légèreté et les mille défauts de son caractère.

Dans la rencontre qu’il avait faite un soir de la pauvre Jeanne dans le pavillon du jardin, plusieurs circonstances avaient fait vibrer les cordes délicates de son âme. Cette femme était dans un état de faiblesse et de dénûment qui devait émouvoir vivement la pitié ; sa voix, par une influence inconnue, venait répondre dans le sein d’Herman ; quelques-unes de ses paroles, qui avaient eu rapport à une circonstance aussi triste qu’ignorée de la vie du jeune Rocheboise, semblaient établir entre elle et lui un lien secret ; enfin, sa présence inattendue et sa disparition subite lui avaient donné aux yeux d’Herman le prestige du mystère.

Ces impressions n’étaient point effacées lorsque, à quelque temps de là, le hasard lui fit rencontrer de nouveau la pauvre femme.

Le jour tombait comme Herman, passant seul, en voiture, sur un des boulevards extérieurs, crut reconnaître la bonne vieille du pavillon, marchant le long des arbres, avec quelques autres indigentes.

Il s’élança à l’instant de voiture, ordonna à ses gens de l’attendre à la place où ils se trouvaient, et se mit à suivre celle qui avait frappé son attention.

Marchant à quelques pas en arrière, il distingua pourtant la robe noire de forme monacale que portait Jeanne, et, lorsqu’elle parla, son organe, son énonciation, si différents de ceux des autres femmes de cette classe, ne lui laissèrent plus de doute à son égard.

Il se promit bien de tout tenter dans cette occasion qui se présentait pour apprendre la demeure de Jeanne, pour connaître cette femme, et surtout pour lui porter des secours ; car il sentait en lui plus que de la pitié et comme un besoin extrême de la tirer de sa cruelle misère.

Après avoir cheminé quelques instants, les mendiantes s’arrêtèrent devant un petit restaurant du boulevard.

Elles montaient les degrés de la principale entrée de l’établissement, et Herman, resté un peu en arrière, se trouvait précisément à la porte du jardin attenant au restaurant. Sans prendre le temps d’aucune réflexion, il pénétra par là dans la maison.

Cet endroit, où il venait d’entrer ainsi, n’était autre que le Trou-à-vin ; mais il n’avait donné nulle attention à l’apparence de la taverne, que d’ailleurs la tombée du jour commençait à voiler.

Le jardin était divisé en compartiments de charmille dont chacun formait une petite salle de verdure, garnie de chaises et de tables. Herman pensa que les pauvres vieilles femmes allaient venir se restaurer d’un peu de vin, et qu’il pourrait observer et écouter Jeanne à travers le feuillage, sans être aperçu d’elle.

Mais personne ne parut au jardin. Une porte était devant les pas d’Herman, il la prit au hasard, et se trouva dans une grande salle qui, à son étonnement, se montra également déserte. Il se voyait trompé dans son espérance et allait renoncer à son entreprise, lorsqu’un garçon de l’établissement se trouva devant lui, demandant ce qu’il fallait servir à monsieur.

En même temps, des pas se faisaient entendre vers la porte d’entrée.

Herman, pris dans ce piège et forcé de se faire servir quelque chose pour motiver son entrée dans la maison, se jeta dans un des cabinets particuliers pratiqués autour de la grande salle, et dès que le garçon eut déposé sur sa table la bouteille demandée, il se hâta de refermer sur lui la porte vitrée.

Les mendiantes, retardées dans leur marche par l’arrivée de quelques compagnons, entraient alors. Herman regarda vivement de leur côté. Le petit groupe s’était recruté de plusieurs individus de la classe indigente ; mais, hélas ! la pauvre Jeanne n’y était plus !…

Dans son désappointement, M. de Rocheboise resta encore un instant fixé à sa place par l’étonnement que lui causait l’aspect du cabaret.

C’étaient de pauvres vagabonds des rues qui entraient ; mais leur physionomie, secouant toute expression dolente et lamentable, avait plutôt quelque chose de réjoui et de triomphant. Dans la salle, que Herman n’avait pas regardée en passant, une immense table était dressée ; tout autour, sur des buffets, s’amoncelaient de la vaisselle, des plats montés, et, venant de plus loin, un cliquetis de verres, d’assiettes, surtout une forte odeur de cuisine, annonçaient les apprêts d’un festin pour Une nombreuse assemblée.

