G. Roux (Paris) (p. 77-86).

XIII.

le pavillon

Le lendemain soir, Robinette, parée de ses plus beaux atours, sortait à six heures pour arriver à huit à l’hôtel de Rocheboise. Il y avait une demi-heure de chemin pour aller de chez elle à la rue Las-Cases, le reste du temps était consacré à se promener dans la rue : dans la rue, salon des pauvres filles, où le luxe les entoure dans les devantures des boutiques, où elles peuvent voir et être vues, et où Robinette en particulier trouvait un agrément infini.

Elle allait d’un pas léger et la tête au vent, lorsqu’auprès du Luxembourg, elle rencontra mademoiselle Rose et la mère Jeanne qui rentraient ensemble.

La petite vieille aux rubans verts, à la mine éveillée, là pimpante mademoiselle Rose, donnait le bras à la pauvre Jeanne, qui inclinait sa tête pâle et abattue sous l’ombre de sa coiffe noire.

— Où vas-tu, fillette, que te voilà si bien endimanchée ? demanda la première à Robinette.

— Je vas prendre un peu l’air… en attendant l’heure de me rendre à un domicile… où je ferai peut-être une fameuse recette…

— Au lieu de flâner dans les rues, viens un moment dans ma chambre, reprit la bonne tante ; tu as envie d’apprendre à lire, et c’est une louable pensée de ta part ; je te donnerai ta première leçon.

— Tiens, dit Jeanne, j’avais pensé, en voyant mademoiselle Robinette, qu’elle allait m’accompagner à mon cinquième et faire un bout de conversation avec moi.

— Oh ! il faut qu’elle se dépêche de s’instruire un peu dans les lettres… Vrai, ma nièce, avec les belles manières que je t’ai données, ne pas savoir lire, ça fait tache dans ton éducation.

— Robinette, dit Jeanne en essayant de sourire, si tu veux venir avec moi, je te ferai goûter de quelque chose que tu ne connais pas.

— Allons ! viens, petite, reprit mademoiselle Rose, je te ferai lire dans ma grande bible.

— C’est du cassis, dit Jeanne. Oh ! mais comme tu n’en as jamais bu.

— Je vas avec Jeanne ! dit Robinette en faisant un petit saut de joie.

Puis se retournant vers mademoiselle Rose :

— Excusez, ma tante ; c’est que je lui aiderai à monter… l’escalier est dur pour ses pauvres jambes.

Elles arrivèrent au logis de Jeanne. C’était bien là la misère avec sa nudité, sa froidure, ses haillons et ses tristes débris de toute chose qu’on rejette des maisons, et que le besoin recueille sur le pavé dans l’illusion qu’ils pourront servir encore. Cependant, il se trouvait là une bouteille cachetée, étiquetée, qui semblait bien étrangère au reste de la demeure, surtout quand on regardait la figure triste et souffrante de Jeanne, dont il était facile de juger que l’alcool ne ranimait jamais la fibre languissante.

Jeanne sortit de plus un petit paquet de biscuits de Reims, qui devaient mieux exciter la soif de Robinette. Et débouchant la bouteille :

— Tiens, petite, dit-elle, goûte-moi cela, tu m’en diras des nouvelles.

— Mais vous allez boire avec moi, maman Jeanne.

Robinette, ayant acquitté par ces mots le devoir de politesse, porta toute son attention sur le cassis qu’elle pouvait déguster en véritable connaisseuse.

Et les deux convives s’assirent à une petite table, où Jeanne feignit de tenir compagnie à la jeune fille, tandis que celle-ci fêtait bien plus franchement les biscuits et la bouteille.

Pendant ce temps, Herman de Rocheboise attendait sur le balcon de son appartement, d’où on découvrait la petite porte du jardin, l’heure à laquelle il devait revoir mademoiselle Hélène Hubert.

Si Herman, marié depuis peu de temps à une femme digne de toute sa tendresse, était vivement occupé de la première figure attrayante qui s’était offerte a ses regards, hâtons-nous de dire qu’il n’attachait dans sa pensée aucune importance à ce sentiment. D’une faiblesse et d’une légèreté de caractère extrêmes, il se laissait entraîner vers ce qui flattait ses regards et ses sens, sans donner à cette expression un sens direct, sans en faire découler aucun projet, ni surtout prévoir les dangers qu’elle pouvait entraîner.

Son cœur n’avait certainement aucune part dans cette fantaisie ; mais ayant semé sa vie des épisodes de la galanterie, ayant toujours été plus ou moins occupé d’un caprice amoureux, il continuait à cultiver, cette branche des plaisirs du monde.

Il y avait de plus, dans la petite figure dont il était en ce moment épris, quelque chose d’étrange et d’énigmatique qui captivait tout à fait son imagination, et une beauté positive et provocante, qui eût été capable de troubler une raison mieux affermie que la sienne.

Il attendait donc le moment de ce rendez-vous avec ce mélange d’impatience, d’agréables prestiges et d’arrière-goût amer qui accompagne l’amour illicite et vulgaire chez les hommes les moins scrupuleux.

À huit heures précises, il entendit sonner à la porte du jardin. En même temps, il aperçut à travers la profondeur des allées la porte du pavillon qui s’ouvrait et les jalousies qui s’imprimait un léger mouvement.

Herman se hâta de descendre. Il avait à traverser toute la longueur du jardin, où s’élevait, au delà du parterre, un quinconce de hauts marronniers.

Lorsqu’il se trouva sous cet ombrage épais et désert, l’âge de mademoiselle Hélène, pas encore dix-huit ans, à ce qu’elle lui avait dit, se présenta à sa pensée. Cette jolie date, qui aurait dû faire sourire son imagination, la voila au contraire d’un sombre nuage… D’amers souvenirs s’y rattachaient… Il envisagea soudain toute la puissance fatale que peut avoir la séduction quand elle s’attache à une créature fragile, et au commencement de la vie, quand elle vient perdre l’existence dans toute sa durée, si elle ne la brise en un jour !… Et sous l’influence de cette pensée, Herman marchait d’un pas bien plus lent.

Mais les arbres dépassés, il découvrit le pavillon derrière son frontispice de feuillage.

Le bas de ce petit bâtiment servait de serre chaude ; de Rocheboise avait fait placer les arbustes qui se trouvaient dans leur plus belle floraison.

À l’instant, Herman se peignit la jeune fille qu’il allait rejoindre au milieu de ce cadre de fleurs, recevant de leur entourage plus de fraîcheur et d’attraits, comme on voit les pêches ou les oranges d’une corbeille paraître plus belles les unes près des autres. Mais la figure d’Hélène, qui se présentait déjà à son imagination, avait des nuances plus fraîches que le camélia rosé, des lèvres plus vermeilles que la grenade entr’ouverte, une émanation plus douce que celle de toutes ces fleurs. Devant cette image séduisante, ses scrupules s’évanouirent ; il monta l’escalier avec vitesse et avec un battement de cœur aussi pressé que ses pas.

Les lambris du pavillon étaient garnis de glaces dans des cadres de mousse et de fin gazon ; au-devant s’élevaient les arbustes du Midi, couverts de fleurs et de fruits, de daturas aux magnifiques coupes blanches qui versent leurs flots de parfum, des myrtes, des jasmins, des rosiers d’espèces rares. Puis des plantes grimpantes aux tiges déliées, qui n’ont d’appui que les branches des autres, allaient s’attacher en festons aux rameaux de ces arbustes et les unissaient de leurs délicates guirlandes.

Dans cette étroite enceinte, mais dont les glaces dissimulaient les limites, et avec l’ombre qui y régnait, à peine coupée de minces rayons du couchant passant à travers les lames des jalousies baissées, on se serait cru dans la profondeur d’un bois fleuri.

Les yeux d’Herman, passant du grand jour à l’obscurité, furent quelques secondes avant de distinguer les objets.

Dans ce rapide intervalle, il se disait :

— Elle est là, assise sur ce siège de jonc, dans ce cintre d’orangers…

Et les battements de sa poitrine redoublèrent, et sa main frémissante s’avança pour prendre celle d’Hélène.