Herman tâchait de s’expliquer ces singularités en regardant et en écoutant, par la porte entr’ouverte du cabinet où il s’était réfugié, les personnages qui venaient d’entrer.

C’était d’abord le père Corbillard, donnant le bras à mademoiselle Rose. Le vieux perclus, pour faire l’élégant ce soir-là, avait tâché de s’équilibrer sur une seule béquille, et montrait des soins empressés pour la dame dont il s’était fait dès longtemps le chevalier servant. Après eux venaient madame Jacquart, madame Bibette et un certain nombre de mendiants de leur connaissance intime.

Mademoiselle Rose regarde l’étendue de la salle vide.

— Eh bien ! personne encore dit-elle.

— Tiens, c’est nous qui étrennera, répond madame Jacquart. Faut bien commencer par quelque chose.

— Sans doute, dit Corbillard. Il ajoute, en jetant un regard à mademoiselle Rose : Le monde a commencé par l’amour.

— Et à force de travailler, remarque un grand garçon rouge et borgne, il s’est dégoûté de la besogne, ce qui l’a conduit à créer des produits dans le genre du père Corbillard…

— Ta ! ta ! j’aime autant mon physique que le tien, beau Narcisse !… Comme dit le proverbe : La beauté ne fait pas le bonheur… À propos de beauté, où donc est Robinette ?

— Elle n’était pas prête, dit madame Jacquart. Cette mijaurée n’en a jamais fini avec sa toilette.

— Du tout, ma sœur, réplique mademoiselle Rose ; c’est moi qui l’ai instruite à arriver tard dans les assemblées pour faire de l’effet.

— Ah ! oui, dit quelqu’un, c’est qu’aujourd’hui c’est grand gala… réception d’un membre de la société des Fricoteurs… noces et festins, tout le tremblement.

— Ohé ! ohé ! s’écrie l’un des assistants en jetant un coup d’œil sur le boulevard, les amis qui arrivent… en voilà une écrase !

En effet, on avait ouvert à deux battants les portes de la grande salle, et les mendiants commençaient à entrer par troupe plus nombreuse.

La journée finissait. Au dehors, la touffeur laissée dans l’air par une chaleur caniculaire se mêlait à une poussière enflammée ; des masses de nuages sombres s’amoncelaient au ciel ; à travers leurs rares déchirures passaient encore des rayons de soleil couchant, rouges, ardents, qui, en s’allongeant sur les défilés profonds et solitaires du boulevard, semblaient y semer l’incendie ; tout annonçait un orage prochain et violent.

À l’intérieur déjà sombre du cabaret, les quinquets s’allumaient contre les murailles nues, peintes seulement par les diverses empreintes que le temps, l’humidité, les vapeurs épaisses de l’antre et le contact des habitués y avaient laissées. Au fond de l’enceinte, la vielle horloge, nommée coucou, sonnait lentement huit heures, et les membres de l’assemblée arrivaient de toute part à son appel.

La bande compacte et serrée offre un amas confus de haillons, d’oripeaux, de besaces, de bâtons, béquilles, potences, madriers, de toutes sortes d’instruments de musique bizarres, de figures difformes, contournées, horribles, de corps fracturés de leurs membres, de bosses superposées, de bras, de jambes nus, couverts de plaies.

On dirait un courant d’eau noir, fangeux, roulant des blocs informes, des troncs brisés, des tas de ronces dans des flots de vase et de boue, arrivant, débordant par l’écluse ouverte avec un murmure profond, sauvage, et s’élargissant dans l’enceinte.

Là, on distingue mieux ses diverses parties.