Ses yeux se dessillèrent… Une femme était en effet assise sur le siège de jonc, dans le cintre d’orangers ; mais c’était une pauvre vieille, courbée et tremblante, enveloppée de longs vêtements noirs, qui étaient à la fois ceux du deuil et de la misère.

Herman laissa échapper une faible exclamation de surprise et de répulsion, et fit quelques pas en arrière.

— Pardonnez-moi, monsieur, dit la vieille en se levant, si j’ai osé m’asseoir ici… mais je suis venue apporter ici ces deux pots d’héliotropes que madame de Rocheboise avait choisis chez la fleuriste de la rue Saint-Dominique… et, quoiqu’ils pèsent bien peu, mes forces étaient à bout en achevant de les monter… J’ai été obligée de me reposer une minute pour ne pas défaillir.

Ce peu de mots furent prononcés d’une voix faible et tremblante, mais qui n’avait rien du ton lent et plaintif qu’affectent les pauvres.

— Restez assise, ma bonne femme, dit avec douceur Herman, chez qui le sentiment d’humanité s’éveillait toujours promptement.

Puis il fit le tour du pavillon, examinant, les fleurs par contenance, et attendant encore mademoiselle Hélène, qui, selon son espoir, ne pouvait pas tarder à venir. Cependant, il avait relevé entre ses doigts, regardé et respiré grand nombre de corolles, depuis les tiges exhaussées du superbe dahlia jusqu’à la fleurette de l’héliotrope à deux doigts de terre, et la sonnette de la petite porte ne se faisait pas entendre de nouveau.

Pendant cela, les rayons du soleil, qui n’avaient que les étroites ouvertures des jalousies pour se glisser, s’étaient rapidement éteints, et l’ombre régnait seule dans le pavillon quand Herman se retrouva devant la pauvre vieille.

— Que faites-vous pour vivre ? ma brave femme ? lui demanda-t-il.

— Quand je peux marcher, je mendie mon pain, ou je fais de petites commissions telles que celle dont on m’a chargée ce soir ; quand le mal est plus fort, je reste dans mon lit, attendant les secours que les autres mendiantes veulent bien m’apporter… Et j’ai un jour de plus à vivre tant qu’on ne m’oublie pas…

— Oh ! c’est bien triste… Mais désormais on vous assistera, soyez-en sûre… Vous n’avez donc ici personne qui s’intéresse à vous… ni parents ni enfants ?

— Ni même une terre natale ; je suis étrangère.

— Pauvre femme !

_ Oh ! dit-elle avec un sourire douloureux, cette position où je me trouve, cette borne de la rue, ce pain de l’aumône, je suis venue les chercher de bien loin !

— Quel est votre pays ?

— L’Allemagne.

— C’était aussi celui de ma mère… que je n’ai pas connue, dont on ne m’a presque jamais parlé, et dont il ne me reste rien…

— Que votre nom Herman, nom allemand, et qu’elle a sans doute désirer vous donner.

— Il est probable.

La voix de cette femme, empreinte, comme nous l’avons dit, d’une sorte de distinction, frappait M. de Rocheboise ; il reprit avec bonté :

— Vous avez appartenu, j’en suis certain, à une condition plus élevée que celle où vous vous voilà réduite… vous avez été autre chose que mendiante.

— Religieuse vingt années.

— Religieuse !

— C’est là toute mon existence. Je suis venue bien jeune en France, et j’avais à peine vingt-deux ans quand je suis entrée au couvent des Ursulines, pour y passer vingt ans. Les années de jeunesse qui ont précédé ce temps sont oubliées, et celles de misère qui ont suivi ne comptent pas.

— Mais vous aviez au moins un sort paisible et assuré dans un couvent… c’est un grand malheur pour vous d’être privée de cet abri… Comment l’avez-vous quitté ?

— Volontairement.

— Et la cause qui vous en a arrachée ?

— L’amour.

Il y avait dans ce mot, qui s’élevait ainsi inopinément de cette épaisse verdure, de cette ombre mêlée de parfums, quelque chose de saint et de mystérieux qui imposait à l’âme.