Ce sont des hommes roulant des orgues de Barbarie, où s’adaptent des berceaux, des petits fauteuils d’enfants, instruments complexes, dont la musique se compose de sons de cordes et de cris humains ; d’autres orgues surmontées de marionnettes, de cages de serins, de singes, de chiens habillés et savants. Des individus portant comme des façades de maison des écritaux qui les désignent pour aveugles, paralytiques, etc. ; des Savoyards déguenillés avec leurs vielles et leurs marmottes ; les aveugles avec leurs clarinettes et leurs chiens ; des femmes soutenant sur leurs bras, sur leur dos, ou traînant par la main de pauvres petits êtres, rendus, à force d’art, hâves, chétifs, décharnés à faire pitié… quelques-uns même ayant les yeux crevés par l’industrie raffinée de leurs maîtresses, qui ont su leur donner une infirmité durable.

On ramasse toute cette foison d’enfants, de chiens, de singes, d’oiseaux, de marmottes, on l’étend en couche épaisse sur de la paille disposée dans un coin de la salle, et on jette là-dessus une grande couverture pour endormir tous ces êtres grouillants, et les empêcher de crier, de chanter, de troubler par leur bruit les plaisirs de la soirée.

Pendant cette opération, le père Corbillard s’adresse à une des mères nourrices qui apporte coucher son enfant :

— C’est toi, la Rourette ! dit-il ; tu as donc, spéculé sur les chemins de fer, que tu viens faire ripaille au Trou-à-Vin… Depuis que le monde est monde, on ne t’y avait jamais vue.

— Ah ! dam, répond l’affreuse vieille, c’est mon moutard qui me vaut ça… On parle de la poule aux œufs d’or, ce n’était qu’une alouette en comparaison de ce chérubin !… Et dire que j’hésitais à le voler le mois passé !

— On manque plus souvent la fortune que la fortune ne vous manque, dit le sentencieux mendiant.

— Aussi, je l’aime comme la prunelle de mes yeux, cet amour… On a beau dire, il n’y a que les riches pour faire de ces petites créatures délicates et pâlottes qui attendrissent le monde et lui font lâcher les gros sous. Nos enfants, à nous autres, ça ressemble au Pont-Neuf pour la santé, on ne fait rien avec…

Près du recoin où sont couchés les enfants et animaux, se forme une espèce de vestiaire, où les mendiants viennent déposer les jambes de bois inutiles, les écharpes qui soutenaient des bras dispos, les barbes blanches postiches, les haillons qui recouvrent des habits moins délabrés, les écriteaux qui n’en imposent plus ; puis les provisions d’allumettes chimiques, les cartons contenant du papier à lettre, des crayons, des chaînes de sûreté ; enfin, tous les instruments de musique, violons, vielles, fifres, clarinettes et hautbois.

Ensuite les gueux vont s’asseoir en immense cercle sur les bancs, sur les tabourets ou sur leurs sabots, le long des quatre murailles de la taverne, montrant de là toutes leurs figures épouvantables, éclairées par la lueur terne et rouge des chandelles.

Les personnages d’importance arrivent les derniers.

De ce nombre est M. Friquet, suivi de sa compagnie de mendiants à domicile, en assez belle tenue, comparativement au reste de l’assemblée. Aussi se lève-t-on de tous côtés pour faire place sur les bancs à lui et aux siens.

Après ceux-ci vient le vieux grognard, qui s’adresse aux sympathies militaires du peuple français. Il se dit blessé de Waterloo, porte des moustaches grises, un bonnet de police, une blouse trouée, un pantalon bleu à liserés rouges. À parler vrai, il a été savetier de profession, a fait toutes ses campagnes au cabaret, et, après de rudes travaux, s’est retiré dans la mendicité.

Mais à l’entrée de la salle, on entend un son de violon aigre, criard à faire plaisir ; puis une voix claire et flûtée qui chante la romance :

Écoute, ô ma bergère !…

En même temps paraît, au milieu d’une superbe gambade qu’il exécute sur le seuil, un petit vieux, maigre et tanné, secouant les paillettes de son habit, la poudre de sa perruque, les rosettes de ses souliers, les rubans de son épée en verrou.

— Bonjour, marquis d’Argent court ! bonjour, marquis, disent toutes les voix en même temps.

Qui ne connaît ces éternels marquis de carrefour, nobles d’origine, en effet, car ils se succèdent de père en fils, qui chantent si follement la romance égrillarde, qui lancent si prestement les feuillets de chansons à un quatrième étage !

Le marquis, bien accueilli dans la société dont il fait les délices, est déjà en possession de fixer tous les regards de l’assemblée : il se pavane, fait la roue, le jabot, minaude avec les dames, et passe la main sous le menton des petites filles…

Mais, tout à coup, un autre chanteur des rues fait son entrée comme une bombe, et remplit tout l’espace de ses cabrioles, en donnant de grands coups de pied au marquis.

Celui-ci porte un petit chapeau ciré, garni de rubans, un habit vert pincé à la taille, une culotte large et courte, des bas bleus, un bouquet à la boutonnière, et chante à tue-tête :

Je suis marié d’à c’matin
j’ai le cœur content, l’âme bien aise.

— C’est le gars normand ! s’écrie-t-on ; le gars normand !… Tu es un peu enfoncé, marquis de la vieille date !… Voilà le garçon à la mode !… Eh ! eh ! il ramasse plus de gros sous à Paris qu’il n’y a de pommes dans la Normandie… Viens donc ici, bijou, qu’on te regarde, qu’on te fasse caresse…

Et toutes les mains se tendent vers lui, le prenant par la manche, par l’habit, par les cheveux.

Mais lui se débarrasse de tout ce monde en tournant comme une toupie, sautant plus haut et chantant plus fort :

Je suis marié d’à c’matin ;
On ne dira plus que sui-t-un galopin.

Ce tapage est un peu apaisé lorsqu’on voit arriver le mendiant Pasqual, l’air distrait et dédaigneux, marchant avec nonchalance, et s’appuyant sur le bras du nègre Jupiter.

Puis aussitôt, en entrant, Pasqual se jette sur un banc, à la première place venue, les bras et les jambes croisés ; il ne s’occupe que de se reposer sans faire aucun frais pour l’aimable société.

Le nègre voudrait bien s’asseoir aussi ; mais, à son approche, tout le monde se serre sur les banquettes, et une place est impossible à trouver pour lui. Les gueux qui forment cette étrange assemblée trouvent encore le moyen d’avoir de l’orgueil et de l’impertinence ; ils sont fiers de leur race blanche et repoussent le nègre d’auprès d’eux.

Jupiter, grinçant des dents, va s’asseoir sur ses talons, en face de Pasqual, et tenant son menton entre ses deux mains ; il fait branler ses boucles d’oreilles d’ivoire dans un continuel mouvement de gronderie muette et de dépit.

On voit aussi près de Pasqual le père François, le vieil aveugle dont le père Corbeau a si méchamment tué le chien en le broyant sous ses pieds ; François s’est maintenant attaché à Pasqual, qui le protège, et il le suit partout comme son ombre.

Il manque désormais peu de personnes à cette importante réunion ; mais celle qu’on voit entrer en ce moment produit plus d’effet que toutes les autres ensemble.

C’est Robinette, fraîche, jolie et parée à éblouir les yeux.

Elle porte son costume de musicienne ambulante, sa jupe courte et légère de mousseline blanche, son spincer de satin bleu, où sa taille se balance comme si elle dansait déjà ; son cou, ses bras sont nus, ses épaules voilées seulement de ses tresses, de cheveux qui coupent d’une ligne noire leur éclatante blancheur, et vont tomber jusqu’au bas de la robe.

La joie respire dans toute sa gracieuse personne, anime son œil étourdi libre et plein de feu, ses joues roses et fermes, sa bouche souriante ; et cet épanouissement de plaisir la rend délicieusement belle.

Elle est saluée par des acclamations bruyantes ; on boit à sa santé le vin qui circule déjà pour calmer la soif des plus pressés.

Légère, bondissante, elle fait en une minute le tour du vaste cercle en donnant des poignées de main, à tous les amis… Le gars normand la suit dans cette tournée rapide ; il veut lui prendre la taille ; mais elle se retourne, le regarde en face, et, gonflant ses deux joues, se met à frapper par-dessus, par un signe de moquerie et d’impertinence bien connu dans cette société… Le jeune vagabond, à cause de cela, essaie de lui prendre un baiser ; mais voyant aussi son intention, elle la prévient par le plus vif et le plus vaillant soufflet qui se puisse imaginer.