Herman s’avança pas à pas et vint s’asseoir auprès de la vieille femme avec une sorte de respect.

Avant qu’il eût eu le temps de l’interroger de nouveau, elle reprit :

— Oui, l’amour ; un sentiment qui vient remplir et absorber toute noire âme, est si nécessaire à la vie, que nous le cherchons au milieu des orages, que nous le cherchons, s’il le faut, au sein de la misère.

— Et ce sentiment, quelle que soit sa différente nature, quel que soit l’être auquel il s’attache, un père, un frère, un enfant, dès qu’il porte le nom d’amour, il peut commander à l’existence.

Herman cherchait à distinguer les traits de celle qui lui parlait ainsi ; mais dans l’obscurité il n’apercevait qu’une silhouette sombre de femme, qui levait vers le ciel sa tête languissante et ses mains jointes d’où se déroulait un chapelet.

— Ainsi, dit Herman à cette ombre de femme, c’est pour aimer, et pour voir, sans-doute l’être qui vous était cher, que vous avez accepté cette dure condition ?

Elle garda une minute de silence, comme si elle, eût recueilli et goûté encore dans son âme ce bonheur dont on lui parlait, puis elle reprit :

— Ils sont bien favorisés du ciel ceux qui peuvent, ainsi que vous, monsieur de Rocheboise, trouver cette félicité si près d’eux, en jouir pleinement sans sortir de leur sphère, et sans qu’elle soit achetée par la crainte, payée par le regret.

— Comment savez-vous ?

— Je sais que vous êtes unie à la plus admirable des femmes, à celle qui réunit la beauté a tous les dons de l’esprit et du cœur.

— La beauté ! répéta Herman, qui ne croyait pas que ce mot pût s’appliquer à Valentine, et, sans y songer, laissait voir sa pensée.

— Sans doute, répondit la vieille femme. J’ai vu madame de Rocheboise plusieurs fois, l’hiver dernier, chez de pauvres gens à qui elle venait apporter des secours. Elle était là, veillant à tout, faisant placer par ses gens du bois dans le foyer sombre, des couvertures bien chaudes sur les lits de paille, de bonnes provisions dans les buffets vides… Oh ! si vous l’aviez vue entourée de ces pauvres vieux qui levaient les mains vers elle, de ces petits enfants qui se pressaient contre ses genoux !… Comme elle paraissait grande au milieu de ceux que la reconnaissance inclinait devant elle ! son regard était brillant comme le rayon d’un beau jour ; son teint se colorait du sang pur de son cœur qui venait l’animer. Elle était éblouissante de vertu, de noblesse, radieuse du bonheur qu’elle donnait… N’est-ce donc pas là la beauté ?

Herman, ému de ces paroles, donna une tendre pensée à sa femme, qu’il crut voir dans le jour avantageux où la mendiante venait de la placer.

— N’est-il pas heureux, reprît son interlocutrice, d’avoir à aimer une femme à laquelle tous les grands sentiments vous rattachent, dont on retrouve la pensée quand on songe aux devoirs à remplir, qu’on voit auprès de soi quand l’intelligence s’élève vers Dieu, qui apparaît toujours dans les moments où l’homme est le plus digne de lui-même…

Ce langage, l’accent qui l’accompagnait, étonnaient et pénétraient Herman ; il écoutait celle qui lui parlait ainsi avec une surprise toujours croissante.

— Il est vrai, répondit-il, et vous savez bien juger des sentiments élevés.

— Quelle différence, reprit la vieille femme, de cet amour profond, durable, avec celui qui vient au hasard, d’un caprice, d’une rencontre vulgaire, qui s’attache à la nuance d’une chevelure, au coloris d’un visage, à la finesse ou à la rondeur d’une taille… amour si léger et si incertain de lui-même, qu’il ne se connaît aucune raison, que dans la même personne une chose le repousse, tandis que l’autre l’attire, et que l’homme qui fait des folies, qui se ruine, qui se déshonore pour certaine femme, s’il descendait franchement au fond de sa conscience, ne serait pas certain d’être amoureux ou non.

Un attrait indéfini rendait Herman attentif malgré lui à ce langage.

— Mais si de telles fantaisies sont bien futiles, continua-t-elle d’un accent profond et pénétrant, les conséquences en sont graves. Quand l’amour passager et illégitime d’un jeune homme se tourne vers un objet indigne et méprisable, c’est la honte pour lui ; quand il s’attache à une pure et sainte créature, c’est quelquefois la mort pour elle !

Herman tressaillit et pressa son front de ses mains. Une vive émotion s’était emparée de lui.

La mendiante dit encore :

— J’ai remarqué, en entrant dans ce pavillon, une belle tige de liserons dont les cloches roses étaient toutes flétries et refermées pour toujours : un insecte avait piqué la tige mince comme un fil qui soutient ces fleurs, et tout était fini. C’est aussi un fil d’existence bien fragile qui soutient la fraîcheur, la beauté d’une jeune fille : il suffit parfois d’y toucher pour que toute cette belle floraison se penche et tombe vers la terre.

Elle avait prononcé ces derniers mots d’une voix sourde et brisée ; Herman, palpitant, s’écria :

— Oh ! ce ne sont pas là des paroles vagues dans votre bouche… mais une leçon !… un reproche pour moi !…

— Un souvenir éveillé pour qu’il puisse vous préserver à l’avenir.

— Un souvenir cruel… Et c’est vous aussi, j’en suis sûr maintenant, qui étiez sous le péristyle de Saint-Sulpice, le jour de mon mariage, et qui avez reçu, en pleurant, l’aumône que je vous portais !

— Oui.

— Mais qui donc êtes-vous ? En ce moment-là, j’ai à peine aperçu vos traits, entendu votre voix. Maintenant, l’ombre vous environne encore, et c’est seulement à un saisissement de mon cœur que je viens de vous reconnaître. Vous êtes invisible, entourée de mystère, et vous me parlez des choses les plus secrètes et les plus tristes de ma vie.

— Qui me touchent autant que vous.

— Ah ! je vous en supplie, dites-moi qui vous êtes ?

La vieille femme répondit seulement :

— On m’appelle la pauvre Jeanne.

Puis, à la même minute, Herman entendit le bruissement des branches d’arbustes qui s’écartaient sur le passage de la mystérieuse mendiante, et il resta seul dans le pavillon.

Jeanne regagna sa demeure et monta d’un pas bien lent ses cinq étages. Arrivée dans la mansarde, elle alluma un bout de chandelle et regarda du côté du lit.

Sur ce pauvre grabat était étendue Robinette, dormant du sommeil des anges.

— Bon ! dit la vieille femme à demi-voix, tout ceci s’est bien passé… j’avais bien entendu derrière la cloison l’endroit et l’heure du rendez-vous où cette petite fille devait aller… Et, grâce à cette bienheureuse liqueur, elle a dormi aussi longtemps qu’il le fallait.

À la clarté de la chandelle, Robinette ouvrit les yeux et se leva sur son séant. Sa fraîcheur était encore ravivée par le sommeil ; ses yeux baignaient dans de molles vapeurs ; ses joues étaient du plus bel incarnat ; ses lèvres d’une rougeur chaude et humide.

— Ah ! comme j’ai bien dormi ! dit-elle en riant. Mère Jeanne, quelle heure est-il ?

— Neuf heures et demie, mon enfant.

— Bah ! pas possible !

— Si fait.

— Alors, il est trop tard pour aller où je devais me trouver à huit heures.

— C’est vrai.

— J’ai donc dormi depuis sept heures jusqu’à présent… Ah ! mon Dieu, deux heures !

— Et la demie.

— Et la demie ! mère Jeanne.

Robinette jugea alors qu’il ne lui restait rien de mieux à faire qu’à rentrer chez elle ; et en descendant l’escalier, elle résumait ainsi les avantages et les inconvénients de cette soirée :

— J’ai peut-être manqué de faire ma fortune, c’est vrai ; mais le cassis était fièrement bon !