La petite fille, cependant, avise Pasqual, son cher Pasqual, assis sur un banc, et d’un bond s’élance sur ses genoux.

Il y a dans ce mouvement autant de naïveté que de licence : Robinette n’est qu’au lendemain de l’âge où elle aurait sauté sur les genoux de quelqu’un en enfant qui veut se faire caresser ; on voit encore quelque chose de cela dans son action ; et on la lui pardonnerait même dans une société un peu plus choisie que celle où elle se trouve.

La jeune fille dit à Pasqual d’une voix douce, argentine et un peu plaintive :

— Ah çà !… mais voyez donc s’il voudra bien me parler !… me regarder au moins !… Il ne s’aperçoit seulement pas que je suis là ?…

— Bonjour, petite… bonjour… répond le grave et impassible mendiant.

Malgré cela, elle demeure sur les genoux de Pasqual. D’une main elle le tient par le cou, de l’autre elle brandit son verre, qu’elle vient de lui prendre. Elle tourne sa tête et ses grands yeux éclatants de volupté vers ce vin rouge et pétillant, tout en balançant ses petits pieds croisés et en donnant un tour gracieux à sa taille si souple, qu’un souffle d’air la ferait onduler.

Pasqual montre à côté d’elle sa belle tête ; austère, et froide comme le marbre.

Le nègre, accroupi à quelques pas devant eux, regarde Robinette avec une grimace de convoitise, qui le rend encore plus affreux.

Ce tableau a tant de contraste et de pittoresque, que les mendiants eux-mêmes en sont frappés et prennent plaisir à le contempler, lorsque la porte s’ouvre et laisse voir le père Corbeau.

Toute l’assemblée se lève en masse en s’écriant :

— Le président ! le président !

Et on le salue à grand bruit, en frappant des pieds, des mains, en faisant voler en l’air mouchoirs, chapeaux, casquettes et bonnets.

Le père Corbeau entre du même air solennel et recueilli qu’il revêt en donnant de l’eau bénite à la porte de l’église, tendant toujours en avant, par habitude, son bras droit, privé de main. Dans ce jour douteux des chandelles vacillantes, sa haute taille grandit encore, sa figure, surmontée d’énormes mèches grises, paraît plus sombre et plus cruelle.

Une expression de vanité satisfaite passe pourtant sur son visage au titre de président des fricoteurs par lequel on l’accueille, et il rend quelques saluts autour de lui en marchant vers le siège d’Honneur qui lui est préparé au fond de la salle.

Cependant Herman de Rocheboise, saisi par cette foule, bloqué dans son étroite retraite, est resté spectateur invisible de cette entrée générale des mendiants dans le cabaret dont ils ont fait leur domaine.

Il ne pouvait sortir qu’en traversant cette cohue, et n’avait pas le courage d’affronter les regards de l’ignoble bande, où, d’ailleurs, le passage d’un étranger témoin de leurs préparatifs de fête clandestine aurait pu être très-mal accueilli. Il était donc resté dans son étrange situation, souffrant de la chaleur lourde et orageuse, d’un malaise instinctif, ou plutôt d’une terreur vague de trouver seul dans un pareil lieu ; et, en même temps, saisi, attaché par la nouveauté du tableau hideux et pittoresque qui s’offrait à ses yeux.

Mais, à l’entrée de Robinette, sa surprise et son attention avaient redoublé : un coup d’œil jeté sur elle avait expliqué beaucoup de choses à Herman ; la petite mendiante de Saint-Sulpice était aussi la jolie quêteuse, et la musicienne ambulante. Herman, en reconnaissant ces diverses transformations, laissait attachés sur la jeune fille ses regards stupéfaits, mais éblouis.

Les mendiants, comme ils l’ont dit, sont réunis en assemblée solennelle pour recevoir un nouveau membre dans une société constituée par eux, et dont ils vont bientôt nous expliquer le but philanthropique.

En ce moment, ils se rangent en ligne régulière ; chacun prend l’air grave et composé ; la physionomie individuelle de l’assemblée fait place à celle d’un corps plus ou moins constitué.

Le récipiendaire est à côté du président. La séance est ouverte, et le père corbeau a la parole.